CA Bordeaux, ch. soc. A, 29 septembre 2021, n° 20/04814
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Société d'Avitaillement et de Stockage de Carburants Aviation (SNC), Total Marketing Sercices (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pignon
Conseillers :
Mme Rouaud-Folliard, Mme Dupont
Avocats :
Me Eychenne, Me Leconte, Me Dahan
EXPOSE DU LITIGE
Le Groupement pour l'avitaillement de Toulouse (GAT) a été formé entre les sociétés BP FRANCE, ELF ANTAR et TOTAL RAFFINAGE MARKETING (filiale de TOTAL) sous la forme d'un Groupement d'intérêt économique (GIE) régi par l'ordonnance 67-821 du 23 septembre 1967 et par le contrat de groupement signé entre les parties le 09.06.2009. L'un des services assurés par le GIE pour ses membres était d'intervenir auprès des sociétés de travail temporaire pour que ces dernières fournissent aux membres du GIE, en cas de nécessité, du personnel intérimaire.
Le GIE GAT a été dissous le 25 juillet 2012 sans liquidation et les sociétés membres du GIE GAT ont fait un apport partiel d'actif (leur activité d'avitaillement) à une SNC dénommée SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURANTS AVIATION (SASCA) avec effet au 29 mai 2012.
Monsieur C. a été mis à la disposition du groupement d'intérêt économique GAT en qualité d'avitailleur, dans le cadre de plusieurs missions d'intérim successives du 15 février 1999 au 1er novembre 2005.
Sa dernière mission a pris fin le 31 octobre 2005.
Monsieur C. a saisi le conseil des prud'hommes de Toulouse, le 6 juin 2013 aux fins de requalification de l'ensemble de la relation contractuelle du 15 février 1999 au 1er novembre 2005 en contrat à durée indéterminée, de requalification de la rupture en licenciement, de contestation du licenciement, de demande de réintégration et paiement de diverses sommes à titre d'indemnité.
Par jugement de départition du 22 juin 2017, le conseil de prud'hommes a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de Monsieur C.,
- requalifié la relation contractuelle du 15 mars 1999 au 31 octobre 2005 en contrat à durée indéterminée,
- jugé que la rupture de la relation contractuelle s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné solidairement la SA Total marketing services et la SNC SASCA Toulouse, prise en la personne de leur représentant légal ès-qualités, à payer à M. C. les sommes de :
* 5 000 euros à titre d'indemnité de requalification,
* 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3 933, 31 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 3 210, 86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 321, 08 euros de congés payés afférents,
* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes des parties,
- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit en vertu de l'article R. 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des 3 derniers mois de salaire à 1 600 euros,
- condamné solidairement la SA Total marketing services et la SNC SASCA Toulouse, prise en la personne de leur représentant légal ès-qualités, aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe en date du 13 juillet 2017, M. C. a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 8 mars 2019, la cour d'appel de Toulouse a :
- ordonné la jonction des instances n°17/ 03783 et 17/04008,
- constaté que la disposition du jugement entrepris qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription n'est critiquée par aucune des parties de sorte qu'elle est définitivement jugée,
- infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. C. relatives aux primes d'intéressement et de participation,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
- débouté M. C. de sa demande de requalification des contrats de missions en contrat à durée indéterminée,
- débouté M. C. du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code procédure civile,
- condamné M. C. aux dépens.
Monsieur C. a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il constate que la disposition du jugement entrepris qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, non critiquée est définitive, l'arrêt rendu le 8 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse, et remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la cour d'appel de Bordeaux, et condamné la société d'avitaillement et de stockage de carburant aviation (SASCA) et la société Total marketing services aux dépens.
La Cour de cassation a relevé que la cour d'appel, après avoir dressé la liste des contrats conclus entre les années 1999 et 2005, a retenu qu'il résulte des pièces versées aux débats que, contrairement à ce qu'il soutient, le salarié a travaillé en qualité d'avitailleur sur le site de l'aéroport de Blagnac pour fournir du kérosène aux aéronefs non pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité permanente du GIE GAT mais pour pourvoir, à titre temporaire, un emploi d'avitailleur lié à l'activité permanente des membres du GAT, à savoir les sociétés pétrolières Total, Elf Antar ou BP, étant précisé que les missions ont été interrompues entre le 30 septembre 2002 et le 27 mars 2003, soit pendant près de 6 mois, puis entre le 9 juin 2003 et le 18 avril 2004, soit pendant plus de 10 mois.
La Cour de cassation a estimé qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si la conclusion, sur une période de plus de six années, de contrats de remplacement de salariés absents et l'emploi du salarié au même poste d'avitailleur n'étaient pas destinés à combler un besoin structurel de main d'oeuvre, ni analyser les contrats de mission conclus pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale.
Par déclaration de saisine du 3 décembre 2020, M. C. a saisi la cour d'appel de Bordeaux, désignée comme cour de renvoi, afin de la voir statuer sur l'appel du jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 22 juin 2017.
Le 8 janvier 2021, la présidente de la chambre sociale a, en application de l'article 905 du code de procédure civile, fixé l'affaire à l'audience du 21 juin 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 1er février 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, M. C. demande à la cour de :
rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- requalifié en CDI la relation de travail temporaire écoulée du 15 février 1999 au 31 octobre 2005,
- requalifié la rupture intervenue le 31 octobre 2005 en licenciement,
- solidairement condamné les sociétés SASCA et Total marketing services à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 1251-41 alinéa 2 et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile ;
- Le réformer pour le surplus et statuant à nouveau :
A titre principal :
- Dire ce licenciement nul en application des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail,
- Ordonner sa réintégration au sein de la SNC SASCA en qualité d'avitailleur coefficient K 185 sur le site de l'aéroport de Toulouse - Blagnac avec une ancienneté acquise depuis le 15 février 1999,
- Condamner solidairement la SNC SASCA et la SA Total marketing services à lui payer
* 12 113, 16 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du 15 février 1999 et 1er novembre 2005,
* 322 773, 67 euros en réparation du préjudice de perte des rémunérations du 1er novembre 2005 au 31 décembre 2020,
* 30 282, 90 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du 1er novembre 2005 et 31 décembre 2020,
* 1 924, 93 euros tous les mois, en réparation du préjudice de perte de rémunération, du mois de janvier 2021 jusqu'à la réintégration effective.
A titre subsidiaire :
- Dire et juger ce licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamner solidairement les sociétés SASCA et la SA Total marketing services à lui payer :
* 28 897, 74 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3 933, 31 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 3 210, 86 euros à titre d'indemnité conventionnelle de préavis,
* 321, 08 euros au titre des congés payés afférents,
* 12 113, 16 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du 15 février 1999 au 1er novembre 2005 ;
En toute hypothèse :
- Condamner solidairement les sociétés SASCA et la SA Total marketing services à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile,
- Condamner solidairement les sociétés SASCA et la SA Total marketing services aux entiers dépens de l'instance.
M. C. fait valoir que :
- les sociétés d'avitaillement et de stockage de carburants aviation "SASCA" et Total marketing services sont débitrices solidaires à son égard, que membre de la SNC GAT, la SNC SASCA est indéfiniment et solidairement responsable de ses dettes et obligations,
- que ses contrats de mission avaient pour objet de pourvoir un emploi durable et permanent lié à l'activité normale de l'entreprise utilisatrice,
- la totalité des contrats de mission litigieux désignent le GIE comme utilisateur au sens de la législation sur le travail temporaire,
- par l'effet de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture se trouve requalifiée en licenciement,
- parmi 7 salariés intérimaires placés dans la même situation que lui, il est le seul homme de couleur et il est le seul à ne pas avoir été embauché en contrat de travail à durée indéterminée, ce qui caractérise un traitement discriminatoire,
-sa situation de travail étant requalifiée en CDI, il est en droit de prétendre à un rappel de salaire sur les primes d'intéressement et de participation versées par la SA TOTAL à ses salariés au titre de la période allant du 15 février 1999 au 1er novembre 2005 soit 6 ans et 7 mois.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 26 mars 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la SASCA et la société Total marketing services demandent à la cour de :
- Les recevoir en leurs écritures et les y dire bien fondées,
- Mettre hors de cause la société Total Marketing services,
- Déclarer irrecevable les procédures engagées par M. C. à leur encontre,
- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes entrepris en ce qu'il les condamne,
- Débouter M. C. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner M. C. au paiement, à leur bénéfice de la somme de 3 000 euros pour chacune d'entre elles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Le condamner aux dépens de première instance, d'appel et de cassation ainsi que ceux du présent arrêt.
La société d'avitaillement et de stockage de carburants aviation "SASCA" et la Société Total marketing services font valoir que :
- l'un des services assurés par le GIE pour ses membres était d'intervenir auprès des sociétés de travail temporaire pour que ces dernières fournissent aux membres du GIE, en cas de nécessité, du personnel intérimaire, chaque membre du GIE ayant ses clients propres,
- l'action de M. C. est irrecevable en ce que la SNC SASCA a été créée par deux membres du GAT par apport partiel d'actif de ses membres : Total marketing services et BP FRANCE, que cette SNC créée à effet du 1er janvier 2012 est protégée par l'obligation d'une mise en demeure par acte extrajudiciaire préalable à la poursuite, que faute de mise en demeure préalable par acte extrajudiciaire, aucune poursuite n'est recevable contre le GIE GAT ni la SNC SASCA ou leurs membres,
-les contrats de mission, conclus que ce soit pour un accroissement temporaire d'activité
de chacune des sociétés membres du GIE ou plus généralement pour un remplacement
de salariés absents concernent chacune des sociétés membres du GIE indépendante et ayant sa propre clientèle et son propre personnel,
- chaque mission donne lieu à la conclusion d'un « contrat de mise à disposition » entre l'entreprise de travail temporaire et sa cliente dite "entreprise utilisatrice", et d'un contrat de travail, dit "contrat de mission", signé entre le salarié intérimaire et son employeur, l'entreprise de travail temporaire, le contrat de mission, quel que soit son motif, n'ayant eu ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice,
- le salarié ne soumet aucun élément de fait susceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 juin 2021 et le dossier a été fixé à l'audience du 21 juin 2021.
Pour plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS
Sur la prescription
Conformément à l'article 623 du code de procédure civile, la cassation est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres.
L'article 624 du code de procédure civile détermine l'étendue de la cassation en ces termes :
"La portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrét qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire."
En l'espèce, la cour de cassation a définitivement jugé que la disposition du jugement entrepris qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, non critiquée était définitive, de sorte que le moyen tiré de la prescription soulevé par les sociétés SASCA et Total marketing services sera rejeté.
Sur la recevabilité
Le groupement d'intérêt économique (GIE) nommé GIE GAT (groupement pour l'avitaillement de Toulouse), ayant notamment pour objet la gestion des opérations de stockage et de mises à bord des carburants et autres produits, et de toutes activités accessoires, l'entretien des bâtiments et véhicules, soit par l'intermédiaire du personnel de chaque société membre mis à la disposition du groupement, soit par l'intermédiaire du personnel embauché et géré directement par le groupement, a été créé le 30 septembre 1977 entre les sociétés ELF France et Total raffinage distribution.
Le 19 octobre 2001 la société BP France s'est substituée en tant que membre du GIE à la société ELF France, entre temps devenue ELF ANTAR France, et est venue aux droits et obligations de celle-ci.
Suivant 2 conventions d'apport partiel d'actif en date du 25 novembre 2011, à effet au 1er janvier 2012, la société Total Raffinage Marketing (anciennement dénommée Total raffinage distribution) et la société BP France ont procédé à un apport partiel d'actifs au bénéfice de la société d'avitaillement et de stockage de carburant aviation constituée sous la forme d'une société en nom collectif, la société SASCA.
Il résulte de ces traités que les sociétés BP France et Total Raffinage Marketing, dans un objectif de rationalisation, ont décidé de s'associer au sein d'une société commune dénommée SASCA, créée à cette fin, pour mettre en commun notamment leur branche d'activité de "mise bord de carburant aviation".
Aux termes de ces deux traités de cession, il est notamment précisé que les sociétés Total Raffinage Marketing et BP France, seules membres de plusieurs GIE, dont le GIE GAT, ont décidé d'une part de procéder à la filialisation, notamment, de cette branche d'activité, et d'autre part, de réaliser simultanément et concomitamment des apports partiels d'actifs de leurs deux branches d'activités logistiques de distribution de carburants aviation sur plusieurs aéroports dont celui de Toulouse-Blagnac.
L'article 1.1 du traité d'apport de la société BP France prévoit : "Les parties conviennent expressément en application de l'article L.236-22 du code de commerce de soumettre le présent apport au régime juridique des scissions tel que défini aux articles L. 236-16 à L. 236-21 et R. 236-1 et suivants du code de commerce. Le présent apport étant soumis au régime juridique des scissions, il emportera transmission universelle du patrimoine attaché à la branche d'activité apportée."
L'article 4.1.10 précise que les salariés(..) affectés à l'exploitation de la branche d'activité seront transféré à la société bénéficiaire en application de l'article L. 1224-1 du code du travail.
L'article 1.2 du traité de la société Total Raffinage Marketing indique pour sa part : "L'apport partiel d'actif de la branche d'activité est placée sous le régime juridique des scissions prévu aux articles L. 236-16 à L. 236-22 du code de commerce.
Conformément aux dispositions légales applicables, cette opération d'apport partiel d'actifs soumise au régime juridique des scissions entraîne la transmission universelle du patrimoine qui s'opère sur la fraction du patrimoine de la société apporteuse correspondant à la branche d'activité apportée."
L'article 3.1 du traité rappelle qu'en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, les contrats de travail en cours des sociétés TRM et BANQUE POPULAIRE France sont transférés à la bénéficiaire.
Il en résulte que, par l'effet de ces traités qui ont opéré une transmission universelle de tous les droits, biens et obligations concernant la branche apportée, la SASCA est venue aux droits du GIE et a repris son passif, y compris les contestations nées des contrats de travail conclus par le GIE GAT, pour l'activité d'avitaillement.
L'action de M. C. exercée à l'encontre de la société SASCA est recevable, et qu'aucune mise en demeure préalable n'était nécessaire.
En revanche, si, en vertu de l'article L. 221-1 alinéa 1er du code de commerce, les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales, l'alinéa 2 de ce même texte précise : "Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire."
En l'espèce, l'action de M. C. est dirigée contre la société Total marketing services en sa qualité d'associée de la SNC SASCA.
Aucune mise en demeure à l'encontre de la SNC SASCA n'ayant été délivrée préalablement à l'action intentée contre la société Total marketing services, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de sa demande à l'encontre de ladite société sera accueillie.
Sur la requalification des contrats
L'article L. 124-2 ancien du code du travail, applicable au présent litige, dispose : "Le contrat de travail temporaire, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice."
L'article L. 124-2-1 indique : " Un utilisateur ne peut faire appel aux salariés des entreprises de travail temporaire mentionnées à l'article L. 124-1 que pour des tâches non durables dénommées " missions " au sens du présent chapitre, et dans les seuls cas suivants :
1° Remplacement d'un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail, de départ définitif précédant la suppression de son poste de travail ayant fait l'objet d'une saisine du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe, ou en cas d'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par un contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;
3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois."
En cas de litige sur le recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice, et non au salarié, de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat. L'employeur doit notamment rapporter la preuve de la corrélation entre son volume d'activité et celui des emplois temporaires s'il invoque un accroissement temporaire d'activité.
En l'espèce, entre le 15 février 1999 et le 1er novembre 2005, M. C. a été mis à disposition permanente par de nombreux contrats de mission successifs conclus avec les agences d'intérim Vedior Bis et Manpower.
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, M. C. a majoritairement occupé le même poste d'avitailleur sur le même site de l'aéroport de Toulouse, de façon quasi continue pendant une période de 6 ans.
Chacun des "contrats de service" et "contrats de mise à disposition", selon la terminologie employée respectivement par la société Manpower et la société Vedior Bis a été adressé au GIE GAT.
Quel qu'ait été le motif de recours à l'intérim, tous ces contrats concernaient le même poste, celui d'avitailleur.
Plusieurs contrats de mission se chevauchent sur une même période. Tel est le cas de plusieurs contrats de mission conclus sur la période allant du 21 février au 23 février 2000 ou des deux contrats couvrant la période entre le 22 et le 25 août 2005.
La plupart des contrats conclus entre la société d'interim et l'entreprise utilisatrice (Vedior Bis des 22 février 2000, 1er mars 2000, 27 mars 1er mai, 25 septembre 2000, tous les contrats des années 2001 et 2002, tous les contrats Manpower) portent le cachet du GAT ou sont signés par un représentant du GAT.
Les motifs de recours portés sur les contrats sont soit un surcroît temporaire d'activité, soit le remplacement de salariés.
S'agissant du surcroît temporaire d'activité, il n'est produit aucune pièce de nature à en justifier.
En ce qui concerne le motif de remplacement pour absences de salariés, il ressort des contrats fournis aux débats que la plupart desdites absences n'étaient pas imprévisibles dès lors que les contrats de mission précisent le remplacement de salariés "en délégation syndicale", "en congés payés" ou "en formation".
Sur de très nombreux contrats, il est seulement mentionné le nom du salarié remplcé sans que soit précisé le motif de son remplacement.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, sur une période de plus de six années, M. C. a occupé le même emploi d'avitailleur dans le cadre de contrats de remplacement de salariés absents ou d'accroissement temporaire d'activité sans que ne soient justifiés ni l'accroissement invoqué, ni systématiquement le motif de remplacement du salarié absent.
Le GIE GAT, aux droits duquel se trouve la SNC SASCA, et dont l'objet social était, notamment, la gestion des opérations de stockage et de mise à bord de carburants a en conséquence conclu avec M. C. des contrats de travail temporaire ayant pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle du 15 mars 1999 au 31 octobre 2005 en contrat à durée indéterminée, étant précisé que cette requalification concerne la SNC SASCA.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a alloué à M. C. la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de requalification.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur la nullité du licenciement
Pour contester le jugement déféré, M. C. soumet à la cour les mêmes moyens et prétentions que ceux soumis à l'appréciation des premiers juges qui ont, par des motifs pertinents que la cour fait siens, estimé que la salariée ne présente donc pas des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte à son encontre, dès lors que :
- si la réalité de l'embauche de plusieurs intérimaires auprès des sociétés TOTAL ou BP en tant qu'avitailleurs n'est pas contestée, il n'en demeure pas moins que rien ne permet d'indiquer que M. C. ait seulement été intéressé par une telle embauche en 2005, et il ne démontre pas avoir sollicité les diverses sociétés pour être intégré à leurs effectifs et ne justifie pas non plus du fait que l'arrêt des missions après le 31 octobre 2005 découlerait d'une volonté de la part de l'employeur plutôt que d'un souhait personnel,
- aucune indication sur les origines ethniques ou raciales des personnes embauchées n'est donnée, de sorte qu'il est impossible de savoir si M. C. est le seul à ne pas avoir été recruté, prétendument pour cette raison, comme il l'indique,
- il est par ailleurs observé que M. C. a attendu plus de 7 ans avant de saisir le conseil de prud'hommes d'une telle demande et ne justifie pas réellement de son activité sur la période postérieure au 31 octobre 2005.
C'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la demande de nullité du licenciement, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'employeur qui, à l'expiration d'un contrat de travail à durée d'intérim ultérieurement requalifié en contrat à durée indéterminée ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture. Celle-ci s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Compte tenu du nombre de salariés dans l'entreprise, de l'ancienneté de au moment de son licenciement, supérieure à deux ans, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, tels qu'ils résultent des pièces et explications fournies, la cour estime que le premier juge, en allouant à M. C. une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 12.000 euros a fait une juste appréciation des éléments de fait et de droit qui lui étaient soumis.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a alloué au salarié les sommes de 3.933,31 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 3.210, 86 euros à titre d'indemnité conventionnelle de préavis et 321,08 euros au titre des congés payés afférents.
Sur les primes de participation et d'intéressement
La société Total raffinage marketing ayant été mise hors de cause, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de M. C. en ce qui concerne les primes d'intéressement et de participation versées par la SATotal à ses salariés au titre de la période allant du 15 février 1999 au 1er novembre 2005.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance, d'appel et de cassation seront laissés à la charge de la SNC SASCA.
Il est équitable d'allouer à M. C. la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, que la SNC SASCA sera condamnée à lui payer.
*
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 22 juin 2017 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne la société TOTAL marketing services,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déclare irrecevable l'action intentée par M. C. contre la société TOTAL marketing services, faute d'avoir préalablement mis en demeure la SNC SASCA ;
Y ajoutant,
Condamne la SNC SASCA à payer à M. Rodrigue C. la somme de 3.000 euros en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SNC SASCA aux dépens de première instance et d'appel, outre ceux afférents à l'instance en cassation.