Cass. 3e civ., 19 janvier 2011, n° 09-72.040
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cachelot
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Joint les pourvois n° R 10-10.059 et n° R 09-72.040 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Lyon, 28 mai 2009 et 17 septembre 2009), que, par acte du 7 juillet 1986, la société civile immobilière (SCI) de la rue Grenette a donné à la société Diffusion despinasse viandes (la société DDV), aux droits de laquelle se trouvent aujourd'hui les sociétés GFDDV et PMD, des locaux commerciaux situés à Montbrison, à l'angle formé par les rues Tupinerie et Grenette ; que, par acte du 10 octobre 1986, la société DDV a sous-loué une partie des locaux à la société Fromagerie Edouard, aux droits de laquelle se trouve la société H. Mons fromager affineur (la société Mons) ; que, le 3 mai 2006, la SCI de la rue Grenette a fait délivrer à la société DDV un commandement lui faisant sommation d'avoir à exploiter les locaux loués, puis, par acte du 20 septembre 2006 l'a assignée en constatation de la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire visée dans ce commandement, pour défaut d'exploitation ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° R 10-10.059 et sur le premier moyen du pourvoi n° R 09-72.040, pris en sa première branche, réunis :
Attendu que la société GFDDV et la société PMD font grief à l'arrêt d'accueillir cette demande et d'ordonner l'expulsion de la société DDV et de tous occupants de son chef, alors, selon le moyen :
1°/ que toute clause insérée dans le bail, prévoyant la résiliation de plein droit, ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux ; que si le locataire satisfait à la sommation qui lui est faite dans le délai imparti, la résiliation de plein droit sur le fondement de la clause résolutoire pour la même infraction au bail ne peut intervenir qu'après la délivrance d'un nouveau commandement resté infructueux ; qu'en l'espèce, il résultait du contrat d'huissier en date du 18 mai 2006 régulièrement produit par la société DDV, établi dans le mois suivant la délivrance par la SCI de la rue Grenette d'un commandement d'avoir à exploiter visant la clause résolutoire, que le magasin situé rue de la Tupinerie était exploité par la société Mons Fromager affineur, auquel les lieux avaient été régulièrement sous-loués, d'où il s'évinçait que la société DDV avait satisfait dans le délai à la sommation qui lui avait été faite le 3 mai 2006, et que le bail ne pouvait être résilié sur la base du commandement du 3 mai 2006 ; qu'en jugeant du contraire, aux motifs inopérants que des constats effectués à partir du 9 juin 2006, soit plus d'un mois après la délivrance dudit commandement, auraient établi que le magasin de la rue Tupinerie n'était pas ouvert au public, quand, dès lors qu'il avait été satisfait à la sommation dans le mois du commandement du 3 mai 2006, la résiliation du bail ne pouvait intervenir pour défaut d'exploitation qu'après un nouveau commandement resté infructueux, la cour d'appel a violé les articles L. 145-41 du code de commerce et 1184 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a constaté la régularité tant de la sous-location consentie en 1986 que de celle consentie le 5 mai 2006 par la société DDV à la société Mons Fromagerie du reste des locaux objet du bail de 1986 ; qu'en affirmant cependant, pour considérer que cette sous-location du 5 mai 2006 ne démontrait pas une exploitation effective de l'ensemble des locaux dans le mois suivant le commandement, qu'elle était intervenue 7 mois après le commandement visant la clause résolutoire, qui datait pourtant du 3 mai 2006, la cour d'appel a méconnu ses propres constatations, et violé les articles L. 145-1 et L. 145-41 du code de commerce, et 1184 du code civil ;
3°/ que le défaut d'exploitation du fonds de commerce ne peut justifier la résiliation du bail et l'expulsion du preneur et des occupants de son chef du local loué que s'il constitue une violation des stipulations expresses du bail commercial ; qu'en l'espèce, le bail du 7 juillet 1986, portant tant que les locaux accessibles par la rue Grenette que ceux accessibles par la Tupinerie, se contentait d'imposer l'exploitation d'un commerce alimentaire constamment ouvert et achalandé, sans exiger que cette exploitation ni l'occupation se fasse nécessairement sur la totalité du local loué ; qu'en estimant cependant que l'exploitation continue de la plus grande partie des locaux objet du bail du 7 juillet 1986 par un commerce alimentaire de fromagerie, dans le cadre d'une sous-location régulièrement consentie dès le 10 octobre 1986, et au demeurant acceptée par le bailleur, ne satisfaisait pas à la condition d'exploitation effective des lieux telle que stipulée au bail, au motif erroné de l'absence d'exploitation de l'ensemble des locaux objet du bail, la cour d'appel a violé les articles L. 145-1 et L. 145-41 du code de commerce, 1134 et 1184 du code civil ;
4°/ que la cour d'appel a constaté que la sous-location consentie en 1986 sur une partie importante des lieux objet du bail du 7 juillet 1986 était régulière, et avait même donné lieu à un accord de la part du bailleur ; qu'elle a encore admis que la sous-location donnée sur le reste du local le 5 mai 2006 était également régulière ; qu'il était par ailleurs incontesté que la sous-locataire exploitait bien de manière effective et continue un commerce alimentaire dans la partie des locaux objet du bail du 7 juillet 1986 qu'elle sous-louait depuis le 10 octobre 1986 ; que pour retenir néanmoins une prétendue méconnaissance de la clause d'exploitation effective prévue au bail, la cour d'appel a affirmé qu'il n'y avait pas eu de division en deux magasins distincts contractuellement définies, et que l'acceptation par le bailleur d'un sous-locataire exploitant une partie des lieux loués n'était pas suffisante pour modifier la désignation des biens loués en créant des lots séparés soumis à un régime locatif distinct ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, quand une telle modification ou séparation des lieux loués en lots soumis à un régime distinct n'était nullement nécessaire, tout au contraire, pour tirer les conséquences du constat qu'un fonds de commerce alimentaire, conforme à la destination des lieux objet du bail du 7 juillet 1986, était bien effectivement exploité en ces lieux, par un sous-locataire régulier qui avait été accepté par le bailleur, de sorte que la condition d'exploitation d'un commerce alimentaire dans les lieux loués telle que prévue au bail était satisfaite pour l'ensemble des locaux, soumis au même régime locatif, nonobstant la circonstance indifférente que cette activité ne soit pas répartie sur la totalité de la surface donnée à bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-1 du code de commerce, 1134 et 1884 du code civil ;
5°/ que le défaut d'exploitation du fonds ne peut justifier la résiliation du bail et l'expulsion des occupants du local loué que s'il constitue une violation des stipulations expresses du bail commercial ; qu'en l'espèce, le bail, portant sur l'ensemble des locaux, ceux accessibles par la rue Grenette comme ceux accessibles par la rue Tupinerie, se contentait d'imposer l'exploitation d'un commerce constamment ouvert et achalandé ; que le contrat de bail n'exigeait pas que l'exploitation et l'occupation se fasse sur la totalité du local loué ; qu'en décidant pour prononcer la résiliation du bail que l'exploitation et l'occupation de la plus grande partie des locaux (celle directement accessible par le rue Grenette) n'était pas suffisante au regard des stipulations du contrat qui aurait exigé une exploitation et une occupation de la totalité des locaux (y compris la partie accessible par la rue Tupinerie), la cour d'appel a méconnu la volonté des parties et violé les articles L.145-1 du code de commerce, 1134 et 1184 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que le seul constat d'huissier de justice du 18 mai 2006 n'était pas suffisant pour contredire les autres constats établis en juin 2006 dont il résultait que le magasin situé rue Tupinerie était fermé au public et qu'il était ainsi démontré que la société DDV n'avait pas satisfait à la sommation qui lui avait été délivrée, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant, a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° R 09-72.040 pris en sa seconde branche :
Vu l'article L. 145-32, alinéa 2, du code de commerce ;
Attendu qu'à l'expiration du bail principal, le propriétaire n'est tenu au renouvellement que s'il a, expressément ou tacitement, autorisé ou agréé la sous-location et si, en cas de sous-location partielle, les lieux faisant l'objet du bail principal ne forment pas un tout indivisible matériellement ou dans la commune intention des parties ;
Attendu que pour ordonner l'expulsion de la société Mons et lui dénier le droit au renouvellement de son sous-bail, l'arrêt, après avoir déclaré réguliers les contrats de sous-location consentis à cette société, retient que le bail initial porte sur deux pièces principales en enfilade de même niveau pour une surface de 88,30 m2, une pièce à usage de magasin "animalerie" pour une surface de 53,66 m2, un réduit pour WC et une cour couverte à usage de remise et dépôt dont la division en deux magasins distincts et deux arrière boutiques n'a pas été contractuellement définie et que l'acceptation tacite par le bailleur de la présence d'une société sous locataire dans une partie des lieux loués n'est pas suffisante pour modifier la désignation des biens loués en créant des lots séparés soumis à un régime locatif distinct ;
Qu'en statuant ainsi, sur le seul fondement des prévisions contractuelles, lesquelles ne stipulaient pas que les lieux loués formaient un tout indivisible, sans rechercher , comme il le lui était demandé, si les locaux n'étaient pas matériellement divisibles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le second moyen du pourvoi n° R 09-72.040, ci-après annexé :
Attendu que la cassation partielle de l'arrêt du 28 mai 2009 entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt interprétatif du 17 septembre 2009 ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi n° R 10-10.059 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné l'expulsion de la société Mons, en tant qu'occupant des locaux du chef de la société DDV, l'arrêt rendu le 28 mai 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.