CA Rennes, 3e ch. com., 15 octobre 2019, n° 19/00855
RENNES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet
FAITS ET PROCEDURE :
Le 6 novembre 2013, Mmes B., épouse F., et A. ont fondé la société en nom collectif Figeal, Mme B. détenant 99% du capital et Mme A. 1%. Mme B. était la seule gérante.
La société Figeal a été placée en redressement judiciaire le 14 avril 2015 et en liquidation judiciaire le 2 juin 2015, M. L. étant désigné liquidateur.
M. L., ès qualités, a assigné Mmes B. et A. en paiement de la somme de 359.383,10 euros correspondant au passif de la société Figeal.
Par ordonnance du 1er octobre 2018, le président du tribunal de commerce de Brest a pris acte de ce que M. L. exerçait désormais ses fonctions de mandataire judiciaire au sein de la société Paul L. dont il est associé et dit que le mandat en cours dans la procédure de la société Figeal était, à compter du 1er octobre 2018, accompli par la société Paul L., prise en la personne de M. L..
Par jugement du 9 novembre 2018, après débats à l'audience du 7 septembre 2018, le tribunal de commerce de Brest a :
- Condamné Mmes B. et A. à régler à M. L., ès qualités, la somme de 359.383.10 euros assortis des intérêts aux taux légal à compter du 30 mai 2017 date de l'assignation,
- Condamné Mmes B. et A. à régler à M. L., ès qualités, la somme de l.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné Mmes B. et A. au dépens.
Mme A. a interjeté appel le 6 février 2019.
Les dernières conclusions de Mme A. sont en date du 17 juin 2019. Les dernières conclusions de la société L., ès qualités, sont en date du 7 mai 2019. Les dernières conclusions de Mme B. sont en date du 15 avril 2019. Le ministère public a communiqué son avis écrit le 2 juillet 2019.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Mme A. demande à la cour de :
- Recevoir Mme A. en son appel,
- Réformer le jugement,
- Dire et juger irrecevable la société L., ès qualités, à poursuivre le règlement des dettes sociales sur le fondement de l'article L 251-1 du code de commerce,
- Dire et juger que l'action engagée par le liquidateur judiciaire sur le fondement de l'article 1832 du code civil, n'emporte aucune solidarité des associés,
- Dire et juger que la contribution de Mme A. aux pertes sociales ne peut exercer le montant la part de ses apports dans le capital social, soit 1 %,
- Débouter la société L., ès qualités de sa demande au titre des frais de la procédure,
- Accorder à Mme A. un délai de 2 ans pour s'acquitter de sa dette et dire que ses versements s'imputeront en priorité sur le capital,
- Condamner la société L., ès qualités, au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sous le bénéfice de l'article 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridique,
- Condamner la société L., ès qualités, aux entiers dépens.
Mme B. épouse F. demande à la cour de :
- Dire et juger recevable et bien-fondé l'appel formé par Mme B.,
- Réformer le jugement,
- Dire et juger irrecevable M. L., ès qualités, à poursuivre le règlement des dettes sociales et à obtenir la condamnation des associées au remboursement de l'insuffisance d'actif,
Et en conséquence :
- Débouter M. L., ès qualités, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.
A tire subsidiaire :
- Dire et juger que l'action du mandataire liquidateur au titre de la contribution des associées aux pertes sociales de la société Figeal est limitée à la somme totale de 19.383.10 euros,
Et en tout état de cause :
- Condamner M. L., ès qualités, à payer à Mme B. la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. L., ès qualités, aux entiers dépens.
La société L., ès qualités, demande à la cour de :
A titre principal,
- Débouter Mme A. de ses demandes, fins et conclusions,
- Confirmer le jugement,
A titre subsidiaire,
- Condamner Mme A. à régler à la société L., ès qualités, la somme de 3.593,83 euros assortis des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2017,
- Débouter Mme A. de ses autres demandes, fins et conclusions,
- Confirmer le jugement en ses autres dispositions,
En toute hypothèse,
- Condamner Mmes B. et A. à régler à la société L., ès qualités, la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mmes B. et A. aux dépens.
Le ministère public est d'avis de :
- Réformer le jugement,
- Déclarer recevable l'action du mandataire liquidateur sur le fondement des articles 1832 et suivants du code civil,
- Condamner Mme A. au paiement de l'insuffisance d'actifs à proportion de sa participation au capital, soit 1% du montant total,
- Condamner Mme B. au paiement de l'insuffisance d'actifs à proportion de sa participation au capital, soit 99% du montant total.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la recevabilité de l'action du liquidateur :
L'obligation aux dettes sociales est relative aux rapports entre les associés et les créanciers sociaux.
La contribution aux pertes sociales est relative aux rapports entre les associés et la société ou entre les associés entre eux.
Lorsque la société est dissoute, le liquidateur, qui représente la société, est recevable à agir pour faire fixer la contribution de chaque associé aux pertes, sur le fondement des dispositions de l'article 1832 du code civil :
Article 1832
La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.
Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne.
Les associés s'engagent à contribuer aux pertes.
Sauf application de dispositions légales ou réglementaires ou de stipulation particulières, c'est seulement en cas de dissolution de la société en nom collectif que celle-ci peut agir contre ses membres en paiement de ses pertes.
En revanche, l'obligation aux dettes peut être exigée, par les créanciers, à tout moment de la vie sociale.
C'est la disparition de la société qui rend recevable le liquidateur à agir contre les associés pour faire fixer leur contribution aux pertes. La date de la fin de la société est fixée par les dispositions de l'article 1844-7 du code civil.
La société Figeal a été placée en redressement judiciaire le 14 avril 2015 et en liquidation judiciaire le 2 juin 2015. Les dispositions de l'article 1844-7 du code civil applicables sont donc celles issues de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 :
Article 1844-7 en vigueur à compter du 1er juillet 2014 :
La société prend fin :
1° Par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l'article 1844-6 ;
2° Par la réalisation ou l'extinction de son objet ;
3° Par l'annulation du contrat de société ;
4° Par la dissolution anticipée décidée par les associés ;
5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ;
6° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l'article 1844-5 ;
7° Par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ;
8° Pour toute autre cause prévue par les statuts.
Ces dispositions diffèrent de celles en vigueur précédemment qui prévoyaient que la dissolution de la société intervenait du seul fait d'un jugement ordonnant la liquidation :
Article 1844-7 en vigueur jusqu'au 1er juillet 2014 :
La société prend fin :
1° Par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l'article 1844-6 ;
2° Par la réalisation ou l'extinction de son objet ;
3° Par l'annulation du contrat de société ;
4° Par la dissolution anticipée décidée par les associés ;
5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ;
6° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l'article 1844-5 ;
7° Par l'effet d'un jugement ordonnant la liquidation judiciaire ;
8° Pour toute autre cause prévue par les statuts.
En l'espèce, par jugement du 2 juin 2015, le tribunal de commerce de Brest a prononcé la seule liquidation de la société Figeal. La société Figeal n'étant pas dissoute, le liquidateur était donc irrecevable à agir sur le fondement de la contribution aux pertes.
La société L., ès qualités, a également fondé son action sur les règles régissant la contribution aux dettes des associés d'une société en nom collectif :
Article L221-1 du code de commerce :
Les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales.
Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire.
Le liquidateur n'agit pas en tant que représentant des créanciers mais en tant que représentant de la société en liquidation. Il est donc irrecevable à agir sur le fondement des dispositions de l'article L221-1 du code de commerce.
L'action de la société L., ès qualités, est donc irrecevable.
Il y a lieu d'infirmer le jugement.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. L., ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Infirme le jugement,
- Déclare irrecevable l'action de la société L., prise en la personne de M. L., en sa qualité de liquidateur de la société Figeal,
- Condamne la société L., prise en la personne de M. L., en sa qualité de liquidateur de la société Figeal, aux dépens de première instance et d'appel.