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Décisions

CA Angers, ch. civ. a, 10 décembre 2013, n° 12/01790

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Fournier (és qual.), Mme De Coito (és qual.)

Défendeur :

Le Petit Tertre (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

Conseillers :

Mme Grua, Mme Monge

Avocats :

Me Chatteleyn, Me Boucheron, Me Langlois, Me Malet

TGI Mans, du 30 mai 2012, n° 10/05662

30 mai 2012

FAITS ET PROCÉDURE

Selon un acte notarié en date du 4 novembre 2002, M. Jean Botras et Mme Yvette Botras ont consenti à M. Alain Fournier et Mme Romina De Coito (les consorts Fournier-De Coito) un bail commercial portant sur des locaux situés à [...], consistant en un corps de bâtiment renfermant deux ateliers, greniers au-dessus, un autre corps de bâtiment à usage de bureaux, un grand hangar métallique au fond de la cour, cour entre ces bâtiments, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 1 050 euros hors taxes et hors charges, révisable à l'expiration de chaque période triennale, le versement d'un dépôt de garantie de 2 100 euros et le remboursement des impôts fonciers, taxes locatives et autres taxes récupérables. Il était convenu que le preneur pourrait exercer dans les lieux toute activité commerciale ou artisanale.

Selon un acte notarié en date du 26 février 2004, M. Jean Botras et Mme Yvette Botras ont cédé ces locaux à la SCI le petit tertre (la société), constituée entre eux.

Par un arrêt infirmatif rendu le 10 mars 2009, notre cour a dit n'y avoir lieu de constater en référé la résiliation du bail, condamné solidairement les consorts Fournier-De Coito à payer à la société une provision de 6 000 euros à valoir sur l'arriéré des loyers et impôts fonciers, ordonné la consignation des loyers à échoir sur le compte Carpa de leur avocat à mesure de leur échéance, ordonné une expertise et commis M. Michel Chéreau en lui donnant la mission de rechercher les causes des infiltrations se produisant en toiture du magasin et de l'arrière-boutique depuis le 19 juin 2007, dire si la toiture assure le couvert des locaux, dans la négative, chiffrer le coût des travaux nécessaires ainsi que les éléments permettant d'estimer la valeur locative réelle de ces locaux.

Dans son rapport clos le 8 mars 2010, l'expert a été d'avis que les infiltrations se produisant en toiture du magasin et de l'arrière-boutique existaient bien avant le 19 juin 2007 et le 4 novembre 2002 et en a attribué les causes à un défaut de conception et d'entretien imputable au bailleur pour les bâtiments A et B, à un défaut d'entretien imputable au preneur pour le bâtiment C en précisant que l'état de la couverture fibro de ce bâtiment et de la gouttière datent d'avant le 4 novembre 2002 ainsi qu'en témoignent la végétation, mousse et lichen. Il a considéré que la toiture du bâtiment B et de partie du bâtiment A n'assure pas le couvert des locaux loués dans des conditions conformes à un usage commercial, notamment à la réception du public dans le magasin, chiffré à 42 332,68 €HT, le montant des travaux nécessaires, et retenu une valeur locative mensuelle actuelle de 1 243,31 euros, sous la condition que la toiture assure le couvert des locaux.

Le 31 octobre 2011, date d'échéance du bail, les consorts Fournier-De Coito ont libéré les lieux.

Par un jugement rendu le 30 mai 2012, le tribunal de grande instance du Mans, saisi par l'assignation délivrée le 13 octobre 2010 par la société, a constaté la fin du bail suite à cette libération, dit n'y avoir de statuer sur la fin de non-recevoir et les demandes au fond formées par les consorts Fournier-De Coito en cas de résiliation du bail, les a condamnés au paiement d'une somme de 62 403,12 euros au titre de l'arriéré de loyers et taxes foncières, des dépens et d'une indemnité de procédure.

Selon une déclaration reçue au greffe de la cour le 21 août 2012, les consorts Fournier-De Coito ont relevé appel de cette décision.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 septembre 2013.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les dernières conclusions, déposées les 15 mars 2013 par les appelants, 15 janvier 2013 par l'intimée, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

Les consorts Fournier-De Coito demandent d'infirmer le jugement, dire et juger que la contribution au paiement de l'impôt foncier était convenue et ne pouvait l'être que dans la limite d'un mois de loyer, dire irrecevable toute prétention à ce titre au nom des anciens propriétaires, et prescrite, réduire à 10/12èmes la contribution pour l'année 2011 et constater que le solde de la créance n'excède pas 7 447,53 euros, dire et juger y avoir lieu à réduction du loyer à un montant n'excédant pas la moitié du loyer convenu à compter du mois de février 2004 et à restitution de la garantie de 2 100 euros initialement versée, constater la réduction à néant de toute créance en faveur de l'intimée et la condamner au paiement de 119,92 euros, débouter l'intimée de toute prétention plus ample, dire et juger, à tout le moins, y avoir lieu à indemnisation de leurs troubles et privation de jouissance pour un montant ne pouvant être inférieur à la moitié du prix du loyer entre février 2004 et octobre 2011, condamner l'intimée au paiement d'une somme de 57 148,56 euros, sous réserve de compensation laissant apparaître un solde de 119,92 euros, les décharger de toute condamnation plus ample et de toute condamnation accessoire, condamner, en toute hypothèse, l'intimée au paiement d'une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices d'exploitation, atteinte à l'image, troubles et tracas divers, la débouter de son appel incident et la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 euros.

Ils font valoir que leur obligation au remboursement des impôts fonciers ne peut porter sur la totalité de ces impôts, qui font l'objet d'une évaluation globale par l'administration fiscale, d'autant qu'il était convenu que cette charge serait limitée à un mois de loyer, qu'ils se sont acquittés de ce montant jusqu'à l'année 2005, sans protestation du bailleur, et que la société n'a pas qualité pour agir pour la période antérieure à son titre d'acquisition de l'immeuble, s'agissant d'un droit personnel, le solde le plus ancien remontant d'ailleurs à plus de 10 ans. Ils évaluent cette créance à 7 447,52 euros.

Ils s'estiment fondés à invoquer la surestimation du prix du loyer en raison de l'état des locaux, sur le fondement de l'article 1722 du code civil, confirmé par le rapport d'expertise quant aux multiples infiltrations dont ils n'ont cessé de se plaindre pratiquement depuis l'entrée dans les lieux et nient au bailleur la possibilité de leur opposer la clause du bail selon laquelle ils s'engageaient à faire leur affaire d'éventuelles inondations ou fuite d'eau, renonçant à tous recours contre lui, cette stipulation, à la supposer valable, ne pouvant que se rapporter aux dégâts des eaux ponctuels, susceptibles d'être couverts pas l'assurance qu'ils devaient contracter. Ils prétendent qu'en chiffrant la valeur locative des lieux à la condition que la toiture assure le couvert, l'expert n'a pas compris la mission qui lui avait été confiée et soutiennent qu'avant que le couvert ne soit assuré, la société ne pouvait prétendre qu'à un loyer réduit de moitié puisque faute de délivrance des lieux, ils n'ont pu les exploiter conformément à leur destination et ils s'estiment débiteur d'une somme de 57 148,56 euros au titre des loyers de février 2004 à leur départ, de laquelle ils déduisent celle de 62 616 euros qu'ils ont réglée. Pour le cas où il serait jugé que l'article 1722 du code civil n'est pas applicable, ils sollicitent l'évaluation de leur trouble de jouissance, sous forme de dommages et intérêts de 57 148,56 euros et la compensation entre les créances.

Ils invoquent des troublent d'exploitation depuis leur entrée dans les lieux, les locaux n'étant pas à même d'assurer le couvert pour le stockage et l'achalandage de la marchandise, exposée à des dégradations continuelles, et une entrave permanente à la réception de la clientèle dans un magasin digne de ce nom. Ils estiment avoir subi une atteinte à leur image, des tracas et des pertes de temps du fait des nombreuses démarches auxquelles ils ont été contraints et en demandent réparation par une indemnité de 50 000 euros.

La société demande de débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, confirmer le jugement, condamner les consorts Fournier-De Coito au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 euros.

Elle indique que lors de la souscription du bail, les lieux étaient déjà en très mauvais état, s'agissant d'un simple garage, que les preneurs en avaient une parfaite conscience, mais qu'elle a procédé à un entretien régulier pour avoir exposé une dépense de 6 828,90 euros à ce titre. Elle prétend que les lieux loués n'ont pas été occupés jusqu'en 2005, le projet des preneurs étant de transformer les locaux en faisant procéder à la reprise de la couverture du garage et d'y aménager un club de rencontres, qui a été refusé par la mairie.

Elle nie tout accord de limitation de la participation des preneurs au remboursement de l'impôt foncier et estime qu'il convient de se reporter aux clauses du bail en prévoyant le remboursement et prétend, qu'ayant repris l'ensemble des droits et actions des anciens bailleurs, elle a qualité pour poursuivre le recouvrement de l'ensemble des loyers et charges, un commandement de payer délivré le 16 novembre 2007 en ayant interrompu la prescription. Elle soutient, sur le prix du loyer, que les preneurs ne démontrent pas s'être trouvés dans l'impossibilité de jouir de la chose louée ou d'en faire un usage conforme à sa destination puisque le sous-locataire, M. Champeau, atteste avoir conservé la jouissance des locaux sous-loués, les appelants ayant pu continuer à exploiter leur commerce d'objets de décoration à l'enseigne Blueberries dans une autre partie de ces locaux, en dépit des désordres affectant la toiture d'une partie des lieux. Elle conclut au rejet de la demande de réduction du prix du loyer, d'autant que la procédure de révision spécifique n'a pas été engagée, la cour ne pouvant se prononcer sur le montant de la valeur locative des locaux. Elle considère que l'expert a parfaitement compris sa mission, estimant que la solution du litige passait par la réduction du prix du bail dans le cadre d'une procédure de révision.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sous la rubrique 'Impôts fonciers et charges diverses', page 7 du bail du 4 novembre 2002, le preneur s'est engagé à rembourser chaque année, les impôts fonciers des immeubles loués ainsi que toutes les taxes y afférentes.

Faute de justifier d'un accord, intervenu postérieurement entre les parties quant à une limitation du montant de ces impôts fonciers à une somme correspondant au loyer pratiqué, les consorts Fournier-De Coito doivent bien à la société, qui a succédé aux époux Botras, bailleurs originaires, dans leurs droits et actions, la somme de 10 722 euros au titre des impôts fonciers de l'année 2003 à l'année 2011, l'assiette de cet impôt étant constituée par l'immeuble indépendamment de la situation personnelle de son propriétaire, leur engagement portant, par ailleurs sur l'impôt foncier de l'année. Le jugement sera confirmé de ce chef, un commandement de payer les impôts fonciers des années 2003 à 2007 délivré le 16 novembre 2007 ayant interrompu la prescription décennale de l'ancien article 2277 du code civil.

Il est de principe, énoncé à l'article 1719, 3° du code civil, que le bailleur est obligé de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Cette obligation fait peser sur ce bailleur, aux termes de l'article 1721, une garantie pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage paisible du preneur, quand même il ne les aurait pas connus lors du bail et à l'indemniser de ses pertes s'ils résultent de ces vices ou défauts.

Selon le bail, le preneur a consenti à prendre les lieux dans l'état où ils se trouveront lors de l'entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du bailleur aucune réparation ni remise en état autres que celles qui seraient nécessaires afin que les lieux soient clos et couverts. Les parties ont convenu, page 10, d'écarter toute responsabilité du bailleur 'en cas d'inondation par les eaux pluviales, fuites d'eau, écoulement par chéneaux et autres circonstances provoquant ces débordements'.

La clause relative à la prise de possession des lieux en l'état, dérogatoire à l'article 1721, n'exonère pas le bailleur des réparations nécessaires relatives au clos et au couvert. Par ailleurs, les clauses exonératoires de garantie étant d'interprétation stricte, le propriétaire n'est pas exonéré des infiltrations ayant pour cause un défaut de conception et un défaut d'entretien qui compromettent le couvert des locaux.

L'expertise a clairement révélé que la toiture, notamment celle du bâtiment B et d'une partie du bâtiment A, n'assurait pas le couvert des locaux loués dans des conditions conformes à un usage commercial, particulièrement à la réception du public dans le magasin Blueberries implanté dans le bâtiment B. L'expert a considéré que les infiltrations du bâtiment B résultaient d'une vétusté des conceptions d'origine à laquelle s'ajoutaient des conditions climatiques aggravantes non connues à l'époque de la conception et de la réalisation tôle + verrière + accessoires, en précisant que tout entretien ou remède contre les infiltrations, comme ont pu le faire les époux Botras, pour une somme de 6 828,90 euros, ne servent à rien, la réfection du couvert devenant le seul remède fiable pour exclure toute infiltration. Pour ce qui est du bâtiment A, il a estimé que les rengorgements et infiltrations en bout de la gouttière en angles Est, inévitables, résultent d'une mauvaise conception d'évacuation des versants couvertures et de la dégradation du solin exécuté en 1971 qui ne peut plus assurer une étanchéité parfaite.

Cette impossibilité de jouissance équivaut à la perte partielle de la chose louée et permet au preneur d'invoquer l'article 1722 du code civil. Le bail ayant cessé à son échéance, le preneur est fondé à demander au bailleur le remboursement d'une partie des loyers. Le juge des loyers commerciaux ne connaît en effet que des demandes de fixation de loyer exercées en vertu du statut des baux commerciaux. L'action en diminution du prix du loyer pour perte partielle de la chose louée doit être distinguée de cette action consécutive à une révision ou à un renouvellement au sens de l'article R. 145-23 du code de commerce. Elle est bien de la compétence du tribunal de grande instance, s'agissant d'une 'autre contestation' visée par ce texte.

La société prétend que les consorts Fournier-De Coito ne justifieraient d'aucun préjudice puisqu'ils ont sous-loué une partie des locaux et ont pu poursuivre leur activité. Cependant, leur préjudice est constitué par l'impossibilité de jouir d'une partie des locaux, à savoir, du bâtiment A dans lequel était installé le bureau d'accueil, en raison d'une importante fuite d'eau en son milieu, qui nécessite des réparations d'un montant de 3 236 €HT, du bâtiment B dans lequel ils n'ont pu installer leur commerce qu'en son milieu, laissant non aménagées, en raison des infiltrations qui nécessitent 38 458,08 €HT de travaux, une zone (a) de 80 m² au Nord-Ouest et une zone (c) de 70 m², l'expert ayant constaté dans la partie aménagée, page 13, des traces d'humidité sur toute la surface du plafond suspendu, des dalles visiblement chargée d'eau, au niveau du sol, l'existence, par humitest, d'une humidité non négligeable à plusieurs endroits, confirmée par l'aspect dégradé des étagères au niveau du sol. S'il est certain que les locaux sous-loués à M. Champeau, à savoir le bâtiment C, n'étaient pas affectés désordres nuisant à leur jouissance, puisqu'ils ne nécessitent que 638,50 €HT de travaux, il est tout aussi certain les consorts Fournier-De Coito n'ont pu jouir du bâtiment B de 300 m², malgré la 'boîte' créée, pour l'exercice de leur activité, à 25 cm du mur Nord Est. En raison de l'importante surface de ce bâtiment, c'est à bon droit que les appelants demandent une diminution de moitié du prix du loyer et il convient d'y faire droit à compter du mois de février 2004 et jusqu'à leur départ le 31 octobre 2011.

Le décompte, non contesté, des loyers réglés ou dus pendant cette période, divisé par moitié, étant de 57 148,56 euros, somme sur laquelle celle de 62 616 euros a été réglée par les consorts Fournier-De Coito, la société doit leur rembourser la somme de 5 467,44 euros à laquelle s'ajoute le dépôt de garantie de 2 100 euros, soit au total celle de 7 567,44 euros.

Cependant, les consorts Fournier-De Coito ne sauraient obtenir la réparation de prétendus préjudices annexes, la diminution du prix du loyer réparant tous les préjudices résultant des manquements du bailleur à son obligation de délivrance, les pertes de marchandises ayant été réparées par les assureurs. Ils seront déboutés de cette demande.

Les parties étant créancières l'une de l'autre, il y a lieu d'ordonner la compensation entre les créances.

Il ne semble pas inéquitable de laisser à la charge de chacune la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel, hormis les frais d'expertise qui seront supportés par la société.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement ;

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il constate la fin du bail et condamne M. Alain Fournier et Mme Romina De Coito à payer à la société Le petit tertre la somme de 10 722 euros au titre des impôts fonciers de l'année 2003 à l'année 2011 ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société le petit tertre à rembourser à M. Alain Fournier et Mme Romina De Coito la somme de 7 567,44 euros à titre de solde de location ;

Ordonne la compensation des créances ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel, hormis les frais d'expertise mis à la charge de la société le petit tertre.