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Décisions

Cass. com., 21 février 1995, n° 93-12.048

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Poullain

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Cossa, Me Choucroy, Me Barbey

Toulouse, 2e ch., du 7 déc. 1992

7 décembre 1992

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 21 décembre 1991), que la Société générale de fonderie (la société SGF) a fait apport à la société Compagnie internationale de produits sanitaires (la société CIPS), à présent nommée société Jacob Delafon, de sa branche d'activités relatives au matériel sanitaire ; que la société Sud-Ouest Matériaux (la société SOM) a assigné la société Jacob Delafon en exécution de commandes passées durant les mois de novembre 1983, d'octobre 1984, de février 1985 et de mars 1986 et en paiement de dommages et intérêts ; que la société Jacob Delafon a formé une demande reconventionnelle en paiement de marchandises ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° P/93-12.482 pris en ses trois branches :

Attendu que la société Sud-Ouest Matériaux, assistée de l'administrateur à son redressement judiciaire et du représentant des créanciers, reproche à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes relatives aux commandes antérieures au 1er janvier 1985, en ce qu'elles étaient dirigées contre la société Jacob Delafon, venant aux droits de la société CIPS, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait expressément valoir, dans ses conclusions signifiées le 22 septembre 1992, que la publicité de l'apport partiel d'actif effectuée le 18 septembre 1985 précisait que la SGF avait fait apport à la société CIPS de "l'ensemble des biens actif et passif, composant sa branche d'activité sanitaire", et ne faisait état d'aucune limitation de passif, de sorte que la clause de limitation de passif invoquée à son encontre lui était inopposable ; qu'en se bornant dès lors à affirmer que le projet d'apport partiel avait fait l'objet d'une publicité antérieure, en date du 28 juin 1985, sans préciser si celle-ci faisait état de la limitation du passif invoquée, ni s'expliquer, ainsi qu'elle y était invitée sur l'incidence des termes de la publicité du 18 septembre 1985, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 381, 382, 385 et 387 de la loi du 24 juillet 1966, ainsi que de l'article 255 du décret du 23 mars 1967 ; alors, d'autre part, que la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et alors, enfin, qu'en énonçant, en toute hypothèse, que les règles relatives aux scissions "paraissent" avoir été respectées par les deux sociétés concernées, la cour d'appel a statué par un motif dubitatif et violé ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le projet d'apport partiel mentionne que les sociétés contractantes soumettent l'apport aux dispositions des articles 382 et 386 de la loi du 24 juillet 1966 et qu'il résulte de ses termes qu'elles avaient entendu laisser à la société SGF la charge des dettes issues d'une inexécution d'obligations contractuelles antérieure au 1er janvier 1985, l'arrêt constate qu'il a été déposé au greffe du tribunal de commerce du siège des sociétés parties à l'accord et qu'il a fait l'objet, le 28 juin 1985, d'une publicité conformément aux dispositions de l'article 374 de la loi du 24 juillet 1966 et de l'article 255 du décret du 23 mars 1967 ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la limitation de la transmission du passif à la société bénéficiaire de l'apport était devenue opposable aux tiers par l'effet d'une publicité régulière avant que ne soit effectuée celle critiquée au pourvoi, la cour d'appel qui n'avait pas à répondre à un moyen inopérant a, abstraction faite du motif surabondant critiqué à la troisième branche du moyen, légalement justifié sa décision ;

d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

Sur le premier moyen du pourvoi n S/93-12.048 pris en sa deuxième et en sa troisième branches :

Attendu que la société Jacob Delafon fait reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à livrer à la société SOM les pièces et éléments commandées les 5 février 1985 et 12 mars 1986 et à lui payer des dommages-intérêts, alors, d'une part, qu'en lui ordonnant de livrer les marchandises commandées par la société SOM sans ordonner à celle-ci d'en payer le prix, tandis que le vendeur n'est pas tenu de livrer la chose si l'acheteur n'en paye pas le prix, le cour d'appel a violé les articles 1612 du Code civil et 37 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, d'autre part, qu'en lui ordonnant de "livrer" les marchandises commandées par la société SOM, sans relever que celle-là s'y était obligée, tandis que le vendeur n'a, sauf convention contraire, qu'une obligation de délivrance, les frais d'enlèvement étant à la charge de l'acheteur, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1603, 1608 et 1609 du Code civil ;

Attendu, d'une part, qu'en l'absence de toute contestation à ce sujet, la cour d'appel n'avait ni à se prononcer sur les conditions de paiement ni à réserver l'application des règles d'ordre public de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt énonce qu'il y a lieu pour faire droit à la demande de la société SOM qui "entend exercer l'action en délivrance et sollicite l'exécution en nature" d'ordonner la livraison ; qu'en employant le terme "livrer" comme synonyme de délivrer, la cour d'appel n'a pas mis à la charge du vendeur des frais pour lesquels sa condamnation n'était pas demandée ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ces deux branches ;

Sur le second moyen du pourvoi n S/93-12.048 pris en ses deux branches :

Attendu que la société Jacob Delafon reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à livrer à la société SOM les pièces et éléments commandées les 5 février 1985 et 12 mars 1986 et à lui payer des dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il n'y a vente, emportant obligation de délivrance, que s'il y a accord sur la chose et le prix ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à relever que les commandes de la société SOM étaient destinées à compenser les différences de ses stocks pour décider que l'insuffisance d'identification des produits commandés et l'absence de prix ne pouvaient être utilement invoquées par le vendeur; que dès lors en la condamnant à livrer les marchandises commandées par la société SOM sans avoir recherché s'il y avait eu accord sur la chose et le prix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1583, 1603 et 1610 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en relevant que les commandes étaient destinées à compenser les différences dans les stocks de la société SOM et à obtenir des ensembles complets par coloris, pour énoncer que l'insuffisance d'identification des produits demandés ne pouvait être utilement invoquée par le vendeur, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant dès lors qu'au contraire, si la société SOM avait entendu réassortir ses stocks, elle aurait passé des commandes précises; qu'en statuant de la sorte la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1583 et 1610 du Code civil ;

Mais attendu que la cassation par le présent arrêt de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société Jacob Delafon à exécuter les commandes du 12 mars 1986 et à payer 800 000 francs de dommages-intérêts à la société SOM rend le moyen sans objet à l'égard de ces chefs de la décision ; qu'en tant qu'il concerne la commande du 5 février 1985 le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

d'où il suit qu'irrecevable sur ce dernier point, le moyen est sans objet pour le surplus ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n S/93-12.048 pris en ses deux branches :

Attendu que la société Jacob Delafon reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande reconventionnelle en paiement de marchandises livrées alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en cas de livraison d'une chose non conforme, l'acquéreur a le choix entre poursuivre l'exécution du contrat et en demander la résolution, mais ne peut conserver la chose sans en payer le prix ; qu'en se bornant à relever que les marchandises livrées n'étaient pas conformes à la commande pour la débouter de sa demande en paiement des marchandises, sans prononcer la résolution de la vente, la cour d'appel a violé les articles 1184 et 1604 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'au surplus, la cour d'appel a relevé que l'application du principe en vertu duquel la transmission du patrimoine faite à la suite d'une fusion est globale et universelle peut être écartée par une disposition expresse prévue par les parties dans l'acte d'apport, et que tel était bien le cas dans l'acte du 13 juin 1985 par lequel la société SGF a fait apport à la société CIPS du patrimoine affecté à sa division sanitaire et qui énumère limitativement les dettes prises en charge par la société CIPS, les deux sociétés contractantes ayant convenu que tout le surplus du passif de la société SGF au 31 décembre 1984, de même que tous les suppléments de passif qui se révéleraient ultérieurement pour une cause antérieure au 1er janvier 1985, resteraient à la charge de ladite société, ce dont la cour d'appel a d'ailleurs déduit à bon droit que les demandes de la société SOM relatives aux commandes antérieures au 1er janvier 1985 étaient irrecevables en tant qu'elles étaient dirigées contre elle ; que, cependant, en opposant à la créance acquise par elle dans le cadre de cet accord la non-conformité des marchandises livrées à la société SOM, qui constituait un élément de passif non énuméré dans l'acte d'apport et resté à la charge de la société SGF, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement au regard des articles 386 de la loi du 24 juillet 1966 et 1134 du Code civil qu'elle a ainsi violés ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les marchandises livrées n'étaient pas celles qui avaient été commandée, l'arrêt a rejeté la demande en paiement du prix contractuel présentée par la société Jacob Delafon ; qu'en déduisant ainsi du défaut de délivrance des marchandises que leur prix n'était pas dû, alors qu'il n'était pas soutenu que la convention des parties aurait écarté le principe de concomitance de l'exécution de ces obligations réciproques, et en ne prononçant pas une résolution qui ne lui était pas demandée, la cour d'appel a fait une exacte application de la loi ;

que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° S/93-12.048 pris en sa première branche :

Vu les articles 1583, 1603 et 1610 du Code civil ;

Attendu que pour ordonner l'exécution des commandes du 12 mars 1986 et condamner la société Delafon à réparer le préjudice causé par son inexécution antérieure l'arrêt constate que certaines des teintes commandées étaient encore fabriquées et retient que la société Jacob Delafon ne fait état d'aucun événement de force majeure l'empêchant d'exécuter son obligation de délivrance ;

Attendu qu'en tenant pour valables des commandes portant, au moins pour partie, sur des produits qui n'étaient plus fabriqués sans caractériser que l'accord des parties avait porté sur la vente de tels objets, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décison au regard des textes susvisés ;

Attendu qu'il est équitable d'accueillir la demande formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par M. Z..., agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SGF ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné à la société Jacob Delafon de livrer les pièces et éléments commandés le 12 mars 1986 et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 800 000 francs de dommages-intérêts à la société Sud-Ouest Matériaux, l'arrêt rendu le 7 décembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Pau.