Livv
Décisions

ADLC, 18 janvier 2022, n° 22-D-03

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la fourniture d’électricité aux petits clients non résidentiels

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Alice Delavergne et de Mme Céline d’Huy, rapporteures, et l’intervention de Mme Laure Gauthier, rapporteure générale adjointe, par Mme Irène Luc, vice-présidente, présidente de séance, Mme Laurence Borrel-Prat et M. Savinien Grignon-Dumoulin, membres.

ADLC n° 22-D-03

17 janvier 2022

L’Autorité de la concurrence (section V),

Vu les lettres enregistrées le 24 septembre 2021 sous les numéros 21/0071 F et 21/0072 M, par lesquelles l’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie (ANODE) a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché de la fourniture d’électricité aux petits clients non résidentiels et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; Vu le livre IV du code de commerce ;

Vu le code de l’énergie ;

Vu le code de la consommation ;

Vu la délibération n° 2021-329 du 28 octobre 2021 de la Commission de régulation de l’énergie rendue sur le fondement des dispositions de l’article R. 463-9 du code de commerce ;

Vu les décisions de secret des affaires n° 21-DSA-425 du 26 octobre 2021, n° 21-DSA-426 du   26   octobre   2021,   n° 21-DSA-429   du   28   octobre   2021,   n° 21-DSA-430   du 28 octobre 2021,    n° 21-DSA-431 du 28 octobre 2021, n° 21-DSA-457 du 19 novembre 2021 et n° 21-DEC-460 du 24 novembre 2021 ; Vu les observations présentées par l’ANODE et la société EDF ; Vu les autres pièces du dossier ;

Les rapporteures, la rapporteure générale adjointe, les représentants de l’ANODE, de la société EDF, et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 2 décembre 2021 ;

Adopte la décision suivante :

L’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie (ci-après « l’ANODE ») a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de pratiques de la société Électricité de France (ci-après « EDF ») qui aurait, de manière abusive, (i) refusé aux fournisseurs alternatifs d’électricité, l’accès à la base de données des clients non résidentiels concernés (sites C5) par la fin des tarifs réglementés de vente (une partie des TRV Bleus) et ayant basculé automatiquement, au 31 décembre 2020, vers un contrat de sortie de tarif (CST), (ii) exploité ces données et (iii) entretenu une confusion générale de ses moyens de commercialisation.

Selon l’ANODE, les pratiques dénoncées devraient être qualifiées d’abus de position dominante, en ce qu’elles entraîneraient un effet d'éviction vis-à-vis des fournisseurs alternatifs, dans une période particulièrement sensible et propice au développement de la concurrence. L’ANODE a également déposé, accessoirement à sa saisine, une demande de mesures conservatoires afin d’avoir accès à la base de données litigieuse.

L’Autorité a estimé, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les critères relatifs aux mesures conservatoires, que les faits invoqués par l’ANODE n’étaient pas appuyés d’éléments suffisamment probants pour étayer l’existence des pratiques dénoncées.

Elle a relevé que la simple détention de la base de données par EDF et le refus d’accès opposé en 2021 aux fournisseurs alternatifs n’étaient pas susceptibles d’entraîner un risque d’éviction anticoncurrentielle de ses concurrents, dès lors que le CST est une offre de marché (i), que pendant l’année 2020, les fournisseurs alternatifs ont eu accès à la base de données des clients concernés par la fin des TRV (ii), que les clauses du CST ne rendent pas les clients captifs et leurs permettent de changer aisément de fournisseurs (iii) et, enfin, que le marché a connu une dynamique concurrentielle en 2020 et en 2021 (iv). En outre, les documents internes produits par EDF ont permis de constater que des précautions particulières avaient été prises par cet opérateur pour ne pas exploiter en 2021 ces données issues de son ancien monopole légal et ainsi, ne pas engager d’action commerciale ciblée.

Résumé1

L’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie (ci-après « l’ANODE ») a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de pratiques de la société Électricité de France (ci-après « EDF ») qui aurait, de manière abusive, (i) refusé aux fournisseurs alternatifs d’électricité, l’accès à la base de données des clients non résidentiels concernés (sites C5) par la fin des tarifs réglementés de vente (une partie des TRV Bleus) et ayant basculé automatiquement, au 31 décembre 2020, vers un contrat de sortie de tarif (CST), (ii) exploité ces données et (iii) entretenu une confusion générale de ses moyens de commercialisation.

Selon l’ANODE, les pratiques dénoncées devraient être qualifiées d’abus de position dominante, en ce qu’elles entraîneraient un effet d'éviction vis-à-vis des fournisseurs alternatifs, dans une période particulièrement sensible et propice au développement de la concurrence. L’ANODE a également déposé, accessoirement à sa saisine, une demande de mesures conservatoires afin d’avoir accès à la base de données litigieuse.

L’Autorité a estimé, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les critères relatifs aux mesures conservatoires, que les faits invoqués par l’ANODE n’étaient pas appuyés d’éléments suffisamment probants pour étayer l’existence des pratiques dénoncées.

Elle a relevé que la simple détention de la base de données par EDF et le refus d’accès opposé en 2021 aux fournisseurs alternatifs n’étaient pas susceptibles d’entraîner un risque d’éviction anticoncurrentielle de ses concurrents, dès lors que le CST est une offre de marché (i), que pendant l’année 2020, les fournisseurs alternatifs ont eu accès à la base de données des clients concernés par la fin des TRV (ii), que les clauses du CST ne rendent pas les clients captifs et leurs permettent de changer aisément de fournisseurs (iii) et, enfin, que le marché a connu une dynamique concurrentielle en 2020 et en 2021 (iv). En outre, les documents internes produits par EDF ont permis de constater que des précautions particulières avaient été prises par cet opérateur pour ne pas exploiter en 2021 ces données issues de son ancien monopole légal et ainsi, ne pas engager d’action commerciale ciblée.

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 24 septembre 2021 sous le numéro 21/0071 F, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a été saisie d’une plainte de l’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie (ci-après « l’ANODE »), dirigée contre des pratiques prétendument mises en œuvre par la société Électricité de France (ci-après « EDF ») sur le marché de la fourniture d’électricité aux petits clients non résidentiels2.

2. Les pratiques dénoncées sont relatives au refus, opposé par EDF aux fournisseurs alternatifs d’électricité, d’accès à la base de données des clients concernés par la fin des tarifs réglementés  de  vente  (ci-après  « TRV »)  et   ayant   bénéficié  automatiquement,  au   31 décembre 2020, d’un contrat de sortie de tarif (CST), à l’exploitation abusive de ces données par EDF et à une confusion générale de ses moyens de commercialisation.

3. Accessoirement à la saisine au fond, par lettre enregistrée le 24 septembre 2021 sous le numéro 20/0072 M, l’ANODE a sollicité, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires3.

4. Consultée par application des dispositions de l’article R. 463-9 du code de commerce, la Commission  de  régulation  de  l’énergie  (ci-après  « la  CRE »)  a  rendu  son  avis  le   28 octobre 20214.

B. LE SECTEUR CONCERNE

1. LA FOURNITURE D’ELECTRICITE AU DETAIL

5. Le secteur de l’électricité est organisé autour de quatre grands pôles : la production, le transport, la distribution et la commercialisation d’électricité.

6. À ceux-ci s’ajoutent des activités purement financières, telles le courtage et le négoce sur le marché de gré à gré ou sur les marchés organisés.

7. Chacun de ces pôles concourt à l’alimentation des clients finals en électricité.

8. Parmi les activités de commercialisation, l’activité de fourniture au détail d’électricité aux consommateurs finals consiste à leur vendre de l’électricité achetée en gros ou produite par le fournisseur.

9. La saisine au fond et la demande de mesures conservatoires qui y est associée concernent cette activité.

2.   LE CADRE JURIDIQUE DE LA FOURNITURE D’ELECTRICITE AU DETAIL

10. L’ouverture à la concurrence de l’activité de fourniture d’électricité au détail a été engagée avec l’adoption de la directive n° 96/92/CE du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et s’est poursuivie de manière progressive5, d’abord pour les industriels, puis pour l’ensemble des consommateurs.

11. Le principe de libre choix du fournisseur d’électricité au détail a été instauré au profit des clients, par étapes successives :

- 1er février 1999 : clients consommant plus de 100 gigawattheures (ci-après « GWh »)/an ;

- 1er juin 2000 : clients consommant plus de 16 GWh/an ;

- 1er février 2003 : clients consommant plus de 7 GWh/an ;

- 1er juillet 2004 : tous les clients non résidentiels ;

- 1er juillet 2007 : tous les clients (résidentiels et non résidentiels).

12. En parallèle à cette ouverture à la concurrence, les pouvoirs publics français ont maintenu l’existence de TRV au détail. Ces tarifs sont fixés, en application des articles L. 337-4 et suivants du code de l’énergie, sur propositions motivées de la CRE, transmises aux ministres chargés de l’économie et de l’énergie, la décision étant réputée acquise en l’absence d’opposition de l’un des ministres dans un délai de trois mois suivant leur réception. L’article L. 337-5 du code de l’énergie précise également que : « Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts mentionnés à l’article L. 337-6 ».

13. La fourniture d’électricité aux TRV relève des fournisseurs dits « historiques », c’est-à-dire présents avant l’ouverture des marchés de l’électricité : EDF et les entreprises locales de distribution (ci-après « ELD »). EDF est, en particulier, le seul fournisseur commercialisant les TRV sur la zone de desserte d’Enedis (le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité desservant 95 % des consommateurs français). Les ELD (environ 1406) fournissent l’électricité sur les territoires non desservis par Enedis.

14. Sur la quasi-totalité du territoire français (zone de desserte d’Enedis7), les consommateurs pouvant bénéficier d’offres aux TRV ont donc actuellement le choix entre :

- les offres aux TRV, qui sont proposées exclusivement par EDF ;

- les offres dites « de marché » (ci-après « OM »), qui sont proposées à la fois par EDF mais également par les nouveaux fournisseurs d’électricité, dits « fournisseurs alternatifs ».

15. Afin de mettre un terme à la procédure d’infraction engagée contre la France par la Commission européenne le 12 décembre 2006 du fait du maintien des TRV pour les consommateurs non résidentiels8 et de se conformer aux engagements pris devant la Commission par le Gouvernement français9, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 (dite « loi NOME »)10 a entériné la disparition des TRV pour les consommateurs finals domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (ci-après « kVA ») (correspondant donc aux TRV Jaune et Vert) à compter du 1er janvier 2016. Le calendrier et les modalités de mise en œuvre de cette phase d’extinction desdits tarifs ont été précisés par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (dite « loi Hamon »)11.

16. Transposant  la   directive   n° 2019/944   du   5   juin   2019,   la   loi   n° 2019-1147   du   8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (ci-après « la LEC »), a prévu qu’à compter du 1er janvier 2021, les sites de puissance de soutirage inférieure à 36 kVA détenus par des consommateurs non-domestiques qui emploient dix personnes ou plus, ou qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le bilan annuel excèdent deux millions d’euros, cesseraient de bénéficier des TRV (appartenant à la catégorie des « TRV Bleus »). Ces clients étaient tenus de souscrire un contrat en offre de marché avant le 1er janvier 2021 chez le fournisseur de leur choix.

17. Pour organiser la suppression des TRV, la LEC a prévu plusieurs phases. Après une première étape d’identification des clients concernés par la fin des TRV par les fournisseurs historiques, s’est ouverte une phase de transition, jusqu’au 31 décembre 2020, devant permettre à ces clients de faire le choix d’une offre de marché.

18. Pendant cette phase de transition des TRV vers les offres de marché, la loi a exigé des fournisseurs historiques qu’ils informent, tout au long de l’année 2020, leurs clients concernés par la fin des TRV – sur différents supports et à l’occasion des échanges avec ceux-ci – de la possibilité de souscrire des offres de marché auprès du fournisseur de leur choix et de l’existence du comparateur d’offres mentionné à l’article L. 122-3 du code de l’énergie. Les consommateurs concernés ont également été informés qu’à défaut de souscrire une offre de marché avant le 1er janvier 2021, ils seraient basculés, sauf opposition de leur part, vers un contrat dit de « sortie de tarif » proposé par leur fournisseur historique (ci-après, « CST »). En octobre 2020, EDF a communiqué cette information à ses clients concernés dans les termes suivants : « Si vous n’avez toujours pas choisi un nouveau contrat en offre de marché le 1er janvier 2021, vous serez basculé par votre fournisseur vers un contrat en offre de marché qui entrera automatiquement en vigueur à cette date, sauf demande contraire de votre part, afin d’assurer la continuité de votre alimentation en énergie » (caractères gras ajoutés).

19. Par ailleurs, la LEC a imposé au médiateur national de l’énergie (ci-après « MNE ») et à la CRE de communiquer sur la perte du bénéfice des TRV pour ces clients, cette communication devant également faire état de la disponibilité des offres de marché et de l’existence du comparateur d’offres. Un guide à caractère pédagogique à destination des clients concernés a notamment été publié le 11 mai 2020. Il précisait qu’à défaut de souscrire une offre de marché avant le 31 décembre 2020, leur « contrat basculera[it] automatiquement en offre de marché par défaut chez [leur] fournisseur historique » (caractères gras ajoutés).

20. Enfin, la LEC a introduit l’obligation, à la charge des fournisseurs historiques, d’accorder, gratuitement à tout fournisseur alternatif qui en ferait la demande, l’accès aux données de contact, de consommation et de tarification des clients concernés par la fin des TRV, sur une base mensuelle actualisée, et ce jusqu’au 31 décembre 2020.

21. Le périmètre des données et les modalités de leur transmission ont été définis par des arrêtés des 12 et 26 décembre 2019 pris sur la base d’une proposition de la CRE. Préalablement à la transmission des données de contact à caractère personnel, les fournisseurs historiques ont été tenus de s’assurer de l’absence d’opposition de leurs clients à une telle transmission.

22. Ces données ont été transmises, puis détruites au 31 décembre 2020.

23. Les clients n’ayant pas opté, au 1er janvier 2021, pour une offre de marché ont basculé en CST.

C. LES ENTITÉS CONCERNEES

1. L’ANODE

24. L’ANODE, association régie par la loi de 1901, fondée en 2006, regroupe les sociétés EkWateur, Enercoop, Energie d’ici, Eni Gas & Power France, Greenyellow, Gaz Européen, Iberdrola, OVO Energy, Planète OUI, Plüm Energie, SAVE, TotalEnergies, Vattenfall, Volterres et Wekiwi, fournisseurs alternatifs d’énergie.

25. Les membres de l’ANODE fournissent notamment de l’électricité à leurs clients professionnels et résidentiels. Ils représentent 96 % des fournisseurs alternatifs d’électricité en nombre de clients (excepté Engie).

26. L’ANODE assure la représentation et la défense des intérêts collectifs de ses membres auprès des tiers, notamment des pouvoirs publics et des autorités de régulation. Elle est ainsi membre du Conseil supérieur de l’énergie.

LA SOCIETE ELECTRICITE DE FRANCE

27. La société anonyme Électricité de France (RCS 552 081 317) est l’opérateur historique de l’électricité en France, présent sur l’ensemble des métiers de l’électricité : la production, le transport, la distribution et la fourniture.

28. EDF a été créée en 1946 sous la forme d’un établissement public à caractère industriel et commercial, avant d’être transformée  en  société  anonyme  par  la  loi  n° 2004-803  du  9 août 2004 relative au service public de l’électricité, du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Le 21 novembre 2005, l’entreprise a ouvert son capital par voie d’introduction en bourse.

29. EDF commercialise depuis 1946 des offres de fourniture d’électricité sur environ 95 % du territoire métropolitain continental (zone Enedis et zone RTE12), ainsi que sur le territoire de certaines ELD. Conformément à la loi, EDF est également à ce jour le seul fournisseur d’offres d’électricité en Corse et dans les territoires ultramarins, selon une organisation dédiée indépendante de celle de la direction Commerce d’EDF, appelée EDF Systèmes Énergétiques Insulaires. Le groupe EDF comporte également de nombreuses filiales actives dans l’ensemble du secteur de l’énergie, en France et à l’international13.

30. En 2020, le groupe EDF a réalisé un chiffre d’affaires mondial de 69 milliards d’euros14.

D. LES PRATIQUES DENONCEES

31. Selon la plaignante, la société EDF aurait exploité abusivement des données relatives aux sites de puissance de soutirage inférieure à 36 kVA rattachés aux consommateurs non- domestiques, concernés par la fin des TRV au 31 décembre 2020, bénéficiant à compter de cette date du CST proposé par EDF. La société EDF aurait également refusé l’accès à la base de données relative à ces clients, laquelle est qualifiée par l’ANODE d’infrastructure essentielle, et aurait procédé à une confusion générale de moyens lors de la commercialisation de ses offres de marché.

32. Selon l’ANODE, en mettant en œuvre ces pratiques, EDF aurait abusé de sa position dominante sur le marché de la fourniture d’électricité aux petits clients non résidentiels ainsi que de sa situation de monopole sur le marché, envisagé par l’ANODE, des données relatives aux clients en CST, pratique prohibée par les articles L. 420-2 du code de commerce et  102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).

33. Accessoirement à sa saisine au fond, l’ANODE a sollicité sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires pour que soit enjoint à EDF de :

- fournir aux membres de l’ANODE dans un délai de cinq jours les données non personnelles de l’ensemble des clients d’EDF positionnés sur des offres de bascule,15 et ce en suivant les mêmes modalités que celles prévues par l’arrêté du 12 décembre 2019, jusqu’à ce que cette base de clients soit vidée ;

- adresser dans un délai de cinq jours un courrier ou courriel à l’ensemble des clients d’EDF positionnés sur des offres de bascule afin (i) de leur adresser un résumé de la décision de mesures conservatoires à intervenir rédigé par l’Autorité et (ii) de recueillir leur absence d’opposition à la communication de leurs données à caractère personnel en suivant les mêmes modalités que celles prévues par l’arrêté du 12 décembre 2019 ;

- à l’expiration du délai d’opposition d’un mois, fournir aux membres de l’ANODE une base de données mise à jour contenant l’ensemble des données (personnelles et non- personnelles) des clients d’EDF positionnés sur des offres de bascule, et ce en suivant les mêmes modalités que celles prévues par l’arrêté du 12 décembre 2019, jusqu’à ce que cette base de clients soit vidée ;

- suspendre toute activité de commercialisation d’offres de marché à destination des clients positionnés sur des offres de bascule jusqu’à la fourniture de l’intégralité des données aux membres de l’ANODE (données personnelles et non personnelles) ;

- désigner un mandataire pour la mise en place d’un contrôle indépendant des mesures conservatoires : le mandataire devra établir un rapport mensuel à l’Autorité sur le suivi des mesures prises par EDF ;

- diffuser un communiqué de presse relatif à la décision prononcée par l’Autorité et présentant les mesures qui auront été imposées sur le site Internet d’EDF et dans les journaux Les Échos, Le Figaro et Le Monde.

 II. Discussion

34. Après avoir examiné l’applicabilité du droit de l’Union européenne (A), défini le marché pertinent concerné par la saisine (B) et examiné la position qu’EDF est susceptible d’occuper sur le marché en cause (C), il conviendra de se prononcer sur la recevabilité de la saisine au fond (D), puis sur la demande de mesures conservatoires (E).

A. L’APPLICABILITE DU DROIT DE L’UNION EUROPEENNE

35. L’article 102 TFUE interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Se fondant sur la jurisprudence constante des juges européens, et à la lumière de la communication de la Commission européenne relative à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité CE (devenus les articles 101 et 102 TFUE)16, l’Autorité considère que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : l’existence d’échanges, à tout le moins potentiels, entre États membres portant sur les services en cause (i), l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges (ii) et le caractère sensible de cette possible affectation (iii).

36. Dans le cas d’espèce, des fournisseurs dont les sièges sociaux sont établis dans d’autres États membres (par exemple, Eni, Vattenfall, Iberdrola, etc.) commercialisent des offres de fourniture d’électricité sur le territoire français. Ainsi, si les pratiques dénoncées par la plaignante étaient avérées, ces fournisseurs seraient susceptibles d’être dissuadés d’exercer une activité sur les marchés français de la fourniture d’électricité concernés. Ces pratiques peuvent donc rendre plus difficile l’entrée de concurrents d’EDF sur le marché français et sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

37. En outre, en permettant à la société EDF de s’assurer un volume important de fourniture d’électricité au détail sur les marchés français, les pratiques dénoncées, si elles étaient constituées, seraient susceptibles d’avoir une influence sur la position concurrentielle de la société EDF et de ses concurrents actifs dans les autres États membres.

38. Par ailleurs, la société EDF commercialise ses offres de marché relatives à l’électricité sur la totalité du territoire national, qui constitue une part significative du marché européen. En outre, elle commercialise les offres aux TRV d’électricité sur la zone de desserte d’Enedis qui recouvre 95 % des consommateurs d’électricité. Si elles étaient établies, les pratiques dénoncées seraient par conséquent susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

39. À ce stade de l’instruction, il convient donc de considérer que les pratiques alléguées sont susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres et d’être qualifiées au regard de l’article 102 TFUE.

B. LES MARCHES PERTINENTS CONCERNES PAR LA SAISINE

40. L’analyse des comportements en cause au regard des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE suppose, tout d’abord, de définir les marchés pertinents. En effet, en matière d’abus de position dominante, « la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité »17. Au-delà de l’appréciation de la position dominante elle-même, la définition des marchés en cause est également nécessaire à l’analyse des effets d’une pratique d’éviction, qu’ils soient réels ou potentiels18.

1.   LA DIMENSION MATERIELLE DES MARCHES

41. En l’espèce, l’ANODE fait valoir que les deux marchés pertinents concernés sont, d’une part, le marché de la fourniture d’électricité au détail aux petits clients non résidentiels et, d’autre part, le marché de la collecte de données relatives aux clients ayant basculé en CST.

a) La dimension matérielle du marché de la fourniture d’électricité

42. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence distingue le secteur de l’électricité des autres secteurs énergétiques, et notamment du gaz naturel, en raison de l’absence de substituabilité entre ces deux produits19.

43. Au sein de la chaîne de valeur du secteur de l’électricité, la Commission européenne et l’Autorité ont identifié un certain nombre d’activités distinctes, de l’amont à l’aval20.

44. Au sein de l’activité de fourniture d’électricité, l’Autorité opère une distinction en fonction des deux critères suivants : (i) le type de consommateurs et (ii) le type d’offres commercialisées21.

Distinction selon le type de consommateurs

45. La communication de la Commission européenne sur la définition du marché en cause précise qu’au sein d’un marché de produits, « l’existence de plusieurs groupes de clients peut inciter à définir le marché de produits de manière plus étroite »22.

46. À titre liminaire, il convient de présenter la segmentation retenue par le régulateur français de l’énergie (la CRE), qui identifie quatre segments de clientèle, en fonction de la puissance souscrite : les grands sites non résidentiels (puissance supérieure ou égale à 250 kW), les sites moyens non résidentiels (puissance comprise entre 36 kVA et 250 kW), les petits sites

 17 TUE, 6 juillet 2000, Volkswagen AG / Com., aff. T-62/98, point 230.

18 Voir, par exemple, rapport annuel pour l’année 2001, étude thématique sur le marché pertinent, pages 3-4.

19 Voir, notamment, les décisions n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 relative à la prise de contrôle exclusif d’Enerest par Électricité de Strasbourg, paragraphe 6 et la pratique décisionnelle citée ; n° 14-MC-02  du 9 septembre 2014 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Énergie dans les secteurs du gaz et de l’électricité, paragraphe 42.

20 Voir, notamment, la décision n° 12-DCC-20 précitée, paragraphe 7 et la pratique décisionnelle citée.

21 Voir, notamment, les décisions n° 11-DCC-142 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Poweo par la société Direct Énergie ; n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 précitée et n° 13-D-20 du 17 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque.

22 Communication de la Commission européenne du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, (JO C 372, 9.12.1997, pp. 5–13), point 43.

Non résidentiels (puissance inférieure ou égale à 36 kVA) et les sites résidentiels (puissance inférieure ou égale à 36 kVA).

47. Au niveau européen, la Commission européenne distingue les grands clients industriels dont la consommation annuelle est supérieure à 7 GWh/an, les petits clients industriels et commerciaux dont la consommation annuelle est inférieure à 7 GWh/an mais ayant une puissance de raccordement supérieure à 36 kVA, et les petits clients professionnels ayant une puissance de raccordement inférieure ou égale à 36 kVA23.

48. Sur le plan national, l’Autorité distingue les clients selon qu’ils sont raccordés au réseau de transport ou au réseau de distribution24 :

- les gros clients industriels et commerciaux, raccordés au réseau de transport ;

- les petits clients industriels, commerciaux et résidentiels, raccordés au réseau de distribution.

49. L’Autorité a également envisagé la possibilité d’utiliser la classification employée par la CRE, tout en laissant cette question ouverte, en l’absence de conséquence sur les conclusions de l’analyse concurrentielle dont elle était saisie25.

50. Dans la décision n° 21-D-03 du 18 février 202126, l’Autorité a considéré qu’il était « possible de retenir comme marché pertinent le marché de la fourniture au détail d’électricité aux petits clients non résidentiels. Ces clients correspondent à des sites de type C5 selon la segmentation Enedis […], éligibles au Tarif Bleu27, et reliés au réseau de distribution avec une puissance de raccordement inférieure ou égale à 36 kVA ».

51. Sur ce marché, ainsi que l’a relevé la CRE, force est de constater, à l’instar de la décision n° 21-D-03 précitée, que la demande n’est pas homogène, selon le caractère monosite ou multisites des installations des clients raccordés, ce qui impacte les modes d’achat, le type d’offres commercialisées ainsi que la démarche commerciale sous-jacente pour fournir ces différentes catégories de clients.

52. En effet, les clients détenant de nombreux sites (collectivités territoriales, grandes entreprises), et ce qui plus est lorsqu’ils ont recours à des groupements d’achat, lancent le plus souvent des appels d’offres qui mettent en jeu des volumes de consommation importants et peuvent inclure plusieurs milliers de sites, avec parfois des puissances de raccordement différentes. Ainsi, les fournisseurs doivent développer des capacités à répondre à ces appels d’offres complexes par des « offres individualisées ». Au contraire, les petits clients monosites ou faiblement multisites (coiffeurs, boulangers, petits artisans) ont des profils de consommation plus semblables à ceux des clients résidentiels. Ils souscrivent une offre standardisée (« offre catalogue ») et font généralement l’objet d’un démarchage de masse.

53. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de la définition exacte de ces marchés, dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

Distinction selon le type d’offres (offres aux TRV et offres de marché)

54. Il a été envisagé de délimiter, au sein de chaque segment de clientèle, des marchés plus restreints couvrant le type d’offres commercialisées (offres aux TRV, d’une part, et offres de marché, d’autre part).

55. L’ANODE s’appuie sur la décision n° 21-D-03 précitée pour écarter une segmentation du marché en fonction de la nature de l’offre (TRV/offres de marché). Elle indique, en outre, que si la segmentation selon le type d’offres était retenue, les deux marchés concernés seraient alors étroitement connexes entre eux et la position monopolistique d’EDF sur le marché des offres aux TRV serait susceptible d’être prise en compte pour évaluer le comportement d’EDF sur le marché des offres de marché28.

56. Elle relève, par ailleurs, que s’« il convient de définir les marchés en fonction de la substituabilité des offres au regard du consommateur et donc, par conséquent, de distinguer des marchés dès lors qu’un consommateur ne peut revenir à une offre en raison de la perte de son éligibilité, il conviendrait alors qu’elle applique son raisonnement [aux clients ayant un CST]. Cela conduirait donc nécessairement à définir un marché pertinent des [CST], sur lequel EDF serait alors en position de monopole, position dont elle serait ainsi susceptible d’abuser pour freiner le développement de la concurrence sur un marché connexe : celui des offres de marché »29.

57. EDF considère que l’ANODE ne procède à aucune analyse économique ou de substituabilité pour délimiter le marché pertinent. Elle fait valoir que la décision n° 21-D-03 précitée porte sur des pratiques qui auraient été mises en œuvre dans le courant de l’année 2020, c’est-à- dire avant qu’une majorité des petits clients non résidentiels perdent le bénéfice des TRV pour leurs sites. Partant, EDF soutient que les offres aux TRV Bleus et les offres de marché

– parmi lesquelles figure le CST – ne peuvent plus être considérées comme substituables du point de vue des clients ne respectant pas les critères d’éligibilité aux TRV30.

58. EDF soutient également que l’augmentation du nombre total de petits clients non résidentiels bénéficiant d’une offre de marché (croissance de 60 % de la taille du marché de la fourniture au détail en offres de marché, entre décembre 2020 et janvier 2021) constitue une mutation structurelle profonde du marché31.

59. Dans la décision n° 21-D-03 précitée, l’Autorité a considéré que « la fourniture d’électricité en offre de marché est substituable à une offre au TRV, s’agissant d’un même produit répondant au même besoin. Le prix proposé dans les offres de marché est d’ailleurs souvent construit par rapport au niveau du TRV (sur un modèle TRV – X %), de sorte que les offres de marché exercent une pression concurrentielle sur les offres au TRV. De plus, la dynamique des marchés, qui va dans le sens d’une conversion des clients aux TRV aux offres de marché, corrobore cette substituabilité ».

60. Ces considérations demeurent valables aujourd’hui. Le marché global des petits clients non résidentiels retenu dans l’analyse comprend à la fois des clients devenus inéligibles aux TRV au 31 décembre 2020 et des clients demeurants encore éligibles aux TRV, lesquels peuvent toujours passer d’une offre aux TRV à une offre de marché et inversement. Ainsi, les offres aux TRV exercent encore une pression concurrentielle sur les offres de marché. La circonstance selon laquelle les clients devenus inéligibles et n’ayant pas souscrit une offre de marché ont basculé dans le CST, offre de bascule d’EDF, et ne peuvent plus revenir aux TRV ne suffit pas à supprimer cette pression concurrentielle et n’est pas susceptible de modifier la délimitation du marché pertinent. L’existence d’un marché limité aux CST est donc exclue.

61. La fixation des prix des offres de marché tout comme la dynamique des marchés constatée par l’Autorité en février 2021 n’ont, en outre, pas connu d’évolution significative de nature à modifier les définitions de marché jusqu’ici retenues par l’Autorité.

62.  Il convient donc de retenir un marché de produits unique, composé d’un segment offres aux TRV et d’un segment offres de marché.

b) La dimension matérielle du marché de la collecte de données relatives aux clients en offre de bascule

63. L’ANODE demande à l’Autorité de définir un marché de la collecte de données relatives aux clients en offre de bascule.

64. Elle se fonde sur l’arrêt Magill32, dans lequel la Cour de justice a retenu que les chaînes de télévision détenaient un monopole de fait sur les données brutes servant à confectionner les grilles de programme (la chaîne, le jour, l’heure et le titre des émissions) et que ces informations brutes étaient indispensables à l’activité de Magill sur le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision. Elle s’appuie également sur deux décisions relatives à la société Automobile Citroën33 qui ont retenu l’existence d’un marché spécifique des informations techniques relatives aux véhicules de marque Citroën faisant l’objet d’une demande spécifique des éditeurs d’informations techniques, d’une part, et des réparateurs automobiles, d’autre part.

65. Elle fait valoir que le marché des données des clients en offre de bascule constitue un marché pertinent répondant à un besoin spécifique et essentiel des opérateurs alternatifs34.

66. EDF soutient qu’en l’espèce, elle ne fait qu’un usage interne des données relatives aux clients en CST, lesquelles n’ont pas vocation à être commercialisées. Selon elle, les données relatives aux clients ayant souscrit un CST ne constituent pas la matière première essentielle d’un service ou d’un produit commercialisé et n’ont aucune valeur commerciale. EDF demande donc à l’Autorité d’écarter l’existence d’un marché de la collecte de données relatives aux clients en CST35.

67. Au cas d’espèce, il n’est pas nécessaire de répondre aux arguments de l’ANODE portant sur la définition d’un tel marché puisque les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées, que l’on reconnaisse ou non l’existence d’un marché distinct de la collecte de données relatives aux clients en offre de bascule.

2.   LA DIMENSION GEOGRAPHIQUE DU MARCHE PERTINENT

68. Les marchés de la fourniture d’électricité au détail ont été considérés tant par la Commission européenne36 que par l’Autorité comme étant de dimension nationale37.

69. Les éléments ayant conduit à cette analyse étant inchangés, le marché de la fourniture au détail d’électricité aux petits clients non résidentiels sera considéré comme de dimension nationale.

C. LA POSITION DOMINANTE D’EDF SUR LE MARCHE EN CAUSE

70. L’analyse du pouvoir de marché détenu par EDF sur les marchés en cause est un préalable indispensable à l’examen des comportements dénoncés par l’ANODE dans sa plainte et sa demande de mesures conservatoires. C’est, en effet, parce que l’entreprise en position dominante est investie d’une responsabilité particulière que certains de ses comportements peuvent être considérés comme anticoncurrentiels sur le fondement des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE38.

71. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la position dominante visée par l’article 102 TFUE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs39. Dans son rapport d’activité pour l’année 2010, l’Autorité a rappelé que « la jurisprudence tant interne que communautaire, définit la position dominante comme étant la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s’abstraire des conditions du marché et d’agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents »40.

72. L’appréciation de la position dominante d’une entreprise s’effectue donc à partir d’un faisceau d’indices qui prend en compte des données d’ordre structurel, comme les parts de marché de l’entreprise et celles de ses principaux concurrents, mais aussi des éléments qui sont de nature à donner un avantage concurrentiel à l’entreprise concernée, comme l’appartenance à un groupe puissant, la détention d’une image de marque ou d’un réseau de distribution couvrant le territoire national.

73. En ce qui concerne plus particulièrement les parts de marché, la Cour de justice considère qu’une part de marché significative permet de présumer l’existence d’une position dominante : « S’agissant des parts de marché, la Cour a jugé (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann La Roche, point 4l, 85/76, Rec. p. 461) que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. Tel est le cas d’une part de marché de 50 % comme celle constatée en l’espèce »41. Cette présomption, retenue à plusieurs reprises par l’Autorité42, s’explique par le fait que « la possession d’une part de marché extrêmement importante met l’entreprise qui la détient pendant une période d’une certaine durée, par le volume de production et d’offre qu’elle représente - sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l’entreprise détenant la part la plus considérable -, dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante »43.

74. Par ailleurs, la baisse des parts de marché au cours de la période concernée par les pratiques n’exclut pas l’existence d’une position dominante, la réduction de parts de marché encore très importantes ne pouvant constituer, en elle-même, la preuve de l’absence de position dominante44. L’Autorité a également retenu que des parts de marché qui diminueraient mais resteraient significatives peuvent constituer un élément pertinent pour qualifier une position dominante45.

75. En l’espèce, sur le marché pertinent défini plus haut, EDF détenait, au 30 juin 2021, des parts de marché de 59 % en volume de consommation et de 65 % en nombre de sites46.

76. Il convient ainsi de constater que, bien qu’en recul depuis 2015, les parts de marché d’EDF restent très significatives, et ce, plus de 16 ans après l’ouverture du secteur à la concurrence.

77. La jurisprudence retient également, au titre des autres éléments d’appréciation d’une position dominante, l’écart entre la part de marché de l’opérateur historique et celle de ses plus proches concurrents. Or, sur le marché en cause, au 30 juin 2021, 36 fournisseurs alternatifs se partageaient une part de marché cumulée de 41 % en volume de consommation et de 35 % en nombre de sites sur le marché des petits sites non résidentiels, de sorte que leur part de marché individuelle était nécessairement inférieure à celle détenue par l’opérateur historique47.

78. Le marché en cause est, en outre, encore particulièrement concentré au bénéfice d’EDF.  En effet, le HHI48 est estimé par la CRE au 2ème trimestre 2021 à plus de 4 000 en termes de sites et à plus de 3 500 en termes de volume de consommation49, ce qui correspond à une très forte concentration du marché.

79. Enfin, en tant qu’opérateur historique sur le marché de l’électricité, EDF détient des avantages concurrentiels importants, tels que son image de marque et sa notoriété, mais aussi la présence de ses équipes commerciales sur l’ensemble du territoire national, lui conférant un maillage territorial et une expérience uniques.

80. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’EDF peut être considérée comme étant en position dominante sur le marché de la fourniture au détail d’électricité aux petits sites non résidentiels (sites C5 non résidentiels).

D. LA RECEVABILITE DE LA SAISINE AU FOND

81. Conformément à l’alinéa 2 de l’article L. 462-8 du code de commerce, l’Autorité peut « rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ou, pour les saisines reçues en application du II et du IV de l’article L. 462-5, lorsqu’elle ne les considère pas comme une priorité ».

82. Au cas d’espèce, la saisissante dénonce un transfert gratuit de portefeuille de clients à EDF du fait de la loi, lequel s’apparenterait à une aide d’État (1), un refus d’accès à la base de données des clients au CST (2), une exploitation abusive de cette base (3) et une confusion générale des moyens d’EDF (4).

1.   SUR L’AIDE D’ÉTAT ALLEGUEE

83. En séance, l’ANODE a évoqué ce sujet, abordé brièvement dans ses observations écrites, comme un grief distinct, à l’appui de ses demandes. Elle soutient que les clients ayant basculé vers le CST n’ont pas décidé de souscrire une offre de marché, ceux-ci ayant basculé d’« une offre régulée à une autre » pour des raisons de continuité du service public de l’électricité et du seul effet de la loi, l’intention du législateur étant de leur éviter une interruption de fourniture d’électricité. Selon elle, ces clients « inertes » auraient pu être attribués par l’État à l’issue d’un processus d’enchères et donc acquis à titre onéreux par les fournisseurs remportant les enchères. En renonçant au revenu qu’il aurait pu percevoir de cette mise aux enchères, l’État aurait consenti à EDF un avantage constitutif d’une aide d’État illicite, en cas d’exploitation de cette clientèle captive. Elle ajoute que le CST a fait l’objet d’une régulation par la CRE qui a rendu un avis conforme, ce qui le distingue d’une offre de marché.

84. EDF conteste cette analyse, arguant que le CST est une offre de marché et, qu’en toute hypothèse, le droit des aides d’État échappe à la compétence de l’Autorité50.

85. Quelle que soit la nature du CST, l’Autorité rappelle que l’appréciation des aides d’État visées par les articles 107 à 109 TFUE ne relève pas de sa compétence. Au demeurant, en l’espèce, l’aide d’État alléguée découle, par définition, non pas d’un comportement d’entreprise d’EDF, mais de la loi elle-même. La question spécifique de l’exploitation éventuelle, par EDF, des informations des clients au CST fera l’objet de développements distincts aux paragraphes 144 et suivants.

2. SUR LA PRATIQUE ALLEGUEE DE REFUS D’ACCES A LA BASE DE DONNEES

a) La position du saisissant

86. Sur la nature et le contenu de la base de données, l’ANODE fait valoir que :

- les données n’ont pas été acquises par EDF dans le cadre d’une concurrence par les mérites mais résultent « de l’héritage de son statut d’ancien monopole du secteur de la fourniture d’électricité et de son actuelle mission de service public de fourniture d’Offre de bascule (ex-TRV) »51 et « du seul effet de la loi », laquelle prévoyait les offres de bascule pour assurer la continuité de l’alimentation52 ;

- l’offre de bascule n’est pas une offre de marché puisqu’elle fait l’objet d’une régulation par la CRE53 ; elle ajoute que, d’une part, EDF a indiqué à ses clients perdant l’éligibilité que le CST « n’est pas la proposition commerciale d’EDF pour [leur] nouveau contrat en offre de marché » et, d’autre part, que le fait qu’EDF ne démarche pas activement ces clients en 2021 « vaut reconnaissance de ce que, du fait de leurs modalités différentes d’acquisition, ces consommateurs ne sauraient être assimilés à des clients conquis par les mérites »54.

87. Elle se fonde, par ailleurs, sur la théorie des facilités essentielles et soutient que :

- les données sont indispensables pour les opérateurs alternatifs afin d’être en mesure de démarcher les clients non éligibles, d’autant que « sans action spécifique de démarchage de la part d’EDF, elle pourra au 1er janvier 2022, les engager pour une durée allant jusqu’à 3 ans ou, si les clients demeurent passifs, les laisser sur l’Offre de bascule existante » ; elle expose que « [c]es données confèrent à EDF un avantage significatif, créant un effet d’éviction à l’égard des fournisseurs alternatifs qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour prospecter la clientèle sur un pied d’égalité »55 ;

- s’agissant de la réplicabilité des données, « il n’est pas possible d’acquérir ou de reconstituer un fichier similaire » dans la mesure où « [i]l n’existe aucune base de données, même payante, permettant d’identifier les clients positionnés sur des Offres de bascule »56 et « il ne serait pas rentable de contacter l’ensemble des petites entreprises dans la zone d’ENEDIS pour savoir si elles sont devenues inéligibles aux TRV et positionnées sur des Offres de bascule »57 ; l’ANODE précise que la CRE a reconnu ce caractère non-reproductible58 et qu’EDF a reconnu que certaines informations étaient commercialement sensibles59.

88. Sur le refus d’accès à la base de données, l’ANODE considère que :

- « EDF est en position dominante sur le marché de la fourniture d’électricité aux petits clients non résidentiels et en position de monopole sur le marché des données des clients en Offre de bascule ;

- l’accès au segment des Offres de Bascule est strictement nécessaire pour proposer des offres de marché à ces consommateurs ;

- les opérateurs alternatifs ne sont pas en mesure de reconstituer eux-mêmes cette base de données possédées par EDF et il n’existe aucune alternative à cette base de données ;

- l’accès aux données a été refusé de façon catégorique par EDF dans son courrier en date du 13 juillet 2021 adressé à l’ANODE ;

- l’accès aux données est incontestablement possible, aussi bien techniquement qu’économiquement »60.

89. L’ANODE estime également que faire droit à la demande de mesures conservatoires ne reviendrait pas à imposer à toute entreprise en position dominante de donner accès à sa base de clientèle sous prétexte que celle-ci a été constituée lorsque l’entreprise était en position dominante, puisque les données des clients en offre de bascule sont « dénuée[s] de tout mérite commercial » et que cet accès n’est exigé « que pour pallier, au moins partiellement, des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par l’entreprise dominante qui détient les données privilégiées »61.

90. En parallèle, l’ANODE considère que l’accès à la base de données au cours de l’année 2020 a été organisé dans des circonstances très particulières. La situation sanitaire a, à la fois, limité la communication des pouvoirs publics et empêché les clients de souscrire à des offres de marché. L’ANODE estime ainsi que le démarchage n’a pu s’effectuer pleinement qu’entre septembre et décembre 202062.

b) La position d’EDF

91. Sur la nature et le contenu de la base de données, EDF conteste le caractère privilégié des données en cause.

92. S’agissant, d’abord, des conditions de constitution de la base de données, EDF considère que les clients ayant basculé en CST y sont « en connaissance de cause » et n’ont donc pas été captés par des « moyens étrangers à une concurrence par les mérites »63. Elle précise que « [l]a situation est donc très différente de celle qui prévalait dans l’affaire GDF Suez de 2014 citée par l’ANODE, affaire dans laquelle l’Autorité avait ordonné à GDF Suez de donner accès à sa base de données clientèle au TRV et non à des données relatives à des clients en offres de marché, conquis sur la base d’une compétition par les mérites, comme c’est le cas en l’espèce »64.

93. Elle soutient que le CST constitue une réelle offre de marché et n’est pas lié à une mission de service public. Sur le premier point, EDF considère que le CST ne présente aucun caractère transitoire, en dépit des allégations de l’ANODE, eu égard aux éléments suivants :

« [l]es conditions du CST ont été librement déterminées par EDF. Ainsi, et contrairement aux dispositions antérieures instituées pour la fin partielle des TRV en 2014 et 2016 et régulant les “offres transitoires”, le cadre réglementaire ne fixe pas les conditions que ces contrats doivent respecter, à l’exception d’une résiliation possible à tout moment lors de la première année. Aucune indication n’est donnée concernant la durée ou le niveau de prix du CST. L’absence de modalités de suivi de son exécution. Le dispositif mis en place par la LEC confirme la volonté du législateur de n’opérer aucun contrôle sur le suivi des CST qui ne sont donc pas des contrats bénéficiant d’un statut particulier dans le portefeuille clients du fournisseur »65.

94. EDF souligne que le modèle de courrier du mois d’octobre 2020, dont le contenu a été fixé par arrêté, fait expressément référence à une offre de marché66.

95. Elle ajoute que le Gouvernement a donné un avis défavorable aux amendements présentés par l’ANODE, Engie et TotalEnergies relatifs aux arrêtés d’application, qui visaient à ajouter des obligations non prévues par la loi, telles que l’allongement de la durée de conservation des données au-delà du 31 décembre 2020, la constitution d’une base de données des clients ayant perdu l’éligibilité aux TRV après le 1er janvier 2021 ou l’introduction d’une information sur les factures des clients ayant souscrit un CST leur indiquant qu’ils peuvent souscrire une offre de marché auprès du fournisseur de leur choix ainsi que le renvoi au comparateur du MNE67.

96. EDF énumère, de plus, plusieurs écrits dans lesquels des acteurs publics qualifient le CST d’« offre de marché »68, pour laquelle les clients ont opté en toute connaissance de cause.

97. EDF observe ensuite que les critères permettant d’appliquer la théorie des facilités essentielles ne sont pas réunis. Les données relatives aux clients ayant basculé en CST sont, selon elle, réplicables et non indispensables. Elle soutient que « les fournisseurs alternatifs disposent d’autres moyens pour identifier la clientèle cible à des fins de démarchage, à savoir les petits clients non résidentiels, y compris les clients en CST ».

98. Enfin, EDF conteste l’existence d’un effet d’éviction pour plusieurs raisons :

- l’éviction ne pourrait résulter que de l’utilisation des données et non de leur simple détention ;

- les fournisseurs alternatifs ont pu démarcher les clients concernés en 2020 ;

- les clients concernés ne sont pas « captifs d’EDF », compte tenu notamment de leur faculté de résiliation des CST ;

- les parts de marché des fournisseurs alternatifs ont augmenté depuis 2015 sur le marché concerné69.

99. S’agissant des conséquences de la crise sanitaire, EDF fait remarquer 70 que la CRE, dans la même délibération que celle citée par l’ANODE, s’est félicitée « de [la] progression de la concurrence, qui montre que le marché de l’électricité français est dynamique et que l’ensemble des consommateurs concernés ont  eu accès à un large éventail d’offres ».  EDF cite également le rapport annuel de la CRE à la Commission européenne71, lequel souligne que « [l]a dynamique concurrentielle sur le marché non résidentiel a été moins touchée par la crise sanitaire » notamment aux 3ème et 4ème trimestres de l’année 2020.

100. EDF précise, s’agissant de la communication des données qui a eu lieu au cours de l’année 2020, que « l’extrait de la délibération de la CRE doit être nuancé au regard du dispositif mis en place par la LEC pour informer les clients concernés de la fin partielle des TRV »72. S’agissant du démarchage, EDF ajoute qu’« il convient de relever que le premier confinement a pris fin le 11 mai 2020. Ainsi, même si les démarchages effectués par les membres de l’ANODE ont pu être moins efficaces durant cette période (ce qui n’est pas démontré), l’ANODE a tout de même disposé a minima de six mois (juillet à décembre) pour démarcher tous les Clients Inéligibles en 2020 (et davantage pour les clients dont les données figuraient dans les fichiers mis à disposition avant le mois de juillet 2020 »73.     En tout état de cause, EDF constate que la CRE a également indiqué qu’« Enedis, qui avait piloté la concertation, a mis en œuvre sans encombre l’ensemble des processus, notamment un nombre très élevé de changements de fournisseurs au 1er janvier 2021, ce qui a permis à tous les consommateurs qui le souhaitaient d’exercer leur droit de changer de fournisseur jusqu’au 31 décembre 2020 »74.

c) Analyse de l’Autorité

Principes applicables

101. Aux termes de l’article 102 TFUE : « Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci [...] ».

102. L’article L. 420-2 du code de commerce prévoit de même : « Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ».

103. Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de justice que la notion d’« exploitation abusive » est une notion objective visant les comportements d’une entreprise en position dominante de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien d’une concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence75.

104. Il s’ensuit que l’article 102 TFUE interdit à une entreprise en position dominante de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites et lui impose, au contraire, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l’Union76.

105. La conquête et la conservation de la clientèle sont un élément essentiel du jeu normal de la concurrence, chaque concurrent devant l’acquérir par ses propres mérites et sans mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles. L’Autorité a ainsi rappelé que « [la] lutte pour la conquête de la clientèle n’autorise pas tous les comportements, surtout de la part d’une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière »77.

106. Dans sa communication relative aux orientations sur les priorités retenues pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, la Commission européenne précise que « (…) une entreprise qu’elle soit ou non dominante, devrait avoir le droit de choisir ses partenaires commerciaux et de disposer librement de ses biens. (…) une intervention fondée sur le droit de la concurrence doit être soigneusement pesée lorsque l’application de l’article 82 (devenu 102 TFUE) risque de déboucher sur l’imposition d’une obligation de fourniture à l’entreprise dominante » (points 75 et s.).

107. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence a posé des standards de preuve élevés, rappelés dans la communication précitée (point 81), pour imposer des obligations de fourniture à une entreprise en position dominante.

108. Cependant, lorsque l’entreprise dominante a acquis sa position sur le marché grâce à des droits spéciaux ou exclusifs ou à un financement au moyen de ressources d’État, le standard de la preuve est allégé, ainsi que le rappelle la Commission européenne : pour démontrer que le refus de fourniture est abusif, l’autorité de concurrence « n’a aucune raison de s’écarter de son approche générale fondée sur la démonstration de la probabilité d’une éviction anticoncurrentielle sans devoir examiner si les trois circonstances visées au point 81 sont réunies », car, dans ce cas, « l’imposition d’une obligation de fourniture n’aura manifestement aucun effet négatif sur la propension du propriétaire des intrants et/ou d’autres opérateurs à investir et à innover en amont, que ce soit ex ante ou ex post »  (point 82 de la communication précitée, soulignement ajouté).

109. En outre, il résulte d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle bien établies qu’un refus de fournir à un concurrent des marchandises ou des services nécessaires à l’exercice de ses activités, par un opérateur en position dominante, est abusif si ce refus est de nature à éliminer toute concurrence et s’il n’est pas objectivement justifié78.

110. C’est ainsi que dans sa décision « Cegedim », l’Autorité reprenant les termes de l’arrêt Société des abattoirs de Laval du 22 février 2005 de la cour d’appel de Paris, a rappelé que

« [m]ême en l’absence de facilité essentielle, un refus d’accès opposé de manière discriminatoire par une entreprise en position dominante peut constituer un abus de position dominante, dès lors qu’il fausse de manière sensible le jeu de la concurrence »79. Elle a également précisé que, dans certaines circonstances, peut être considéré comme un abus de position dominante, « le fait, pour les propriétaires ou gestionnaires d’un équipement qui leur donne une position particulière en tant qu’offreur sur le marché, de refuser l’accès ou de donner un accès discriminatoire à l’équipement en cause, sans pour autant invoquer la théorie des facilités essentielles, ni les risques d’atteinte au droit de propriété »80.

Analyse de l’Autorité

111. En application des principes rappelés supra, pour apprécier si les refus d’accès au fichier des clients bénéficiant depuis le 1er janvier 2021 des CST, opposés en 2021 par EDF aux fournisseurs alternatifs, sont susceptibles de constituer des abus de position dominante de l’opérateur historique, il convient donc d’examiner la nature de la base de données litigieuse et les effets d’éviction résultant de son absence de communication durant l’année 2021.

Sur la nature de la base de données litigieuse

112. La base de données contient des informations sur des sites n’étant plus éligibles aux TRV et ayant basculé vers un CST depuis le 1er janvier 2021. Il s’agit donc d’un moyen issu de l’ancien monopole d’EDF et de ses missions de service public. Les données de consommation, les caractéristiques techniques d’un site ou ses données de contact, qui y figurent, ne sont pas intégralement reproductibles par les concurrents d’EDF et sont stratégiques puisqu’elles permettent aux fournisseurs d’électricité de faire des propositions commerciales adaptées aux besoins des consommateurs concernés.

113. Le fait que les CST constituent des offres de marché et non des offres régulées, au regard du libre choix des consommateurs d’accepter cette offre « par défaut »81, de la libre détermination du prix par EDF82, de l’absence de régulation de ces contrats par la CRE83, ainsi que des déclarations et écrits concordants des pouvoirs publics84, ne change rien à la nature, rappelée ci-dessus, de la base de données.

114. Eu égard à la nature de cette base de données issues d’un ancien monopole, il convient d’évaluer la probabilité d’éviction résultant des refus litigieux.

Sur la probabilité d’éviction résultant des refus d’accès à la base de données en 2021

115. Cette probabilité sera évaluée au regard du contexte du passage au CST des clients devenus inéligibles et n’ayant pas opté pour d’autres s offres de marché, des conditions contractuelles des CST et enfin de l’augmentation de la part de marché des fournisseurs alternatifs constatée en 2020 et 2021 sur le marché concerné.

- Le contexte préexistant au passage au CST

116. L’Autorité observe qu’afin d’animer la concurrence dans le contexte de fin des TRV, le législateur a organisé une phase transitoire85, pendant laquelle tous les fournisseurs d’électricité ont eu un égal accès à la base de données des clients devenus inéligibles aux TRV86.

117.  Comme l’a relevé la CRE, ce dispositif d’accès ouvert aux fournisseurs en faisant la demande visait à garantir une concurrence équitable entre fournisseurs historiques et alternatifs sur le segment des clients perdant leur éligibilité, en leur permettant de formuler les offres les plus adaptées aux besoins des consommateurs87.

118. Les fournisseurs alternatifs ont ainsi eu accès à la base de données et à ses mises à jour durant l’année 2020. Ils ont pu démarcher les sites concernés par la fin des TRV en mobilisant la base de données communiquée par EDF. Il ressort des documents produits par EDF88 que, sur cette période, elle a démarché ces sites sur la base des mêmes données que celles dont disposaient ses concurrents. À la fin de l’année 2020, tous les fournisseurs disposant de la base de données mise à disposition par EDF l’ont détruite.

119. Au cours de l’année 2020, le nombre de sites passés en offres de marché s’élève ainsi à environ 657 000 sur 1,4 million89, dont 47 % auprès de fournisseurs alternatifs et 53 % auprès d’EDF.

120. L’animation concurrentielle du marché a donc été effective en 2020. L’ANODE ne soutient par ailleurs pas que les conditions d’accès au fichier des clients aux TRV devenus inéligibles n’auraient pas été respectées durant cette phase d’ouverture, mais que la crise sanitaire aurait entravé ledit accès, argument auquel il sera répondu ci-après.

- Les conditions du contrat de sortie de tarif

121. Depuis janvier 2021, par effet de la loi, seule EDF dispose des données relatives à ses clients ayant basculé en CST. Cependant, la nature juridique de la base de données a évolué puisqu’elle ne concerne plus, depuis le 1er janvier 2021, des clients d’EDF aux TRV mais des clients en offre de marché, dite CST, et ce, conformément aux dispositions de la LEC.

122. En premier lieu, si les clients devenus inéligibles aux TRV et n’ayant pas opté pour une offre de marché au 31 décembre 2020 ont automatiquement basculé vers un CST, il n’en demeure pas moins que ce mouvement a eu lieu après la campagne de communication prévue à l’article 64 de la loi LEC (décrite aux paragraphes 18 et 19 ci-dessus). À cet égard la CRE a indiqué dans sa délibération n° 2021-84, qu’« (e)n principe, au regard de dispositions de la LEC concernant la fin des TRVE, les clients passés en offre de bascule l’ont fait en connaissance de cause »90 (soulignements ajoutés).

123. Même si la CRE a par ailleurs considéré, dans sa délibération n° 2021-84, « qu’aucune communication d’envergure n’a été menée par les pouvoirs publics, et que les moyens de la CRE et du MNE en la matière sont très limités », l’Autorité observe que, courant 2020, les pouvoirs publics et EDF ont communiqué à plusieurs reprises à l’attention des clients concernés par la fin des TRV (voir paragraphes 18 et 19). Ces clients ont donc reçu une information neutre, compréhensible et visible, de la fin de leur éligibilité aux TRV, de la disponibilité des offres de marché et de l’existence du comparateur d’offres.

124. Au regard de ces éléments, il ne peut être considéré que les clients ayant basculé en CST auraient été induits en erreur sur leur passage des TRV en offre CST et sur l’existence de concurrents d’EDF sur leur segment de marché.

125. En deuxième lieu, il ressort des documents contractuels produits par EDF que les CST des clients privés sont des contrats à durée indéterminée91, dont la résiliation est possible à tout moment et sans indemnité, sous réserve d’un préavis de 15 jours. Les conditions contractuelles prévoient également que « [s]i le client change de fournisseur, son Contrat avec EDF est résilié à la date de prise d’effet du contrat conclu avec le nouveau fournisseur d’énergie ».

126. Les clients publics bénéficient quant à eux de contrats à durée déterminée d’un an, soit jusqu’au 31 décembre  2021. Le modèle de CST  conclu  avec  ces  clients  prévoit  qu’« [i]l appartient au Client de lancer dans les meilleurs délais un appel public à concurrence pour attribuer un marché public de fourniture d’électricité en offre de marché. Si, au 1er Janvier 2022, le site du Client ne fait toujours pas l’objet d’un marché attribué par le Client, le présent Contrat pourra à titre exceptionnel continuer à s’appliquer le temps que le Client prenne les mesures nécessaires ». S’agissant de la résiliation, le modèle stipule que, « dès lors qu’un tel marché [public de fourniture d’électricité en offre de marché] aura été attribué par le Client, celui-ci pourra résilier le Contrat sans indemnité sous réserve de respecter un préavis de quinze (15) jours avant l’échéance souhaitée ».

127. Enfin, à compter du 1er janvier 2022, les clients en CST pourront encore résilier leur contrat à tout moment et sans frais, moyennant un préavis de 15 jours. Le courrier du 11 juin 2020 adressé par la CRE à EDF précisait qu’« [à] l’issue de la première année du contrat, les conditions du contrat, à l’exception de la durée du contrat et des modalités de résiliation à l’initiative du client, pourront évoluer. Tout projet de modification des conditions contractuelles devra alors être communiqué au client par voie postale, ou, à sa demande, par voie électronique, au moins un mois avant la date d’application envisagée » (soulignements ajoutés). Cet encadrement des évolutions des conditions contractuelles a été expressément défini par la CRE dans sa délibération du 5 novembre 2020.

128. L’Autorité observe que la durée du contrat et ses modalités de résiliation ne pourront pas être modifiées unilatéralement par EDF, contrairement  à  ce  qu’affirme  la  saisissante. Ce point a été confirmé par la CRE au cours de l’instruction92 : « en application de l’avis conforme de la CRE, une telle modification ne pourrait porter ni sur la durée ni sur les modalités de résiliation ». Par ailleurs, si EDF souhaite modifier unilatéralement d’autres conditions du contrat, telles que, par exemple, les prix, elle devra communiquer aux clients les modifications envisagées et leur rappeler leur faculté de résilier le contrat sans pénalité, conformément aux articles L. 332-2 du code de l’énergie et L. 224-10 du code de la consommation. La DGEC a précisé que la plupart des clients en CST bénéficieraient « d’une faculté de résiliation sans pénalité (si ces modifications ne [leur] convenaient pas), faculté qui lui serait rappelée dans la communication des modifications envisagées »93 (soulignements ajoutés).

129. En définitive, les clauses du CST ne rendent pas les clients concernés captifs d’EDF puisqu’elles leur permettent de changer aisément de fournisseur d’électricité et n’ont pas pour effet, en elles-mêmes, de verrouiller ce segment du marché.

130. La CRE a, à cet égard, indiqué, dans sa délibération n° 2020-270 du 5 novembre 2020, que les conditions contractuelles de l’offre de bascule d’EDF n’étaient « pas de nature à verrouiller le marché et [permettait] bien à la concurrence de s’exercer librement sur le marché »94.

 La progression des parts de marché des fournisseurs alternatifs

131. La progression des parts de marché des fournisseurs alternatifs sur le marché concerné permet de relativiser l’importance de l’accès au fichier des clients en CST pour conquérir des clients d’EDF. La prospection active ciblée des clients ne constitue pas le seul facteur d’animation concurrentielle, les clients dûment informés pouvant choisir spontanément de changer de fournisseur.

132. Le marché de la fourniture d’électricité aux sites non résidentiels a été ouvert à la concurrence le 1er juillet 2004, même si les pouvoirs publics avaient maintenu l’existence de TRV. Ainsi, depuis de nombreuses années, les fournisseurs alternatifs ont constitué leurs propres bases de données afin de démarcher les petits clients non résidentiels. Si celles-ci ne contiennent pas l’ensemble des informations détenues par EDF pour chacun des clients (le volume de consommation des sites, par exemple95), il n’en demeure pas moins que les fournisseurs alternatifs s’en servent activement pour conquérir des parts de marché et disposent d’autres moyens que la base de données sollicitée pour promouvoir leurs offres de marché96. Par ailleurs, les informations concernant certains types de clients sont plus facilement accessibles du fait des appels d’offres qu’ils organisent : une partie d’entre eux sont des clients publics soumis aux règles de la commande publique ; d’autres, bien que clients privés, utilisent également des procédures de mise en concurrence.

133. Ainsi, en 2021, alors qu’ils avaient détruit la base de données relative aux clients concernés par la fin des TRV, les fournisseurs alternatifs ont pu conquérir des clients ayant basculé en CST. Ainsi, ils ont pu, sur cette période, exercer une pression concurrentielle sur l’entreprise dominante.

134. En effet, entre le 1er janvier et le 30 septembre 2021, d’après les éléments fournis par EDF97,

« 36 113 sites ayant basculé en CST ont souscrit une offre de marché auprès d’EDF, tandis que 36 043 sites ont souscrit une nouvelle offre de marché auprès d’un fournisseur alternatif. Les fournisseurs alternatifs ont donc capté près de 50 % des sites en CST ayant souscrit une autre offre de marché au cours des trois premiers trimestres 2021 ». En outre, « le nombre total de clients ayant basculé en CST chez EDF en application de la LEC a significativement décru, passant d’environ 509 000 sites au 1er janvier 2021 à environ 387 000 sites au      30 septembre 2021 » - pour un total d’environ 1,2 million de sites perdant leur éligibilité au 31 décembre 2020.

135. Il en résulte que près de la moitié des clients ayant résilié leur CST ont souscrit une offre de marché auprès d’un fournisseur alternatif depuis le 1er janvier 2021, et ce alors même que les fournisseurs alternatifs n’avaient plus accès à la base de données d’EDF. En outre, selon les données fournies par EDF, le taux des résiliations rapportées au portefeuille moyen pour les CST est de plus de deux fois supérieur au taux de résiliation annuel moyen constaté en 2018-2020 sur l’ensemble de son portefeuille des sites non résidentiels C598.

136.  De surcroît, il est rappelé que les clients en CST ne représentent qu’une fraction des clients ayant perdu leur éligibilité aux TRV au 31 décembre 2020 et une fraction encore moindre du marché pertinent retenu, qui inclut les petits sites non résidentiels encore éligibles aux TRV, qui peuvent également opter pour une offre de marché.

137. Par ailleurs, l’ANODE n’a apporté aucun élément suffisant permettant de démontrer que certains fournisseurs alternatifs seraient fragilisés par une éventuelle difficulté à prospecter les clients en CST, en raison de leur spécialisation sur ce segment de marché, ou qu’ils ne seraient pas en mesure d’acquérir la masse critique dont ils ont besoin pour entrer et se maintenir sur le marché et que la dynamique concurrentielle actuelle serait faussée par l’absence de communication par EDF de la base de données litigieuse.

138. Il en résulte qu’aucun effet d’éviction n’est susceptible de découler des seuls refus d’accès d’EDF à ses bases de données clients en CST en 2021.

- L’impact de la crise sanitaire

139. L’argument de l’ANODE, selon lequel la crise sanitaire aurait empêché le libre exercice du jeu concurrentiel organisé par le législateur en 2020 et rendrait indispensable un accès à la base des clients au CST, mérite d’être nuancé et ne saurait rendre abusifs les refus d’EDF en 2021.

140. D’abord, d’après les observatoires de la CRE, le marché des petits clients non résidentiels a connu une certaine dynamique concurrentielle au cours de l’année 2020, laquelle se poursuit en 2021. Il ressort de ces éléments que, bien que la CRE ait considéré, dans sa délibération n° 2021-84 précitée, que « la crise sanitaire a probablement été, et continue d’être, un frein à la proactivité des consommateurs pour souscrire une offre de marché, comme le soulignent les taux de changement de fournisseurs publiés par la CRE dans ses observatoires », il n’en demeure pas moins que la part des offres de marché dans le marché total a augmenté au cours de l’année 2020, et ce malgré la crise sanitaire.

141. En outre, si la CRE a constaté que les taux de switch99 étaient bas au 2ème trimestre 2020, elle a ensuite indiqué, dans son rapport annuel à la Commission européenne, que « [l]ors du 3ème et 4ème trimestre de l’année 2020, les offres de marché se sont développées plus fortement, en raison de l’anticipation de l’échéance de suppression partielle des TRV d’électricité au 1er janvier 2021. Le nombre de sites non résidentiels en offre de marché a augmenté de 20% en 2020 (soit 418 000 sites supplémentaires) contre 9,9% en 2019 et 11,3% au cours de l’année 2017. Au 31 décembre 2020, 2 492 000 sites sur un total de   5,1 millions étaient en offre de marché en électricité, dont environ 59% (64% en 2019) chez un fournisseur alternatif ».

142. Enfin, si l’Autorité partage le constat de la CRE selon lequel le jeu concurrentiel serait nécessairement plus animé en cas d’accès prolongé des fournisseurs alternatifs à la base concernée, il ne lui appartient pas ici de formuler des recommandations relatives au secteur de l’électricité, mais d’examiner la probabilité d’un risque d’éviction anticoncurrentielle.

143. Il résulte de ce qui précède qu’aucun élément probant ne permet d’établir que les refus d’accès opposés en 2021 par EDF aux fournisseurs alternatifs seraient susceptibles de constituer un abus de position dominante.

3. 3. SUR LA PRATIQUE ALLEGUEE D’EXPLOITATION ABUSIVE DE LA BASE DE DONNEES

a) La position du saisissant

144. L’ANODE soutient qu’« EDF exploite bien les données des clients en Offre de bascule à des fins susceptibles d’être anticoncurrentielles »100 :

- EDF n’étaye pas son interdiction auto-imposée d’utiliser les données qui serait, en outre, contradictoire avec « l’ambition affichée des dirigeants d’EDF, qui ont indiqué vouloir tripler la base de clients en offre de marché d’ici à 2023 » et avec le fait qu’EDF se soit réservé le droit d’utiliser les données à des fins de prospection commerciale 101 ;

- l’exploitation de la base de données est confirmée par la souscription de 31 647 sites ayant basculé en CST à une offre de marché proposée par EDF en 2021102 ;

- les données sont également utilisées par EDF pour élaborer sa politique tarifaire en vue d’une modification des prix et pour optimiser « sa stratégie d’approvisionnement et de couverture future »103.

b) La position d’EDF

145. EDF indique que « les données relatives à des Clients Inéligibles en 2020 qui ont fait le choix de souscrire une offre de marché auprès d’un fournisseur alternatif ont été conservées par EDF mais uniquement pour permettre à celle-ci d’assumer ses obligations légales à l’égard desdits clients, c’est-à-dire à des fins de gestion de contrats résiliés (par exemple pour répondre à des réclamations portant sur d’anciens contrats en TRV). Ces données ne sont pas intégrées dans la base “Prospectsˮ d’EDF, seule utilisée à des fins de démarchage/prospection par les équipes commerciales d’EDF »104.

146. Elle ajoute que « ces données n’ont fait l’objet d’aucune exploitation par EDF à des fins promotionnelles depuis la fin partielle des TRV au 1er janvier 2021. Au contraire, EDF a fait le choix de ne pas démarcher activement les clients bénéficiant d’un CST et donc de s’abstenir de leur proposer des offres alternatives en 2021 et ce pour respecter l’esprit de la LEC qui imposait la possibilité pour les clients de sortir de leur contrat CST à tout moment et sans indemnités en 2021 »105.

147. EDF fait valoir que la mise à disposition d’un espace client donnant accès en ligne à leurs données de consommation et de facturation à ses clients en CST ne constitue pas une exploitation abusive de la base dès lors qu’aucune action de prospection différenciée n’est effectuée par ce canal. Elle soutient également que la mise à jour des prix de ses offres ainsi que la détermination de sa stratégie d’approvisionnement et de couverture pour ses clients, dont ceux en CST, ne relèvent pas d’une activité de prospection et ne peut donc pas caractériser une exploitation anticoncurrentielle de la base de données litigieuse.

c) Analyse de l’Autorité

Principes applicables

148. À titre principal, il est renvoyé aux principes mentionnés aux paragraphes 103 et suivants de la présente décision. Il sera, en outre, rappelé que l’Autorité et les juridictions nationales françaises considèrent que l’utilisation, par une entreprise en position dominante, de données constituées dans le cadre de son monopole légal ou de sa mission de service public peut être considérée comme abusive si celle-ci conduit à mettre en place des opérations commerciales qui ne peuvent être répliquées par les concurrents. C’est notamment le cas lorsque les informations en question sont utilisées pour transférer la clientèle d’offres réglementées vers des offres de marché, pour reconquérir les clients perdus au profit de la concurrence, ou encore pour proposer des offres plus ciblées et adaptées que ne pourraient le faire les concurrents106.

149. À ce sujet, la cour d’appel de Paris, dans son arrêt « Solaire Direct »107, a jugé que « l’utilisation des informations privilégiées détenues de manière exclusive par EDF au titre de son ancien monopole et de ses missions de service public a constitué un avantage concurrentiel significatif pour EDF ENR en lui permettant d’assurer la promotion de ses offres auprès d’un nombre élevé de prospects, dans des conditions qui ne pouvaient être répliquées par les concurrents ».

150. Ainsi, l’utilisation d’un avantage issu d’un monopole ou d’une mission de service public est susceptible de constituer un abus puisqu’elle peut constituer un avantage pour les activités de marché de l’opérateur dominant et entraîner par là même un désavantage pour les opérateurs concurrents, qui ne peuvent développer leurs propres activités que dans des conditions dégradées.

Analyse de l’Autorité

151. L’Autorité observe qu’en l’espèce, il ressort des observations et documents produits par EDF que cette dernière a pris des précautions particulières, s’agissant de l’exploitation de la base de données en 2021, et qu’aucun indice ne permet de supposer qu’elle aurait adopté une stratégie commerciale consistant à utiliser des informations figurant dans cette base pour promouvoir un service concurrentiel et capter des clients de manière abusive.

152. S’agissant de l’argument de l’ANODE selon lequel l’utilisation par EDF des données relatives à ses clients en CST pour définir sa stratégie d’approvisionnement et de couverture constituerait un usage abusif de la base, il convient de relever que l’analyse faite par un fournisseur de ces données ne s’apparente pas à une exploitation des données pour faciliter la commercialisation d’offres, mais découle de son obligation de prévoir, au regard des données de ses clients, une estimation de l’évolution de son portefeuille de clients et de leur consommation afin de répondre à leurs besoins.

153. Ainsi, ni les faits rapportés dans la saisine, ni les éléments versés au dossier n’ont apporté suffisamment d’éléments probants étayant l’allégation de l’ANODE selon laquelle EDF aurait utilisé en 2021 son fichier de clientèle au CST pour promouvoir ses autres offres de marché d’électricité.

4.  3. SUR LA PRATIQUE ALLEGUEE DE CONFUSION DE MOYENS

a) La position du saisissant

154. L’ANODE estime que « [l]es fournisseurs alternatifs ne peuvent pas […] reproduire l’avantage que tire EDF de la confusion des équipes commerciales, des centres d’appels, du site Internet entre les Offres de bascule et les offres de marché »108. Elle soutient qu’« aucune séparation structurelle ni fonctionnelle n’existe au sein d’EDF étant donné que la même entité fournit les Offres de bascule et les offres de marché », le service client sur Internet et le service client par téléphone étant tous deux communs aux deux catégories d’offres109. Lors de son audition, l’ANODE a ajouté : « On est face à une entreprise qui a une infrastructure unique pour commercialiser ses offres de marché et les offres TRV »110.

155. L’ANODE soutient que « l’assimilation des consommateurs en Offre de bascule à des clients en offre de marché (ce que revendique EDF) est en soi susceptible de constituer un abus de position dominante »111. Ainsi, « non seulement EDF ne démontre aucune séparation structurelle entre son activité de gestion des clients hérités par l’effet de la loi et son activité concurrentielle, mais elle revendique même l’inverse pour tenter d’échapper à sa responsabilité, ce qui est parfaitement paradoxal […] »112.

156. La saisissante considère que l’accès à l’espace client EDF Entreprise proposé aux clients en CST et présenté comme le gage d’une « gestion efficace » de leur contrat d’énergie grâce à la centralisation de leurs données par EDF constitue une exploitation abusive de ces données. En outre, la possibilité offerte à ces clients de souscrire une offre de marché directement depuis cet espace constitue, selon l’ANODE, une confusion de moyens du fournisseur en position dominante113.

b) La position d’EDF

157. EDF considère que, « s’agissant des moyens commerciaux matériels et immatériels d’EDF, l’ANODE n’apporte aucune explication qui justifierait l’utilisation d’espaces clients et de services clients différents pour le CST et les autres offres de marché d’EDF, d’autant plus qu’il ne fait aucun doute que le CST est une offre de marché au même titre que les autres […] »114.

158. S’agissant spécifiquement de l’année 2021, il est renvoyé aux arguments développés par EDF (voir paragraphes 145 à 147 ci-dessus) au titre de l’exploitation abusive de données alléguée.

c) Analyse de l’Autorité

Principes applicables

159. Lorsqu’une entreprise disposant d’un monopole légal ou en charge d’une mission de service public utilise les mêmes moyens matériels et les mêmes équipes commerciales pour ses activités en monopole ou de service public, d’une part, et pour des prestations en régime concurrentiel, d’autre part, un tel comportement doit être analysé comme l’utilisation abusive d’un avantage non reproductible, lorsque cette organisation génère dans l’esprit des clients une confusion entre ces différents services et prestations115.

160. Le caractère abusif d’un tel comportement ressort en particulier lorsque la confusion est entretenue par la mise en place de canaux téléphoniques de communication ne permettant pas de distinguer entre les activités en monopole et celles en concurrence116 ou lorsque les équipes commerciales se prévalent d’un statut d’opérateur public pour ensuite proposer des services non couverts par ledit statut117.

Analyse de l’Autorité

161. S’agissant de l’année 2020, comme expliqué précédemment, la base de données a été accessible aux fournisseurs alternatifs pendant toute cette période, en application des dispositions précitées de la LEC. Il ressort, en outre, des documents internes d’EDF relatifs à sa stratégie commerciale qu’elle a pris des précautions pour distinguer ses équipes commerciales dédiées aux clients en TRV de celles dédiées au démarchage de clients à conquérir en offres de marché, ainsi que les canaux de communication destinés à chacun de ces publics118.

162. Ainsi, il n’existe aucun élément probant, s’agissant de l’année 2020, permettant de considérer que l’opérateur a mis en œuvre des pratiques de confusion entre son statut d’opérateur ancien titulaire d’un monopole historique et ses activités sur le segment concurrentiel du marché.

163. S’agissant de l’année 2021, ainsi que cela a été exposé au paragraphe 151 ci-dessus, des précautions ont été prises par EDF pour ne pas exploiter les informations de la base de données dont ne disposent pas ses concurrents et ne pas engager d’actions de démarchage ciblées de ces clients, évitant de la sorte d’adopter un comportement susceptible d’être anticoncurrentiel.

164. Le simple fait pour EDF de permettre à ses clients ayant basculé en CST d’accéder à leur espace client sur son site Internet et de souscrire directement une autre offre de marché que celle dans laquelle ils se trouvent depuis cet espace ne peut équivaloir à une exploitation abusive des données relatives à ces clients pour promouvoir ses offres de marché en électricité. C’est en effet à l’initiative du consommateur qu’un passage du CST à une offre de marché différente peut intervenir via ce canal.

165. En conclusion, les assertions de l’ANODE relatives à une prétendue stratégie commerciale d’EDF reposant sur une confusion de moyens dont elle dispose ne sont, à ce stade, pas étayées.

E. CONCLUSION

166. Il résulte de l’ensemble des éléments précédents que les faits invoqués par la saisine de l’ANODE ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants pour étayer l’existence, en 2020 et 2021, de pratiques qui seraient susceptibles d’entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE.

167. Cette conclusion ne préjuge pas de l’analyse à laquelle pourrait se livrer l’Autorité si de nouveaux éléments relatifs au comportement d’EDF étaient portés à sa connaissance.

168. Il convient donc de faire application des dispositions de l’article L. 462-8 du code de commerce et de rejeter au fond la saisine enregistrée sous le numéro 21/0071 F et, partant, la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 21/0072 M.

DÉCISION

Article 1er : La saisine de l’ANODE enregistrée sous le numéro 21/0071 F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires de l’ANODE enregistrée sous le numéro 21/0072 M est rejetée.

NOTES

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Cotes 1-23.

3 Cotes 24-32.

4 Cotes 3517-3525

5 Voir la directive n° 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE et la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE. Ces textes ont fait l’objet de transpositions en droit national par le biais de plusieurs lois : loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ; loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ; loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ; loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie ; loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ; loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

6 Pour la liste, voir, par exemple, la délibération n° 2020-270 portant avis conforme sur les conditions du contrat d’électricité communiqué par les fournisseurs historiques à leurs clients perdant l’éligibilité aux tarifs réglementés de vente qui n’auraient pas souscrit d’offre de marché au 31 décembre 2020.

12 RTE gère le réseau de transport qui se compose des lignes Très Haute Tension (THT) et Haute Tension (HT).

13 Voir le document d’enregistrement universel 2020 du groupe EDF, pages 10 et 11, disponible ici : https://labrador.cld.bz/EDF-Document-d-enregistrement-universel-2020/10/

14 Voir le document d’enregistrement universel 2020 du groupe EDF, page 6, disponible ici : https://labrador.cld.bz/EDF-Document-d-enregistrement-universel-2020/6/

15 Voir paragraphes 18 et 19.

16 Communication de la Commission européenne intitulée « Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité » (JO C 101 du 27.4.2004, pp. 81-96).

17 TUE, 6 juillet 2000, Volkswagen AG / Com., aff. T-62/98, point 230.

18 Voir, par exemple, rapport annuel pour l’année 2001, étude thématique sur le marché pertinent, pages 3-4.

19 Voir, notamment, les décisions n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 relative à la prise de contrôle exclusif d’Enerest par Électricité de  Strasbourg, paragraphe 6  et la pratique décisionnelle citée ; n° 14-MC-02  du     9 septembre 2014 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Énergie dans les secteurs du gaz et de l’électricité, paragraphe 42.

20 Voir, notamment, la décision n° 12-DCC-20 précitée, paragraphe 7 et la pratique décisionnelle citée.

21 Voir, notamment, les décisions n° 11-DCC-142 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Poweo par la société Direct Énergie ; n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 précitée et n° 13-D-20 du 17 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque.

22 Communication de la Commission européenne du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, (JO C 372, 9.12.1997, pp. 5–13), point 43.

23 Commission européenne, décision du 25 juin 2014, n° COMP/M.7137 - EDF / DALKIA EN France,   point 70.

24 Décisions n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 précitée, paragraphe 8 ; n° 17-DCC-155 du 22 septembre 2017 relative à la prise de contrôle exclusive de la société Quadran par la société Direct Énergie, paragraphe 24 et n° 17-DCC-67 du 26 mai 2017 relative à la prise de contrôle exclusif de la société La Compagnie du Vent par Engie, paragraphe 24.

25 Décisions n° 17-DCC-16 du 8 février 2017 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Eole Moulin Tizon, Eole Brocéliande, Eoliennes de l’Ourcq et du Clignon par les sociétés Predica Prévoyance, Omnes Capital et Quadran, paragraphes 16 et 17 et n° 16-DCC-153 du 20 octobre 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Enel France par la société Énergies Libres, paragraphes 10 et 11.

26 Décision n° 21-D-03 du 18 février 2021 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Plüm Énergie dans le secteur de la fourniture d’électricité en France, paragraphes 46 et suivants.

27 Certains jusqu’au 31 décembre 2020, et d’autres conservant leur éligibilité après cette date.

28 Cotes 3550-3551 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 68).

29 Cote 3552 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 79).

30 Cotes 1869-1870 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 90).

31 Cote 1870 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 92).

32 CJUE, 6 avril 1995, Magill, Affaires jointes, C-241/91 P et C-242/91 P.

33 Décisions n° 06-D-27 du 20 septembre 2006 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés Autodistribution et AD Net à l’encontre de pratiques mises en œuvre par la société Automobiles Citroën et n° 07-D- 31 du 9 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Automobiles Citroën.

34 Cote 15 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphes 72 et suivants).

35 Cotes 1871-1872 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphes 99 et suivants).

36    Voir,   par   exemple,            Commission    européenne,   décisions   M.3440                EDP/ENI/GDP    ; M.4994 Electrabel/Compagnie Nationale du Rhône ; M.7137 - EDF / DALKIA précitée.

37 Voir, par exemple, décisions n° 17-DCC-16 du 8 février 2017 et n° 16-DCC-153 du 20 octobre 2016 précitées.

38 Voir, par exemple, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JO C045, 24 février 2009,  point 9.

39 CJUE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Com., aff. 85/76, point 38. Voir encore, CJUE,      6 décembre 2012, AstraZeneca e.a./Com., C-457/10 P, point 175.

40 Rapport annuel de l’Autorité pour l’année 2010, page 239.

41 CJUE, 3 juillet 1991, Akzo Chemie BV / Com., C-62/86, point 60. Voir également, par exemple, TUE,    1er juillet 2010, AstraZeneca AB e.a./Com., T-321/05, point 288.

42 Voir, par exemple, les décisions n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, paragraphe 58 et n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la télévision payante, paragraphes 265-266.

43 CJUE, Hoffmann-La Roche, précité, point 41.

44 TUE, 30 janvier 2007, France Télécom SA/Com., T-340/03, point 104. Voir également, TUE, AstraZeneca AB e.a./Com., précité, point 288.

45 Voir, en particulier, la décision n° 10-D-32 précitée, paragraphes 274-275.

46 Cotes 3521-3522 (délibération n° 2021-329 précitée).

47 Cotes 3521-3522 (délibération n° 2021-329 précitée).

48 L’indice de Herfindahl-Hirschmann est un indice mesurant la concentration du marché. Un marché est peu concentré si son HHI est inférieur à 1000 et très concentré s’il est supérieur à 2000.

49 Observatoire de la CRE du 2ème trimestre 2021 sur les marchés de détail de l’électricité et du gaz naturel.

50 Cote 3656 (observations d’EDF en date du 17 novembre 2021, paragraphe 42).

51 Cote 16 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 87).

52 Cote 3557 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 104).

53 Cote 3558 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 113).

54 Cote 3559 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 118).

55 Cote 17 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 95).

56 Cote 18 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphes 100-104).

57 Cote 19 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 105).

58 Dans sa délibération n° 2019-256 portant proposition d’arrêté fixant la liste des données que les fournisseurs proposant des contrats aux tarifs réglementés de vente d’électricité doivent mettre à disposition des fournisseurs d’électricité qui en font la demande.

59 Cotes 3566-3567 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphes 163 et suivants).

60 Cotes 20-21 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 115).

61 Cote 3572 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 200).

62 Cotes 9-11 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphes 37-47).

63 Cote 1878 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 123).

64 Cote 1878 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 124).

65 Cote 1855 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 36).

66 Voir le paragraphe 18 ci-dessus.

67 Cotes 2001-2011 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, pièces n° 11, 12, 13 et 14).

68 Cotes 1914-1922 (la CRE), 1950-1959 (la CRE et le médiateur national de l’énergie), 2013-2014 (la CRE), 2016-2018 (la rapporteure de la loi devant le conseil supérieur de l’énergie), 2084-2087 (la présidente du tribunal de commerce de Paris ayant rendu l’ordonnance de référé du 17 juin 2021) : observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, pièces 1, 7, 15, 16 et 18.

69 Cotes 1875-1888 VC et 3023-3036 VNC (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphes 112 et suivants).

70 Cotes 1886-1887 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 154).

71 Rapport annuel de la CRE à la Commission européenne, Principaux développements des marchés français de l’électricité et du gaz naturel en 2020 et au premier semestre 2021, 31 juillet 2021, p. 46.

72 Cote 2264 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, paragraphe 131).

73 Cotes 1901-1902 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 231).

74 Cote 2266 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, paragraphe 140).

75 Voir CJUE, 13 février 1979, Hoffman-La Roche/Commission, C-85/76, point 91, et 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08, Rec. p. I-8237, point 69, et 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, Rec. p. I-527, point 27.

76 Voir CJUE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57, et 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202/07 P, Rec. p. I-2369, point 105.

77 Voir décisions n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, paragraphe 77, et n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM sur différents marchés.

78  Voir  les arrêts de la  CJUE du 6  mars 1974,  « Commercial  Solvents »,  affaires jointes 6/73  et 7/73, rec.

p. 223 ; voir aussi décision n° 05-D-72 du 20 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments.

79 Décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, paragraphes 192 et s.

80 Décisions n° 06-D-36 du 6 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie Médicale du Nivolet, n° 10-D-09 du 9 mars 2020 relative aux demandes de mesures conservatoires présentées par la société Itas Tim concernant des pratiques mises en œuvre par la société TDF dans le secteur des services de diffusion par voie hertzienne en mode numérique et n° 14-D-06 précitée.

81 Voir les paragraphes 18 et 19 ci-dessus et la délibération n° 2021-84 de la CRE du 18 mars 2021 portant communication sur le déroulé des échéances relatives à la fin partielle des tarifs réglementés de vente d’électricité et à la suppression des tarifs réglementés de vente de gaz naturel, page 4.

82 Voir cote 1855 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 36) et le lien suivant : https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/entreprise/electricite-et-gaz/electricite/contrat-sortie-tarif/2020- 10-26_-_fiche_descriptive_cst_entreprises.pdf.

83 Cotes 3881-3884 (courrier de la CRE en date du 25 novembre 2021).

84 Voir cotes 1950-1959 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, pièce 7, Guide élaboré par la CRE et le MNE publié le 11 mai 2020), 2016-2018 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, pièce 16, extraits du projet de procès-verbal de la séance du 12 novembre 2019 préparé par le Conseil supérieur de l’énergie), 3517 (délibération de la CRE n° 2021-329 précitée), 3636-3637 (courriels de la Direction générale de l’énergie et du climat - DGEC) en date des 16 et 17 novembre 2021). Voir également la délibération n° 2020- 270 de la CRE du 5 novembre 2020 portant avis conforme sur les conditions du contrat d’électricité communiqué par les fournisseurs historiques à leurs clients perdant l’éligibilité aux tarifs réglementés de vente qui n’auraient pas souscrit d’offre de marché au 31 décembre 2020 : « [l]es données sont mises à disposition dans le cadre du démarchage commercial des clients qui sont aux tarifs réglementés. Il n’y a pas lieu que les fournisseurs conservent ces données une fois que les clients sont passés en offre de marché ».

85 Article 64-IV de la LEC.

86 Arrêté du 26 décembre 2019 fixant la liste des données que doivent mettre à disposition les fournisseurs proposant des contrats aux tarifs réglementés de vente d’électricité aux fournisseurs d’électricité qui en font la demande : la raison sociale, le numéro SIREN et le code NAF du SIREN de l’entité titulaire du contrat ; l’adresse de facturation ; l’adresse de consommation ; la civilité, le nom, le prénom et l’adresse électronique d’au plus trois interlocuteurs pertinents pour la communication des offres commerciales ; le numéro de point de livraison ; le gestionnaire de réseau de distribution auquel se rattache le point de livraison ; la formule tarifaire d’acheminement souscrite ; la puissance souscrite en kVA ; l’historique des relevés des index de consommation par cadran, à compter du 1er juillet 2018 ; la dénomination commerciale de l’option tarifaire souscrite ; le type de compteur.

87 Délibération n° 2021-329 précitée.

88 Cotes 2245-2246 VC et 3859-3860 VNC (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, paragraphe 40), cotes 2442- 2443 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 10), cote 2472 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 13), cotes 2583 et 2588 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 22).

89 Délibération n° 2021-84  de la CRE précitée, pages 1  et 2 :  « Selon  l’identification  menée par EDF, 1,4 million de sites bénéficiant du TRVE au début de l’année 2020 ne respectaient pas les critères leur permettant de les conserver après la date du 1er janvier 2021. Parmi ces clients, le bilan sur l’ensemble de l’année 2020 a permis d’identifier, au 1er janvier 2021 :

- 108 000 sites pour lesquels les consommateurs ont demandé une mise hors service au cours de l’année 2020 ;

- 127 000 sites pour lesquels les consommateurs ont attesté sur l’honneur de leur éligibilité au TRVE ;

- 509 000 sites qui ont été basculés automatiquement au 1er janvier 2021 dans l’offre d’EDF prévue au VI de l’article 64 de la LEC (offre dite « de bascule ») ;

- 657 000 sites pour lesquels les consommateurs ont souscrit librement une offre de marché chez un fournisseur (alternatif ou historique), soit au cours de l’année 2020, soit au 1er janvier 2021 ».

90 Délibération n° 2021-84 de la CRE précitée, page 4.

91https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/entreprise/electricite-et-gaz/electricite/contrat-sortie-tarif/2020-10-26_-_fiche_descriptive_cst_entreprises.pdf.

92 Cotes 3881-3884 (courrier de la CRE en date du 25 novembre 2021).

93 Cotes 3636-3637 (courriels de la DGEC en date des 16 et 17 novembre 2021).

94 Délibération précitée, page 7.

95 Procès-verbal de l’ANODE, question 3 : « S’agissant des listes, nous les achetons auprès de prestataires, ce sont des listes qui ne sont pas simples à établir, qui peuvent être enrichies par d’autres intermédiaires et que l’on utilise. […] Les données auxquelles nous avons accès sont des données géographiques, le secteur d’activité, adresse et le numéro de téléphone. La liste d’EDF est censée être qualitative en termes de données car elle cible des clients qui sont attentifs au changement d’offre. Ces clients devaient quitter le TRV, avec des données techniques qui sont difficiles à obtenir. Il n’y a pas le volume de consommation dans les listes obtenues auprès de tiers car les données techniques de consommation et de puissance sont difficiles à obtenir, ENEDIS fixe des conditions strictes d’accès. Nous ne pouvons pas avoir accès aux données des clients qui ne sont pas nos clients sauf si nous avons obtenu une autorisation spéciale » (cote 943). Procès-verbal d’ENI, question 12 : « Quand j’achète une fiche de prospect, il y a son nom, son numéro de téléphone et sa fonction. Je ne peux pas enrichir les fiches avec les données ENEDIS. Grâce à la base EDF, je savais déjà la consommation du site, j’étais sûr qu’il y avait un site » (cotes 1020 VC et 1814 VNC) et question 15 : « Elles ne sont pas réplicables, pour obtenir les données de consommation il faut l’accord du client, ENEDIS est drastique sur la question. L’intérêt de la base de données d’EDF est notamment d’avoir des informations ni disponibles ni accessibles autrement. Par exemple, le nom rattaché à un numéro de compteur et un code NAF » (cote 1020).

96 Voir cotes 943 (procès-verbal de l’ANODE, question 3), 984 (procès-verbal de TotalEnergies, question 2),

1017, 1019 et 1020 (procès-verbal d’ENI, questions 2 et 11).

97 Cotes 1863-1864 VC et 3011-3012 VNC (observations d’EDF  en  date  du  25  octobre  2021,  paragraphes 54-56).

98 Document « Séance de l’ADLC du 2/12/2021, intervention d’EDF », page 9.

99 Le « switch » est le mouvement librement choisi d’un client d’un fournisseur à un autre. Le taux de switch est le ratio du nombre de changements de fournisseurs ajouté aux mises en service des fournisseurs alternatifs dans la zone desservant le client sur le nombre total des clients éligibles dans chaque segment de clientèle.

100 Cote 3561 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 129).

101 Cote 3562 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphes 132-134).

102 Cote 3563 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 142).

103 Cote 3564 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 148).

104 Cotes 1881-1882 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 135).

105 Cote 1882 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphes 136-137).

106 Décision n° 17-D-06 du 21 mars 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de gaz naturel, d’électricité et de services énergétiques, paragraphes 126 et 127.

107 CA Paris, 21 mai 2015, Solaire Direct, page 16.

108 Cote 19 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 106).

109 Cote 19 (saisine au fond de l’ANODE, paragraphe 108).

110 Cote 948 (procès-verbal d’audition de l’ANODE, question 13).

111 Cote 3564 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 149).

112 Cote 3565 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 154).

113 Cote 3562 (observations de l’ANODE en date du 7 novembre 2021, paragraphe 138).

114 Cote 1882 (observations d’EDF en date du 25 octobre 2021, paragraphe 139).

115 Voir CA Paris, 21 mai 2015, précité, page 13.

116 Ibid, page 12.

117 Décision n° 17-D-06 précitée, paragraphe 134.

118 Cotes 2245-2246 VC et 3859-3860 VNC (réponses d’EDF  au  questionnaire  n° 1,  paragraphe  40),  cotes 2442-2443 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 10), cote 2472 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 13), cotes 2583 et 2588 (réponses d’EDF au questionnaire n° 1, annexe 22).