CA Montpellier, 2e ch., 26 octobre 2010, n° 10/06202
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
M. Chassery, M. Prouzat
Avoués :
SCP Salvignol-Guilhem, SCP Argelliès-Watremet, SCP Capdevila-Vedel-Salles
Avocats :
Me Albisson, Me Denel
FAITS ET PROCEDURE :
Le tribunal de grande instance de Montpellier, par jugement du 29 mai 2009, a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la SELURL Pharmacie X sur la déclaration de cessation de paiements de sa gérante, X, et a désigné maître Y en qualité d'administrateur judiciaire et maître Luc M. comme mandataire judiciaire.
Par jugement du 13 octobre 2009, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation pour une durée de six mois à compter du 29 mai 2009 et par jugement du 8 décembre 2009, a ordonné une nouvelle prolongation de la période d'observation de six mois supplémentaires à compter du 29 novembre 2009.
Sur la requête du procureur de la République, le tribunal, par jugement du 18 mai 2010, a prescrit une prorogation exceptionnelle de la période d'observation pour une durée de six mois à compter du 29 mai 2010 (expirant le 29 novembre 2010) et a renvoyé l'affaire à l'audience du 22 juin 2010 pour que soient examinées les offres de reprise (sic).
Par jugement du 13 juillet 2010, le tribunal a notamment :
- arrêté le plan de cession de la société Pharmacie X,
- ordonné la cession de la société à monsieur A, madame A, monsieur B, madame C et la SARL Pharmacie D, avec faculté de substitution au profit d'une SEARL à constituer, suivant les modalités et conditions générales telles qu'explicitées dans l'offre ou précisées à l'audience, ainsi qu'il suit :
* Prix de cession : 1 800 000 € hors frais et droits (soit 1 780 000 € pour les éléments incorporels et 20 000 € pour les éléments corporels).
* Eléments incorporels : reprise de la totalité des actifs incorporels, libres de tout gage, nantissement, sûreté ou clause de réserve de propriété, soit la clientèle, le droit au bail des locaux situés [...], le nom commercial, les autorisations d'exploitation, les licences éventuelles, les logiciels, les fichiers clients et fournisseurs, la totalité des droits nés ou à naître trouvant leur origine dans des éventuelles soumissions à des offres de prix et qui n'ont pas encore, au jour de la cession, fait l'objet de commande ou accord du client.
* Eléments corporels : reprise de la totalité des matériels, mobiliers, installations techniques, agencements, matériels informatiques dont un état sera annexé à l'acte de cession.
* Stock : il sera évalué à la prise de possession dans le cadre d'un inventaire physique contradictoire. Sa valorisation sera effectuée selon les directives de la charte ANIP utilisées dans ce domaine.
* Confirmation des contrats : poursuite du bail commercial conclu le 15 septembre 1989 entre la SCI des Boutiques de Trifontaine et la SNC E aux droits de laquelle est venue la SELURL Pharmacie X, poursuite du contrat de location du matériel informatique et logiciel d'exploitation, des contrats EDF et Service des eaux, des contrats téléphone et Internet.
- dit que les contrats seront exécutés aux conditions en vigueur au jour de l'ouverture de la procédure,
- dit que monsieur A, madame A, monsieur B, madame C et la société Pharmacie D reprendront six contrats de travail, leur transfert se faisant dans les conditions définies par l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail,
- dit qu'il sera procédé au licenciement économique d'un salarié occupant un poste de pharmacien,
- invité l'administrateur à procéder à ce licenciement économique dans le délai d'un mois,
- donné acte au cessionnaire de ce que dans le cadre de cette reprise, il n'entend pas supporter des rémunérations différées, en particulier les droits aux congés payés, 13ème mois, primes et accessoires de salaires, crédits d'heures,
- dit que le cessionnaire restera tenu à l'exécution du plan sous réserve de l'obtention des autorisations et agréments requis par l'ordre des pharmaciens et les autorités administratives,
- dit que le cessionnaire prendra possession de l'activité cédée avec le transfert des éléments énoncés ci avant, dès qu'il sera pourvu des autorisations requises et que le prix de cession sera payé comptant au jour de la signature définitive de l'acte de cession,
- autorisé, dans l'attente de la prise de possession, la poursuite d'activité,
- maintenu maître Y en qualité d'administrateur judiciaire pour passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession et jusqu'au terme de la procédure,
- désigné maître W, mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur,
- ordonné la liquidation judiciaire de la société Pharmacie X.
La SELURL Pharmacie X et madame X ont, par déclaration reçue le 2 août 2010 au greffe, relevé appel de ce jugement et, en l'état de l'autorisation donnée par le premier président, ont fait assigner à jour fixe pour l'audience du 21 septembre 2010, par acte délivré les 18, 20 et 23 août 2010, remis au greffe le 31 août 2010, les organes de la procédure, les auteurs de l'offre de reprise, le représentant des salariés et le représentant de l'ordre des pharmaciens, ainsi que le procureur général près la cour d'appel de Montpellier.
La société Pharmacie X, prise en la personne de sa gérante, madame X, demande à la cour, en l'état de ses dernières conclusions, de :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 13 juillet 2010,
- évoquer et fixer un délai de présentation des offres de cession, sous réserve de présentation d'un plan de continuation,
- renvoyer l'examen du dossier à une audience ultérieure.
Elle fait essentiellement valoir que :
- la date de dépôt des offres de reprise (27 mai 2010) n'a pas été fixée dans le dispositif du jugement du 18 mai 2010, mais dans ses motifs,
- la mention du jugement au registre du commerce et des sociétés, effectuée le 21 mai 2010, ne fait pas apparaître cette date et le délai de six jours entre la parution de cette mention et la date de dépôt des offres est manifestement insuffisant pour permettre à d'éventuels candidats à la reprise de présenter leurs offres,
- l'offre, unique, validée par le tribunal est inférieure au prix du marché et à la valeur comptable du fonds et ne permet pas le maintien de l'emploi de madame X,
- une meilleure publicité aurait permis soit une présentation d'offres de cession concurrentes à des prix proches de ceux du marché, soit un apport à la SELURL, par le biais d'une augmentation du capital à laquelle pourrait souscrire un pharmacien à hauteur de 500 000 ou 600 000 €, de nature à permettre la mise en place d'un plan de continuation réaliste et viable.
Maître Y ès qualités conclut à la confirmation du jugement ayant arrêté le plan de cession de la société Pharmacie X ; il expose en substance qu'à aucun moment, madame X n'a été en mesure de présenter un plan de continuation par apurement échelonné du passif, alors que les résultats d'exploitation de l'officine ont été déficitaires au cours de la période d'observation, que la date limite de dépôt des offres de cession, qu'il lui incombait de fixer, a été débattue lors de l'audience du 27 avril 2010, lorsque le tribunal a été amené à statuer sur la prorogation exceptionnelle de la période d'observation, qu'une publicité nationale de proposition de cession a été faite dès le 28 avril 2010, laissant ainsi un mois aux candidats acquéreurs pour présenter leurs offres, et que l'offre, finalement retenue par le tribunal, permet d'assurer la pérennité de l'entreprise, le maintien de la quasi-totalité des emplois et un apurement significatif des créances.
Maître W ès qualités demande également à la cour de confirmer le jugement, en soulignant que le passif déclaré s'élève à 2 645 496,57 euros, dont 786 662,02 euros de créances échues, et que les éléments comptables, fournies par l'administrateur, révèlent une dégradation régulière de la situation de la pharmacie, dont le chiffre d'affaires est en baisse de 10%.
[Les époux A], B, C et la SARL F (Pharmacie D) concluent eux aussi à la confirmation du jugement, faisant valoir que le prix de l'offre de cession proposé est conforme au prix du marché.
Également intimés, G, en sa qualité de représentant des salariés, et H, représentant de l'ordre de pharmaciens, n'ont pas constitué avoués, bien qu'assignés à domicile.
Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier a été cité à la personne de l'un de ses avocats généraux.
Le dossier de la procédure lui a ensuite été régulièrement communiqué.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il résulte de l'article L. 631-13 du code de commerce que dès l'ouverture de la procédure, les tiers sont admis à soumettre à l'administrateur des offres tendant au maintien de l'activité de l'entreprise, par une cession totale ou partielle de celle-ci ; selon l'article L. 631-22, qui concerne le redressement judiciaire, le tribunal peut, à la demande de l'administrateur, ordonner la cession totale ou partielle de l'entreprise si le débiteur est dans l'impossibilité d'en assurer lui-même le redressement, les dispositions de la section I du chapitre II du titre IV, à l'exception du I de l'article L. 642-2, et l'article L. 642-22, étant alors applicables.
Il incombe à l'administrateur de procéder à tous les actes nécessaires à la préparation de la cession, dès lors que le tribunal estime que celle-ci est envisageable.
En l'espèce, la prorogation exceptionnelle de la période d'observation, accordée par le tribunal dans son jugement du 18 mai 2010, l'a clairement été dans la perspective de l'organisation de la cession de l'entreprise ; dans son rapport du 26 avril 2010 , le mandataire judiciaire, maître W, relevait, en effet, que la poursuite de l'activité de la société Pharmacie X avait généré un nouveau passif de 13 184,58 euros, que la capacité d'autofinancement dégagée au cours de l'exercice 2010 par la société était insuffisante, au regard du montant du passif déclaré de 2 645 496,57 euros, pour envisager la présentation d'un plan de redressement par voie de continuation et qu'ainsi, la recherche active d'un cessionnaire s'avérait nécessaire.
Si, dans les motifs de son jugement, le tribunal a fixé la date limite de dépôt des offres au 27 mai 2010, alors d'ailleurs qu'il ne lui appartenait pas de le faire, et que cette date limite de dépôt des offres a été mentionnée seulement le 21 mai 2010 au registre du commerce et des sociétés, il n'en demeure pas moins qu'après l'audience du 27 avril 2010, maître Y, en sa qualité d'administrateur, a pris l'initiative de faire paraître, le 28 avril 2010, sur le site Internet de l'association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires (ASPAJ), qui publie habituellement la liste des annonces de reprise d'entreprises, une annonce concernant précisément la société Pharmacie X assortie de divers renseignements utiles au candidat à la reprise (descriptif de l'offre, situation du fonds, chiffre d'affaires, effectif) et de l'indication de la date du 27 mai 2010 comme date butoir pour la présentation des offres ; cette parution a ainsi été faite un mois avant la date limite de dépôt des offres, que le tribunal n'a fait que reprendre dans son jugement du 18 mai 2010.
Certes, une seule offre de reprise a finalement été présentée en conformité des dispositions de l'article L. 642-2, en l'occurrence celle des époux A, de monsieur B, de madame C et de la société E, mais, au cours de la période d'observation, maître Y n'en a pas moins été destinataire d'une lettre d'intention de la part d'un autre candidat à la reprise (I), proposant d'acquérir l'officine au prix de 1 950 000,00 euros.
Il ne peut dès lors être soutenu que les conditions de la reprise, particulièrement la date limite de dépôt des offres, n'ont pas été portées suffisamment tôt à la connaissance du public intéressé, afin de permettre la présentation de plusieurs offres concurrentes.
Malgré une période d'observation d'un an, qui s'est écoulée du 29 mai 2009 au 28 mai 2010, la société Pharmacie X n'a pas été en mesure de présenter un plan de redressement ; il ressort à cet égard de l'état des créances, que le montant du passif admis de la société Pharmacie X totalise une somme de 2 645 496,57 euros, dont 784 488,25 euros de créances échues, et des documents comptables, que l'exploitation de la société a généré un résultat net négatif de 120 677,00 euros en 2009, pour un chiffre d'affaires de 2 009 096,00 euros HT, et un résultat net négatif de 11 609,00 euros pour la période du 1er janvier au 31 mars 2010, avec un chiffre d'affaires de 478 711,00 euros HT au cours de ce premier trimestre 2010 ; si la société Pharmacie X communique un compte de résultat prévisionnel pour 2010, établi par la société d'expertise comptable U. & associés, faisant état d'un résultat d'exploitation positif de 53 329,00 euros, force est cependant de constater qu'avec un tel résultat, la société n'est pas en mesure de proposer la mise en oeuvre d'un plan d'apurement sur 10 ans du passif échu, s'élevant à plus de 780 000,00 euros, d'autant qu'un tel plan se trouve subordonné à un rééchelonnement de la créance de la Banque COURTOIS de 1 888 045,08 euros, dont 1 689 568,83 euros à échoir, jusqu'alors refusé par la banque malgré l'intervention de l'administrateur ; quant au projet de recapitalisation de la société, découlant d'une prise de participation par un autre pharmacien, il ne repose sur aucun élément concret, ainsi que l'a relevé à juste titre le premier juge.
Le prix de l'offre de cession, soit 1 800 000,00 euros, représente environ 84,50% du chiffre d'affaires TTC réalisé en 2009 (2 130 000,00 €) par la société Pharmacie X ; or, selon les éléments fournis, tirés du portail WK-Pharma, dédié aux professionnels de la pharmacie, le prix moyen de vente des officines de pharmacies, France entière, s'établit en 2009 à 88% du chiffre d'affaires annuel TTC et, pour le Languedoc-Roussillon, à 96% de ce chiffre d'affaires.
Pour autant, les documents comptables, produits aux débats, établissent que le chiffre d'affaires HT de l'officine exploitée par la société Pharmacie X, bien que celle-ci se trouve implantée dans un centre commercial, a stagné de 2008 à 2009 (2 081 067,00 - 2 009 096,00 €), que l'entreprise dispose d'une capacité d'autofinancement limitée, puisque l'année 2009 fait apparaître une insuffisance d'excédent brut d'exploitation pour un EBE de seulement 74 039,00 euros en 2008, et que le chiffre d'affaires réalisé de janvier à mai 2010 n'a été que 777 300,00 euros HT, soit rapporté à l'année, un chiffre d'affaires prévisionnel de 1 865 520,00 euros, en diminution d'environ 7 %, par rapport à l'exercice précédent ; le fait que le centre commercial Trifontaine a connu des travaux, d'avril à septembre 2010, liés à l'extension du magasin Carrefour, ne peut à lui seul expliquer le phénomène observé, d'érosion progressive du chiffre d'affaires.
L'offre de reprise, présentée par les époux A, monsieur B, madame C et la société E, prévoit également des investissements, nécessaires à la relance de l'activité, à hauteur de 300 000,00 euros notamment destinés à couvrir l'exécution de travaux et un besoin en fonds de roulement.
Dans ces conditions, le prix de l'offre de cession n'apparaît pas manifestement hors de proportion avec le prix du marché, surtout si l'on considère que la reprise porte sur une officine de pharmacie en perte d'activité et devant, en outre, faire face à la concurrence de la parapharmacie de l'hypermarché Carrefour.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a arrêté le plan de cession de la société Pharmacie X, qui permet d'assurer la pérennité de l'entreprise, le maintien de six contrats de travail et le règlement d'une partie significative du passif.
Succombant sur son appel, la société Pharmacie X doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 13 juillet 2010,
Condamne la société Pharmacie X aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.