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Décisions

ADLC, 6 octobre 2022, n° 22-D-16

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des verres optiques *

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Jérôme Schall, rapporteur et de M. Nicolas Lluch, rapporteur du service économique et l’intervention de Mme Gwenaëlle Nouët, rapporteure générale adjointe, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance, Mme Irène Luc, vice-présidente et M. Jean-Yves Mano, membres.

ADLC n° 22-D-16

5 octobre 2022

L’Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la décision n° 15-SO-07 du 16 juin 2015, enregistrée sous le numéro 15/0057 F, par laquelle l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques concernant la commercialisation des verres optiques ;

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 102 ; Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 420-2 ;

Vu la décision du 5 novembre 2021 par laquelle le président de l’Autorité de la concurrence par intérim a désigné M. Jean-Yves Mano, membre, pour compléter le quorum et examiner l’affaire enregistrée sous  le numéro  15/0057  F lors  de la commission permanente du      9 décembre 2021 ;

Vu les observations présentées par les sociétés Essilor International SAS, BBGR SAS, EssilorLuxottica SA et le commissaire du Gouvernement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré des sociétés Essilor International SAS, BBGR SAS et EssilorLuxottica SA du 16 décembre 2021 ;

Le  rapporteur,  la  rapporteure  générale  adjointe,  les  représentants  des   sociétés   Essilor International SAS, BBGR SAS et EssilorLuxottica SA et le commissaire du Gouvernement  entendus  lors   de   la   séance   de   l’Autorité   de   la   concurrence   du   9 décembre 2021, les représentants du ministère de la Solidarité et de la Santé ayant été régulièrement convoqués ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») sanctionne, sur le fondement des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420-2 du code de commerce, la société Essilor International SAS, en tant qu’auteure, et la société EssilorLuxottica SA, en tant que société mère, (ci-après, ensemble,

« Essilor »), pour avoir abusé de leur position dominante dans le secteur des verres optiques entre le 29 avril 2009 et le 23 décembre 2020.

Cette décision fait suite à des opérations de visite et saisie réalisées le 9 juillet 2014 dans les locaux de plusieurs entreprises actives dans ce secteur.

À la suite de l’exploitation des milliers de pièces recueillies à cette occasion, complétées par de nombreux questionnaires et auditions des principaux acteurs du secteur, deux griefs d’abus de position dominante ont été notifiés le 30 décembre 2020 par les services d’instruction.

Le premier grief reprochait aux sociétés Essilor International SAS, Essilor Luxottica SA et BBGR SAS (alors filiale d’Essilor International SAS) d’avoir mis en œuvre des pratiques commerciales discriminatoires visant à entraver le développement en France de la vente en ligne de verres correcteurs.

Le second grief, notifié aux sociétés BBGR SAS et Essilor International SAS, consistait en une pratique de diffusion d’un discours trompeur et fluctuant visant le même objectif que celui évoqué ci-dessus.

Après examen des éléments figurant au dossier, l’Autorité a considéré que la pratique visée par le second grief n’était pas établie, les différentes prises de position des entreprises mises en cause pouvant certes, parfois, refléter une présentation erronée de la vente en ligne des verres correcteurs mais n’étant pas de nature, eu égard à leur caractère isolé, fluctuant, et parfois non public, à influencer la structure du marché, comme requis par la jurisprudence.

S’agissant du premier grief, l’Autorité a estimé, tout d’abord, que la société BBGR SAS devait être mise hors de cause, en l’absence d’éléments suffisamment probants pour étayer sa participation aux pratiques qui lui étaient reprochées. Elle a, en revanche, considéré que ces pratiques étaient établies à l’égard d’Essilor.

L’Autorité a, tout d’abord, constaté qu’Essilor était en position dominante sur le marché français de la distribution en gros de verres correcteurs, compte tenu de l’importance et de la stabilité de sa part de marché, de la densité et de la fiabilité de son réseau de distribution, de sa présence à tous les niveaux de la chaîne de valeur du secteur ainsi que de l’absence de contre-pouvoir de la demande.

Elle a, par ailleurs, estimé qu’Essilor avait abusé de cette position dominante en mettant en œuvre une politique commerciale discriminatoire visant à entraver le développement en France des sites de vente en ligne, au premier rang desquels ceux proposant une offre mixte ou tout en ligne, tels Sensee, Happyview ou DirectOptic.

Cette politique discriminatoire s’est traduite d’une part, par des restrictions en matière de livraisons de verres de marque Essilor et de communication sur l’origine des verres et l’utilisation des marques et logos d’Essilor, d’autre part, par des limitations en termes de garanties affectant spécifiquement les achats en ligne. Essilor n’a, par ailleurs, apporté aucun élément permettant de considérer que ces restrictions étaient justifiées par les prétendues différences, notamment en termes de fiabilité des prises de mesures, existant entre les opticiens exerçant leur activité dans des magasins physiques et ceux exerçant leur activité en ligne. Enfin, l’Autorité a relevé qu’Essilor, tout en s’opposant en France à la vente en ligne de verres correcteurs, commercialisait parallèlement ce type de verres à l’étranger, tant sur ses propres sites que sur des sites tiers.

Ces pratiques présentent un caractère de gravité certain, dès lors, en particulier, qu’elles sont intervenues dans le secteur de la santé publique et, plus spécifiquement, dans un secteur caractérisé par des prix élevés et la volonté des pouvoirs publics d’encourager un mode de commercialisation propice à une baisse des prix. Elles ont, également, engendré un dommage à l’économie certain, dans la mesure, notamment, où, d’une part, l’accès aux produits d’Essilor et la communication sur ce point présentaient un enjeu crucial en termes de crédibilité pour le canal émergent de la vente en ligne, au regard de la notoriété inégalée de ces produits et où, d’autre part, elles ont pu favoriser le maintien de prix élevés et limiter le choix et l’information des consommateurs.

Le dommage présente toutefois un caractère modéré, en raison du fait qu’en l’absence même des pratiques incriminées, le canal de vente en ligne serait en toute hypothèse demeuré minoritaire sur la période considérée.

Pour l’ensemble de ces motifs, et en prenant également en considération la durée particulièrement longue de l’infraction – 11 ans et 7 mois – ainsi que l’appartenance à un groupe d’envergure mondiale, leader dans son domaine, l’Autorité a infligé les sanctions suivantes :

Entreprise Sanction (en euros)

Essilor International SAS : 81 067 400

EssilorLuxottica SA : 15 400 000 

I. Constatations

A. LA PROCEDURE

1. Sur autorisation du juge des libertés et de la détention (ci-après « JLD ») de Paris du 2 juillet 20143, prise sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, des opérations de visite et saisie ont été menées, le 9 juillet 2014, dans les locaux des sociétés Essilor International, BBGR, Novacel Ophtalmique, Hoya Lens France et Carl Zeiss Vision France4.

2. Par décision n° 15-SO-07 du 16 juin 20155, enregistrée sous le numéro 15/0057 F, l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité ») s’est saisie d’office de pratiques concernant la commercialisation dans le secteur des verres optiques.

3. Les sociétés Essilor International, BBGR, Novacel Ophtalmique, Hoya Lens France ont formé, sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, des recours à l’encontre des ordonnances du JLD et du déroulement des opérations de visite et saisie.

4. Par ordonnances du 27 mai 20166, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris (ci-après « le magistrat délégué ») a annulé la saisie de certaines pièces informatiques couvertes par le secret des correspondances avocat-client et d’autres pièces relevant de la vie privée saisies dans les locaux des sociétés Essilor International et BBGR7. Il a, en revanche, débouté chacune des requérantes de leurs autres demandes.

5. Par deux arrêts du 8 novembre 20178, la Cour de cassation a rejeté les pourvois introduits par Essilor International et BBGR.

6. Une notification de griefs en date du 23 décembre 2020 a été adressée, le 30 décembre 2020, pour des pratiques prohibées au titre des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et L. 420-2 du code de commerce, aux sociétés BBGR SAS, Essilor International SAS et EssilorLuxottica SA.

7. Un rapport a été adressé à ces sociétés le 27 juillet 2021.

8. L’affaire a été examinée lors d’une séance de l’Autorité, tenue le 9 décembre 2021.

B. LE SECTEUR CONCERNE

9. Le secteur concerné par la présente procédure est celui de l’optique-lunetterie, qui regroupe plusieurs catégories de produits, tels que les verres correcteurs, leurs montures,  les  lunettes solaires et les lentilles de contact. En 2019, son chiffre d’affaires s’élevait à 7 milliards d’euros environ9, les verres correcteurs, les montures de lunettes de vue, les lunettes solaires, les lentilles de contact et les produits d’entretien représentant respectivement, en valeur, 61 %, 26 %, 7 %, 5 % et 1 %10 (voir ci-dessous).

- LA NATURE DES PRODUITS EN CAUSE

10. Les produits d’optique-lunetterie peuvent être regroupés en deux catégories :

- les articles assimilés par le code de la santé publique à des dispositifs médicaux, au sens de la directive n° 93/42/CEE du 14 juin 199311 – tels que les verres correcteurs, les montures et les verres de contact12 ;

- les articles qui ne constituent pas des dispositifs médicaux – tels que les lunettes solaires, les lunettes pour le sport et les produits d’entretien des lentilles.

11. La présente procédure concerne uniquement la première catégorie.

a) Les différents types de verres correcteurs

12. Les verres correcteurs permettent de corriger les déficiences visuelles généralement diagnostiquées par un professionnel de santé spécialisé – les optométristes et les ophtalmologistes13 – telles que l’astigmatisme, l’hypermétropie, la myopie et la presbytie14.

13. Au sein de la catégorie des verres correcteurs, on distingue les verres unifocaux, qui ont la même correction optique sur toute la surface du verre et ne corrigent donc la vision que sur une plage de vision donnée15, et les verres multifocaux qui apportent au moins deux corrections de vision différentes. En Europe, plus de 90 % des verres multifocaux commercialisés sont des verres progressifs16.

b) La fabrication des verres correcteurs

14. Les verres sont fabriqués suivant deux procédés distincts17, selon que le produit fini est un verre dit « de stock » ou un verre dit « Rx » ou « de prescription ».

15. Les verres finis « de stock » sont directement moulés en usine avec une puissance optique finale leur permettant d’être vendus en l’état par les opticiens. Ils corrigent les défauts visuels les plus courants.

16. Les verres finis dits « Rx » ou « de prescription » sont issus d’une transformation en deux temps. Dans un premier temps, la matière première est moulée en usine et laissée à l’état de produit semi-fini appelé « substrat ophtalmique ». Dans un second temps, sur commande des opticiens ou des optométristes, ce substrat est travaillé dans un laboratoire de prescription afin d’être transformé en verre fini unifocal ou multifocal. La confection de ces verres nécessite, préalablement au montage des verres sur les montures, la transmission d’informations relatives au porteur, qui varient selon le caractère individualisé ou non du verre.

17. La plupart des verres de prescription, qu’ils soient unifocaux ou progressifs, sont des verres standard qui n’intègrent pas de paramètres d’individualisation. Sur ce point, la société Carl Zeiss a précisé qu’« un verre de lunette est conçu pour un porteur moyen, avec une monture moyenne »18.

18. Les données nécessaires à la confection des verres de prescription sont, le cas échéant :

- s’agissant des verres unifocaux : la mesure de l’écart pupillaire, qui correspond à la distance entre les centres respectifs des deux pupilles19 ;

- s’agissant des verres progressifs : l’écart pupillaire et la hauteur pupillaire, qui désignent la distance entre le centre de la pupille et le bas du verre20.

19. Toutefois, ainsi que le précisait notamment le site de vente de produits d’optique en ligne Eye Buy Direct, « si le choix de monture est atypique (une très grande distance verre œil) ou si le porteur a un port de tête inhabituel (tête très penchée), le porteur aura intérêt à opter pour un verre individualisé »21. Les principaux fabricants de verres proposent ainsi, pour leurs gammes les plus « premium », des verres individualisés intégrant certains paramètres supplémentaires22.

2.  LE CADRE JURIDIQUE

20. Le cadre légal et réglementaire applicable au secteur d’activité en cause a évolué à trois reprises depuis le début de l’année 2000.

a) Les dispositions en vigueur jusqu’au 22 juin 2000

21. Aux termes des articles L. 505 et L. 508 du code de la santé publique, abrogés par l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 publiée le 22 juin 2000, seuls les établissements

– ou les rayons spécialisés – dirigés ou gérés par une personne remplissant les conditions de diplôme requises pour l’exercice de la profession d’opticien pouvaient exercer l’activité d’optique-lunetterie. Le « colportage » – qui désigne en particulier le démarchage – des verres correcteurs d’amétropie23 était par ailleurs interdit.

b) Les  dispositions  applicables  du  22  juin  2000  à  l’entrée  en  vigueur,  le  19 mars 2014, de la loi Hamon du 17 mars 2014

22. À compter du 22 juin 2000, les opticiens-lunetiers ont été autorisés, à titre dérogatoire, en application de l’article L. 4211-4 du code de la santé publique, à vendre les produits destinés à l’entretien des lentilles oculaires de contact24. Les autres dispositions visées au paragraphe 21 ci-avant, désormais codifiées aux articles L. 4211-1 et L. 4362-9 du code de la santé publique, sont demeurées inchangées.

c) Les dispositions en vigueur depuis l’entrée en vigueur de la loi Hamon

23. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », tout en continuant à réserver la délivrance de verres correcteurs d’amétropie et de lentilles de contact oculaire correctrices aux personnes autorisées à exercer la profession d’opticien-lunetier (article L. 4362-9 du code de la santé publique), a supprimé l’interdiction de colportage. Elle a, par ailleurs, introduit l’obligation d’indiquer la valeur de l’écart pupillaire25 sur les prescriptions médicales de verres correcteurs, afin notamment de faciliter les ventes sur Internet (article L. 4134-1 du code de la santé publique). Elle a, enfin, supprimé la réserve relative au caractère dérogatoire de l’activité de vente des produits destinés à l’entretien des lentilles de contact26.

3. L’ORGANISATION ET L’EVOLUTION DU SECTEUR

a) L’organisation du secteur

24. S’agissant de la distribution des lunettes d’optique, les détenteurs de marques confient généralement la distribution de leurs produits aux fabricants bénéficiant de la licence d’exploitation. Les fabricants, quant à eux, s’appuient le plus souvent sur des distributeurs indépendants pour la distribution de leurs produits propres ou sous licence27.

25. Certains distributeurs de lunettes choisissent d’opérer en tant que franchise ou succursale d’une enseigne d’optique ou encore d’adhérer à un groupement coopératif. D’autres, enfin, sont indépendants et s’approvisionnent via une centrale commune d’achat ou de référencement28.

26. Pour l’essentiel, les lunettes solaires et optiques sont distribuées via des boutiques physiques. Les ventes en ligne se sont toutefois développées depuis le début des années 2000, les opticiens ayant mis en place des possibilités d’achat en ligne permettant de s’assurer de la bonne adaptation des lunettes de vue aux clients, soit uniquement en ligne, soit via l’intervention physique d’un opticien29.

27. Trois modèles de commercialisation recourant à la vente en ligne coexistent.

28. Le premier est le modèle « tout numérique », dit « pure player ». Il repose sur une offre entièrement en ligne, sans lien avec des réseaux de vente physiques. Les sites concernés proposent généralement des modalités d’essayage virtuel, en ayant recours à des photos ou à de la réalité augmentée30 et/ou un essayage à domicile gratuit des montures31. L’offre en ligne fait généralement l’objet d’une  garantie  « satisfait ou remboursé » d’une durée de  30 jours pour tous les verres, soit un délai significativement supérieur au délai légal de rétractation de 14 jours. La garantie initiale est parfois complétée par une garantie adaptation de 100 jours pour les verres progressifs32. Ce modèle a, par exemple, été adopté par Sensee, qui procédait elle-même au réglage des montures grâce à la mesure de l’écart pupillaire réalisée directement en ligne, étant précisé que, pour les verres progressifs, Sensee envoyait d’abord la monture au client, afin que les mesures soient effectuées avec la monture portée33.

29. Le deuxième est un modèle mixte. Dans celui-ci, certains opérateurs choisissent de compléter leur offre intégralement en ligne par une offre dite « cross-canal » [multicanal], c’est-à-dire alliant le canal Internet et les points de vente physiques. Les sites concernés se sont ainsi dotés d’un ou de plusieurs lieux de démonstration dits « showrooms », permettant au client – sans l’y contraindre – soit d’essayer les lunettes en magasin et de se les faire livrer chez lui, soit de choisir sa monture et ses verres en ligne et de les récupérer en magasin (procédé dit « click & collect » [collecte en magasin])34. Ce modèle a notamment été adopté par les sites Happyview, DirectOptic ou ConfortVisuel, qui ont ouvert des magasins et/ou noué des partenariats avec des opticiens physiques, sans abandonner pour autant leur offre entièrement en ligne.

30. Le dernier est une déclinaison du précédent. La minorité d’opérateurs qui ont opté pour lui ne proposent pas d’offre entièrement en ligne complétée par quelques points de vente physiques mais uniquement une offre mixte, où différentes étapes de la vente s’effectuent selon une modalité prédéfinie (en ligne ou en boutiques). Pour ce type d’offres, l’achat d’une partie de l’équipement s’effectue sur Internet (verres ou montures) et la finalisation de la vente (notamment l’ajustage et la prise de mesures) est réalisée chez des opticiens partenaires ou des boutiques / « showrooms » détenues en propre. Cette déclinaison du modèle de vente « cross-canal » a notamment été adoptée par les acteurs Easyverres et Evioo.

31. En pratique, quel que soit le canal de distribution choisi, les consommateurs ont la possibilité de recourir aux services des opticiens traditionnels35. Ce point est notamment mis en évidence dans une interview du 15 décembre 2013 du président d’Optic 2000, très critique vis-à-vis des assouplissements envisagés par la loi Hamon et de la concurrence selon lui déloyale des sites de vente en ligne, où celui-ci souligne, pour le déplorer, qu’en cas d’achat en ligne et de problèmes ultérieurs d’ajustement, les opticiens traditionnels procédaient gratuitement aux réglages nécessaires36.

32. En France, la vente en ligne de produits d’optique, et en particulier de lunettes de vue, est véritablement apparue à la fin des années 2000 et au début des années 2010, notamment avec le lancement ou l’arrivée des sites Happyview, Direct Optic, Opticien24, Mister Spex et Sensee37.

33. Selon certaines sources, les ventes en ligne de lunettes solaires et optiques représenteraient 4 % du marché français en valeur en 202038.

b) L’évolution du secteur

34. Le marché de l’optique-lunetterie a connu un récent mouvement de fusions-acquisitions, d’abord, en 201839, entre Essilor – alors numéro un mondial de la fabrication et de la vente de verres de lunettes – et Luxottica – leader mondial de la fabrication de montures de lunettes – puis, entre la nouvelle entité issue de ce rapprochement, EssilorLuxottica, et GrandVision40 – leader européen et numéro deux mondial de la distribution au détail de produits d’optique-lunetterie, cette opération ayant été finalisée le 1er juillet 2021.

35. Ce mouvement de concentration a également concerné certains sites de vente en ligne. Ainsi, Alain Afflelou a acquis en 2016 le site Happyview, précurseur en France du commerce de lunettes en ligne41. De même, la société Acuitis – qui avait déjà acquis en 2018 les boutiques françaises de l’enseigne néerlandaise Hans Anders, ainsi que les magasins et le site Internet de l’enseigne française Direct Optique – a racheté, en 2020, Sensee42 et lentillesmoinschères.com, pour former un des principaux groupes de e-commerce en France s’agissant des produits d’optique43.

36. Par ailleurs, les grandes maisons de luxe se sont récemment lancées dans la production de montures, alors qu’elles déléguaient auparavant cette activité à des sous-traitants. Dès 2015, Kering – le numéro deux mondial du luxe, qui détient notamment les marques Gucci et Yves Saint Laurent – a créé Kering Eyewear, une filiale dédiée à la fabrication de lunettes44.

En 2017, LVMH a, pour sa part, créé, avec le fabricant italien Marcolin, l’entreprise commune Thélios, qui produit aujourd’hui les montures des marques Dior, Céline, Loewe, Fred, Kenzo et Berluti. Dans le même temps, certaines maisons de luxe, dont les marques du groupe LVMH, ont mis fin aux contrats de licence qui les liaient à des fabricants indépendants.

37. S’agissant du degré de concurrence et du niveau des prix sur ce marché, la Cour des comptes avait relevé dans son rapport de 2013 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale :

« De fait, sur les marchés français de l’optique et de l’audioprothèse, les critères de détermination des prix sont opaques, la comparaison des prix est très malaisée et la concurrence entre les principaux producteurs apparaît limitée : ce manque de transparence peut faire craindre que le patient français ne “surpaye” ces équipements. En tout état de cause, pour l’optique, le “ panier” français est plus de deux fois supérieur à la moyenne des quatre grands pays voisins »45.

38. Selon la Cour des comptes, « le niveau des prix s’explique dans une large mesure par celui des marges des intervenants de la filière »46 et il serait, partant, nécessaire de « rendre le marché plus transparent et concurrentiel en développant de nouveaux modes d’acquisition des produits, notamment par Internet »47. À cet égard, la Cour estimait qu’une progression de la part de la distribution par Internet jusqu’à 10 % pourrait entraîner une baisse des prix de 8 % à 30 %.

39. Les travaux parlementaires relatifs à la loi Hamon précitée attestent également que le prix des  lunettes  était  un  sujet  de  préoccupation  pour  les  pouvoirs  publics48.  Ainsi,  selon

M. Benoît Hamon, alors ministre délégué à l’économie sociale et solidaire et à la consommation, 3 millions de Français renonçaient à l’achat de lunettes en raison de leur prix trop élevé49.

40. En mai 2019, l’étude Xerfi relative à la fabrication de lunettes, verres et lentilles a conclu que l’essor de la vente en ligne – qui est soumise à des coûts de structure moindres que la vente en boutiques physiques et dont la stratégie est souvent axée sur les prix50 – a accentué la pression sur les prix à l’aval, et est apparu susceptible d’entraîner une baisse des prix et des marges à l’amont, au détriment des fabricants de verres51.

C. L’ENTITE CONCERNEE

41. Essilor est le leader mondial de la fabrication de verres correcteurs et l’inventeur des verres progressifs.

1. LES RAPPROCHEMENTS SUCCESSIFS MARQUANT L’HISTOIRE D’ESSILOR

42. Essilor est issue de la fusion d’ESSEL et SILOR52, réalisée en 1972. Au cours des dernières décennies, elle s’est imposée comme le leader mondial de la conception, de la fabrication et de la distribution des verres correcteurs53.

43. Comme relevé ci-avant (voir paragraphe 34), Essilor et Luxottica ont fusionné pour former EssilorLuxottica, qui regroupe désormais plusieurs grandes marques du secteur de l’optique-lunetterie, tant dans le segment des verres correcteurs que dans celui des montures de lunettes54.

44. Le groupe italien Luxottica est le premier fournisseur mondial et européen de lunettes55. Luxottica détient, fabrique et commercialise elle-même des marques à forte notoriété, telles que Ray-Ban (depuis 1999), Persol (depuis 1995) et Oakley (depuis 2007). Elle dispose également d’un portefeuille important de marques de luxe, comme Chanel, sous contrat de licence. Au cours des dix dernières années, ce portefeuille s’est notamment enrichi des marques Armani, Michael Kors et Valentino, mais a perdu par ailleurs des marques telles que Stella McCartney, Anne Klein et Salvatore Ferragamo.

45. Le 1er octobre 2018, la société Essilor International SA – ancienne holding du groupe Essilor

– est devenue la société EssilorLuxottica SA – nouvelle holding détenant 100 % des sociétés Essilor International SAS – dans laquelle toutes les filiales anciennement détenues par Essilor International SA ont été transférées – et Luxottica Group SpA56.

46. En 2018, EssilorLuxottica a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 16 milliards d’euros au niveau mondial et de plus de 4 milliards en Europe57. Sa capitalisation boursière s’élevait à environ 50 milliards. Elle employait près de 150 000 salariés58, et son réseau de distribution était composé de 8 000 points de vente dans plus de 150 pays59.

47. En 2021, EssilorLuxottica a pris le contrôle de GrandVision60, qui exploite plus de 7 000 magasins dans environ 40 pays61. Elle est présente en France par l’intermédiaire de sa filiale, la société GrandVision France SAS, filiale à 100 % de la société GrandVision SA, qui compte depuis 2011 les divisions Générale d’Optique et GrandOptical. En 2019, GrandVision disposait de 808 points de vente en France62.

48. Sauf mention expresse contraire, la société Essilor International SAS sera dénommée Essilor dans la présente décision.

2.  LES ACTIVITES D’ESSILOR

49. Essilor est présente au niveau tant de la production que de la commercialisation en gros et au détail des verres correcteurs.

50. En 2017, 80 % à 90 % du chiffre d’affaires d’Essilor réalisé dans l’Espace économique européen (ci-après « EEE ») était constitué par les revenus générés par la vente de verres correcteurs et d’instruments d’optique63.

51. S’agissant des verres correcteurs, Essilor commercialise directement64 les produits des marques Essilor, Varilux, Crizal, Transitions, Eyezen et Xperio65. Elle vend, par ailleurs, indirectement les produits de la marque BBGR, par l’intermédiaire de BBGR SAS, ainsi que ceux des marques Nikon, Novacel, Mont-Royal et Shamir, par l’intermédiaire d’autres filiales.

52. Si Essilor vend la majorité de ses produits à des distributeurs, elle procède également directement à la vente au détail en ligne d’une partie de ceux-ci, via des sites qui lui appartiennent66.

a) La production de verres correcteurs

53. Essilor fournit des verres correcteurs de stock et de prescription à ses revendeurs.

La production de verres correcteurs de stock et de prescription

54. Les verres correcteurs de stock sont produits en série dans des usines de fabrication principalement situées en Asie. Ces verres sont vendus dans l’EEE sous les différentes marques du groupe Essilor, ainsi que sous des marques de distributeurs ou sous marque blanche67. Plus de 90 % de la production de verres unifocaux finis de stock destinés à la vente dans l’EEE est réalisée en dehors de celui-ci68.

55. Dans l’EEE, Essilor s’appuie sur un grand nombre de laboratoires pour produire ses verres correcteurs finis de prescription.

Les différents verres correcteurs produits par Essilor

56. Conformément à la description effectuée aux paragraphes 12 à 18 ci-avant, les différents verres fabriqués par Essilor peuvent être distingués selon qu’ils sont unifocaux ou progressifs.

57. Pour chacune de ces catégories, les verres peuvent en outre être distingués en fonction de leur degré d’individualisation, le type de correction commandant, selon Essilor, les mesures qui doivent être prises et la précision avec laquelle celles-ci doivent être effectuées, compte tenu de la tolérance aux écarts de mesures :

-les verres « standards » n’intègrent pas de paramètres d’individualisation particuliers ;

-les verres « fit » impliquent la prise en compte de la distance verre-œil, de l’angle pantoscopique69, de l’angle de galbe70 et de la hauteur de montage71 ;

-les verres « personnalisés » intègrent la prise en compte du comportement tête-œil, du système verre-œil et de la distance de lecture et correspondent au segment le plus haut de gamme des verres Essilor72.

58. Ces distinctions se retrouvent au sein d’une même gamme de verres. Par exemple, les verres

« Varilux », premiers verres progressifs mis sur le marché pour corriger les problèmes de presbytie en 1959, incluent aussi bien des verres sans paramètres de personnalisation – tels que les Varilux Comfort, destinés aux nouveaux presbytes, que des verres intégrant des paramètres dits de « fit » – à l’instar des Varilux Physio73 – ou encore des verres personnalisés haut de gamme – à l’instar des verres Ipseo.

59. De même, les verres de marque Essilor incluent par exemple aussi bien des verres progressifs

« standard » – tels les verres Amatsi et Prélude – que « fit », tels les verres Amatsi Xtra Fit74, ou encore des verres unifocaux incluant des paramètres d’individualisation, qu’ils soient de

« fit » ou personnalisés, tels que les verres Essilor Advans Fit.

60. Par ailleurs, Essilor identifie une distinction entre des verres « simples » et des verres « complexes » :

-les verres « complexes » incluent les verres qui exigent un protocole de prises de mesures nécessitant a minima les mesures de l’écart et de la hauteur pupillaire. Ils comprennent  les  verres  progressifs    l’exclusion  des  verres  dits  « tolérants » ou « easy-to-fit »75) et les verres personnalisés, que ceux-ci soient progressifs ou unifocaux ;

-les verres « simples » incluent les verres progressifs comportant un design « tolérant », et les verres unifocaux non personnalisés.

61. La figure ci-dessous présente les différentes catégories de verres correcteurs fournies par Essilor, telles que définies par les différents éléments versés au dossier.

Catégories de verres fournis par Essilor76

Catégorie des verres « complexes » telle que définie par Essilor

b) La distribution de verres correcteurs

La distribution des verres correcteurs en France

62. Essilor n’est pas directement présente sur le marché de la vente au détail de verres correcteurs et de lunettes via des points de vente physiques en France.

63. Depuis 2019, en raison de son acquisition de la société Brille24 GmbH, Essilor est désormais active dans la vente en ligne de produits optiques en France via le site Opticien24.com.

La distribution des verres correcteurs en dehors du territoire français

64. En dehors du territoire français, Essilor s’est progressivement tournée vers la vente en ligne, en adoptant des méthodes de vente similaires à celles des sites accessibles en France, s’agissant, notamment, de la mesure de l’écart pupillaire.

Le développement de la vente en ligne

65. Dès la fin des années 2000, Essilor, qui se consacrait précédemment à la fabrication et à la vente en gros des verres, est entrée sur le marché de détail de la vente en ligne.

66. Sur ce point, le 19 février 2015, à l’occasion de la présentation des résultats du groupe, le président-directeur général d’Essilor International a déclaré :

« Pendant cent soixante ans, nous nous sommes concentrés sur le marché des verres correcteurs, nous abordons désormais celui du solaire et la vente en ligne directement au consommateur »77.

67. Essilor a d’abord acquis les sites de vente en ligne américains FramesDirect, en 2009 et EyeBuyDirect, en 201178. En 2014, elle a pris le contrôle de Coastal – dont le chiffre d’affaires s’élevait alors à 143 millions d’euros et qui comptait 5 millions de clients au Canada, aux États-Unis et dans les pays nordiques – et du site Clearly au Canada79. D’autres acquisitions lui ont permis de s’implanter en Australie, au Brésil, en Chine, au Japon et en Nouvelle-Zélande80. Ainsi, en 2014, Essilor s’est imposée comme le leader mondial de la vente en ligne de produits d’optique81.

68. Essilor a, par la suite, poursuivi sa stratégie de développement sur le marché de la vente en ligne, ainsi qu’en atteste le document de référence 2015 du groupe, qui énonce : « le groupe développe également des solutions de vente en ligne de produits d’optique (lentilles de contact, lunettes de prescription, lunettes de soleil) afin de servir un canal de distribution qui se développe rapidement dans le monde […] Le segment des ventes en ligne représente un marché d’une valeur de 4 milliards d’euros par an environ et le Groupe a pour ambition de réaliser, d’ici à 2018, un chiffre d’affaires compris entre 400 et 500 millions d’euros sur ce segment »82.

69. L’objectif ainsi fixé a été atteint puisque, en 2018, le groupe Essilor a réalisé un chiffre d’affaires de 482 millions d’euros sur ce marché, en croissance de 15 % par rapport à l’année précédente, essentiellement en Europe et en Amérique du Nord83.

70. Essilor a parallèlement poursuivi ses rapprochements avec des opérateurs actifs sur le marché de la vente en ligne. En 2016, elle a ainsi acquis les groupes anglais MyOptiqueGroup – qui comptait un million de clients en ligne en Europe – et VisionDirect84. Enfin, en 2019 (voir paragraphe 63) elle a pris le contrôle de la société Brille24 GmbH, un des principaux acteurs de la vente en ligne de produits optiques en Allemagne85, qui exploite, en France, le site Opticien24.com.

Les modalités de vente en ligne proposées par les sites d’Essilor et par les sites tiers

71. En premier lieu, il ressort du dossier que les sites de vente en ligne appartenant à Essilor vendent à la fois des verres unifocaux et progressifs.

72. À titre d’illustration, le site FramesDirect, positionné sur les produits « premium », commercialisait a minima jusqu’en 2015 des lunettes munies de verres progressifs de marque Essilor Ideal et Essilor Ideal Advanced86, comme en atteste notamment la capture d’écran de ce site en février 2014 figurant ci-dessous :

Source : capture d’écran du site de FramesDirect, accessible à l’adresse suivante : https://web.archive.org/web/20140201114844/http://www.framesdirect.com/landing/a/progressive- lenses.html

73. En deuxième lieu, plusieurs captures d’écran versées au dossier attestent que les sites d’Essilor communiquaient sur le fait que les verres simples et progressifs qu’ils vendaient étaient fabriqués par Essilor. Ils mentionnaient, par ailleurs, leurs marques respectives.

74. S’agissant de la mention d’Essilor, le site FramesDirect soulignait : « Tous les verres sont fabriqués par le groupe Essilor » (traduction libre)87, qu’il présentait comme « un leader mondial des équipements optiques correcteurs […] à l’avant-garde s’agissant de la fourniture de verres fabriqués grâce à des technologies innovantes et un artisanat d’exception » (traduction libre)88.

75. De même, le site EyeBuyDirect – qui affichait le logo Essilor – se disait « fier d’appartenir au groupe Essilor, leader mondial des verres correctifs », et déclarait se joindre « aux efforts quotidiens fournis par Essilor pour offrir une vision saine à tous »89.

76. Le site suédois Lensway, qui cible principalement les pays nordiques, soulignait également :

« Votre vision est importante – C’est pourquoi toutes nos lunettes proviennent d’Essilor, le leader mondial des lunettes » (traduction libre)90.

77. Ce site indiquait, en outre, vendre des verres « de qualité du leader mondial ESSILOR »91 et travailler « en collaboration avec [son] propriétaire Essilor (par le biais de la Fondation Essilor Vision) » pour « améliorer la vision de millions de personnes » (traduction libre)92.

78. Les sites Coastal et Clearly mettaient, quant à eux, en avant les verres progressifs de marque Essilor dotés du traitement BlueReflect93.

79. Enfin, le site GlassesDirect (actif au Royaume-Uni) annonçait : « Tous nos verres sont fabriqués par Essilor » (traduction libre)94, et rappelait qu’il avait été racheté en 2016 par Essilor, dont il vantait le « rôle moteur dans le secteur »95.

80. S’agissant de la mention des marques des verres commercialisés, en mai 2013, le site britannique EyeWearGlasses proposait explicitement des verres Varilux Comfort et Physio96 et communiquait sur l’opportunité d’acheter des verres Varilux à des prix nettement plus avantageux que chez les opticiens physiques : « Pourquoi compromettre votre expérience visuelle quand vous pouvez bénéficier de verres Essilor Varilux authentiques à un prix bien plus adapté à votre budget que chez n’importe quel opticien »97 (traduction libre).

81. De même, le site britannique FashionEyeWear mettait en avant les verres Essilor, ainsi qu’il ressort de la capture d’écran98 ci-dessous :

82. Ce site énumérait, par ailleurs, les différentes marques et gammes de verres Varilux, Crizal et Eyezen, et consacrait une pleine page aux verres Varilux X Series, présentés comme « [son] meilleur verre progressif universel » (traduction libre)99. Il précisait en outre être un distributeur autorisé se fournissant directement auprès des fabricants100.

83. Le site américain Go-Optics proposait une large sélection de gammes de verres progressifs de marques Essilor et Varilux (incluant les marques Xperio, Transitions, Crizal), et affichait les logos tant d’Essilor que de ses marques et gammes101, comme en attestent les captures d’écran ci-dessous :

84. Le site indiquait à cet égard être un distributeur autorisé pour les verres Essilor et Varilux et n’offrir que des verres neufs et authentiques102.

85. Le site américain LensesRx consacrait, pour sa part, une pleine page aux verres Varilux Comfort, décrits comme « les verres progressifs premium les plus populaires au monde » (traduction libre)103.

86. En troisième lieu, les modalités de prise de mesures sur les sites d’Essilor étaient similaires à celles généralement utilisées par les sites de vente en ligne établis en France.

87. Ces sites – qui utilisaient, pour le montage des verres progressifs, les informations figurant sur l’ordonnance104 – mettaient ainsi à la disposition des internautes des guides permettant de comprendre la prescription effectuée par l’ophtalmologiste105 et recouraient à des systèmes d’essayage et de prise de mesures à distance – tels que l’envoi de photos ou l’utilisation d’une webcam – comparables à ceux de la plupart des sites établis en France.

88. À titre d’illustration, afin de mesurer l’écart pupillaire, le site FramesDirect demandait l’envoi d’une photo dans laquelle le porteur tient un CD comme repère106, ainsi qu’il ressort de la capture d’écran ci-dessous du 2 octobre 2020 :

89. Le site GlassesDirect soulignait qu’en dehors des « très fortes corrections », la mesure de l’écart pupillaire n’était pas nécessaire et que l’utilisation d’une valeur standard était suffisante107. Il permettait néanmoins de mesurer l’écart pupillaire, grâce à un procédé analogue à celui de FramesDirect108.

90. Enfin, les sites Coastal et Clearly demandaient au consommateur de prendre lui-même ses mesures en utilisant une règle et un miroir, selon le processus suivant109 :

3.  LA NOTORIETE D’ESSILOR

a) La notoriété d’Essilor et de ses marques

La notoriété d’Essilor

91. Dans un compte-rendu d’une réunion entre les représentants d’Essilor et de Sensee, diffusé au sein d’Essilor par un courriel du 23 novembre 2012, il est indiqué :

« Sensee a indiqué que la vente de verres de marque Essilor serait incontournable pour les raisons suivantes :

• prescription des verres Essilor par les ophtalmologistes ;

• demande des consommateurs ;

• effet d’entrainement sur les autres verriers du marché, qui refuserait jusqu’à présent un référencement de leurs produits en raison de pressions de la part des opticiens traditionnels »110 (soulignements ajoutés).

92. De fait, Essilor jouit d’une notoriété et d’une image de marque sans équivalent en France, que ce soit auprès des professionnels ou des consommateurs finals. Dans son document de référence 2018, elle se targuait d’ailleurs de proposer des marques d’équipements visuels « parmi les plus appréciées et les plus reconnues dans le monde entier »111.

93. S’agissant des professionnels, certains ophtalmologistes prescrivent spécifiquement les marques d’Essilor, ainsi qu’en attestent, outre le document cité au paragraphe 91 ci-avant, deux courriels du 27 novembre 2011 et du 27 mars 2013 adressés par des consommateurs potentiels à Sensee112, un document interne à Zeiss, concurrent d’Essilor, de janvier 2012113 et le procès-verbal d’audition du 16 septembre 2013 des représentants de la société Club Optic Libre, une centrale d’achat114.

94. Essilor bénéficie également, de longue date, d’un prestige et d’une réputation de qualité auprès des opticiens, ses clients traditionnels115, auprès desquels elle cherche d’ailleurs à accroître sa notoriété dès leur formation. Un ancien membre de son comité exécutif a ainsi indiqué, dans un article paru le 31 mars 2016 dans le magazine Challenges :

« Nous leur fournissons gratuitement du matériel de mesures, afin que le réflexe Essilor s’imprègne très tôt dans les cerveaux »116.

95. S’agissant des consommateurs finals, il ressort du dossier qu’Essilor est, de loin, le fabricant de verres le plus connu du grand public en France117. Ainsi que l’a souligné, le 19 avril 2013, le président de la société Luxview, qui exploite le site Happyview :

« Les consommateurs français ne connaissent que la marque Essilor. Il n’y a pas un client qui ne demande pas la marque des verres. […] Si demain je peux mettre la marque Essilor, je multiplierai le chiffre d’affaires par 6 ou 7 »118.

96. Par ailleurs, trois procès-verbaux d’audition d’opticiens des 19 avril 2013 et 16 juillet 2013 attestent que les consommateurs considèrent qu’Essilor est une référence s’agissant de la qualité et la sécurité des produits119. En particulier, le gérant de la société Larry Opticiens a déclaré, le 16 juillet 2013 :

« on est obligé de travailler avec Essilor parce que les clients ont parfois d’être (sic) tranquille (sic) seulement avec cette marque »120.

97. Dans le même sens, le président de la société Thomas Sinclair Laboratoire, fondateur du site ConfortVisuel, a déclaré le 21 juillet 2020 :

« Le fait de voir le logo Essilor permet de rassurer le client, c’est de notoriété publique. Le logo Essilor a véritablement un impact sur la confiance tissée entre l’internaute et le vendeur »121.

98. Enfin, il ressort de plusieurs courriels adressés à Sensee122 que certains consommateurs souhaitent spécifiquement se procurer des verres Essilor. Comme l’a souligné, notamment, lors de son audition le 18 septembre 2013, le directeur général de la société Luz, une centrale de référencement et de paiement, cette caractéristique est propre à Essilor :

« C’est le seul verrier un peu connu du grand public. Il est français, au CAC 40. Effectivement, c’est le seul verrier qui peut être demandé par les consommateurs. On n’a jamais eu de remontée de demande d’un verre Zeiss ou autre »123.

99. Par ailleurs, Essilor relève elle-même, dans un document interne du 1er septembre 2013 :

« Les verriers concurrents jouissent d’une faible notoriété B2C [auprès des consommateurs] »124.

La notoriété des marques d’Essilor

100. La renommée du groupe Essilor repose également sur la notoriété de ses marques phares de verres correcteurs et de traitement, à savoir notamment Essilor, Varilux, Crizal, Eyezen et Xperio125. Ces marques forment, d’après Essilor elle-même, un « portefeuille inégalé de marques propriétaires »126.

101. S’agissant de la marque Essilor, les verres unifocaux et progressifs commercialisés sous cette marque bénéficient directement de la notoriété et de l’image de marque attachées au nom Essilor.

102. S’agissant de la marque Varilux, cette dernière est, de loin, la marque de verres progressifs la plus réputée, comme mentionné d’ailleurs dans les conditions générales d’utilisation des marques Essilor :

« [La marque VARILUX] jouit depuis toujours d’une notoriété grand public et d’une image de qualité sans égal (sic) sur le marché des verres progressifs »127.

103. S’agissant des autres marques d’Essilor, elles bénéficient également d’une renommée importante. Ainsi, un document interne à Essilor souligne que les marques Crizal, Transitions et Bolon128 comptent, au même titre que Varilux, parmi les marques « les plus reconnues dans l’optique »129. Par ailleurs, le livret produits et services d’Essilor présente Crizal comme « la marque de référence en termes de qualité de traitement »130.

104. En outre, Essilor s’assure d’associer ses marques au nom Essilor, afin de les faire bénéficier de sa notoriété et de son image. Les conditions générales d’utilisation des marques Essilor en vigueur entre 2010 et 2016 imposaient, par exemple, aux clients d’Essilor, d’associer systématiquement la marque Varilux au nom Essilor :

« L’utilisation de ces marques ESSILOR s’accompagnera obligatoirement du signe ® et précisera systématiquement en toutes lettres que ces marques sont propriété d’Essilor »131.

b) La stratégie de communication d’Essilor

105. La politique globale de communication commerciale d’Essilor est centrée sur l’image de marque de ses produits phares et consiste, notamment, à communiquer sur l’efficacité, la qualité et l’innovation de ses verres correcteurs.

106. Essilor accompagne ainsi le lancement de nouveaux produits, qui intervient chaque année ou presque132, de campagnes promotionnelles de grande ampleur à destination des professionnels de l’optique comme des consommateurs finals133, ainsi qu’en atteste, notamment un article publié sur le site Acuité en janvier 2011 :

« [L]es téléspectateurs français verront sur leurs écrans un spot inédit vantant les atouts du traitement Crizal. Cette nouvelle campagne s’inscrit dans la politique de marque d’Essilor, “seul verrier à faire de la publicité grand public” rappelle Frédérique Laville-Leroy, directrice marketing. “Grâce à cette stratégie de communication, Varilux et Essilor ont un taux de notoriété de 70 %. Cela donne de la valeur au produit et constitue une vraie aide à la vente pour les opticiens”, précise-t-elle »134 (soulignement ajouté).

107. Essilor communique notamment par voie de presse, radio, télévision, affichage public, publicités sur le lieu de vente ou prospectus135. Dès le début des années 2000, elle a également développé une stratégie de communication numérique afin de renforcer sa notoriété et de réorienter les clients vers ses opticiens partenaires136.

108. Par ailleurs, à la différence de ses concurrents, Essilor a cherché à orienter sa stratégie de communication vers les consommateurs, et  non  vers  ses  partenaires  commerciaux137.  En 2015, à l’occasion de la présentation des résultats de 2014, le président-directeur général d’Essilor International a dressé le bilan de cette stratégie en ces termes :

« Nous avons […] montré que nous étions très capables et satisfaits d’avoir des résultats presque immédiats en accélérant notre publicité auprès des consommateurs sur nos grandes marques »138.

D. LES PRATIQUES CONSTATEES

109. Alors que, comme indiqué supra, Essilor participait activement à l’essor de la vente en ligne de produits d’optique dans le reste du monde, elle a, dès 2008, exprimé de fortes craintes concernant l’essor de ce canal de distribution en France (1). Essilor a, ainsi, déployé une stratégie de communication interne et externe en vue de restreindre le développement de la vente en ligne de verres correcteurs en France (2). Les craintes d’Essilor se sont également traduites par l’imposition de restrictions à la commercialisation de ses produits aux opérateurs de vente en ligne (3).

1. LES RISQUES COMMERCIAUX ASSOCIES PAR ESSILOR A L’EMERGENCE DE LA VENTE EN LIGNE

110. Dès le 25 novembre 2008, il ressort d’un courrier interne qu’Essilor était consciente de l’émergence à venir de la vente en ligne de verres correcteurs en France et s’interrogeait sur les risques commerciaux associés et la stratégie à adopter en réponse139.

111. Quatre documents internes postérieurs attestent des vives préoccupations d’Essilor, dont le modèle économique repose sur la commercialisation de produits de marques notoires positionnées sur un segment « premium », quant au risque d’accroissement de la concurrence intra-marque et d’une baisse générale des prix des verres correcteurs.

112. Le  premier  document  est   un   courriel   de   la   directrice   marketing   d’Essilor   du   23 novembre 2011, qui recommande, dans le cadre d’un échange de courriels ayant pour objet « Réponse Sensee », de recourir à « un plan d’action plus ambitieux […] si nous voulons réduire l’impact médiatique et commercial de la vente sur Internet »140.

113. Le deuxième document est une présentation d’octobre 2012 dressant un panorama de la vente en ligne en Europe, qui anticipait un essor de la vente en ligne de lunettes de vue en France, compte tenu de « l’absence d’entrave réglementaire, des prix extrêmement élevés sur le marché traditionnel, et de la crise de la consommation »141 (traduction libre). Ce document soulignait que les sites de vente en ligne actifs en France proposaient des prix en moyenne très inférieurs aux prix moyens pratiqués par les opticiens traditionnels, que ce soit pour les verres unifocaux (désignés par le sigle « SV » pour « Single Vision ») ou progressifs (désignés par le sigle « PAL » pour « Progressive Addition Lenses »), d’entrée de gamme ou « premium »142, ainsi qu’en atteste un graphique y figurant, reproduit ci-dessous :

114. Le troisième document est une présentation du 25 novembre 2013 – intitulée « Réflexion autour de la stratégie digitale Essilor France » – qui identifiait les sites de vente en ligne comme un « danger potentiel », pour les motifs suivants : « Parti-pris différent d’Essilor : le prix, la remise, le look »143.

115. Le quatrième est une étude d’avril 2014, réalisée par le cabinet de conseil Transformation ‘n Performance, à la demande d’Essilor, qui relevait que, en France :

« il y a une haute probabilité que les offres « low costs » se développent et affectent le marché »144 (traduction libre).

116. Par ailleurs, Essilor était consciente que le développement de ses activités de vente en ligne en dehors du territoire français pouvait affecter sa position sur ce dernier.

117. Un document interne de 2009 intitulé « Projet Clair » identifie ainsi les risques suivants, s’agissant de l’acquisition du site américain FramesDirect :

« Risques

• Boycott des centrales >> Hoya Zeiss

• Ophtalmos : trahison !

• Analystes : marges !

• Concurrence avec les sites marchands de nos clients / Notoriété ! »145.

118. Ce type de risques a également été évoqué le 23 mai 2013 par le président-directeur général de Sensee, en réponse à un questionnaire des services d’instruction :

« Les principales raisons du refus [d’Essilor de vendre ses produits à Sensee] sont : 

• La peur du déréférencement par les opticiens physiques

• La crainte de voir les prix baisser au détriment de la marge des opticiens physiques dans un premier temps, puis celle des fabricants »146.

2. LA COMMUNICATION INTERNE ET EXTERNE D’ESSILOR SUR LA VENTE EN LIGNE DE VERRES CORRECTEURS EN FRANCE

119. Essilor a communiqué, aussi bien en interne qu’à destination du public, en vue d’entraver la vente en ligne de verres optiques en France. Cette communication a porté tant sur une supposée interdiction de la vente en ligne de verres correcteurs en France que sur le caractère inadapté de ce circuit de distribution pour les verres correcteurs en général, et certains verres en particulier.

a) La communication d’Essilor sur le cadre juridique applicable à la vente en ligne en France

120. Dans le courriel précité du 25 novembre 2008 (voir paragraphe 110), le président Europe d’Essilor International a adressé à la directrice marketing d’Essilor et au directeur en charge de la production et du développement de nouveaux produits de BBGR, des propositions d’éléments de langage destinés au président-directeur général d’Essilor International concernant l’impact sur le marché français de l’acquisition d’un site américain de vente en ligne de lunettes, reproduites ci-dessous :

« La vente de lunettes sur internet est pour l’instant interdite en France (monopole de l’opticien). Cette situation ne va probablement pas durer éternellement (injonction de la commission européenne) mais pour l’instant nous devons nous plier à la loi et que (sic) notre site ne soit pas accessible sur le marché français. Nous prendrions un risque majeur d’image voire légaux (sic) (certains syndicats d’opticiens pourrait nous attaquer) à contourner la loi. […] Une fois le contexte légal clarifié, internet représente une opportunité sur la marché français »147.

121. Une présentation interne, également précitée, intitulée « Projet Clair », préconisait, s’agissant de la communication sur la vente en ligne :

« réponse laconique = […] interdit en France »148.

122. Dès le 3 février 2009, Essilor a constitué un groupe de travail interne pour conduire « une réflexion sur le rôle d’internet dans l’optique et le positionnement à adopter pour le groupe en France »149. Dans un courriel interne du 29 avril 2009 concernant ce groupe, le directeur des missions d’Essilor a, à ce titre, souligné :

« A ce stade, le e-commerce optique est interdit en France. Il est donc clé de bloquer tout accès à une offre FD [FramesDirect] (accès à l’offre et transcaction [sic]) depuis la France (adresse IP, carte de crédit française, adresse de livraison) […]

la recommandation d’Essilor France est de ne pas proposer Varilux dans un modèle de ecommerce dont Essilor est acteur »150.

123. Ce groupe de travail a abouti à la préparation, fin avril 2009151, d’un « Communiqué de crise », accompagné de l’élément de langage suivant, en réponse à la question « ESSILOR va-t-il se lancer dans la vente en ligne en France ? » :

« Cette question ne se pose pas car la vente d’équipement optique en ligne est interdite en France ».

124. La directrice des affaires juridiques et du développement d’Essilor International, sur le fondement de notes internes élaborées en avril et juin 2009, indiquait, dans un courriel du 12 juin 2009 adressé au président-directeur général d’Essilor International : « voici une de plusieurs notes d’une de mes collaboratrices […] Nos études confirment la possibilité de pratiquer les ventes en ligne dans le respect d’un certain cadre réglementaire (qui est le même que pour des ventes “ en dure”) (sic) »152.

125. En outre, une note interne de la direction juridique d’Essilor du 8 décembre 2011 énonçait :

« A- ENCADREMENT DES CONDITIONS DE REVENTE DES PRODUITS ESSILOR

Il ne nous semble pas possible d’interdire la revente des verres Essilor sur internet en l’état actuel de la législation et de la jurisprudence.

En revanche, le positionnement haut de gamme et la nature des produits Essilor nous semblent justifier un certain niveau d’exigence vis-à-vis de ses clients revendeurs. […]

2 Respect des produits et de l’image de marque d’Essilor […]

Respect des spécificités techniques des produits Essilor

Pour ses verres les plus complexes, Essilor requiert des prises de mesures spécifiques et communique les modalités de centrage des verres.

Compte tenu de la technicité des verres Essilor, et afin d’assurer la satisfaction des porteurs, il nous semblerait justifié qu’Essilor clarifie ses exigences en terme de prise de mesure, en écartant les méthodes qui sont objectivement peu fiables (ex. : photo avec double décimètre devant le nez)153.

Ces exigences devront être mises en œuvre au regard de la réglementation à intervenir, toute restriction complémentaire et Essilor devra être en mesure de justifier objectivement et concrètement toute restriction complémentaire.

De telles exigences devraient alors être appliquées de manière uniforme, tant par les opticiens traditionnels que par les opticiens vendant à distance ou par internet »154 (soulignement ajouté).

126. Enfin, une présentation interne d’octobre 2012 dressant un panorama de la vente en ligne en Europe anticipait un essor de la vente en ligne de lunettes de vue en France, compte tenu de

« l’absence d’entrave réglementaire, des prix extrêmement élevés sur le marché traditionnel, et de la crise de la consommation »155 (traduction libre, soulignement ajouté).

b) Les prises de position publiques d’Essilor sur le caractère inapproprié de la vente en ligne de verres correcteurs

127. Essilor a publiquement critiqué, à plusieurs reprises, alternativement la vente en ligne des verres « complexes » et celle de tous les types de verres.

Les déclarations visant spécifiquement les verres « complexes »

128. Dans un premier temps, dans un entretien publié par le journal La Tribune le 4 avril 2011, le président-directeur général d’Essilor International a déclaré :

« Nous pensons que l’offre Internet est mieux adaptée à des verres simples qu’à des verres complexes comme les verres progressifs pour lesquels des prises de mesures supplémentaires par l’opticien sont nécessaires »156.

129. La notion de verres « complexes » semble comprendre, dans cette déclaration, l’ensemble des verres progressifs alors que, dans le cadre des négociations commerciales confidentielles conduites avec Sensee, Essilor a proposé la fourniture de « verres progressifs non complexes » (voir infra paragraphe 207).

130. Dans un deuxième temps, entre 2013 et 2014, Essilor a élaboré en interne un plan de communication spécifiquement dirigé contre les « pure players » et, en particulier, le site Sensee.

131. Par exemple, le document interne « Etudes des scenarii & éléments de réponse », qui identifie plusieurs scenarios possibles, contient une synthèse des déclarations et éléments de réponse complémentaires à diffuser sur les questions de la vente en ligne et des rapports avec Sensee157.

132. Dans le contexte du troisième scenario identifié dans ce document, dans lequel « Essilor détient les résultats d’une étude menée par [se]s soins dans des délais courts et est disposé à les partager avec [sic] médias », la prise de parole préconisée est la suivante :

« Une étude commandée par Essilor révèle que xx % des équipements progressifs vendus en lignes sont moins bien adaptés que les équivalents délivrées [sic] par un  opticien  physique »158.

133. Parmi les éléments de réponse complémentaires, il est précisé :

« Un pourcentage [des équipements vendus en ligne qui seraient moins bien adaptés que les équivalents délivrés par un opticien physique] qui diminue pour les verres unifocaux et les solaires => Essilor ne s’oppose donc pas à la vente en ligne mais bien à la vente des progressifs, qui n’atteignent leur niveau de performance qu’avec des mesures précises et personnalisées Un argument d’ailleurs que certains sites ont déjà intégré puisqu’ils refusent la vente de verres progressifs en ligne afin de ne pas offrir un service de qualité insuffisante »159.

134. Le 29 août 2013, lors de la présentation des résultats du premier semestre 2013 aux analystes, le président-directeur général d’Essilor International a déclaré :

« L’Internet est très bien pour des solutions simples, des yeux médicalement sans problème et lorsque cela est organisé de manière saine. En revanche, cela constitue une véritable catastrophe lorsque cela est sauvagement pris par des cow-boys qui ne regardent pas l’intérêt du consommateur. Cela existe partout dans le monde. Lorsqu’on touche aux verres progressifs, aux fortes myopies, astigmatismes et que cela se combine, seuls l’ophtalmologiste ou l’optométriste, combiné à un opticien professionnel pourra vous conseiller. Vous ne trouverez pas cela sur Internet. Par contre, si vous trouvez une monture à votre goût et que vous êtes myope de moins 1,5, vous pouvez aisément vous rendre sur Internet »160 (soulignement ajouté).

135. Au cours de la même présentation, il a affirmé que le groupe Essilor ne vendait sur ses sites de vente en ligne aux États-Unis ni verres de marques, ni verres progressifs sophistiqués, alors même que ces derniers étaient vendus sur les sites FramesDirect et EasyDirect (voir les paragraphes 72 et suivants ci-avant) :

« […] il y a quelques années, nous avons intégré les distributions Internet aux États-Unis. Nous avons réitéré ce processus récemment avec FramesDirect.com et EyeBuyDirect.com, sur lesquels vous ne trouverez pas nos marques, ni même des verres progressifs sophistiqués. En revanche, cela satisfait tout à fait un certain nombre de consommateurs ayant envie d’acheter une monture à trois heures du matin ou un dimanche après-midi et de dépenser 50 dollars pour des verres simples ».

136. Dans un courrier du 20 décembre 2013 adressé par la Direction commerciale verres France à l’attention de ses clients, Essilor a, de nouveau, exprimé une position fondée sur l’opposition « verres simples/verres complexes » :

« […] si la vente en ligne peut, pour des besoins simples, répondre à de nouveaux modes de consommation, les verres ophtalmiques demeurent des produits de santé. C’est pourquoi, nous sommes vigilants à ce que nos verres complexes, et en particulier les verres Varilux, soient commercialisés par des professionnels qualifiés capables de réaliser une prestation qui repose notamment sur une analyse fine des besoins visuels du porteur, un ajustage systématique de la monture et des prises de mesures précises. I1 en va de la performance de nos verres, de la satisfaction et de la sécurité des porteurs »161.

137. Tous les verres de marque Varilux, indépendamment de leur degré de personnalisation, étaient ainsi assimilés à des verres « complexes ».

138. La campagne de communication d’Essilor s’est poursuivie en 2014. Ainsi, un document interne intitulé « Questions/Thématiques clés », élaboré en 2014 à l’attention du président « Europe » du groupe Essilor, reprend les messages clés à diffuser, à savoir qu’« Internet c’est très bien pour les verres simples »162 mais, qu’en revanche :

« Pour les verres et défauts visuels complexes, ayant pour origine myopie, hypermétropie, astigmatisme ou presbytie qui se combinent, avec des problèmes de convergence, d’écart de vision œil droit/œil gauche, par exemple, seul un professionnel de la vue peut adapter l’équipement aux besoins spécifiques du porteur »163.

139. La notion de verres « complexes », déjà utilisée par Essilor, y est ainsi précisée, et paraît ne plus englober tous les verres progressifs, mais uniquement ceux prenant en compte des facteurs de complexité supplémentaires tels que des problèmes de convergence ou d’écart de vision entre les deux yeux.

140. Ce document relève également qu’en décembre 2013 :

« une prise de parole a été opérée […] (déclaration acuité.fr et courrier à nos clients et partenaires) puis lors de rencontres clients pour préciser la position d’Essilor France sur la vente en ligne […] Le long temps de décantation et d’imprégnation du secteur et la relation historique d’Essilor France avec ses clients, demande à ce que cette démarche de sensibilisation se poursuive dans les prochains semaines/mois »164.

141. Essilor a ainsi manifesté son intention de prolonger sa campagne de communication à l’encontre de la vente en ligne.

142. Dans un troisième temps, interrogé par le quotidien Le Figaro à l’occasion de l’acquisition du site américain Coastal par le groupe Essilor, le président-directeur général d’Essilor International a affirmé, dans un article du 28 février 2014, que les verres Varilux, en tant que verres progressifs, « ne se prêtent pas à la vente en ligne »165.

143. Un document interne à BBGR de février 2014, saisi lors des perquisitions, atteste que le message qu’Essilor visait à diffuser oralement auprès de ses « clients et [de] la force de vente » était le suivant : « le canal en ligne est approprié pour les produits « simples » (par opposition aux produits « complexes » par exemple nécessitant des prises de mesures personnalisées) »166.

144. Enfin, dans un quatrième temps, lors de la « réunion analystes » du 19 février 2015 visant à présenter les résultats de l’année 2014, le directeur général adjoint d’Essilor International a déclaré :

« […] nous trouvons pour le moment que les technologies ne sont pas tout à fait là pour accomplir des choses très bien dans le domaine des verres progressifs. Certains se vendent en ligne et nous estimons que ce n’est pas tout à fait là où ça devrait être. Nous nous concentrons sur les verres pour les myopes pour le moment et nous évaluerons ce qu’il en sera à moyen terme […]

C’est la raison pour laquelle vous ne visualisez pas la marque Varilux sur aucun de nos sites Internet. Nous considérons que la technologie n’est pas là et que ce produit est pour les opticiens, les optométristes. Eux seuls sont capables de garantir aux consommateurs, grâce à leurs services et à leurs compétences, qu’un verre progressif sera bien prescrit et bien monté. […]

[O]n ne trouve pas sur internet nos grandes marques de verres progressifs. La personnalisation est dédiée exclusivement à l’ensemble des réseaux traditionnels d’opticiens et d’optométristes »167 (soulignements ajoutés).

145. Dans son rapport annuel 2015-2016, publié le 12 mai 2016, Essilor a maintenu cette position en affirmant :

« la vente en ligne est un canal bien adapté à la vente des lentilles de contact, des équipements solaires, des lunettes de lecture et des verres de prescription simples »168 (soulignement ajouté).

Les déclarations visant indistinctement tous les types de verres

146. Dans un premier temps, à la suite de rumeurs révélées par un article du quotidien Les Echos sur un partenariat confidentiel avec Sensee169, Essilor a publié un communiqué de presse, le 22 novembre 2011, énonçant :

« [Essilor France estime] que la santé visuelle des français ne peut être assurée qu’au travers d’une filière intégrant les professionnels de l’optique que sont les ophtalmologistes et les opticiens.

[...]

[En effet,] un équipement optique de qualité nécessite de la part de ces professionnels un conseil personnalisé qui tient compte des besoins visuels précis des porteurs, d’une grande précision dans la prise de mesures, d’une garantie de l’origine des produits vendus et d’un contrôle strict de l’équipement lors de sa remise au consommateur.

[...]

Aujourd’hui, la vente à distance ne permet pas de garantir ces services ; c’est pourquoi nous avons décidé de ne pas associer les verres de marque Essilor aux sites de vente de lunettes en ligne »170 (soulignement ajouté).

147. La décision revendiquée par le groupe Essilor de ne pas « associer les verres de marques Essilor aux sites de vente en ligne » a pu être considérée comme ambiguë, comme le montre un article publié sur le site grand public www.conseil-optique.com le 26 novembre 2011, qui s’interrogeait sur le sens véritable de cette déclaration171. La formule pouvait, en effet, être comprise, notamment par le grand public, à la fois comme excluant la possibilité d’obtenir un conseil personnalisé lors de l’achat de verres en ligne et comme un refus d’Essilor de fournir les sites de vente en ligne, alors même qu’Essilor vendait déjà des verres unifocaux et progressifs sous marque blanche à des « pure players ».

148. À cet égard, informée de ce communiqué seulement après sa publication, la responsable du pôle juridique d’Essilor International a réagi en  indiquant,  dans  un  courrier interne du  25 novembre 2011, s’agissant de ce qu’elle considérait être une « position de principe contre la vente sur internet » :

« D’un point de vue juridique, en l’état de la réglementation et de la jurisprudence, nous ne pouvons ni interdire la revente de nos produits sur internet, ni refuser de vendre nos produits aux opticiens en ligne. Cette question est particulièrement sensible notamment pour les autorités de concurrence (plusieurs décisions ont été rendues et ce depuis plusieurs années maintenant, pour sanctionner des fournisseurs refusant la revente en ligne de leurs produits ou leur imposant de mettre en place des conditions de vente en ligne).

Aussi, la phrase “nous avons décidé de ne pas associer les verres de marque Essilor aux sites de vente de lunettes en ligne” nous semble maladroite, et ne pourra pas être mise en application. »172 (soulignements ajoutés).

149. Plusieurs messages internes à Essilor insistent cependant sur la nécessité de diffuser ce communiqué173, qui a d’ailleurs été largement relayé, notamment dans la presse174. Par ailleurs, toujours en interne, le groupe Essilor s’est félicité des retours obtenus auprès des opticiens traditionnels. Le directeur des ventes d’Essilor France a ainsi indiqué dans un courriel interne du 28 novembre 2011 :

« mes contacts clients de la semaine dernière m’ont confirmé que cette position officielle est très appréciée de nos partenaires »175.

150. Le directeur régional des ventes « Région Est » d’Essilor France a quant à lui déclaré :

« Bravo, très bien j’ai déjà eu des retours positifs de notre soirée Krys »176.

151. Dans un deuxième temps, dans un entretien accordé au quotidien les Échos le 27 avril 2012, le président-directeur général d’Essilor International a affirmé :

« Sur certains sites réglementés, dans certains pays, nous pouvons être amenés à vendre des verres simples, mais aucune de nos grandes marques n’y sera présente et cela reste très marginal. La visite chez l’opticien reste la meilleure façon de protéger et corriger sa vue »177 (soulignement ajouté).

152. Il a pourtant été constaté que l’affirmation selon laquelle aucune grande marque du groupe Essilor ne serait présente en ligne était inexacte, puisqu’Essilor vendait des verres progressifs de marque Essilor sur son site américain FramesDirect (voir, ci-avant, le paragraphe 72) et des verres de marques Essilor et Varilux à des sites de vente en ligne tiers (voir, ci-dessus, le paragraphe 83).

153. Dans un troisième et dernier temps, à la suite de la médiatisation par Sensee du refus d’Essilor de lui fournir  des  verres  de  marque,  un  article  du  quotidien  Le  Figaro  du 28 mars 2013 relevait :

« interrogé sur sa position vis-à-vis de la vente en ligne, [Essilor] “ne recommande pas aujourd’hui la vente à distance des verres correcteurs Essilor”. La vente sans rencontre avec un opticien en magasin “ne garantit pas, selon nous, le respect du protocole nécessaire à la bonne prise en charge du patient et à la délivrance de lunettes correctrices parfaitement adaptées à ses besoins et à sa morphologie”, affirme le groupe »178.

3. LES RESTRICTIONS IMPOSEES PAR ESSILOR AUX DISTRIBUTEURS DE VERRES CORRECTEURS EN LIGNE EN FRANCE

154. La réflexion lancée par Essilor en février 2009179 sur la stratégie à adopter vis-à-vis de la vente en ligne a d’abord conduit à la mise en place d’une veille rapprochée sur la présence de ses marques sur Internet (a). Elle s’est ensuite traduite par des restrictions imposées à Sensee (b) mais aussi à d’autres distributeurs (c) s’agissant de la commercialisation de ses produits sur leurs sites Internet. Enfin, cette politique commerciale restrictive a été formalisée par l’adoption de conditions générales de vente et de conditions particulières de vente rendant incompatible la commercialisation de verres de marque Essilor et Varilux avec la distribution en ligne (d).

a) La veille mise en place par Essilor sur Internet

155. Plusieurs documents internes attestent qu’Essilor a mis en place une veille visant à identifier tout site Internet mentionnant ses marques.

156. La présentation du 29 avril 2009, intitulée « Projet Clair – Distribution par internet »180, souligne :

« Stratégie pour tenter d’assurer une distribution « sélective » des produits

Veille prix sur Internet, plan d’action si un distributeur casse les prix »181 (soulignement ajouté).

157. Une autre présentation interne atteste qu’Essilor a eu recours, dès 2010, à un logiciel informatique afin de détecter toute page d’un site Internet contenant les mots « Varilux » ou

« Essilor »182. Ce document précise, sur ce point :

« L’enjeu [est] de délivrer un compte-rendu mensuel des évolutions enregistrées »183.

158. Figure au dossier un de ces comptes-rendus, daté du 14 octobre 2010 – intitulé « Veille internet MIT Company ». Il comporte une analyse d’un grand nombre de sites accessibles depuis le territoire français, chacun se  voyant  attribuer  un  des  « degré[s]  de surveillance » suivants184 :

- « A surveiller » ;

- « A surveiller de près » ; ou

- « Site à surveiller en urgence ».

159. Parmi les « Site[s] à surveiller en urgence », figurent ceux qui communiquent sur les marques Essilor ou Varilux et sur le prix des produits des marques Essilor ou Varilux185, tels que les sites Direct Optic et Optical Direct.

160. Cette veille approfondie s’est poursuivie à tout le moins jusqu’en 2012, puisqu’un courriel interne du 24 février 2012 communique « la veille internet du mois », comportant un compte-rendu similaire signalant le placement de trois nouveaux sites sous surveillance186.

b) Les négociations menées avec Sensee à compter de 2011

161. Sensee est un site de vente en ligne créé en 2011 par M. X…, fondateur de Meetic187, qui a bénéficié d’une large couverture dans la presse généraliste et spécialisée lors de son lancement188.

La perception du potentiel de Sensee par Essilor

162. Il ressort des documents mentionnés ci-après qu’Essilor a immédiatement identifié le potentiel de Sensee et qu’elle s’est également inquiétée de la menace que cette entreprise pouvait représenter pour ses activités.

163. Ainsi, un courriel interne à Essilor du 15 novembre 2011 énonce :

« SENSEE ([…] qui a le potentiel a [sic] rapidement prendre le leadership sur le marché Français ... savoir faire / équipes /Capital / + médiatique X…) »189.

164. Par ailleurs, dans un courriel relayé par le responsable du département Grands comptes d’Essilor France, le 20 novembre 2011, le directeur du département santé visuelle de cette société a déclaré, s’agissant de Sensee :

« Décidément, ils ont l’influence et les moyens. Pas bon pour le business. Notre stratégie internet devient urgente »190.

165. En réponse, le responsable de l’équipe chargée des grands comptes indique :

« 10 millions d’euros pour commencer c’est sans précédent sur le marché français »191.

166. Enfin, l’étude interne d’octobre 2012, citée aux paragraphes 113 et 126 ci-avant, d’une part atteste que Sensee pratiquait des prix inférieurs de plusieurs centaines d’euros aux prix moyens pratiqués par les opticiens physiques, que ce soit pour les verres unifocaux ou progressifs et quelle que soit la gamme de produits192, d’autre part liste les atouts supposés de cette entreprise :

« Expérience extensive du e-commerce […] et immense puissance financière [ainsi que] expertise de pointe de l’équipe dirigeante dans le secteur de l’optique » (traduction libre)193. 

Les préoccupations exprimées par Essilor à la suite de la première demande de référencement de Sensee du 31 mai 2012

La première demande de référencement de Sensee

167. En mars 2012, la directrice optique de Sensee a sollicité un entretien avec Essilor, afin de discuter de la possibilité d’un partenariat194.

168. Il ressort d’un courriel interne du 16 mars 2012 du responsable grands comptes d’Essilor France que la position d’Essilor, avant même d’amorcer les discussions, était de refuser tout partenariat195 :

« Je me suis empressé de lui préciser que pour nous ce RDV n’avait pas pour objet de proposer un partenariat, mais de se rendre disponible si elle souhaitait nous rencontrer (j’ai sur le moment choisi de ne pas refuser d’emblée cette demande de RDV) ».

169. Dans un courriel du 31 mai 2012, le directeur général de Sensee, ex-Directeur général de GrandVision, a demandé à Essilor le droit de référencer des verres unifocaux et progressifs, la communication des conditions générales de vente et des tarifs applicables, ainsi que l’autorisation de faire figurer ses marques sur le site de vente en ligne de Sensee196.

La réponse d’Essilor

170. Il ressort d’un courriel interne du 1er juin 2012, envoyé par le directeur général d’Essilor France, que la première réaction du fabricant à la demande de Sensee a consisté à identifier en interne les arguments susceptibles d’être mobilisés pour justifier son refus de tout référencement :

« Concernant cette demande de Sensee, Paul et Éric, à qui j’en ai parlé, souhaitent que les R et D puissent nous donner des éléments plus factuels sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour refuser d’être référencés »197.

171. Dans un courriel interne du 5 juin 2012, la direction des affaires juridiques et du développement d’Essilor a toutefois signalé que :

« Compte tenu du caractère potentiellement anti-concurrentiel et abusif des restrictions de revente sur internet, il est nécessaire d’être particulièrement vigilants dans notre réponse à Sensee.com »198.

172. Était jointe à ce courriel une proposition de réponse à Sensee, qui relevait qu’Essilor était

« réservé[e] sur la possibilité de réaliser à distance des lunettes correctrices de qualité » et demandait à Sensee, « avant d’envisager le référencement des verres Essilor », de faire connaître les mesures prises pour assurer le respect des seuils de tolérance acceptables pour répondre aux exigences essentielles de sécurité prévue par la directive 93/42/CEE199.

173. Sur ce dernier point, le courriel précisait toutefois que :

« Cette norme [EN 21987 verres ophtalmiques montés200] définit en principe les seuils de tolérances (sic) entre les verres et la commande (et non pas avec le besoin réel  du porteur) »201.

174. Dans le même sens, un document interne à Essilor du 14 novembre 2012 précisait qu’« il n’y a pas de norme régissant la prise de mesure et donc la précision de la commande »202.

175. Le projet de réponse mentionné au paragraphe 172 ci-dessus a néanmoins été envoyé sans modifications majeures à Sensee le 19 juin 2012203.

Les échanges subséquents relatifs aux conditions de distribution

176. Dans sa réponse du 2 juillet 2012, le directeur général de Sensee a indiqué :

« Les normes françaises et européennes que vous évoquez ne nous ont pas échappé, puisqu’elles s’appliquent notamment à tous les opticiens agréés en France,  donc  à  Sensee »204.

177. L’intéressé a également demandé à Essilor de lui faire parvenir tout document (grille d’analyse, audits, contrôles) expliquant comment Essilor s’assurait du respect de ces mêmes exigences auprès des opticiens physiques en France205.

178. À la suite d’une nouvelle relance de Sensee, Essilor lui a adressé le 31 juillet 2012 un courriel listant les « mesures actuellement mises en œuvre sur le marché français pour assurer la bonne commercialisation des verres Essilor », dont l’information et la formation des opticiens, et la conception d’une colonne de prise de mesures Activisu206 (voir illustration ci-dessous).

Source : https://www.activisu.com/actualites/

179. Dans un courriel en réponse du 25 septembre 2012207, Sensee a souligné le caractère facultatif tant des formations que des colonnes Activisu et a relevé que l’ensemble des recommandations mentionnées par Essilor concernaient exclusivement la vente en magasin physique. Sensee a ainsi fait valoir qu’en l’absence de recommandations applicables à la vente en ligne, Essilor était dans l’obligation de lui fournir ses verres, tout en précisant :

- « Essilor n’a aucune qualité ni mandat pour se substituer à une autorité régulant les conditions d’exercice de la profession d’opticien en France » ;

- les précautions invoquées par Essilor sont « un refus délibéré de nous livrer des verres pour des prétextes qui ont évolués (sic) dans le temps et se fardent - bien tard - d’arguties dont Essilor n’est pas le régulateur » ;

- « Essilor n’a jamais refusé de livrer ses verres à un opticien en magasin établi en France au motif que ce dernier devrait préalablement démontrer qu’il est apte à exercer sa profession d’opticien » ;

- « Essilor vend sans objection ses verres à des opticiens en ligne, notamment aux États-Unis, mais également en Allemagne ainsi que dans plusieurs pays européens ».

180. Dans ce même courriel, Sensee a, enfin, sollicité une réunion dans les meilleurs délais avec Essilor, en soulignant :

« Sensee ne saurait exercer ses activités en France dans des conditions de concurrence normale sans être fournie par Essilor dans les mêmes termes que ceux accordés par Essilor à nos concurrents des réseaux physiques et à nos concurrents en ligne »208.

Les hésitations d’Essilor quant à la possibilité de justifier un refus de référencement

181. Dans un courriel interne du 25 septembre 2012, la direction des affaires juridiques et du développement d’Essilor a relevé :

« Il convient d’arrêter une position sur le fond, étant précisé que nous ne disposons que de peu d’éléments complémentaires pour défendre une position ferme face à Sensee »209.

182. Dans un courriel interne du 3 octobre 2012, cette même direction a retracé le plan d’action d’Essilor, qui consistait à accepter une réunion et, parallèlement, à demander au département chargé de la recherche et du développement une « note détaillée pour consolider [son] argumentaire technique »210. Dans l’intervalle, elle recommandait une réunion interne visant à déterminer ce qui pouvait être concédé à Sensee.

183. Interrogé sur la « compatibilité technique du verre pour une commercialisation sur  internet », le chef du département susvisé a initialement manifesté son incompréhension, dans un courriel du 4 octobre 2012 :

« Qu’entends-tu par-là ? Comme je le comprends, hors verres personnalisés, tous les verres sont a priori “ compatibles techniquement” »211.

184. La direction des affaires juridiques et du développement a alors précisé sa demande et dévoilé l’objectif poursuivi de protection de la gamme Varilux :

« […] nous souhaiterions que la R&D formalise l’argumentaire pour les verres personnalisés, mais également puisse aller au-delà du distinctif “ verre personnalisé/verre non personnalisé”, notamment pour essayer de protéger la gamme Varilux »212 (soulignement ajouté).

185. En préparation de la réunion à venir avec Sensee, le responsable du pôle juridique d’Essilor International a adressé, le 18 octobre 2012, aux dirigeants du groupe, une note de synthèse intitulée « Éléments de réflexion internet »213. Cette note, qui explore les différentes pistes envisageables pour restreindre les ventes de verres d’Essilor sur Internet, relève tout d’abord :

« En ce qui concerne les verres ophtalmiques, il ne semble pas possible d’avoir un raisonnement uniforme pour tous les verres. Toute interdiction globale et de principe serait vraisemblablement considérée comme une pratique anticoncurrentielle »214.

186. La note se livre ensuite à une analyse par type de verres215 :

- s’agissant des verres unifocaux, elle conclut à l’absence pure et simple d’argument technique sérieux justifiant un refus de vente sur Internet ;

- s’agissant des verres progressifs « comportant des paramètres de personnalisation (comportement tête-œil, CRO [distance séparant le centre de rotation de l’œil de la monture], œil directeur) », elle estime que ces verres « ne peuvent être réalisés que par la prise de mesures sur le porteur via des équipements spécifiques », mais précise toutefois que « ce n’est sans doute pas sur ces verres très haut de gamme que porteront les demandes des opticiens en ligne » ;

- s’agissant des verres Varilux « comportant des paramètres de fit (angle pantoscopique, distance verre-œil, angle de galbe, inclinaison du verre) », elle considère que ces verres

« ne semblent pas pouvoir être vendus sans contact physique avec le porteur », tout en reconnaissant qu’il « convient néanmoins de rechercher si ces mesures ne pourraient pas être effectuées à distance, ainsi que leurs effets sur la performance des verres et les bénéfices attendus par les porteurs (ex : kit de mesure sophistiqué livré chez le porteur au moment de la commande » ;

- s’agissant des verres Varilux « ne comportant pas de paramètres de fit ni de personnalisation (Vx S Design, Comfort NE, Physio 2.0) », elle précise que « c’est sur ces verres que risque de se cristalliser le débat car les seules mesures effectuées sont la mesure de l’écart pupillaire et celle de la  hauteur,  comme  pour  tout  verre  progressif » (soulignement ajouté) :

- concernant la mesure de l’écart pupillaire, la note reconnaît l’absence d’argument technique « pour nous battre sur ce terrain » ;

- concernant la mesure de la hauteur, la note s’interroge sur « les conséquences sur les performances/le bénéfice pour le porteur en cas de mauvaise mesure », tout en précisant qu’« il est douteux que des maux de tête soient jugés suffisants (ou assez impérieux) pour permettre de justifier un refus de vente sur internet » (soulignement ajouté).

187. La note se demande aussi si les mesures sont correctement effectuées en magasins et quelles sont les conséquences en cas de non-respect du guide d’adaptation Varilux. Plus globalement, elle pointe les limites de l’argumentaire reposant sur la prise de mesure :

« - Essilor a travaillé sur un système “ easy to fit ” qui permet une adaptation large du verre progressif. Ces verres pourraient convenir à la vente sur internet. Cela nous autorise-t-il pour autant à exclure la vente des Varilux sur internet ? […] un montage fondé sur des mesures approximatives altère-t-il de façon significative la performance des verres ? »216.

-Les préoccupations réitérées d’Essilor à la suite de la deuxième demande de référencement du 20 novembre 2012

La deuxième demande de référencement de Sensee

188. La réunion avec Sensee a eu lieu le 20 novembre 2012.

189. Il ressort du compte-rendu de réunion établi par Essilor et diffusé en interne217 que Sensee a réitéré sa demande de référencement des verres de marque Essilor, au motif que ceux-ci étaient prescrits par les ophtalmologistes et répondaient à la demande des consommateurs218. En outre, Sensee a fait valoir que disposer d’une offre de verres comparable à celle des opticiens procédant à la vente au détail en magasin physique était une question de crédibilité219.

190. Par ailleurs, Sensee, via sa directrice « Optique », a présenté à Essilor le parcours de vente mis en place par ses soins pour « proposer les verres adaptés aux besoins exprimés par le porteur, à sa correction et à ses montures »220. Ce parcours de vente incluait221 :

- la vérification et la validation par un opticien Sensee des corrections indiquées par le client ;

- une prise de mesures réalisée via webcam ou sur l’envoi d’une photographie, avec une précision à 0,5 mm près pour chaque œil, par rapport à une mesure prise via un pupillomètre cornéen Essilor ;

- l’essai à domicile pour les verres progressifs ;

- la possibilité pour le porteur de solliciter l’assistance d’un opticien à chaque étape du processus ;

- le contrôle par les opticiens Sensee de l’ordonnance en cours de validité, de la photo, des mesures des centrages, de la cohérence de l’équipement choisi.

191. Sensee a, en outre, souligné que le taux de satisfaction de ses clients était très élevé (99,39 % d’évaluations positives) et qu’elle n’observait que très peu de retours (taux de retour inférieur à 2 %).

192. Enfin, s’agissant de l’usage des marques Essilor et Varilux, Sensee s’est dite « ouverte à une solution négociée notamment pour référencer les produits sans communiquer sur [ses] marques en dehors de ce qui est nécessaire pour identifier les produits »222.

La réponse d’Essilor

193. Lors de la réunion, Essilor a opposé à Sensee la réponse suivante :

« la prise en charge du client par Sensee ne couvr[e] que partiellement le protocole préconisé par les manuels d’optique-lunetterie et notamment ne respect[e] pas des étapes essentielles de l’ajustage et des mesures »223.

194. Il est à noter, à cet égard, que ce protocole, figurant dans le livret des produits et services Essilor, était alors purement indicatif pour les opticiens physiques224.

195. Dans un courriel interne du 7 décembre 2012, le responsable du pôle juridique d’Essilor International a proposé de ne pas se montrer « nécessairement opposé[e] à la vente de verres unifocaux de marque Essilor »225. Il a, par ailleurs, souligné que Sensee souhaitait « avoir accès aux verres de marques Essilor, en pouvant communiquer sur la marque ». Sur ce point, il a précisé que « lors d’une discussion à avoir dans un second temps (janvier ou février), nous n’autoriserions vraisemblablement pas Sensee à utiliser le logo Essilor ».

196. Le directeur santé visuelle d’Essilor France a répondu, le 9 décembre 2012, que si Essilor devait, à l’avenir, fournir des verres unifocaux à Sensee, cela « devrait effectivement s’accompagner d’une interdiction d’usage des logos (leur principale demande : donc pas pleinement satisfaisant) »226.

197. Le directeur marketing d’Essilor, répondant à la même chaîne de courriels internes, a envisagé de proposer des verres progressifs de marque BBGR, mais a alerté ses interlocuteurs sur le fait qu’il faudrait dans ce cas « justifier pourquoi nous acceptons de faire avec BBGR ce que nous refusons de faire avec Essilor », ce qui, au plan technique, reviendrait selon lui « à dire que les produits Essilor sont plus sensibles que les autres à la qualité du process opticien »227. Sur ce point, le président Europe du groupe Essilor a répondu que « proposer BBGR risqu[ait] d’affaiblir [sa] position qui [était] pour l’instant une position sur le principe des PAL [à savoir les verres progressifs] »228.

198. En parallèle, ainsi qu’il ressort d’un courriel interne du 18 janvier 2013 de son responsable du pôle juridique, Essilor a mené trois séries de tests : des tests d’évaluation sur les erreurs de centrage, un achat test de lunettes sur le site Sensee et un « test au porté »229. Elle a, par ailleurs, élaboré un premier projet de conditions particulières de vente pour les produits Varilux, qui prévoyait « les conditions primordiales à remplir par tout opticien (physique ou sur internet) souhaitant commercialiser des verres Varilux ».

199. Dans ce même courriel, il était recommandé de « clarifier les produits pouvant être proposés à Sensee » et indiqué qu’« en fonction des discussions et du degré de pression exercée par Sensee », il pourrait être envisagé de proposer soit : (i) des verres unifocaux fabriqués par Essilor, (ii) des verres unifocaux de marque Essilor ou (iii) des verres unifocaux et progressifs du groupe Essilor, « sauf Varilux ».

L’acceptation de la troisième demande de référencement de Sensee du 15 mai 2013

La troisième demande de référencement de Sensee

200. Au vu de la longueur des tractations, le dirigeant de Sensee s’est plaint, dans le quotidien Le Figaro, le 27 mars 2013, de l’attitude d’Essilor et des conséquences néfastes en résultant pour son entreprise230 :

« Essilor refuse de nous vendre ses verres de marque au motif, je suppose, que ce canal de distribution fragiliserait ses relations avec ses distributeurs en magasin […].

« Sensee perd un argument de vente capital pour convaincre les consommateurs de la qualité des lunettes vendues en ligne à un prix très inférieur. Nous sommes pénalisés car nous ne pouvons pas dire que nous vendons “les mêmes” verres que les opticiens en magasin ».

201. Un courriel interne à Essilor du 8 avril 2013 énonce, à cet égard :

« Il s’agit d’un jeu médiatique car Sensee est en réalité déjà client chez nous, même s’ils ont peu commandé. Nous ne refusons pas la vente mais lui rappelons qu’à notre sens la vente sur internet ne garantit pas la satisfaction du porteur pour Varilux. Il faut des mesures réalisées par un opticien. »231.

202. Le 15 mai 2013, Sensee a adressé un courrier de relance à Essilor déplorant que, deux ans après le premier contact entre les deux entreprises, Sensee n’était toujours pas en mesure d’offrir à ses clients des verres de marque Essilor232. Elle a, notamment, tenu à relever :

« Nous sommes désormais très heureux de constater que le groupe Essilor, via ses deux sites (dont l’un vend des verres de marque Essilor) reconnait la qualité de la vente en ligne de produits d’optique et y participe aux Etats-Unis et en Europe »233.

203. Sensee a, en outre, réitéré sa demande d’approvisionnement, en y joignant une liste de verres

« dont les caractéristiques ne rend[ai]ent pas complexe leur adaptation par [se]s opticiens à [se]s clients », incluant les verres Varilux Comfort234.

204. Enfin, Sensee a sollicité une nouvelle réunion, ce qu’Essilor a accepté235. Cette réunion a eu lieu le 18 juin 2013.

L’acceptation du référencement par Essilor

205. Un projet de compte-rendu de la réunion du 18 juin 2013 entre Sensee et Essilor, élaboré par la direction juridique d’Essilor au nom du directeur général d’Essilor France, montre que le groupe a, pour la première fois, consenti à proposer à Sensee des verres unifocaux de marque Essilor236.

206. Le groupe Essilor a, toutefois, maintenu son refus de fournir des verres progressifs de marques Essilor et Varilux :

« Il ne nous est en revanche pas possible de répondre à votre demande pour les verres progressifs de marque VARILUX et ESSILOR. En effet, nous estimons, pour les raisons amplement discutées lors de nos précédentes réunions, que seules certaines gammes non complexes sont compatibles avec la vente exclusivement sur internet, pour des raisons liées à la fois à la santé et la sécurité des porteurs, et à la garantie de la performance de nos produits. Les verres progressifs répondant à ces critères sont généralement vendus en pochette blanche ».

207. Enfin, Essilor a proposé, pour la première fois également, « d’engager une réflexion […] sur la vente sur votre site de verres progressifs non complexes d’autres marques du groupe ».

208. Plusieurs courriels internes à Essilor du 19 décembre 2013 attestent que le fabricant a finalement accepté que Sensee référence des verres unifocaux et progressifs de marque Essilor237.

209. Toutefois, il ressort de ces courriels238, ainsi que d’un document interne à Essilor239, de 2014, que le fabricant a demandé à Sensee de cesser de mettre en avant Essilor comme

« partenaires verres » et de reproduire son logo sur le site Sensee.

c) Les restrictions imposées à d’autres distributeurs en ligne

210. Il ressort des éléments recueillis par les services d’instruction qu’Essilor a imposé des restrictions à plusieurs opérateurs de vente de lunettes optiques en ligne, en particulier sur la possibilité de communiquer sur l’origine Essilor des verres et sur les marques et logos appartenant au groupe Essilor.

211. Ainsi, lors d’une réunion interne de janvier 2012240, il a été mentionné ce qui suit :

« Sur les sites de e-commerce : les bannières du logo Essilor ont été enlevées après recours ».

212. Le même document recommande pour l’avenir de « trouver une règle » applicable aux sites Internet, « mais pas nécessairement de la publier (pas de CGV spécifiques aux sites internet) »241.

213. Par ailleurs, les pièces citées ci-après attestent de la volonté d’Essilor d’intervenir auprès de plusieurs distributeurs qui vendaient ses produits en ligne.

Le site ConfortVisuel

214. Le Président de la société Tomas Sinclair Laboratoires, qui exploitait le site ConfortVisuel, a déclaré le 30 avril 2013 :

« Nous avons eu des échanges un peu tendus avec la partie communication/marketing France parce que nous utilisions leur logo sans leur accord. La première fois en 2010 et une deuxième en octobre/novembre 2012.

En 2010, j’ai enlevé le logo, puis j’ai rencontré le responsable marketing France d’Essilor. Ils sont assez tatillons et nous avions mis un gros logo avec la mention distributeur agréé.

En 2012, nous avions une grosse bannière Essilor Varilux, en reprenant les visuels de leur dernière campagne de publicité. Nous avons fait machine arrière en décembre. Ils sont assez sensibles sur l’utilisation de leur visuel »242.

215. De fait, par un courrier du 29 septembre 2010, Essilor a enjoint à ConfortVisuel de retirer les logos Essilor figurant sur le site. Elle a fondé sa demande sur les conditions générales d’utilisation des marques d’Essilor, qui prévoyaient que l’usage des logos, graphismes et autres signes distinctifs de ces marques n’était autorisé qu’avec l’accord préalable d’Essilor, qui faisait défaut en l’espèce243.

216. Par ailleurs, par un courriel du 17 octobre 2012, Essilor a mis le site en demeure :

« Nous vous mettons en conséquence en demeure de cesser les agissements susvisés, dans un délai de huit jours à compter de la réception de la présente, et donc :

- de supprimer de votre site tous les logos constituant des marques d’Essilor, ainsi que les visuels et vidéos appartenant à Essilor, et de nous en justifier ;

- de cesser la mise en avant des tarifs promotionnels sur les verres Varilux, et de nous en justifier »244.

Le site Acheter-lunettes.com

217. Dans un courrier du 4 novembre 2010, le directeur marketing d’Essilor France a informé l’exploitant du site www.acheter-lunettes.com qu’il engagerait une action judiciaire si ce dernier persistait à afficher les logos des marques Essilor et Varilux sur son site, en violation des conditions générales d’utilisation de ces marques245 :

« Malgré notre premier courrier recommandé du 25 mai 2010, nous constatons de nouveau que vous ne respectez pas les conditions générales d’utilisation des marques ESSILOR®.

Nos Logos Essilor® et Varilux® sont toujours présents sur votre site ; “Acheter-lunettes.com” »246.

Les sites Iloveyourglasses et Simplyoptic

218. Il ressort d’un courriel interne à Essilor du 10 janvier 2011 que le fabricant envisageait d’envoyer des courriers aux exploitants des sites Iloveyourglasses et Simplyoptic, en lien avec l’exploitation de ses marques par ces sites247.

Le site Happyview

219. Le fondateur du site Happyview a déclaré, le 19 avril 2013, qu’il se fournissait exclusivement auprès du groupe Essilor. Il a toutefois précisé :

« Essilor refuse que je communique sur sa marque. J’ai reçu une mise en demeure à ce sujet en juin 2012 […] J’ai eu des conversations orales avec des gens d’Essor et également du Board d’Essilor, qui continuent de me refuser la communication sur la marque Essilor »248 (soulignements ajoutés).

Le site Direct Optic

220. Dans une audition du 19 avril 2013, le fondateur du site Direct Optic, exploité par la société SAS Optiqual, atteste qu’Essilor lui interdisait déjà d’utiliser sa marque en 2012 :

« Du mois de septembre 2008 au mois de février 2012, le site Direct-Optic mentionnait Essilor comme marque de ses verres progressifs. Le fait que ces verres étaient achetés en Corée du Sud permettait à la société de les vendre moins cher. Puis en février 2012, Essilor a interdit au site d’utiliser sa marque »249.

221. Il ressort des éléments du dossier que Direct Optic et le groupe Essilor ont finalement conclu un protocole prévoyant la fourniture de verres sans marque250.

222. Le 17 avril 2013, le fondateur du site Direct Optic a averti Essilor qu’il avait été contacté par les services d’instruction, qui souhaitaient l’auditionner :

« Il me sera difficile de ne pas évoquer l’accord qui nous lie si des questions me sont posées sur la provenance de nos verres. L’accord me semble à la fois positif et négatif pour Essilor car il montre à la fois qu’Essilor veut bien fournir des verres à des sites de vente en ligne (accusations de X…) mais aussi qu’Essilor ne veut pas que son nom soit mentionné et donc que le consommateur le sache »251.

223. Un projet de réponse à ce courriel, échangé au sein d’Essilor le 18 avril 2013, confirme qu’Essilor interdisait, à cette date, de faire référence à son nom :

« Comme indiqué par téléphone, je n’ai pas de difficulté à ce que vous communiquiez ce protocole de transaction s’il vous est demandé par l’enquêteur de l’autorité de la concurrence.

L’interdiction formulée dans ce protocole de faire référence aux marques Essilor s’explique en tout état de cause par le contexte : l’accord commercial intervenu entre nos sociétés dans le cadre de ce protocole porte sur des verres génériques. Il était donc logique d’interdire l’usage de nos marques pour désigner ces produits, qui sont distincts des verres de marque Essilor, en même temps que tout usage non autorisé de nos marques »252.

224. Les services d’instruction ont relevé que, le 24 avril 2014, le site ne mentionnait toujours pas que les verres qu’il commercialisait étaient fabriqués par Essilor253.

Le site Opticien24

225. Le 18 avril 2013, le directeur général de la société exploitant le site Opticien24254 – racheté par Essilor en 2019 – a dénoncé les mêmes pratiques :

« Opticien 24 n’a pas le droit de mentionner la marque Essilor et de ses filiales dans sa communication auprès des clients ».

226. Le 24 avril 2020, il a été constaté que le site Opticien24 ne contenait toujours aucune référence aux marques ni à son appartenance au groupe Essilor255.

Le site VisioFactory

227. Le site VisioFactory se fournissait auprès de BBGR et a mentionné cette marque, ainsi que le fait que BBGR est une filiale d’Essilor, jusqu’en avril 2013256.

228. Le 20 juin 2013, le président de la SAS Cactus, qui exploite ce site, a déclaré :

« jusque récemment, le site mentionnait également que BBGR était une filiale d’Essilor. Mais il y a deux mois environ Essilor a envoyé à l’entreprise un courrier exigeant le retrait de cette mention »257.

229. Un courriel interne à BBGR du 13 octobre 2013 confirme l’importance de la question de la communication sur la marque dans la problématique de la vente en ligne :

« Le pb [problème] est plutôt qu’un opticien a pris la liberté de communiquer sur BBGR et des Px de ventes sans nous demander l’autorisation (ce sera certainement un autre demain avec BBGR ou un autre verrier...), donc à nous de trouver les gardes fou (sic) nécessaires. [Confidentiel] »258.

Le site ExperOptic

230. ExperOptic indiquait également sur son site Internet en 2014 devoir commercialiser les verres sous son propre nom de marque, dans la mesure où « en tant que « pure player » Internet », il ne pouvait « pas communiquer sur les marques de [nos] verriers à la demande, pour leur éviter des mesures de rétorsion de la part des acheteurs traditionnels »259.

Le site Evioo

231. Les pratiques d’Essilor ne sont pas limitées aux « pure players ». Un courriel interne de 2011 atteste ainsi des démarches faites par Essilor afin de s’assurer que les marques Essilor et Varilux n’apparaissent pas sur le site Evioo260. Un article publié sur le site l’Usine Nouvelle en novembre 2013 évoque, en outre, la fourniture par Essilor de verres au site Evioo, qui proposait une sélection de verres sur Internet avec un ajustement et une validation des verres présélectionnés chez des opticiens physiques partenaires. Or l’article précise qu’Essilor « a joué le jeu…discrètement. Son nom ne figure pas sur le site », contrairement à son concurrent Carl Zeiss, dont la marque apparaît261.

d) L’incompatibilité de la vente en ligne avec les conditions de vente des verres progressifs Essilor et Varilux


232. Comme relevé aux paragraphes 211 et suivants ci-avant, dans un compte-rendu de réunion du 19 janvier 2012, le groupe Essilor s’interrogeait sur « les pistes à explorer pour limiter la vente de progressifs sur internet et protéger le consommateur »262 (étant rappelé que le premier projet de compte-rendu ne comportait pas la mention relative à la protection du consommateur, qui a été ajoutée dans un second temps263). L’une des pistes évoquées était de « lier la distribution de Vx [Varilux] à des prises de mesure spécifiques (fit ou caractéristiques physiologiques) ».

233. La présentation interne intitulée « Problématiques juridiques – Distribution sur internet » du 18 octobre 2012 – qui explore différentes pistes pour restreindre la vente en ligne des produits Essilor – envisage expressément de subordonner la vente des Varilux « fit » et personnalisés à un « passage en magasin »264.

234. La note interne « Éléments de réflexion – Internet » du même jour,  précitée  au  paragraphe 185 ci-avant, recommande un  « renforcement  du  Guide  d’adaptation  Varilux »265 et une « modification des CGV Essilor » afin de refuser « la garantie adaptation pour les opticiens ne pouvant démontrer avoir respecté les préconisations du Guide d’adaptation Varilux »266.

235. Dans un premier temps, entre 2013 et 2014, ces réflexions ont conduit Essilor à conditionner la prise en charge par Essilor de la « garantie adaptation » mise en place en 2010 au respect d’un protocole de prise de mesures exclusivement conçu pour la vente en magasin physique. Dans un second temps, à partir de 2014, le groupe a adopté des « Conditions Particulières de Vente Varilux » (ci-après « les CPV Varilux ») qui soumettent la revente de tout produit de marque Varilux à des règles de prise de mesures qui excluent, de fait, la vente en ligne.

L’incompatibilité de la vente  en  ligne  avec  les  conditions  d’application  de la garantie adaptation pour les marques Essilor et Varilux

236. La garantie adaptation accorde au porteur un délai d’un mois « pour exprimer d’éventuelles difficultés d’adaptation persistantes en dépit d’un port régulier de l’équipement ». Durant ce délai, le détaillant est dans l’obligation d’analyser la difficulté d’adaptation et, le cas échéant, de remplacer les verres gratuitement.

237. Jusqu’en 2012, Essilor s’engageait à prendre en charge cette garantie, en fournissant si besoin une nouvelle paire de verres et en remboursant la première, aux seules conditions que le détaillant notifie un dossier d’inadaptation et « fournisse tous les renseignements nécessaires à l’analyse de la difficulté d’adaptation »267.

238. Dans les CGV applicables à toute commande et à toute utilisation des marques et matériels publicitaires Essilor à compter du 1er janvier 2013, un nouvel article 7.2 a été inséré. Il conditionne la prise en charge par Essilor de la garantie adaptation au respect, par le détaillant, du « Guide d’adaptation verres progressifs »268. Les CGV précisent à cet égard :

« en cas de mise en jeu de la garantie, Essilor se réserve le droit de vérifier que l’Acheteur a bien respecté les conditions de mise en jeu de la garantie et le Guide d’adaptation des verres progressifs, ce que l’Acheteur accepte expressément ».

239. En cas de non-respect de ce guide, le remplacement des verres est à l’entière charge du détaillant.

240. Or, le protocole de prise de mesures figurant dans le Guide d’adaptation est exclusivement conçu pour la vente en magasin :

- le guide prévoit seulement trois modalités de prise de mesures, toutes incompatibles avec la vente en ligne, car recourant à des dispositifs uniquement utilisables en magasin : l’utilisation d’une « colonne de prise de mesure électronique »269, d’un « système de prise de mesure de table de vente »270 ou d’un « pupillomètre à reflets cornéens »271 ;

- la détermination de la hauteur pupillaire quant à elle n’est envisagée que par le biais d’un « mesureur de hauteur de pupille » qui suppose l’intervention physique de l’opticien. Le guide impose en effet au professionnel de « placer la monture sur le visage du client », « saisir l’outil entre pouces et index, en maintenant ouverts les clips mobiles », avant de « poser l’appareil sur la monture par les attaches supérieures et relâcher les clips sur le bas de la monture »272.

241. Par ailleurs, en application de l’article 7 des CGV, le bénéfice de la garantie adaptation – qui était uniquement applicable aux verres de marque Varilux entre 2010 et 2012273 – a été étendu aux verres progressifs de marque Essilor à compter de 2013274.

L’incompatibilité de la vente en ligne avec les CPV Varilux

242. À compter de 2014, Essilor a adopté des CPV Varilux incompatibles avec la vente en ligne de tout verre de cette marque. Ces CPV figuraient dans le tarif 2019 et étaient donc toujours applicables à la date de la notification des griefs, le 23 décembre 2020275.

243. L’objectif poursuivi par les CPV Varilux ressort clairement des documents précités (voir les paragraphes 232 et suivants ci-avant), ainsi que du document interne élaboré à l’attention du président « Europe » du groupe Essilor, intitulé « Questions/Thématiques Clés », de début 2014.

244. Dans ce document, qui compile des éléments de langage relatifs à la vente en ligne, il est en effet précisé :

« Essilor France a progressivement adapté sa position […] en renforçant l’importance de la présence physique du porteur sur certains produits (verres personnalisés, conditions particulières Varilux, réédition et diffusion du guide d’adaptation des verres progressifs Essilor, nouveau livret d’information consommateur, déploiement de la technologie Eyecode) »276.

245. S’agissant de la teneur des CPV, l’article 3.1 des CPV Varilux stipule :

« Afin de garantir un niveau de qualité minimum d’un équipement Varilux livré au porteur, Essilor entend rendre obligatoires les recommandations décrites ci-dessous relatives à la découverte des besoins du consommateur, l’ajustage de la monture, la prise de toutes les mesures requises et la livraison de l’équipement »277.

246. L’article 2 des CPV réserve à Essilor le droit de « refuser toute commande de verres Varilux émanant d’un Acheteur » qui ne respecte pas leurs stipulations.

247. Outre le respect du Guide d’adaptation des verres progressifs278, les CPV imposent au détaillant un protocole complémentaire pour tout verre de marque Varilux, indépendamment de son niveau de personnalisation. Ce protocole est, lui aussi, incompatible avec la vente en ligne :

- s’agissant de la prise de mesures, les CPV imposent au vendeur de réaliser les mesures du porteur avec la monture choisie, préalablement ajustée, de manière à ce que « son angle d’inclinaison de face soit de l’ordre de 8° à 12 », et « la distance « verre-œil » soit de l’ordre de 10 à 15 mm »279 . Cette préconisation suppose l’intervention physique d’un tiers qualifié disposant d’outils spécifiques, alors même que le « Livret Produits et Services » d’Essilor précise que les verres Varilux Physio 2.0 Fit et Varilux Ipseo 2.0

« sont conçus pour prendre en compte le système verre-œil » et « permettent de se libérer des contraintes d’ajustement standard »280 (soulignement ajouté), à savoir, précisément, les fourchettes d’angle d’inclinaison et de distance verre-œil telles que celles exigées dans les CPV Varilux ;

- s’agissant de la livraison de l’équipement, les CPV imposent, notamment, au vendeur de

« vérifier l’ajustage de la monture sur le visage du client tel qu’il souhaite la porter et en veillant qu’elle ne glisse pas et ne blesse pas »281, ce qui suppose nécessairement l’intervention physique de l’opticien.

248. Il convient de préciser qu’Essilor n’a communiqué aucun exemple concret d’application de ces règles vis-à-vis d’opticiens physiques, et ce bien qu’un questionnaire des services d’instruction du 2 juillet 2020 l’y invite expressément282.

249. Par ailleurs, les informations communiquées par Essilor en réponse à ce questionnaire attestent que ses ventes de verres aux sites de vente en ligne actifs en France, déjà faibles entre 2010 et 2014, sont devenues quasi inexistantes à partir de 2015, à l’exception de celles accordées au site ConfortVisuel283

La compatibilité de la vente en ligne avec les conditions particulières de vente des produits BBGR

250. Les conditions générales et catégorielles de vente BBGR n’imposaient aucune obligation en termes de prise de mesures284. À compter de 2016, BBGR a fourni plusieurs sites de vente en ligne en verres unifocaux et progressifs de marque BBGR285.

E. LES GRIEFS NOTIFIES

1.GRIEF N° 1

« Il est fait grief aux sociétés :

- BBGR SAS (302 607 957 RCS Paris) en raison de sa participation directe ;

- Essilor International SAS (439 769 654 RCS Créteil) en raison de sa participation directe et en sa qualité de société-mère de la société BBGR SAS ;

- EssilorLuxottica SA (712 049 618 RCS Créteil), à compter du 1er octobre 2018, en sa qualité de société-mère de la société Essilor International S.A.S ;

d’avoir abusé de la position dominante détenue par le groupe Essilor sur le marché français de la fourniture en gros de verres ophtalmiques finis, en élaborant et en mettant en œuvre une politique commerciale restrictive visant spécifiquement les sites de vente en ligne de lunettes de vue français, et consistant à leur refuser l’accès aux produits de marques du groupe Essilor et/ou à leur imposer des restrictions en termes de communication.

Cet ensemble de comportements, qui a débuté au plus tard le 29 avril 2009, a pris fin le   31 décembre 2015 s’agissant de BBGR, et a toujours cours s’agissant d’Essilor International, constitue une pratique prohibée par les dispositions des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

2. GRIEF N° 2

« Il est fait grief aux sociétés :

- BBGR SAS (302 607 957 RCS Paris) en raison de sa participation directe ;

- Essilor International SAS (439 769 654 RCS Créteil) en raison de sa participation directe et en sa qualité de société-mère de la société BBGR SAS ;

d’avoir abusé de la position dominante détenue par le groupe Essilor sur le marché français de la fourniture en gros de verres ophtalmiques finis, en élaborant et en diffusant un discours trompeur et fluctuant visant à entraver le développement de la vente en ligne de lunettes de vue en France.

Cet ensemble de comportements, qui a débuté au plus tard le 25 novembre 2008 et a pris fin le 12 mai 2016, constitue une pratique prohibée par les dispositions des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

II. Discussion

A. SUR LA PROCEDURE

1. SUR LA DUREE DE LA PROCEDURE

251. Essilor soutient que la procédure doit être annulée en raison de sa durée, qu’elle considère excessive, de sorte qu’il aurait été porté une atteinte irrémédiable, effective et concrète à ses droits de la défense.

a) Le droit applicable

252. L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ».

253. Selon une jurisprudence européenne286 et nationale287 constante, le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie in concreto, notamment au regard de l’ampleur et de la complexité de l’affaire, de son contexte et du comportement des parties au cours de la procédure288 ainsi qu’en fonction du comportement des autorités compétentes289.

254. Par ailleurs, la sanction qui s’attache à la violation par l’Autorité de l’obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d’instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l’Autorité, n’ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre290.

b) L’application au cas d’espèce

255. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, pour déterminer si le principe du délai raisonnable a été respecté en l’espèce, il convient d’apprécier, dans un premier temps, si la durée de la procédure peut être considérée comme excessive compte tenu des circonstances de l’espèce, et, le cas échéant, dans un second temps, s’il est établi que la durée de la procédure a privé les entreprises poursuivies de la possibilité de se défendre utilement contre les griefs qui leur étaient reprochés.

S’agissant de la durée de la procédure

256. Essilor soutient que, dans la présente espèce, la durée totale de la procédure, la notification des griefs ayant été envoyée six ans et demi après la réalisation des opérations de visite et saisie, ne saurait être justifiée par le nombre d’entreprises visées par les opérations. Elle souligne, par ailleurs, que le champ initial de l’enquête a été considérablement restreint, dès lors que l’ordonnance du JLD ayant autorisé les opérations visait, notamment, des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE alors que la notification de griefs n’a pas fait pas état de telles pratiques. Elle allègue également que les nominations successives de plusieurs rapporteurs différents entre 2012 et 2016 ont allongé et désorganisé la procédure. Elle reproche, enfin, aux services d’instruction de ne pas avoir auditionné ses représentants et de ne pas lui avoir adressé suffisamment de demandes d’informations.

257. Il convient tout d’abord de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que la durée de la procédure doit être appréciée en fonction des particularités propres de l’affaire, et non par comparaison avec des affaires antérieures. Par ailleurs, le simple constat, à le supposer établi, que la durée de la procédure excède le délai habituel de traitement des affaires par les services d’instruction ne suffit pas à établir son caractère excessif, lequel s’apprécie en tenant compte desdites particularités.

258. À cet égard, dans un arrêt du 26 janvier 2012, Nocibé, la cour d’appel de Paris, après avoir souligné que « nonobstant les exigences de rapidité de la vie des affaires, l’application des règles de fond de droit de la concurrence exige toujours une lourde mise en œuvre des normes de la légalité économique largement indéterminées, nécessitant pour leur application technique l’élaboration de critères précis passant par une appréciation des effets économiques des pratiques contestées et requérant une analyse économique en profondeur des marchés concernés », a relevé « qu’en l’espèce, le travail de qualification juridique à partir des données factuelles éparses révélées par le rapport d’enquête administrative et ses annexes s’est avéré manifestement difficile compte tenu du nombre d’opérateurs économiques agissant sur le marché très spécifique des produits de luxe et de la nature des pratiques visées mais compte tenu aussi, et ce de façon certaine, de l’enjeu du dossier qui concerne l’un des secteurs les plus importants de la vie économique du pays »291 (soulignements ajoutés).

259. Dans cette espèce, la cour d’appel a d’ailleurs jugé que la durée de l’instruction était justifiée, alors même qu’elle était similaire à celle qui avait prévalu dans une autre affaire présentant pourtant, toujours selon la cour d’appel, un degré de complexité plus élevé292.

260. De même, dans un arrêt du 3 décembre 2020, la cour d’appel de Paris a précisé que, même si la durée totale de la procédure, qui s’étend de la saisine de l’Autorité à la décision de sanction, peut sembler de prime abord excéder le délai habituel de traitement des affaires, « cette seule constatation ne suffit pas à démontrer son caractère excessif, lequel doit être apprécié concrètement en tenant compte des particularités propres de l’affaire »293.

261. Dans ce même arrêt, la cour a considéré que la durée de la phase contradictoire de la procédure d’instruction était parfaitement justifiée, compte tenu d’une part, du délai incompressible de deux mois ouvert aux sociétés mises en cause pour adresser les observations en réponse aux griefs qui leur avaient été notifiés ainsi que du recours par certaines d’entre elles à la procédure de non-contestation des griefs, et d’autre part, du temps nécessaire à la rédaction du rapport et à la réponse à ce dernier par les sociétés mises en cause ainsi qu’à l’examen de l’affaire par l’Autorité et à la mise en forme de la décision294.

262. Seront successivement analysées ci-après, à la lumière de ces principes, les phases non contradictoire et contradictoire de la présente procédure.

263. S’agissant, tout d’abord, de la phase non contradictoire de la procédure, l’Autorité constate, en premier lieu, que l’instruction a porté sur deux séries de pratiques potentielles, l’une consistant en une entente entre fabricants visant à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence et à limiter ou contrôler les débouchés des distributeurs sur Internet de verres correcteurs et l’autre en un abus de la position dominante détenue par Essilor295.

264. En deuxième lieu, les pratiques ont été mises en œuvre sur l’ensemble du territoire national et ont été examinées sur une période portant sur plus de onze ans pour la plus longue d’entre elles. Par ailleurs, elles ont impliqué la principale entreprise active dans le secteur de la lunetterie-optique en France, présente à différents niveaux de la chaîne de valeur, et qui appartient à un groupe d’envergure internationale organisant la distribution de multiples marques.

265. En troisième lieu, les services d’instruction ont procédé à des opérations de visite et saisie, qui ont eu lieu en juillet 2014 sur sept sites répartis sur différents points du territoire national296 et au cours desquelles un volume important de pièces a été collecté297.

266. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l’ampleur des pratiques dénoncées, du volume des pièces recueillies et de la multiplicité des actes d’enquête effectués (auditions, questionnaires, exploitation des pièces etc.), Essilor ne peut utilement soutenir que la durée de la phase non contradictoire de la procédure serait excessive.

267. Enfin, à titre purement subsidiaire, l’Autorité relève qu’il paraît à tout le moins contradictoire d’une part d’alléguer que la durée de la procédure est excessive, d’autre part de reprocher aux services d’instruction de ne pas avoir recueilli des informations supplémentaires par le biais d’auditions et de questionnaires (voir le paragraphe 256 ci-avant), dès lors que ces actes d’instruction auraient nécessairement allongé la procédure.

268. S’agissant, ensuite, de la phase contradictoire de la procédure, il sera rappelé que l’envoi de chaque notification de griefs et de chaque rapport a ouvert un délai incompressible de deux mois aux sociétés mises en cause pour adresser leurs observations. Ce délai a en outre été prolongé – pour les entreprises poursuivies et à leur demande – de trois semaines s’agissant de la notification de griefs298, et d’un mois s’agissant du rapport299.

269. Il convient également de tenir compte du temps nécessaire à la prise en compte de ces observations – certaines comptant, avec leurs annexes, plus de 1 600 pages – à la mise en état du dossier, à la rédaction du rapport ainsi qu’à la rédaction et à la mise en forme de la présente décision.

270. Il résulte de ce qui précède que la durée de la phase contradictoire de l’instruction est justifiée par les circonstances de l’espèce.

S’agissant de l’atteinte alléguée aux droits de la défense

271. S’agissant, à titre surabondant, de l’atteinte alléguée aux droits de la défense, Essilor allègue que la durée de la procédure l’aurait empêchée d’accéder à l’intégralité de ses bases de données, notamment celles afférentes aux clients. Elle aurait ainsi été mise dans l’impossibilité de produire une réponse exhaustive à la deuxième question du questionnaire du 2 juillet 2020 portant sur les sites de vente en ligne actifs en France auxquels elle a fourni des verres correcteurs entre 2010 et 2020300. Ceci aurait d’autant plus porté atteinte à ses droits que l’intégralité du premier grief reposerait sur cette réponse.

272. Par ailleurs, Essilor soutient que, compte tenu de la durée de la procédure d’instruction, elle n’a pas été en mesure de préparer utilement sa défense, dans la mesure où le marché de la vente en ligne de produits d’optique a connu plusieurs évolutions substantielles depuis 2014.

273. Toutefois, Essilor n’établit pas en quoi la durée prétendument excessive de la procédure aurait porté une atteinte concrète et irrémédiable à ses droits de se défendre.

274. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’il incombe aux entreprises qui allèguent une telle atteinte de démontrer en quoi certains évènements auraient fait concrètement obstacle à l’exercice des droits de la défense301, étant précisé que la réalité d’une telle violation s’apprécie nécessairement à l’aune du devoir de prudence incombant à chaque opérateur économique, qui se doit notamment de veiller à la bonne conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d’actions judiciaire ou administrative302.

275. S’agissant spécifiquement de la conservation des preuves, la Cour de cassation a rappelé que les entreprises poursuivies par l’Autorité étaient responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu’elles entendaient faire valoir tant que la prescription n’était pas acquise303. Dans un arrêt ultérieur, la Cour a considéré qu’aucun préjudice du fait de la durée n’est démontré lorsque les difficultés relatives à la conservation des preuves dues à des causes internes aux sociétés mises en cause sont sans lien avec le déroulement de l’instruction et de la procédure suivie devant l’Autorité304.

276. Sur  le  même  point,  la  cour  d’appel  de  Paris  a  précisé,  dans  son  arrêt  précité  du   23 février 2012 :

« la prudence commandait aux banques de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu’à la fin de la prescription fixée par l’article L. 462-7 du code de commerce, […] et ce d’autant plus qu’elles ont eu connaissance de l’enquête dont elles faisaient l’objet alors que les pratiques en cause n’avaient pas encore cessé »305.

277. En l’espèce, les arguments ayant trait à l’accès prétendument restreint aux bases de données et à l’évolution du marché ne peuvent être accueillis, faute de lien avec le déroulement de l’instruction et de la procédure suivie devant l’Autorité. En outre, conformément à la jurisprudence susvisée, il appartenait aux entreprises poursuivies, au titre de l’obligation de prudence et de vigilance qui s’impose à elles, de veiller à conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu’à la fin de la prescription fixée par l’article L. 462-7 du code de commerce, tout particulièrement lorsque, comme en l’espèce, certaines d’entre elles ont eu connaissance de l’enquête dont elles faisaient l’objet, alors que les pratiques en cause n’avaient pas encore cessé306.

278. En toute hypothèse, l’entreprise poursuivie a été en mesure de présenter des observations détaillées en réponse à la notification de griefs et au rapport. Elle n’a donc pas été mise dans l’impossibilité de se défendre utilement (voir, par analogie, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 mai 2021, Société Transports-Transit-Déménagements précité, point 40).

279. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la durée de la procédure, qui n’apparaît pas déraisonnable, n’a pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense d’Essilor. Le moyen tiré de la violation du délai raisonnable doit, par conséquent, être écarté.

2.  SUR L’IMPARTIALITE

280. Essilor considère que les services d’instruction ont instruit la présente affaire exclusivement à charge, dès lors qu’ils n’ont pas recherché ou fait état des pièces à décharge et ont, par ailleurs, dénaturé la portée de certaines pièces.

a) Rappel des principes

281. Aux termes de l’article R. 463-11 du code de commerce, « le rapport soumet à la décision de l’Autorité de la concurrence une analyse des faits et de l’ensemble des griefs notifiés ».

282. Il ressort d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle constantes que les rapporteurs peuvent, sans manquer à leur devoir d’impartialité, d’une part, retenir au soutien de leur analyse les éléments du dossier qui leur paraissent les plus pertinents, sans être tenus d’exposer les motifs pour lesquels ils ne se sont pas appuyés sur d’autres éléments et, d’autre part, soumettre au débat contradictoire leur propre interprétation des éléments du dossier307.

283. Dans un arrêt du 11 juillet 2019, la cour d’appel de Paris – après avoir précisé que les rapporteurs ne doivent pas dénaturer les pièces exploitées dans le rapport308 – a rappelé que, de façon générale, le rapport n’a pas pour objet d’établir une liste exhaustive des milliers de pièces figurant au dossier. Selon la cour, les rapporteurs, qui, à l’issue de l’instruction contradictoire, se sont forgé une opinion sur la réalité des pratiques et leur caractère anticoncurrentiel, ont pour mission de présenter leur analyse de la façon la plus claire possible, afin de permettre aux parties de répondre aux arguments qui vont leur être opposés devant le collège. La cour a donc jugé :

« Il est dès lors légitime que les rapporteurs visent les seules pièces, ou passages de pièces, qui leur paraissent utiles soit pour appuyer leur démonstration sur ces pièces, soit pour exposer en quoi celles-ci ne contredisent pas l’analyse retenue. Une telle façon de faire ne saurait donc caractériser un défaut d’impartialité de leur part, étant rappelé que les parties, quant à elles, ont tout loisir d’exploiter l’ensemble des pièces du dossier, y compris celles non visées, ou non visées de façon exhaustive, par les rapporteurs dans le rapport »309.

284. En particulier, la cour d’appel a précisé, dans un arrêt du 20 janvier 2011, que la seule circonstance que le rapporteur ne mentionne pas, dans la notification des griefs, des éléments qui viendraient au soutien de la défense, ne saurait remettre en cause l’impartialité de l’instruction, dans la mesure où les parties ont été « mises en mesure d’en faire état dans la discussion sur le bien-fondé des griefs et de répondre aux accusations qui étaient portées contre elles en présentant toutes les observations et toutes les pièces qui leur apparaissaient utiles à leur défense »310.

285. Par ailleurs, dans un arrêt du 21 décembre 2017, la cour a considéré qu’« [o]n ne saurait […] reprocher [aux rapporteurs] de n’avoir pas accordé à tel ou tel élément du dossier l’importance que leur attachent les mises en cause, pas plus qu’on ne saurait voir dans ces divergences d’interprétation la marque d’une partialité, mais seulement l’exercice, par eux, de leur pouvoir d’appréciation des faits de la cause »311.

b) Application en l’espèce

286. Essilor reproche aux services d’instruction d’avoir accordé une importance particulière à des pièces selon elle partiales et dont le contenu aurait été dénaturé. Elle mentionne, à cet égard, plusieurs documents d’analyse du secteur de la vente de produits d’optique en ligne, à savoir, une étude économique commandée par Sensee312, un sondage réalisé à la demande de l’Association d’opticiens en ligne313, un rapport de la Cour des comptes de 2013314, une étude de l’UFC-Que Choisir de 2013315, une enquête de 2015 citée dans ses observations à la notification de griefs316 et, enfin, un courriel interne à Essilor de septembre 2011 relatif au distributeur Evioo317.

287. En particulier, Essilor met en cause la fiabilité des quatre premiers documents cités au paragraphe précédent, en raison de leur commanditaire ou de leurs limites méthodologiques.

288. Essilor soutient, par ailleurs, que les services d’instruction n’ont pas pris en considération un certain nombre de pièces à décharge, dont un document interne à Essilor versé au dossier318, certaines déclarations du directeur général de Sensee319, du dirigeant de ConfortVisuel320 et du gérant de la SARL Aux yeux de tous321, un courriel adressé par un consommateur à Sensee322, ainsi que des pièces ne figurant pas au dossier lors de l’envoi de la notification de griefs mais citées dans ses observations.

289. S’agissant, en premier lieu, du moyen tiré de l’importance accordée à des pièces prétendument dénaturées, comme rappelé ci-avant, il résulte d’une jurisprudence constante que les rapporteurs peuvent présenter les éléments du dossier qui leur paraissent les plus pertinents, sans être tenus d’exposer les motifs pour lesquels ils ne se sont pas appuyés sur d’autres éléments, et soumettre au débat contradictoire leur propre interprétation des éléments du dossier.

290. En l’espèce, la mise en cause a pu, dans le cadre du débat contradictoire ouvert par la notification des griefs, commenter et contester les éléments visés.

291. Par ailleurs, l’origine des documents contestés en l’espèce, qui n’a aucunement été dissimulée par les services d’instruction, ne permet pas, à elle seule, de mettre en cause leur crédibilité. Ainsi, l’étude commandée par Sensee est citée par Xerfi et la Cour des comptes dans leurs études respectives323. De manière analogue, s’agissant du sondage évoqué, la mise en cause utilise elle-même un autre sondage réalisé par le même institut dans ses observations324.

292. En outre, si Essilor reproche aux services d’instruction d’avoir omis certains passages des documents susmentionnés, il ressort également de la jurisprudence rappelée supra que les services d’instruction peuvent ne viser que les seuls passages de pièces qui leur paraissent utiles pour appuyer leur démonstration, dès lors que les entreprises auxquelles elles sont opposées ont été mises en mesure d’en discuter la teneur. Au demeurant, les constatations des services d’instruction ne se trouvent pas infirmées par la citation complète des documents concernés, de sorte qu’aucune dénaturation ne découle du fait que cette citation n’a été que partiellement reproduite dans la notification de griefs325.

293. S’agissant, en deuxième lieu, de l’absence alléguée de prise en compte de pièces à décharge, le fait que les services d’instruction n’aient pas cité des pièces supposément à décharge ne saurait constituer une violation du principe d’impartialité, a fortiori lorsque ces pièces – comme c’est le cas en l’espèce – figurent toutes au dossier et sont susceptibles d’être utilisées, à décharge le cas échéant, par l’entreprise mise en cause dans le cadre du débat contradictoire ouvert par la notification des griefs (voir la jurisprudence rappelée aux paragraphes 284 et suivants ci-avant).

294. S’agissant, en troisième lieu et en toute hypothèse, de l’atteinte supposée aux droits de la défense, il convient de relever que la plupart des pièces visées par Essilor ne concernent que le contexte dans lequel les pratiques poursuivies ont été mises en œuvre et pas la qualification des pratiques et que les arguments rappelés ci-avant attestent qu’Essilor a bien eu la possibilité de les contester dans ses observations.

295. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré d’un manquement des rapporteurs à leur devoir d’impartialité sera écarté.

3. SUR L’ABANDON DES PRATIQUES D’ENTENTE

296. Essilor reproche à l’Autorité d’avoir abandonné l’une des pratiques – l’existence d’une entente entre Essilor et certains de ses concurrents – sur lesquelles elle avait fondé sa demande d’autorisation de réaliser des opérations de visite et saisie. Elle considère que cette circonstance fait nécessairement obstacle à la possibilité, pour les services d’instruction, de notifier ensuite un grief d’abus de position dominante, et ce d’autant plus que, selon Essilor, son comportement sur le marché est comparable à celui de ses concurrents auxquels les pratiques d’entente présumées étaient attribuées.

297. Or, en premier lieu, l’ordonnance précitée du JLD du 2 juillet 2014 visait non seulement une potentielle entente anticoncurrentielle entre fabricants de verres, mais également une pratique présumée d’abus de position dominante de la part d’Essilor, cette dernière ayant donné lieu, au terme de la phase non contradictoire de la procédure, à la notification des griefs326.

298. En deuxième lieu, il ressort, notamment, de l’arrêt par lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, le 8 novembre 2017, le pourvoi formé par Essilor à l’encontre de l’ordonnance du magistrat délégué du 27 mai 2016 rejetant la demande de nullité de l’ordonnance du JLD, que celui-ci ne statue en aucun cas sur la qualification des pratiques mais sur l’existence de suspicions de pratiques justifiant une opération de visite et saisie327. Aussi, le fait que l’ordonnance mentionne des suspicions de pratiques visées par les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce ne saurait contraindre les rapporteurs ni à poursuivre une instruction ni, a fortiori, à notifier des griefs sur ces fondements.

299. Au contraire, il est légitime, afin d’assurer le respect du principe de présomption d’innocence, que l’enquête – menée, notamment, grâce aux pouvoirs prévus à l’article

L. 450-4 du code de commerce – ne permette pas systématiquement d’établir l’existence des pratiques visées par l’ordonnance du JLD. Au demeurant, le fait que certaines des pratiques soupçonnées ne donnent pas lieu à la notification d’un grief est une circonstance favorable aux mises en cause. Dès lors, la décision des services d’instruction de ne notifier à Essilor que des griefs visant des abus de position dominante et aucun grief d’entente ne lui fait nullement grief.

300. En troisième et dernier lieu, les arguments de la mise en cause relatifs aux comportements de ses concurrents relèvent d’une analyse au fond, et ne peuvent être utilement mobilisés au soutien de la violation de ses droits de la défense. Du reste, les agissements supposés de ses concurrents ne sont pas de nature à la faire échapper à la prohibition des abus de position dominante prévue aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce, dès lors que les conditions de l’existence d’une violation de ces dispositions sont réunies.

301. À la lumière de ces éléments, il convient de considérer que le fait que les services d’instruction n’aient pas notifié à Essilor un grief tiré d’une violation de la prohibition des ententes anticoncurrentielles ne saurait constituer une atteinte aux droits de la défense de la mise en cause.

4.  SUR LA CLARTE DES GRIEFS NOTIFIES

302. Il ressort d’une jurisprudence constante que la notification des griefs doit informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques reprochées. Ainsi, la cour d’appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 24 juin 2008, France Travaux, que « le respect de ces principes fondamentaux de la procédure [respect du contradictoire, des droits de la défense, du droit à un procès équitable] impose que les faits soient formulés de manière suffisamment précise et les pratiques incriminées étayées d’éléments de preuve suffisants pour que les parties puissent préparer utilement leur défense », et que le collège de l’Autorité est « habilité à vérifier que les entreprises en cause n’[o]nt pu se méprendre sur les accusations portées contre elles et qu’elles [o]nt été en mesure de présenter utilement leur défense pour les marchés cités, cette vérification devant se faire au regard, non seulement de la formule finale d’accusation, mais aussi du corps même de la notification des griefs »328.

303. Essilor soutient ne pas avoir été informée suffisamment précisément des pratiques qui lui sont reprochées, dès lors d’une part que la qualification juridique du grief n° 1 serait confuse et que les services d’instruction n’auraient jamais rattaché rigoureusement les comportements prétendument adoptés par Essilor à une infraction déterminée329, d’autre part que la qualification des prétendues pratiques aurait évolué au cours de l’instruction.

304. Sur le premier point, Essilor considère que les services d’instruction auraient énoncé les critères applicables (i) à la discrimination et (ii) au refus d’accès discriminatoire tout en lui reprochant confusément un refus de vente de verres de marques, un refus de communiquer sur les marques ou encore des « restrictions » de manière générale.

305. Toutefois, le grief notifié à Essilor précisait que les comportements qui lui sont reprochés, qui consistaient à « refuser l’accès aux produits de marques du groupe Essilor et/ou à […] imposer des restrictions en termes de communication », constituaient une « politique commerciale restrictive visant spécifiquement les sites de vente en ligne de lunettes de vue français »330.

306. Essilor ne pouvait donc se méprendre sur le fait qu’il lui était reproché, au titre de ce grief, l’imposition de conditions de vente discriminatoires visant spécifiquement les opticiens en ligne.

307. Les observations mêmes d’Essilor en réponse à la notification des griefs démontrent d’ailleurs que cette entreprise a pris l’exacte mesure de la nature et de la portée de l’infraction incriminée, à savoir des discriminations tant entre les opticiens en ligne et les opticiens disposant de magasins qu’entre les opticiens en ligne eux-mêmes331.

308. Les services d’instruction ont donc bien rattaché les différents comportements reprochés à Essilor à une seule infraction et qualification juridique déterminées.

309. En particulier, il a été établi dans la notification des griefs, à la lumière notamment des arrêts MEO de la Cour de justice332 et Cegedim333 de la cour d’appel de Paris, que les deux types de restrictions visés par le grief n° 1 procédaient de la même politique commerciale discriminatoire et poursuivaient le même objectif, à savoir entraver le développement de la vente en ligne334. C’est la raison pour laquelle ils ont été traités au sein du même grief.

310. Sur ce point, il ressort sans ambiguïté des développements qui figurent dans la notification des griefs et le rapport que les restrictions en matière d’accès aux produits de marque et les restrictions en matière de communication ne relevaient pas de régimes juridiques différents.

311. La circonstance qu’Essilor ait choisi de contester, en outre, l’existence d’une pratique de refus de vente détachée de toute pratique discriminatoire n’est pas de nature à remettre en cause la clarté des griefs communiqués335.

312. S’agissant des conditions posées par la jurisprudence pour sanctionner un refus d’accès discriminatoire, les développements qui figurent dans la notification des griefs se fondent en particulier sur la solution dégagée dans la décision Cegedim336, dans laquelle l’Autorité a sanctionné un refus d’accès discriminatoire imposé à un partenaire commercial, en l’absence de toute facilité essentielle.

313. Dans cette décision, confirmée par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, l’Autorité a considéré que « même en l’absence de facilité essentielle, un refus d’accès opposé de manière discriminatoire par une entreprise en position dominante peut constituer un abus de position dominante, dès lors qu’il fausse de manière sensible le jeu de la concurrence » (point 192).

314. Par ailleurs, dès lors qu’en application de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire Slovak Telekom337, les critères issus de la jurisprudence Bronner338 ne s’appliquent pas à des pratiques autres qu’un refus pur et simple, ces critères ne seront pas appliqués en l’espèce.

315. Essilor considère, par ailleurs, toujours aux fins de contester la clarté du grief n° 1, que ce n’est qu’au stade du rapport que les services d’instruction auraient précisé que la notion d’« acteurs de la vente en ligne » incluait les opérateurs « cross-canal ».

316. L’Autorité constate cependant que la notification des griefs ne laissait pas de doute sur l’inclusion des opérateurs « cross-canal » dans la catégorie des « acteurs de la vente en ligne ».

317. En effet, dans les développements qui figurent dans la section « constatations » de la notification de griefs, les services d’instruction ont expressément rappelé que les « sites de vente en ligne » incluent des opérateurs ayant adopté un modèle « cross-canal », par ailleurs adossé ou non à une offre 100 % en ligne339 (voir les paragraphes 29 et 30 ci-avant).

318. Dans les développements relatifs à l’analyse de la pratique de discrimination reprochée à Essilor, les services d’instruction ont en outre précisé que la pratique en cause consistait en une « politique commerciale restrictive opérant une discrimination entre, d’un côté, les sites de vente en ligne français apparus à partir de la fin des années 2000, qu’ils soient pure players ou qu’ils disposent également de boutiques/showroom, et, de l’autre côté, les opticiens physiques »340 (soulignement ajouté).

319. Par ailleurs, plusieurs comportements rattachés aux pratiques incriminées dans la notification de griefs concernent spécifiquement des sites « cross-canal », avec ou sans maintien d’une offre 100 % en ligne341.

320. De même, la critique selon laquelle les services d’instruction auraient, en réalité, uniquement visé des restrictions en matière de communication sur la marque au titre du grief de discrimination dans l’accès aux produits de marque est infondée.

321. L’Autorité relève à cet égard que les développements qui, selon Essilor, attesteraient de la confusion alléguée342, mentionnent, sans plus de précision, l’existence de « restrictions » imposées à des sites opérant selon un modèle « cross-canal », et notamment aux sites DirectOptic, Evioo, Happyview et ConfortVisuel.

322. Par ailleurs, l’Autorité relève que les restrictions en termes de communication et celles relatives à la livraison de verres de marques sont, en pratique, souvent combinées, dans la mesure où elles concourent toutes deux à l’objectif tenant à réserver l’usage du nom et des marques Essilor aux opticiens traditionnels343.

323. De plus, et contrairement à ce que soutient Essilor, ces refus ne sont pas soumis à un « test juridique différent », dans la mesure où ils relèvent tous de la même politique discriminatoire globale reprochée à Essilor. À cet égard, comme déjà souligné aux paragraphes 305 et suivants ci-dessus, c’est le caractère discriminatoire du refus de livraison de verres de marques et non un « refus de vente » en tant que tel qui fait l’objet du grief notifié.

324. En dernier lieu, l’Autorité constate que la démonstration d’un « avantage concurrentiel » conféré par la possibilité de communiquer sur le nom et les marques du groupe Essilor a bien été, contrairement à ce que prétend Essilor, effectuée au stade de l’examen du premier grief.

325. En effet, dans la notification de griefs, les services d’instruction ont, s’agissant des « effets de la discrimination constatée », constaté, après avoir précisé que les opticiens physiques et les opticiens en ligne opèrent sur le même marché de la vente au détail de produits optiques344, que « l’importance du nom « Essilor » et des marques qui lui sont attachées aux yeux des détaillants et des consommateurs est une caractéristique importante du secteur de l’optique en France »345. Sur ce fondement, ils ont conclu qu’« en privant les sites de vente en ligne du droit de vendre des produits de marque du groupe Essilor et/ou de communiquer sur celui-ci, le groupe Essilor a usé de sa position dominante pour infliger un désavantage concurrentiel aux sites de vente en ligne »346.

326. Pour l’ensemble de ces motifs, il convient, partant, d’écarter le moyen relatif à l’absence de clarté des griefs notifiés.

B. SUR L’APPLICABILITE DU DROIT DE L’UNION

1. LE RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

327. Ainsi que l’expose la Commission dans ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE, il ressort du libellé de ces articles, ainsi que de la jurisprudence des juridictions de l’Union, que la démonstration de l’affectation sensible du commerce impose la réunion de trois éléments : l’existence d’un courant d’échanges entre États membres portant sur les produits en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et, enfin, le caractère sensible de cette affectation347.

328. S’agissant du premier élément, le point 19 des lignes directrices précise que : « [l]a notion de « commerce » n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement »348.

329. S’agissant du deuxième élément, le Tribunal de première instance des Communautés européennes (devenu Tribunal de l’Union européenne, ci-après le « Tribunal ») a jugé, dans le cas d’ententes s’étendant à l’intégralité ou à la vaste majorité du territoire d’un État membre, « qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption qu’une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l’ensemble du territoire d’un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et d’affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire »349.

330. Sur pourvoi, la Cour de justice a précisé à ce propos : « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le [TFUE] »350.

331. La circonstance que des pratiques d’ententes ou d’abus de position dominante ne soient commises que sur le territoire d’un seul État membre ne fait donc pas obstacle à ce que les deux premières conditions soient remplies. À cet égard, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 31 janvier 2012, que les termes « susceptibles d’affecter », énoncés par les articles 101 et 102 TFUE, « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce [entre États membres] »351.

332. S’agissant du troisième élément, la Cour de cassation a jugé, dans ce même arrêt : « le caractère sensible de l’affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause »352.

333. En outre, le point 53 des lignes directrices précitées précise que si un accord ou une pratique sont, par leur nature même, susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, il est présumé que l’affectation du commerce est sensible lorsque la part de marché des parties sur le marché affecté par l’accord est supérieure au seuil de 5 %353. 

2.  L’APPLICATION AU CAS D’ESPECE

334. En l’espèce, les pratiques visées par les griefs notifiés concernent les ventes de verres correcteurs et sont de nature à affecter indirectement les prix de vente au détail. Elles ont été mises en œuvre par Essilor – qui s’appuie sur des laboratoires de prescription répartis dans d’autres États membres pour produire ses verres – qui assure la distribution de ses produits sur l’ensemble du territoire national.

335. Essilor – qui peut se prévaloir d’une marque notoire – est le leader mondial de la fabrication de verres correcteurs. En France, elle détient une part significative du marché de la fourniture en gros de verres correcteurs354, où elle a réalisé un chiffre d’affaires compris entre [450-500] millions d’euros en 2016355.

336. Ainsi, en vertu de la jurisprudence rappelée aux paragraphes 329 et suivants ci-avant et eu égard à leur nature, à leur économie et à leur ampleur géographique, les pratiques en cause dans la présente affaire sont susceptibles d’avoir affecté de manière sensible le commerce entre États membres, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par Essilor. Elles doivent, par conséquent, être analysées tant au regard des règles de concurrence de l’Union que des règles nationales.

C. SUR LA POSITION DOMINANTE D’ESSILOR SUR LE MARCHE PERTINENT

1. LE MARCHE PERTINENT

337. Essilor conteste la définition du marché pertinent proposée par les services d’instruction et, en particulier, sa dimension géographique.

a) Le rappel des principes applicables

338. L’application des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce, qui prohibent les pratiques d’abus de position dominante, requiert que le marché pertinent soit précisément défini. En effet, ainsi que l’a rappelé le Tribunal :

« la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante, il faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité »356.

339. Dans sa communication sur la définition du marché en  cause, la Commission rappelle  qu’« un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés »357. L’appréciation de la substituabilité se fait généralement du côté de la demande, « facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d’un produit donné », mais elle peut également tenir compte de la substituabilité du côté de l’offre358.

340. Suivant la même approche, l’Autorité estime que « [l]e marché, au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. [...] Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil regarde comme substituables, et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »359.

341. Dans sa dimension géographique, le marché est constitué par « le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable »360.

b) L’application au cas d’espèce

342. Les pratiques relevées ont porté sur le secteur de la fourniture en gros de verres correcteurs en France.

Le marché de produits pertinent

343. Il ressort des éléments exposés au titre des constatations que les pratiques ont porté sur les verres correcteurs unifocaux et multifocaux, fabriqués par le groupe Essilor, puis vendus en gros aux opticiens et à leurs groupements.

344. Dans sa décision du 1er mars 2018 rendue dans le cadre de la fusion d’Essilor avec Luxottica, la Commission a identifié un marché de la fourniture en gros de verres ophtalmiques361 finis incluant les verres teintés362. Ce marché inclut à la fois les verres ophtalmiques finis de stock, directement produits en usine, et les verres ophtalmiques finis de prescription, qui existent d’abord sous la forme de substrats ophtalmiques et sont ensuite transformés en produits finis par les laboratoires de prescription363.

345. Dans sa décision, la Commission a envisagé trois sous-segmentations selon (i) le type de matériaux (plastique ou verre)364, (ii) le type de correction365 et (iii) les canaux de distribution366, sans toutefois trancher la question.

346. Dans le cadre de la présente instruction, les principaux verriers et les opticiens ont confirmé que les verres correcteurs se divisent en deux catégories : les unifocaux et les multifocaux, la plupart de ces derniers étant aujourd’hui des verres progressifs367.

347. Cependant, il n’apparaît pas nécessaire, en l’espèce, de se prononcer sur la pertinence d’une segmentation plus fine, dans la mesure où elle n’emporterait aucune conséquence quant à l’appréciation de la position d’Essilor sur le marché.

348. Au regard de ces éléments, et sans que ce point soit contesté par la mise en cause, le marché de produits retenu est celui de la fourniture en gros de verres correcteurs finis.

Le marché géographique pertinent

349. Essilor conteste la délimitation géographique du marché pertinent, limitée au territoire national, retenue par les services d’instruction. Selon Essilor, le marché est de dimension mondiale ou, à tout le moins européenne, au motif que :

- la grande majorité des verres correcteurs finis vendus  en  Europe est  fabriquée en  Asie ; et

- de nombreux distributeurs ont mis en place une stratégie d’approvisionnement paneuropéenne couvrant les besoins de l’ensemble de leur réseau.

350. Toutefois, sur le premier point, ainsi que l’ont relevé les services d’instruction dans leur rapport368, la Commission, dans la décision Essilor / Luxottica, a opté, sur le fondement de sa pratique décisionnelle369 et des résultats du test de marché, pour une délimitation nationale des marchés pertinents, au motif que si les verres de « stock » sont effectivement majoritairement produits en Asie, les verres de prescription sont transformés en verres ophtalmiques finis dans des laboratoires situés en Europe370.

351. Sur le second point, les services d’instruction ont justement souligné, dans le rapport371, que les allégations d’Essilor étaient démenties par la décision de la Commission, selon laquelle la grande majorité des chaînes de distribution au détail de produits optiques acquiert les verres au niveau national et seul un faible nombre ont une stratégie d’approvisionnement européenne372.

352. L’Autorité  constate,  par  ailleurs,  à  l’instar  de  la  Commission  dans  la  décision Essilor / Luxottica précitée, qu’Essilor et les principaux fabricants de verres sont présents localement au sein des États membres de l’EEE afin de livrer rapidement les verres et proposer des services aux opticiens et que la fabrication repose sur des stratégies nationales qui dépendent des politiques de remboursement et d’assurance propres à chaque pays.

353. De surcroît, comme l’a également relevé la Commission, la structure du marché aval est essentiellement dominée par des opticiens indépendants ou des enseignes locales qui achètent leurs verres à l’échelle nationale373.

354. Par conséquent, l’Autorité considère qu’il convient de retenir une dimension nationale du marché de la fourniture en gros de verres correcteurs finis.

355. Il ressort de ce qui précède que le marché concerné par les pratiques est celui de la fourniture en gros de verres correcteurs finis en France.

2.  LA POSITION DOMINANTE D’ESSILOR

a) Le rappel des principes applicables

356. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la position dominante est définie comme une « position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en  lui  fournissant  la  possibilité  de  comportements  indépendants  dans  une  mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et,  finalement,  des  consommateurs »374.

357. L’appréciation d’une position dominante peut se fonder sur plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants375. Certains facteurs peuvent être d’ordre structurel, comme les parts de marché de l’entreprise et celles de ses principaux concurrents, mais sont également pris en compte des éléments qualitatifs de nature à donner un avantage concurrentiel à l’entreprise concernée.

358. L’existence de parts de marché d’une grande ampleur, tout d’abord, est hautement significative376. Ainsi, il est de jurisprudence constante que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, une part de marché de 50 % peut constituer par elle-même la preuve de l’existence d’une position dominante377. Outre le niveau des parts de marché de l’entreprise en cause, il y a également lieu de tenir compte du rapport entre les parts de marché détenues par l’entreprise concernée et par ses concurrents378.

359. D’autres indices que les parts de marché peuvent être pris en compte dans la détermination de la position dominante, tels que l’intensité de la concurrence, la puissance compensatrice des clients et les barrières à l’entrée sur le marché concerné ou encore des caractéristiques propres à l’entreprise en cause tels que le leadership (ou capacité d’influence) sur le marché, l’image de marque ou la puissance financière379.

b) L’application au cas d’espèce

360. Les services d’instruction considèrent que la position dominante d’Essilor résulte, d’une part, du niveau de sa part de marché sur le marché de la distribution en gros de verres correcteurs, de l’ordre de [60-70] % en 2016, mais aussi, d’autre part, d’autres facteurs, tels que (i) la notoriété des marques d’Essilor, (ii) le puissant outil industriel et technologique très solidement implanté en France dont est doté le groupe, constituant un avantage concurrentiel significatif vis-à-vis de ses concurrents et (iii) l’intégration verticale d’Essilor à tous les niveaux de la chaîne de valeur, renforcée récemment par l’acquisition du groupe GrandVision.

361. Essilor considère que cette analyse est en contradiction avec celle de la Commission dans la décision Essilor / Luxottica précitée, dans laquelle cette dernière n’a pas considéré que le pouvoir de marché d’Essilor sur le marché de la distribution en gros de verres ophtalmiques était suffisamment élevé pour verrouiller le marché de la distribution de montures de lunettes et de lunettes de soleil au regard, notamment :

- des marges d’Essilor en France, à la fois relativement faibles et similaires à celles enregistrées dans d’autres pays où sa part de marché est plus faible. Ce constat écarterait l’exercice, par Essilor, d’un pouvoir de fixation des prix380 ;

- du caractère homogène des verres ophtalmiques et de la faible notoriété des marques auprès des consommateurs ; sur ce point, Essilor conteste en particulier, en se fondant sur différentes études, que les marques Essilor soient nécessaires pour permettre aux opticiens de se développer sur le marché français et considère qu’elles ne sont, en tout état de cause, pas incontournables381 ;

- de la concurrence exercée par d’autres verriers de dimension internationale comme Hoya, Carl Zeiss, Vision et Rodenstock, ce qu’illustre par exemple le fait qu’Essilor n’ait emporté qu’une partie d’un appel d’offres important lancé par GrandOptical en France en 2013382 ;

- du contrepouvoir de la demande et de la tendance des clients à multiplier les sources d’approvisionnement dans le secteur383 ; et

- de la faiblesse des barrières à l’entrée et des faibles économies d’échelle pouvant être générées sur ce marché384.

362. Ces différentes considérations ne sont toutefois pas de nature à remettre en cause l’analyse des services d’instruction.

363. À titre liminaire, il sera rappelé qu’il ressort d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constantes que385 l'examen des marchés dans le cadre de la concentration d’entreprises est prospectif et procède d'un objectif différent de celui poursuivi en matière de pratiques anticoncurrentielles386.

364. En conséquence, comme l’a notamment relevé la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 17 mai 2018, Umicore, lorsqu’elle est saisie en matière de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité n’est « pas tenue par (l’analyse) de marché réalisée dans le cadre juridique différent d'une concentration d'entreprises, et formulée dans des termes circonstanciels qui laissaient ouverte la possibilité de conclusions alternatives »387. Toutefois, comme l’a relevé la Cour, si cette analyse de marché réalisée dans le cadre d’une opération de concentration ne lie pas l’Autorité, elle s’avère toutefois intéressante pour éclairer celle du marché concerné par les pratiques anticoncurrentielles alléguées, dès lors que, comme en l’espèce elle est contemporaine de ces faits et relative aux mêmes entreprises388.

365. En deuxième lieu, l’identification d’une position dominante dans le cadre de la présente espèce n’est, en tout état de cause, nullement en contradiction avec la décision de la Commission.

366. La Commission a en effet constaté qu’Essilor détenait « un certain pouvoir de marché » sur le marché des verres ophtalmiques au regard de ses parts de marché qui dépassaient [50-60] % dans neufs États membres et se situaient entre [70-80] % en France, du fait que les marchés de verres ophtalmiques étaient concentrés et que les parts de marché et la présence des concurrents d’Essilor sur ces marchés étaient très inférieures. Elle a également constaté qu’Essilor disposait d’avantages concurrentiels importants permettant d’expliquer l’importance de ses parts de marché, en particulier « la qualité de ses produits, la densité et la fiabilité du réseau de distribution qu’elle a établi et l’importance de ses marques (Varilux, spécialement en France) »389.

367. À cet égard, les éléments mis en avant par Essilor et rappelés au paragraphe 361 ci-avant ont été pris en considération par la Commission dans le cadre spécifique et circonscrit de l’analyse des effets congloméraux pouvant résulter de l’opération.

368. C’est dans cette seule optique que la Commission a vérifié (i) si le pouvoir qu’Essilor détenait sur le marché de la distribution en gros de verres ophtalmiques était susceptible de permettre à l’entité fusionnée de verrouiller les marchés de la distribution des montures de lunettes et de lunettes de soleil, en procédant, par exemple, à des ventes liées de verres et de montures et (ii) si Essilor disposait ou non d’une incitation à procéder de la sorte390.

369. Ce faisant, la Commission a considéré que le pouvoir de marché d’Essilor était insuffisant pour lui permettre de verrouiller le marché de la distribution des montures de lunettes et de lunettes de soleil. Toutefois, comme rappelé aux paragraphes 363 et 364 ci-avant, cette conclusion ne préjuge en rien de l’analyse de la position d’Essilor sur le marché français de la fourniture en gros de verres correcteurs dans le cadre de l’analyse des pratiques faisant l’objet de la présente décision.

370. En troisième lieu, il ne peut sur ce point être contesté en l’espèce qu’Essilor domine largement le marché français de la fourniture en gros de verres correcteurs, avec des parts de marché à la fois très élevées en valeur absolue et très supérieures à celles de ses deux principaux concurrents, les verriers Carl Zeiss et Hoya.

371. Comme déjà évoqué au paragraphe 366 ci-avant, dans sa décision rendue dans le cadre de la fusion Essilor/Luxottica précitée, la Commission a constaté que les parts de marché d’Essilor391 en valeur sur le marché français pour l’année 2016 étaient comprises entre [70-80] %392, quel que soit le segment retenu.

372. L’Autorité avait d’ailleurs déjà pu constater des parts de marché similaires dans le passé, tant dans son avis du 26 juin 2009393 relatif au secteur de l’optique-lunetterie que dans sa décision du 26 février 2013 portant sur des pratiques dans le même secteur394. Dans cette dernière, l’Autorité, se fondant sur les estimations du Syndicat des Opticiens Entrepreneurs (« SynOpe » devenu en 2017 le Syndicat National des Opticiens Réunis – « SNOR »), attribuait au groupe Essilor une part de marché de 70 %, contre seulement 11 % pour Carl Zeiss et 9 % pour Hoya. Sur la base des mêmes estimations, l’UFC-Que Choisir, dans une étude d’avril 2013, considérait qu’Essilor se trouvait « en position de domination écrasante en France »395. L’étude Xerfi de septembre 2015 estimait même qu’Essilor « détient un quasi-monopole sur le marché du verre »396.

373. Les estimations de parts de marché fournies par Essilor en réponse à la demande d’informations du 16 novembre 2017 confirment cette prépondérance :

Verres unifocaux (en valeur)397 :

 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Groupe Essilor398

[60-70] % [60-70] % [60-70] % [50-60] % [60-70] % [60-70] % [60-70] %

Carl Zeiss [20-30] % [10-20] % [10-20] % [10-20] % [10-20] % [0-10] % [0-10] %

Hoya [10-20] % [10-20] % [0-10] % [0-10] % [10-20] % [10-20] % [10-20] %

Verres progressifs (en valeur)399 :

2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Groupe Essilor [60-70] % [60-70] % [70-80] % [70-80] % [70-80] % [70-80] % [60-70] %

Carl Zeiss [0-10] % [10-20] % [10-20] % [10-20] % [0-10] % [0-10] % [0-10] %

Hoya [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [10-20] % [10-20] %

Verres multifocaux400 (en valeur)401 :

 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Groupe Essilor [50-60] % [50-60] % [70-80] % [70-80] % [70-80] % [70-80] % [60-70] %

Carl Zeiss [0-10] % [10-20] % [10-20] % [10-20] % [0-10] % [0-10] % [0-10] %

Hoya [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [10-20] % [10-20] %

Tous verres (en valeur)402 :

2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Groupe Essilor [50-60] % [60-70] % [60-70] % [60-70] % [70-80] % [70-80] % [60-70] %

Carl Zeiss [10-20] % [10-20] % [10-20] % [10-20] % [0-10] % [0-10] % [0-10] %

Hoya [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [0-10] % [10-20] % [10-20] %

374. Or il ressort d’une jurisprudence constante, rappelée au paragraphe 358 ci-avant, que la part de marché de l’opérateur constitue un critère prépondérant dans l’appréciation de la position dominante. La Cour de Justice considère, à cet égard, qu’une part de marché de 50 % constitue par elle-même, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante403.

375. À cet égard, la concurrence d’acteurs de dimension internationale évoquée par la mise en cause ne saurait nullement exclure qu’Essilor détienne une position dominante en France. En effet, l’analyse des données qui figurent dans les tableaux ci-dessus montre que, quelles que soient l’année et la segmentation retenues, Essilor domine largement le marché, avec une part de marché très largement supérieure à celle de ses deux principaux concurrents, et ce de manière stable depuis plusieurs années.

376. L’évolution du marché depuis 2017 ne remet pas en cause ce constat : un article de septembre 2019 citant le dirigeant de la filiale française de Carl Zeiss indique qu’Essilor détient toujours 65 % de parts de marché404.

377. En dernier lieu, Essilor n’a pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles de nature à écarter la présomption de position dominante ressortant de ses parts de marché très élevées. Au contraire, ainsi que l’a relevé la Commission dans la décision Essilor/Luxottica, la position dominante d’Essilor résulte également d’autres facteurs, lui conférant des avantages concurrentiels ne pouvant pas être répliqués par ses principaux concurrents.

378. Premièrement, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus aux paragraphes 91 et suivants, tant la dénomination commerciale « Essilor », que les marques qui lui sont associées bénéficient d’une notoriété importante en France et, en tout état de cause, très supérieure à celle de ses concurrents.

379. Or, contrairement à ce que soutient Essilor, les consommateurs français sont sensibles aux marques de verres, et à celles d’Essilor en particulier. Ainsi, une étude produite par Essilor montre qu’en France, la marque de verres est un critère de choix important ou très important pour près de la moitié des consommateurs sondés en 2020405. D’autres études, également produites par Essilor, confirment, d’une part, que le nom d’Essilor est significativement plus connu en France que dans d’autres pays européens406 et, d’autre part, que près de la moitié des consommateurs associent sans aucune aide la marque Essilor aux verres progressifs407. Ce constat est d’ailleurs confirmé par la Commission, qui a indiqué que la marque Varilux est « très connue dans certains pays de l’EEE tels que la France »408.

380. La réputation d’Essilor suscite, en pratique, une demande supplémentaire et particulière des consommateurs pour les verres de cette marque, qui profite à ses seuls revendeurs. Ainsi qu’ont pu le relever les services d’instruction, les opticiens (y compris ceux qui sont membres de grandes enseignes) communiquent régulièrement sur la présence des produits Essilor dans leurs catalogues, à travers d’importantes campagnes de publicité409.

381. Comme l’ont également relevé les services d’instruction, l’avantage concurrentiel dont bénéficient les revendeurs de produits Essilor est attesté par les performances des opticiens partenaires du groupe Essilor410. Une étude approfondie menée par le cabinet Gallileo Business Consulting en 2021 à la demande d’Essilor, réalisée à partir des comptes de résultats de 1 366 magasins représentant plus de 10 % du chiffre d’affaires total des opticiens physiques français, montre qu’entre 2007 et 2019, les opticiens ayant axé leur politique d’achat sur les verres Essilor « connaissent une dynamique de croissance nettement plus positive chaque année par rapport aux opticiens n’ayant jamais rejoint le programme de partenariat »411.

382. À cet égard, le fait que, comme l’allègue la mise en cause, les produits de marque Essilor ne soient pas indispensables pour exercer la profession d’opticien est sans incidence. En effet, les services d’instruction ont démontré que la notoriété des marques d’Essilor constituait un avantage concurrentiel important qui, combiné à d’autres facteurs et à l’analyse des parts de marché de la mise en cause, tendait à confirmer la détention, par cette dernière, d’une position dominante sur le marché de distribution en gros de verres correcteurs412.

383. Deuxièmement, Essilor a développé un outil industriel, technologique et logistique sans équivalent en France, qui lui permet de disposer d’un maillage territorial au plus près des opticiens et consommateurs. La Commission a d’ailleurs relevé que, parmi les facteurs expliquant les importantes parts de marché d’Essilor, figurait son réseau de distribution particulièrement dense et fiable413.

384. Le 19 février 2015, le président-directeur général d’Essilor International déclarait, sur ce point : « ce qui fait surtout la grande différence entre nous et tous les autres, c’est notre ensemble des opérations, notre supply chain [chaîne d’approvisionnement], notre logistique. Nous avons atteint un sommet en termes d’efficacité, mais surtout une barrière à l’entrée aujourd’hui inégalée par aucun de nos concurrents ce qui nous permet de gagner des contrats et de les garder sur le très long terme »414 (soulignement ajouté). Cette particularité permet notamment à Essilor de proposer des services fidélisants tels que le « Service Proximité » permettant de bénéficier de délais de livraison très courts415, ou encore, de communiquer sur l’origine française de ses produits416.

385. Ainsi, l’argument d’Essilor relatif à la faiblesse des barrières à l’entrée sur le marché est d’abord directement contredit par les déclarations de l’entreprise elle-même. Il est par ailleurs réfuté par la circonstance que, comme l’ont relevé les services d’instruction, si de nouveaux entrants, d’origine asiatique notamment, ont pu être identifiés sur le marché de la fabrication de verres, ces derniers ne proposent que des produits d’entrée ou de milieu de gamme et n’ont que de très faibles parts de marché en France et dans le reste de l’Europe417, de sorte que la dominance d’Essilor ne pourrait aucunement être remise en cause à court terme par un nouvel entrant.

386. Troisièmement, Essilor est le seul verrier verticalement intégré, présent à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Dans son document de référence pour l’année 2015, le groupe soulignait ainsi être présent à chaque étape, de la fabrication du produit à son acheminement, grâce à son réseau mondial d’usines, de laboratoires de prescription, centres de taillage-montage et de centres de distribution partout dans le monde. Il ne peut d’ailleurs être contesté que le groupe intervient tant en amont, dans la fabrication d’équipements à destination des laboratoires de prescription (machines pour la finition de verres), qu’en aval, dans la vente de verres et de montures au détail, via des opticiens en ligne et des réseaux d’opticiens physiques.

387. L’intégration verticale d’Essilor s’est particulièrement renforcée à la suite de la fusion avec le groupe Luxottica en 2018 et de l’acquisition du groupe d’optique GrandVision en 2021.

Cette intégration verticale lui permet de réaliser des synergies tout en lui conférant une maîtrise totale de la chaîne de distribution et la possibilité de mettre en place des stratégies globales.

388. S’agissant du contre-pouvoir de la demande invoqué par la requérante, les services d’instruction ont justement relevé dans le rapport que le pouvoir de négociation de la demande est réparti entre sept acteurs, représentant chacun moins de 10 % des achats totaux, cette donnée ne prenant pas encore en compte, au surplus, le fait que le groupe GrandVision est désormais détenu par Essilor418. Par ailleurs, la notoriété et l’image de marque d’Essilor en France analysées supra limitent significativement la capacité et l’incitation des opticiens à changer de fournisseur.

389. À la lumière de l’ensemble de ce qui précède, l’Autorité considère qu’Essilor est en position dominante sur le marché de la distribution en gros de verres correcteurs.

D. SUR LE BIEN FONDE DES GRIEFS NOTIFIES

390. Seront successivement examinés le grief n° 1 relatif à la mise en œuvre d’une politique commerciale discriminatoire visant à limiter l’approvisionnement des sites de vente en ligne en verres fabriqués par Essilor (1) et le grief n° 2 relatif à la diffusion d’un discours trompeur et fluctuant visant à entraver le développement de la vente en ligne de lunettes de vue en France (2).

1. S’AGISSANT DU GRIEF N° 1

a) Rappel des principes applicables

Sur l’abus de position dominante

391. Aux termes de l’article 102 du TFUE : « Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci (…) ».

392. L’article L. 420-2 du code de commerce dispose que : « Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci (…) ».

393. Il incombe à une entreprise en position dominante la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par un comportement qui ne relève pas de la seule concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur419.

394. Les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce prohibent les pratiques abusives qui sont susceptibles de porter un préjudice direct aux consommateurs, ainsi que celles qui leur portent un préjudice indirect en portant atteinte au libre jeu de la concurrence420.

395. La notion d’abus est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché où, du fait de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli ou au développement de cette concurrence421. La notion d’abus vise également les comportements par lesquels une entreprise en position dominante utilise les possibilités qui découlent de cette position pour obtenir des avantages de transaction qu’elle n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace422.

396. Les pratiques mentionnées aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ne constituent pas une liste exhaustive des pratiques susceptibles d’être qualifiées d’abus de position dominante423.

397. Par ailleurs, il est constant, en droit de l’Union comme en droit interne, que les abus de position dominante constituent des infractions objectives, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’une intention délictuelle424.

398. Cela étant, « la preuve d’une telle intention, si elle ne saurait suffire à elle seule, constitue une circonstance factuelle susceptible d’être prise en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante (…) »425.

399. S’agissant des effets du comportement de l’entreprise dominante, l’article L. 420-2 du code de commerce, comme l’article 102 du TFUE, interdit les comportements qui tendent à restreindre la concurrence ou sont susceptibles d’avoir un tel effet426.

400. Ainsi, aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 102 TFUE, il n’est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés. Il suffit de démontrer qu’il tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, qu’il est de nature à ou susceptible d’avoir un tel effet.

401. Pour constater un abus d’éviction, il suffit que cette pratique ait eu, au cours de la période pendant laquelle elle a été mise en œuvre, la capacité de produire un effet d’éviction à l’égard de concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante427.

402. Il n’est pas non plus nécessaire que cet effet se matérialise effectivement428. Par conséquent, lorsqu’une entreprise en position dominante met effectivement en œuvre une pratique susceptible de générer un effet d’éviction de ses concurrents, la circonstance que le résultat escompté n’est pas atteint ne suffit pas à écarter l’application de l’article 102 TFUE429.

403. La seule limite posée par la jurisprudence à cet égard est que cet effet ne soit pas purement hypothétique430.

404. En dehors de cette hypothèse, comme la cour d’appel de Paris l’a rappelé, « l’Autorité doit seulement démontrer l’existence d’un effet anticoncurrentiel au moins potentiel, sans avoir à apporter la preuve d’une détérioration effective quantifiable de la position concurrentielle des autres opérateurs sur le marché »431.

405. Enfin, une entreprise occupant une position dominante peut justifier des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE. En particulier, elle peut démontrer, à cet effet, soit que son comportement est objectivement nécessaire, soit que l’effet qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs432.

406. De manière analogue, l’article L. 420-4 du code de commerce permet à une entreprise en position dominante de fournir une justification objective aux comportements susceptibles d’être interdits par l’article L. 420-2 du même code. 

Sur les pratiques de discrimination abusive

407. S’agissant, spécifiquement, de la prohibition des pratiques de discrimination abusives, l’article 102, deuxième alinéa, sous c), précise que les pratiques abusives peuvent notamment consister à « appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ».

408. De même, l’article L. 420-2 du code de commerce énonce :

« Est prohibée […] l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en […] conditions de vente discriminatoires » (soulignement ajouté).

409. Selon la Cour de justice, l’interdiction des pratiques discriminatoires quand elles sont le fait d’entreprises en position dominante a précisément pour objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée433.

410. Une pratique de discrimination abusive consiste à traiter de manière différente des partenaires commerciaux qui sont dans des situations identiques, ou de manière identique des partenaires commerciaux qui sont dans des situations différentes434.


L’application de conditions inégales à des prestations équivalentes

411. Il ressort d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constantes qu’un traitement discriminatoire consiste, pour un acteur en position dominante, à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, étant entendu qu’il reste loisible à un opérateur en position dominante de traiter différemment des partenaires se trouvant dans des situations différentes435.

412. Dans la mesure où c’est le comportement de l’entreprise en position dominante qu’il convient d’analyser pour démontrer l’existence de pratiques discriminatoires, l’équivalence de situation entre opérateurs économiques doit s’apprécier au regard de leur situation à l’égard de celle-ci436. Il importe ainsi d’examiner s’ils reçoivent de sa part des prestations équivalentes.

La création d’un désavantage dans la concurrence

413. Ainsi que le relèvent de manière constante les juridictions et l’Autorité :

« [l]es pratiques discriminatoires peuvent être restrictives de concurrence lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet d’évincer un concurrent du marché (atteinte de premier niveau) mais aussi lorsque des clients de l’entreprise en position dominante se voient désavantagés dans la concurrence sur leur propre marché (atteinte de second niveau) »437.

414. Il en ressort que les comportements discriminatoires abusifs peuvent relever de deux situations.

415. S’agissant des discriminations de premier niveau, la discrimination consiste à renforcer de manière artificielle le pouvoir de marché de l’entreprise qui la met en œuvre sur le marché dominé ou sur un autre marché. Cette situation peut, par exemple, survenir lorsqu’une entreprise verticalement intégrée bénéficie d’un accès privilégié à certains intrants qu’elle contrôle en amont et qui sont utiles, voire indispensables, à l’exercice d’une activité aval sur laquelle elle est également présente. Un comportement de ce type relève de la catégorie des abus dits d’éviction, en ce qu’il découle de la stratégie d’une entreprise dominante qui tire parti du pouvoir qu’elle détient sur un marché pour affaiblir, discipliner voire évincer un ou plusieurs de ses concurrents438.

416. S’agissant des discriminations de second niveau, la discrimination porte atteinte au jeu concurrentiel sans que l’entreprise qui la mette en œuvre soit directement partie prenante sur le marché affecté. Par des différences de traitement injustifiées, l’entreprise en position dominante peut, par exemple, du fait de la position particulière qu’elle occupe à l’égard d’acteurs situés à un autre stade de la production, qu’ils soient ses partenaires, clients ou fournisseurs, avantager ou désavantager de manière artificielle certains de ces acteurs par rapport à d’autres.

417. À cet égard, la Cour de justice a déjà jugé, dans l’arrêt MEO du 19 avril 2018 :

« [l]e comportement commercial de l’entreprise en question ne doit pas fausser la concurrence sur un marché situé en amont ou en aval, c’est-à-dire la concurrence entre fournisseurs ou entre clients de cette entreprise. Les cocontractants de ladite entreprise ne doivent pas être favorisés ou défavorisés sur le terrain de la concurrence qu’ils se livrent entre eux »439.

418. En déséquilibrant les chances des différents offreurs dans la compétition, l’entreprise en position dominante prive le marché – et, in fine, les consommateurs – des bénéfices de l’exercice d’une concurrence par les mérites. Ce type de comportement relève de la catégorie des abus dits d’exploitation, en ce qu’il procède de la mobilisation d’un pouvoir de marché d’une manière tendant à porter atteinte au bon fonctionnement des marchés, au-delà du seul intérêt de l’entreprise en cause440.

419. En conséquence, une pratique discriminatoire de second niveau constituera un abus de position dominante si elle crée un désavantage dans la concurrence, c’est-à-dire si « elle tend à fausser ce rapport de concurrence » entre les entreprises qui font l’objet de ce traitement discriminatoire441.

420. La Cour de justice a également précisé, dans le même arrêt, que :

« la seule présence d’un désavantage immédiat affectant des opérateurs qui se sont vu infliger des prix supérieurs […] ne signifie pas pour autant que la concurrence soit faussée ou soit susceptible de l’être »442. Au contraire, « c’est seulement si le comportement de l’entreprise en position dominante tend, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à conduire à une distorsion de concurrence entre ces partenaires commerciaux, que la discrimination de partenaires commerciaux qui se trouvent dans un rapport de concurrence peut être considérée comme abusive »443 (soulignements ajoutés).

421. Toutefois, afin d’établir l’existence d’une telle distorsion de concurrence, il n’est pas nécessaire de prouver une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle du partenaire commercial discriminé. L’existence ou l’absence d’un tel désavantage dans la concurrence peut être établie par un examen de l’ensemble des circonstances pertinentes au cas d’espèce444.

422. Il convient donc d’examiner, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, si le comportement discriminatoire « a une influence sur les coûts, sur les bénéfices, ou sur un autre intérêt pertinent d’un ou de plusieurs desdits partenaires de sorte que ce comportement est de nature à affecter ladite position [concurrentielle du partenaire commercial discriminé] »445 (soulignement ajouté).

423. Ainsi, pour conclure à l’existence d’une pratique discriminatoire abusive, il convient d’examiner si (i) cette entreprise a appliqué des conditions inégales à des prestations équivalentes, et si (ii) cette discrimination a été de nature à entraîner un désavantage dans la concurrence446. Lorsque ces conditions sont réunies, une pratique discriminatoire peut néanmoins échapper à l’interdiction édictée par les articles 102 TFUE et L.420-2 du code de commerce si l’entreprise démontre qu’elle est objectivement justifiée ou qu’elle produit des gains d’efficience l’emportant sur ses effets restrictifs.

b) Application au cas d’espèce

424. Conformément aux principes rappelés ci-avant, l’Autorité examinera successivement le caractère discriminatoire des pratiques mises en œuvre par Essilor, leurs effets actuels ou potentiels sur la concurrence et les justifications apportées par Essilor.

L’existence d’une politique discriminatoire visant les sites de vente en ligne

425. Les éléments du dossier font apparaître qu’Essilor a imposé des conditions commerciales défavorables applicables aux seuls sites de vente en ligne, notamment à ceux proposant une offre entièrement en ligne447. Contrairement à ce qu’affirme Essilor, cette différence de traitement est discriminatoire dans la mesure où elle n’était pas justifiée par les particularités des prestations ou du modèle économique propres à ces acteurs. 

L’imposition de conditions commerciales défavorables aux sites de vente en ligne

426. Il a été constaté, aux paragraphes 154 et suivants ci-avant qu’Essilor a, dès 2009, adopté une politique consistant en la mise en œuvre d’un ensemble de restrictions commerciales ciblant spécifiquement les sites Internet d’opticiens actifs en France et limitant fortement leur capacité à distribuer des verres de marque Essilor et Varilux. Ces restrictions ont plus spécifiquement porté :

- sur la possibilité des sites de vente en ligne d’obtenir des verres de marque Essilor et Varilux, et, en tout état de cause, de communiquer sur l’origine des verres et sur l’utilisation de logos Essilor (ci-après les « restrictions en matière de communication »). Ces restrictions ont concerné tant les verres « simples » que les verres « complexes »448 ;

- sur les conditions de garantie des verres progressifs de marque Essilor et Varilux à compter du 1er janvier 2013.

• Les restrictions en matière de communication sur les marques d’Essilor visant les sites Internet actifs en France

a. Le site Sensee

427. En réponse à l’appel d’offres pour la fourniture de verres unifocaux et  progressifs lancé  en 2011449, Sensee s’est vu proposer des verres sans marque par Essilor et imposer la confidentialité quant à l’origine des verres450. Des documents ultérieurs montrent qu’Essilor n’a consenti à fournir Sensee, à compter de 2011, qu’en verres sous marque blanche, unifocaux et progressifs451.

428. Sur ce point, les éléments du dossier indiquent qu’Essilor, tout en ayant conscience de ne pas avoir d’arguments sérieux à opposer aux demandes de référencement de Sensee452, a néanmoins cherché à trouver des arguments techniques pour justifier son refus453. Comme rappelé ci-avant (voir paragraphes 183 et 184), ces efforts ont d’ailleurs parfois suscité l’incompréhension de certains services en interne.

429. Finalement, ce n’est qu’après plus de deux ans de tractations et devant l’insistance de Sensee, qu’Essilor lui a finalement donné son accord pour référencer des verres unifocaux et progressifs de marque Essilor, mais pas de marque Varilux454. Cet accord a toutefois été soumis à des restrictions en termes de communication. En décembre 2013, le groupe Essilor a enjoint en effet à Sensee de retirer la mention qu’« Essilor est partenaire de Sensee » et a exigé le retrait du logo Essilor455. Sensee s’est exécuté en supprimant le logo de son site et en substituant la mention de « fournisseur » à celle de « partenaire »456.

430. À cet égard, Essilor fait valoir qu’elle n’est pas la seule à avoir limité son offre à des verres sans marque, assortis de restrictions en matière de communication, et que les autres verriers ont fait de même car il s’agissait d’une pratique de marché. Or, comme exposé aux paragraphes 393 et suivants ci-avant, cette circonstance n’est pas de nature à exonérer le groupe Essilor de sa responsabilité particulière au regard du droit de la concurrence, eu égard à sa qualité d’opérateur en situation de position dominante.

b. Les autres sites

431. Il résulte de l’ensemble des éléments exposés ci-avant aux paragraphes 214 à 231 qu’Essilor est intervenue auprès des sites Direct Optic, Evioo, ExperOptic, ConfortVisuel, Acheter-lunettes.com, Happyview, Opticien 24 et VisioFactory, afin d’interdire toute mention ou toute communication sur son nom et/ou ses marques, logos, ou tout autre signe distinctif.

432. Ces différents exemples montrent clairement qu’Essilor a cherché à empêcher l’utilisation de ses marques par les sites de vente en ligne, en n’acceptant de livrer que des verres sous marque blanche et/ou en empêchant à tout le moins les sites de vente en ligne d’utiliser son logo et de communiquer sur l’origine des verres.

433. Ils contredisent en outre l’affirmation d’Essilor selon laquelle les services d’instruction n’ont pas produit des éléments justifiant d’une commande de verres de marques que le groupe Essilor n’aurait pas honorée, hormis à l’égard de Sensee457.

434. Indépendamment du fait que le seul refus opposé à Sensee soit suffisant pour constituer un abus compte tenu, notamment, de l’importance de cet acteur pour le développement de la vente en ligne en France (voir les paragraphes 162 et suivants ci-avant), les services d’instruction ont établi à suffisance l’existence de comportements similaires envers d’autres opticiens en ligne désireux de distribuer des verres de marque Essilor458 et/ou Varilux, notamment DirectOptic, Evioo et Experoptic.

435. Ils ont également, en tout état de cause, établi qu’Essilor a imposé des restrictions empêchant nombre de sites de vente en ligne d’utiliser ses logos de marques ou d’informer les consommateurs sur l’origine des verres fabriqués par Essilor.

436. Pour contester néanmoins le caractère discriminatoire de ces pratiques, Essilor invoque l’existence de livraisons sporadiques de verres de marque à certains opticiens en ligne. Elle affirme en outre que les opticiens physiques auraient fait l’objet des mêmes restrictions en termes de communication que les sites de vente en ligne.

437. Sur le premier point, Essilor fait valoir qu’elle aurait livré des verres de marques aux sites en ligne suivants :459

- Mister Spex, à qui ont été livrées de très petites quantités de verres Varilux460 ;

- ConfortVisuel, qui a obtenu [750-1 000] unités de verres progressifs entre 2011 et 2014, en ce compris des verres Varilux461. Il ressort en outre des déclarations du président de la société Thomas Sinclair Laboratoires, le 21 juillet 2013, que cette société a vendu des verres Varilux sur son site Internet jusqu’à la fin de son activité en ligne, soit

« en 2015-2016 »462, ce dont Essilor avait connaissance463. Un document interne d’octobre 2012, cité supra au paragraphe 113 ci-avant, qui contient une analyse comparative de plusieurs sites de vente en ligne français, montre en outre qu’Essilor avait connaissance de la vente par ConfortVisuel de produits de marques Essilor et Varilux. Il doit toutefois être souligné que le même document relève, en parallèle, que le site pratiquait pour ses verres premium des prix bien supérieurs à ceux des autres acteurs de la vente en ligne, et même supérieurs à ceux des opticiens physiques464 ;

- Happyview, qui indiquait en 2013 se fournir auprès d’Essilor en verres progressifs « équivalent aux verres VariluxConfort ou encore aux verres Sélective de la BBGR »465 ;

- DirectOptic, qui a acheté des verres unifocaux et Varilux en 2015466 ;

- Evioo, qui a acheté des « verres unifocaux et progressifs entre 2015 et 2016 »467.

438. L’Autorité considère toutefois que ces quelques ventes ponctuelles et marginales, qu’Essilor tente d’ailleurs de justifier par le fait que les opérateurs concernés opèreraient tous selon un modèle « cross-canal » imposant le passage par un point de vente physique, ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour démontrer l’absence d’une politique globale de refus de livraison de verres de marques aux sites de vente en ligne, par ailleurs établie sur la base des nombreux éléments rappelés aux paragraphes 154 et suivants ci-avant.

439. Surtout, l’Autorité relève que ces ventes, qui incluent des verres « complexes », ne concernent, contrairement à ce que suggère Essilor, en réalité, pas uniquement des opticiens opérant selon un modèle « cross-canal » imposant la vérification des prises de mesure au point de vente physique. C’est notamment le cas de Mister Spex et de ConfortVisuel, qui conservaient une offre entièrement en ligne.

440. Aussi, ces livraisons sont de nature à remettre en cause la pertinence des explications apportées par Essilor pour justifier les restrictions imposées aux autres opticiens en ligne (voir paragraphes 427 et suivants ci-avant).

441. Sur le second point, Essilor ne conteste pas l’existence de restrictions en matière de communication imposées aux sites de vente en ligne, mais soutient que ces règles ont été appliquées de manière uniforme à tous les opticiens et donc également aux opticiens physiques.

442. Cette affirmation est toutefois mise en cause par plusieurs éléments.

443. Tout d’abord, les services d’instruction ont justement constaté que l’usage du nom de marque Essilor n’a été encadré dans les Conditions générales d’utilisation d’Essilor qu’à partir de 2013468. Or, comme rappelé aux paragraphes 427 et suivants ci-avant, plusieurs des opticiens en ligne se sont vu interdire l’usage du nom de marque Essilor avant cette date.

444. Ensuite, si Essilor allègue avoir également mis en demeure de nombreux opticiens physiques pour usage non conforme de son nom de marque469, il s’avère que les documents produits en ce sens par ses soins concernent l’utilisation de logos et de visuels sans autorisation et non la simple mention de l’origine des verres commercialisés.

445. En outre, sur une période de dix ans, seuls deux exemples de mises en demeure produits par Essilor sont susceptibles de porter sur la mention de l’origine Essilor des verres :

- un courrier qui aurait été adressé à OpticalCenter le 3 octobre 2011, mais qui ne figure au dossier d’instruction qu’à l’état de projet470, fait état d’une communication qui allait bien au-delà de la seule mention de l’origine Essilor des verres. Le magasin concerné avait en effet édité un dépliant dans lequel il se présentait en première page comme un

« Partenaire du Groupe Essilor International », le nom Essilor étant inscrit « en gros caractères, dans une police et une couleur bleue évoquant celles du logo Essilor »471 ;

- une mise en demeure adressée à l’Entrepôt à lunettes le 10 octobre 2017472 indiquait, ainsi que l’ont relevé les services d’instruction473, que cette entreprise utilisait la dénomination « verres Essilor » sans plus de précision dans le cadre de la promotion de son enseigne. Essilor considérait que ce comportement était susceptible d’être assimilé à du parasitisme dans la mesure où il consistait à « s’appuyer sur la notoriété et la qualité des produits Essilor pour communiquer et ainsi faciliter la revente de certains verres auprès du grand public ».474 Il s’agit donc d’une pratique différente du simple souhait, de la part des sites de vente en ligne, de pouvoir informer leurs clients sur l’identité du fabricant des produits proposés sur leur site, conformément à la loi.

446. Ces deux exemples, en ce qu’ils concernent des situations trop isolées et spécifiques, ne sauraient attester à eux seuls de l’existence d’une équivalence de traitement entre opticiens physiques et opticiens en ligne, lesquels ont, pour leur part, fait l’objet d’une interdiction de principe de mentionner l’origine Essilor de leurs verres, y compris en « caractères bâtons ».

447. S’agissant de l’utilisation des logos et visuels, Essilor reconnaît elle-même dans ses écritures des « différences d’application » de ses conditions générales d’utilisation de ses marques475.

448. La différence de traitement entre les deux catégories d’opérateurs ressort par ailleurs, sans ambiguïté, du compte-rendu de la réunion du 19 janvier 2012 portant sur la stratégie Internet et l’encadrement de la vente de verres Varilux via ce canal476.

449. Essilor, dans ses écritures, souligne, à l’égard de ce document477, que, s’agissant des opticiens physiques, l’utilisation du logo Essilor n’est autorisée qu’après vérification d’un référencement suffisant des produits Essilor, leurs sites « vitrines » étant en outre soumis à un critère de chiffre d’affaires réalisé avec Essilor. En revanche « pour ce qui est des sites de e-commerce, si Essilor refuse en effet l’utilisation des “ bannières du logo ”, il leur est possible d’utiliser une “ police bâton ” »478.

450. Ainsi, c’est sans dénaturer ce document que les services d’instruction ont conclu que l’utilisation des logos pour les opticiens physiques était autorisée sous réserve du respect de règles claires et objectives, alors qu’elle faisait l’objet d’une interdiction de principe pour les sites de vente en ligne.

451. Ce constat n’est pas remis en cause par l’exemple, invoqué par Essilor479, d’une boutique Optic 2000 qui aurait fait l’objet de restrictions concernant l’utilisation de logos et visuels. Outre son caractère isolé, la capture d’écran fournie montre qu’en plus de la référence à Essilor en « caractères bâtons », le magasin a utilisé un fond bleu évoquant le logo Essilor, et que le logo est aussi présent en haut à droite de l’affiche et sur d’autres parties de la devanture480.

452. Cette différence de traitement dans l’utilisation des logos est de nature à avoir avantagé les opticiens physiques par rapport aux sites de vente en ligne et en particulier par rapport aux sites « pure players », lesquels ne pouvaient, sans manquer à leurs obligations contractuelles à l’égard d’Essilor, informer leurs clients sur la circonstance que les verres étaient fabriqués par Essilor.

453. Or, comme il a été constaté au paragraphe 97 ci-avant, l’utilisation de logos et visuels, auxquels les revendeurs physiques ont abondamment recours481, a un impact significatif sur le choix des consommateurs, compte tenu de la notoriété particulière de la marque Essilor en France.

454. L’étude Gallileo citée ci-avant au paragraphe 381 apporte d’ailleurs un éclairage intéressant sur la portée d’un document interne d’Essilor daté de janvier 2012, dans lequel il est précisé que l’interdiction d’afficher les logos, imposée aux sites vendant des produits de marque Essilor, répondait à la « très forte attente protectionniste » des opticiens physiques à l’égard du groupe Essilor482.

455. Contrairement à ce que soutient Essilor, ce document n’a pas été dénaturé par les services d’instruction483. Il y est en effet expressément précisé, dans la partie introductive, que « face aux attaques médiatiques répétées dont le marché de l’optique français est la cible depuis près d’un an, nos clients sont très sensibilisés et expriment une très forte attente protectionniste à notre égard, notamment sur question [sic] de la vente en ligne » (soulignement ajouté).

456. Dans ce contexte, le document fait référence à un certain nombre d’actions, dont une prise de parole avec les opticiens « parallèlement à la commercialisation de certains produits de marque Essilor sur internet (mais sans logo) » (soulignement ajouté). Il établit donc un lien direct entre la nécessité de répondre à l’« attente protectionniste » des opticiens physiques et l’interdiction d’afficher le logo sur Internet, lien par ailleurs corroboré par le courrier envoyé le 20 décembre 2013 par Essilor à ses clients traditionnels pour les informer du retrait de son logo du site Sensee484.

457. Il ressort de ce qui précède qu’Essilor a mis en œuvre des restrictions en termes de communication visant spécifiquement les sites de vente en ligne et notamment ceux n’imposant pas un passage par un point de vente physique.

• Les restrictions portant sur les garanties des verres Essilor et Varilux

458. Les restrictions en matière de fourniture de verres de marques et de communication ont été complétées par une limitation des conditions de garantie des verres Essilor et Varilux affectant spécifiquement les achats effectués en ligne.

459. Ainsi qu’il a été rappelé au paragraphe 238 ci-avant, à compter du 1er janvier 2013, les CGV applicables à toute commande et à toute utilisation des marques Essilor ont en effet conditionné la prise en charge par Essilor de la garantie adaptation au respect, par le détaillant, d’un protocole de prise de mesures exclusivement conçu pour la vente en magasin.

460. Or, en cas de non-respect de ce protocole, le remplacement des verres est à l’entière charge du détaillant, ce qui n’a pu que pénaliser les sites de vente en ligne et en particulier les opticiens « pure players ».

461. À compter de 2014, l’introduction des nouvelles CPV Varilux a nécessairement accru l’efficacité de la politique de refus de vente de verres de marques aux opérateurs en ligne.

462. En effet, comme rappelé aux paragraphes 245 et suivants ci-avant, ces CPV réservent à Essilor le droit de « refuser toute commande de verres Varilux émanant d’un Acheteur » qui ne respecte pas les exigences d’un protocole jugé, par le fabricant, comme incompatible avec la vente en ligne et applicable à tout verre de marque Varilux.

463. À cet égard, Essilor n’a fait état d’aucun exemple concret d’application de ces règles à l’égard d’opticiens physiques, et ce bien qu’elle y ait été invitée par les services d’instruction485.

464. Par ailleurs, les informations communiquées par Essilor attestent que les ventes de verres de sa marque à tous les types de sites de vente en ligne actifs en France, déjà faibles entre 2010 et 2014, sont devenues quasi inexistantes à partir de 2015, à l’exception de celles accordées au site ConfortVisuel486 qui, comme évoqué au paragraphe 437, pratiquait des prix significativement supérieurs à ceux des autres sites de vente en ligne.

L’équivalence des prestations proposées par les opticiens en ligne selon qu’ils imposent ou non une prise de mesure dans un point de vente physique

465. L’Autorité constate en outre qu’Essilor n’apporte aucun élément permettant de justifier les différences de traitement constatées ci-avant au regard des caractéristiques propres aux prestations des sites de vente en ligne.

466. Pour écarter toute discrimination en l’espèce, Essilor se fonde sur la décision n° 13-D-07 du 28 février 2013 de l’Autorité, dans laquelle il a été souligné qu’une discrimination n’existe entre deux entreprises que si ces dernières se trouvent dans la même situation et « recourent au même modèle économique »487.

467. Sur ce fondement, elle soutient que le « modèle économique » des opticiens opérant sous la forme de « pure players » les empêcherait de procéder à des prises de mesure fiables pour les verres « complexes »488, et en particulier les verres Varilux, qui doivent être réservés aux opticiens physiques, dans la mesure où « les mesures nécessaires à l’adaptation des verres Varilux, comme pour les autres dits complexes, ne pouvaient et ne peuvent toujours pas être effectuées en ligne »489.

468. Ainsi, selon Essilor, sa politique commerciale reposait sur des considérations objectives tenant aux caractéristiques de ses verres « complexes » et aux différents modèles économiques adoptés par les sites de vente en ligne (voir les paragraphes 128 et suivants ci-avant), selon la distinction suivante :

- les opticiens opérant selon un modèle « cross canal » exigeant une prise de mesures au point de vente physique sont seuls, à l’instar des opticiens physiques, en mesure de distribuer tous les types de verres. En particulier, ils sont les seuls à même d’assurer la fiabilité des prises de mesures pour les verres « complexes » (voir paragraphe 60) dans la mesure où celles-ci sont effectuées dans un de leurs points de vente physique (ou auprès d’un opticien partenaire)490 ;

- a contrario, il s’infère des explications d’Essilor que les sites Internet « pure players » et les opticiens « cross-canal » maintenant une offre « mixte » 100 % en ligne491 ne peuvent distribuer des verres « complexes » mais peuvent distribuer des verres simples et progressifs « easy to fit »492.

469. À titre liminaire, l’Autorité relève que la décision n° 13-D-07 citée par Essilor (voir ci-avant, paragraphe 466) n’impose aucunement, pour analyser l’existence d’une discrimination, d’examiner si les partenaires de l’entreprise en position dominante recourent ou non au même « modèle économique ».

470. Par ailleurs, comme rappelé supra, il ressort de la lettre de l’article 102, second alinéa,  sous c), TFUE, ainsi que d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle constantes, qu’une discrimination consiste, pour un acteur en position dominante, à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des « prestations équivalentes ».

471. Conformément  à  cette  jurisprudence,  dans  l’affaire  ayant  donné  lieu  à  la  décision   n° 13-D-07 précitée, l’Autorité a, certes, considéré que la différence entre le modèle économique de l’entreprise saisissante et celui de ses concurrents était telle qu’elle suffisait à caractériser une différence de situation excluant toute discrimination.

472. Toutefois, ce faisant, elle s’est contentée d’analyser les faits qui lui étaient soumis et n’a pas indiqué que l’analyse du « modèle économique » des partenaires de l’entreprise en position dominante devait nécessairement être effectuée afin d’établir l’existence d’une discrimination contraire aux articles 102 TFUE et L.420-2 du code de commerce.

473. En tout état de cause, les arguments soulevés par Essilor ne permettent pas de transposer le raisonnement tenu dans la décision n° 13-D-07 aux pratiques de différenciation qui lui sont reprochées.

474. Il apparaît, en effet, que l’incapacité alléguée des opticiens « pure players » à garantir la fiabilité des prises de mesure pour les verres « complexes » (voir paragraphe 60) ne procède pas tant d’une différence de « modèle économique » que de l’appréciation portée par Essilor sur les performances techniques de ce type d’opérateurs.

475. Il convient donc de vérifier si cette appréciation repose sur des critères objectifs permettant de conclure que les verres « complexes » nécessitent effectivement des prises de mesures spécifiques ne pouvant être effectuées en ligne et justifiant de réserver leur distribution aux sites « cross-canal » imposant la prise de mesures dans un point de vente physique.

476. Dans l’affirmative, il convient également de vérifier si les restrictions découlant de cette différenciation ont été mises en œuvre de façon cohérente et proportionnée.

477. Or aucune de ces conditions n’est réunie en l’espèce.

• L’absence de facteurs objectifs imposant la prise de mesures dans un point de vente pour les verres « complexes »

478. Essilor soutient que le caractère inadéquat de la vente en ligne pour les verres « complexes » a été constaté tant par les professionnels de santé que par les acteurs de la vente en ligne eux- mêmes493. Il aurait également été confirmé par des études externes et internes concluant à l’absence de fiabilité de la prise de mesure sur Internet494.

479. L’Autorité relève toutefois que les éléments produits par Essilor ne corroborent pas ces affirmations.

a. L’opinion des professionnels de santé et des acteurs de la vente en ligne

480. Tout d’abord, l’Autorité note que les éléments dont Essilor considère qu’ils reflètent l’opinion des professionnels de santé et des acteurs de la vente en ligne sur la fiabilité des prises de mesure pour les verres « complexes » émanent d’acteurs ayant intérêt à discréditer la vente en ligne495.

481. Tel est, notamment, le cas d’Activisu (racheté par Essilor en 2012), dont l’activité consiste à commercialiser des appareils de prises de mesures pour opticiens physiques496, ainsi que du site Acuité.com, qui se présente comme le « site communautaire des opticiens lunetiers » et a publié plusieurs articles prenant parti pour la vente en magasin.

482. Essilor échoue également à démontrer que, comme elle le prétend, les « pure players » eux-mêmes auraient massivement reconnu leur incapacité à vendre des verres progressifs. Cette affirmation procède d’une dénaturation des éléments au dossier :

- les allégations figurant sur le site Easyverres497, sur « les limites des lunettes montées sur internet », ainsi que ses propos tenus lors du Club Inter Optique sur « l’absolue nécessité d’une prise de mesures en magasin »498, reflètent largement des préoccupations d’ordre strictement commercial. Ce site avait en effet pour particularité de proposer l’achat de lunettes en kit (verres et montures) et d’orienter ses clients vers son réseau d’opticiens physiques pour le montage499. Il s’agissait donc essentiellement pour lui de faire la promotion de son modèle de vente ;

- s’agissant de Sensee, le groupe Essilor, dans ses observations, attribue à tort au dirigeant de Sensee l’allégation selon laquelle le système de prise de mesures proposé sur le site serait « malheureusement peu fiable »500. Il ne s’agit pas d’une citation mais d’une simple opinion de l’auteur de l’article, au demeurant nullement étayée. Par ailleurs, selon Sensee, les différences entre les mesures d’écart pupillaire faites en présence de la personne et celles faites à l’aide des procédures et technologies élaborées par Sensee étaient inférieures au seuil de tolérance admis de 5 millimètres. Cet opérateur a d’ailleurs déclaré, sans être démenti sur ce point, n’avoir reçu aucune plainte concernant un équipement optique adapté par ses soins501 ;

- les sites Happyview et Opticien24 (racheté par le groupe Essilor) se contentaient pour leur part de mentionner la possibilité, en cas de difficultés persistantes d’adaptation, de se rapprocher d’un point de vente, étant précisé que le site Happyview a développé des partenariats avec des magasins dès 2012 et, qu’en tout état de cause, ces sites proposaient une garantie « satisfait ou remboursé » et observaient des taux de retour très faibles.

483. En réalité, la très grande majorité des « pure players » vendait (et continue, au jour de la présente décision, de vendre) des verres progressifs, à commencer par les nombreux sites qui appartiennent au groupe Essilor, dans le monde, et depuis 2019, en France (via Opticien24) (voir notamment paragraphes 523 et 641 ci-après).

b. Les documents et études produites par Essilor

484. Les documents et études produits par Essilor ne permettent pas davantage de démontrer que les prises de mesures en ligne seraient moins fiables que celles réalisées par les magasins physiques.

485. Sur ce point, l’Autorité relève tout d’abord que la prise de mesures (qu’elle soit réalisée chez un opticien physique ou en ligne), n’est encadrée par aucune norme réglementaire ou professionnelle et ne permet d’obtenir qu’une donnée quantitative qui est toujours sujette à des variations, quelle que soit la méthode utilisée502.

486. Il apparaît notamment que les instruments traditionnels utilisés par les opticiens physiques (tels qu’un pupillomètre cornéen ou un réglet) comportent leurs propres biais, de sorte que des mesures réalisées avec différents instruments, ou avec le même instrument par différents professionnels, aboutissent régulièrement à des résultats divergents503.

487. Ceci explique en outre, comme l’ont relevé les services d’instruction, pourquoi tous les verres correcteurs, y compris les verres progressifs de marque Varilux, intègrent une tolérance aux écarts de mesure, précisément conçue pour préserver la satisfaction du porteur en dépit des différentes modalités de prises de mesure504.

488. Dans ces circonstances, la moindre fiabilité des prises de mesure en ligne alléguée par Essilor devrait être démontrée sur le fondement d’éléments probants précis et circonstanciés.

489. Or, force est de constater que nombre de documents produits par Essilor consistent en de simples affirmations ou articles théoriques ne s’appuyant sur aucun élément factuel, et a fortiori, sur aucune évaluation précise et concrète des services et des équipements effectivement offerts par les sites de vente en ligne en France505.

490. C’est notamment le cas des deux documents produits par Activisu – dont l’impartialité n’est pas totalement garantie, comme rappelé supra au paragraphe 481, compte tenu d’une part de son activité, d’autre part de son appartenance au groupe Essilor.

491. Le premier critique par principe les méthodes utilisées par les opticiens en ligne, affirmant, sans apporter de preuves concrètes, que les « erreurs générées sont largement supérieures au besoin raisonnable de précision »506.

492. Le second critique la méthode utilisée par Sensee en 2011 pour mesurer l’écart pupillaire507, méthode pourtant comparable à celle utilisée aujourd’hui encore par les sites d’Essilor pour la vente de verres unifocaux et progressifs, sans que cela ait d’effet sur leur croissance rapide. Les services d’instruction ont notamment relevé, à cet égard, qu’en 2015, Essilor a, elle-même, constaté que les très bons résultats réalisés par le groupe aux États-Unis étaient notamment dus au développement du canal de vente en ligne porté par ses sites de lunettes de vue FramesDirect, EyeBuyDirect et Coastal508.

493. La même imprécision caractérise l’étude du Dr Ameline de juin 2012 « Que penser des lunettes sur internet ? » concluant, entre autres, au caractère indispensable du contact physique entre l’opticien et le patient509.

494. Cette évaluation repose en effet, sur le postulat selon lequel les sites « pure players » déterminent la hauteur pupillaire « selon une mesure standard », alors qu’ils utilisent en pratique généralement un algorithme prenant en compte non seulement les caractéristiques de la monture mais également la prescription propre au porteur et sa morphologie via sa photo ou une webcam510.

495. Or, cette méthode a notamment permis au site ConfortVisuel d’obtenir des taux de satisfaction importants, comparables à ceux observés dans le cadre de la vente en magasin, pour les verres progressifs Varilux511, comme l’atteste l’étude OpinionWay de 2011 qui portait notamment sur des clients du site512. C’est du reste la méthode revendiquée par Essilor pour son propre site Coastal513, comme rappelé au paragraphe 90 ci-avant.

496. Par ailleurs, les études citées par Essilor pour remettre en cause la fiabilité des prises de mesure en ligne reposent sur des échantillons de produits insuffisamment représentatifs.

497. Ainsi, deux études de 2011514 et 2012515 portent sur l’achat d’un faible nombre de paires sur des sites américains et canadiens, qui ne sont, en tout état de cause, pas soumis aux mêmes obligations que les opticiens en ligne français. L’étude américaine516 révèle d’ailleurs l’absence de vérification de la conformité de la commande et de la prescription, source de nombreuses erreurs.

498. Le même constat peut être fait s’agissant de l’étude concernant la France réalisée par la revue QueChoisir en septembre 2011517 (qui mettait d’ailleurs également en exergue d’importantes erreurs de centrage avec les verres montés par des opticiens physiques) ou de l’article publié par Le Particulier en juin 2014 « Optique : que valent les lunettes achetées sur internet ? » (qui, tout en émettant des réserves pour l’achat en ligne de verres progressifs soulignait, par ailleurs, la satisfaction des acheteurs et le très faible taux de retour)518. Enfin, la note de synthèse interne du 14 novembre 2012 produite par Essilor ne fait qu’émettre des doutes de principe sur la fiabilité des mesures à distance, notamment celles effectuées via le site Sensee, sans se fonder sur le moindre élément concret519.

499. Plus généralement, aucune des pièces citées par Essilor n’établit de lien entre les modalités de prise de mesures en ligne et d’éventuelles conséquences sur le bien-être du porteur de lunettes. Deux études520 se contentent en effet de décrire, en termes généraux, les problèmes susceptibles de survenir à la suite d’un mauvais centrage des verres, que ces derniers aient été montés par des opticiens physiques ou en ligne. La troisième étude est une étude purement interne, de novembre 2012, effectuée à la suggestion de la direction des affaires juridiques d’Essilor, afin « d’essayer de protéger la gamme Varilux »521, dont les conclusions doivent, de ce seul fait, être relativisées.522.

500. Enfin, les études produites par le groupe Essilor sont en tout état de cause contredites par les performances et niveaux de satisfaction à la fois de ses propres sites de vente en ligne, qui l’ont conduit à devenir le leader mondial de la vente à distance de lunettes de vue, y compris les montures équipées de verres progressifs « premium » et d’autres sites. Ainsi :

- le site de lunettes FramesDirect affiche ainsi, sur Trustpilot523, un niveau de satisfaction

« Excellent » de 4.8 sur 5 fondé sur plus de 25 000 avis clients524 ;

- le site « pure player » Opticien24, qui fait état d’un niveau de satisfaction globale TrustPilot « Excellent » de 4.4 sur 5 (sur la base de 253 avis clients)525 ;

- les sites de vente en ligne visés par les pratiques d’Essilor, tels que Sensee ou Happyview, ont également des taux de retour très faibles526.

501. Elles sont également démenties par l’étude réalisée en septembre 2011 par l’institut OpinionWay « Satisfaction comparée des acheteurs de lunettes sur internet vs en magasin », établie sur la base d’un échantillon de 635 acheteurs de lunettes correctives sur Internet, et de 786 acheteurs de lunettes correctives en magasin527.

502. Cette étude notait en effet que « les intentions de recommandation et de réachat étaient nettement supérieures auprès des acheteurs sur internet. Près des 2/3 des acheteurs en ligne recommanderaient certainement à leur entourage l'achat sur internet (alors que seuls 1/3 des acheteurs en magasin recommanderaient l'achat en magasin. Et les 2/3 déclarent avoir certainement l'intention d'acheter leur paire de lunettes à nouveau sur internet (alors que seuls 36 % des acheteurs en magasin achèteraient à nouveau en magasin) »528.

503. L’Autorité rappelle en outre le constat effectué dans sa décision n° 21-D-20, non mis en cause par Essilor, que, quel que soit le canal de distribution choisi, les consommateurs peuvent recourir gratuitement aux services des opticiens traditionnels en cas de problèmes d’ajustement, cette circonstance limitant à elle seule significativement les différences entre canaux de distribution529.

504. Pour l’ensemble de ces motifs l’Autorité considère d’une part que les différents éléments mis en avant par le groupe Essilor échouent à démontrer la moindre fiabilité des mesures en ligne, d’autre part qu’au contraire de nombreux éléments indiquent que celles-ci sont pleinement satisfaisantes.

505. Par ailleurs, Essilor ne produit aucun élément de nature à justifier une conclusion différente pour les verres « complexes », et en particulier pour les verres Varilux, et, au surplus, il apparaît qu’elle était consciente de la fiabilité de la distribution sur Internet de la plupart des verres relevant de cette catégorie.

506. Ainsi, une note interne du 18 octobre 2012 préparée par le responsable du pôle juridique d’Essilor International intitulée « Eléments de réflexion internet »530 n’excluait ainsi absolument la prise de mesures en ligne que pour les seuls verres progressifs « comportant des paramètres de personnalisation (comportement tête-oeil, CRO, oeil directeur) »531.

507. En revanche, la même note était nettement plus nuancée532 s’agissant des verres Varilux « comportant des paramètres de fit »533 et reconnaissait en revanche clairement la possibilité de prises de mesures en ligne pour les verres Varilux « ne comportant pas de paramètres de fit ni de personnalisation (Vx S Design, Comfort NE, Physio 2.0) », tout en précisant que « c’est sur ces verres que risque de se cristalliser le débat car les seules mesures effectuées sont la mesure de l’écart pupillaire et celle de la hauteur, comme pour tout verre progressif ».534

508. Pour ce motif, Essilor envisageait d’« intégrer systématiquement des paramètres de fit dans la gamme Varilux » dans le seul but d’empêcher les sites de vente en ligne de proposer cette marque aux consommateurs535. Cette velléité est confirmée par un projet de compte-rendu de réunion dans lequel le groupe s’interroge sur la « possibilité de ne faire que des Vx fit pour les sortir des ventes internet » (cette dernière mention ayant été supprimée du compte-rendu final).

509. Outre qu’il met en évidence les motivations réelles sous-tendant les restrictions à la vente en ligne des verres Varilux, ce document met en cause la véracité des arguments avancés par Essilor pour justifier le refus de livrer l’ensemble des verres Varilux, aux opérateurs « pure players » et/ou suivant un modèle « cross-canal » avec une offre 100 % en ligne. Il invalide également, a fortiori, les justifications apportées aux refus de livrer ces mêmes acteurs en verres « complexes » de marques Essilor constatés par les services d’instruction.

510. Il démontre, enfin, qu’Essilor avait conscience que la vente en ligne était en réalité adaptée pour les verres « complexes » de marques Essilor et Varilux, à l’exception de la catégorie résiduelle des verres comportant des paramètres de personnalisation avancés.

511. Dans ces conditions, l’Autorité considère qu’Essilor n’a apporté aucun élément de nature à justifier que les conditions commerciales défavorables appliquées aux sites de vente proposant une offre entièrement en ligne étaient justifiées par une différence de situation dans laquelle ces opérateurs seraient placés en raison de leur « modèle économique » ou de la qualité de leurs prestations.

• La mise en œuvre contradictoire de la politique commerciale d’Essilor au regard des critères sensés la justifier

512. Outre   que,   comme   relevé   ci-avant,   les   restrictions   réservant   la   vente   des verres

« complexes » aux sites imposant une prise de mesure dans un point de vente physique ne peuvent se justifier, l’Autorité relève que la politique commerciale d’Essilor a, en tout état de cause, été mise en œuvre de manière incohérente et disproportionnée au regard des critères supposés la sous-tendre.

a. Les restrictions en termes de communication ne sont pas justifiées par un quelconque impératif de prises de mesures fiables pour les verres « complexes »

513. Tout d’abord, ainsi qu’il a été démontré précédemment (paragraphes 485 à 504 ci-avant), les allégations d’Essilor quant au manque de fiabilité des mesures en ligne ne sauraient prospérer. En effet, les écarts de mesure potentiels résultant des méthodes utilisées pour la prise de mesures en ligne ne sont pas susceptibles d’avoir une incidence sur le bien-être du porteur de lunettes et ils ne sont, en tout état de cause, pas propres aux mesures en ligne mais peuvent aussi être observés lors d’une prise de mesures en magasin.

514. En toute hypothèse, les restrictions encadrant la communication des sites de vente en ligne de lunettes de vue auxquels Essilor a accepté de vendre des verres n’ont aucun lien avec d’éventuelles exigences de fiabilité des mesures, pour les verres catégorisés comme

« complexes » par Essilor comme pour les autres verres.

515. Par ailleurs, même en considérant qu’un tel lien pourrait exister, l’Autorité relève que les pratiques d’Essilor ont également concerné les verres unifocaux et les verres progressifs

« easy to fit », dont Essilor reconnaît pourtant l’adaptation à la vente en ligne536, comme il ressort des exemples mentionnés aux paragraphes 128 et suivants ci-avant.

516. Enfin, les restrictions mises en œuvre par Essilor en termes de communication ont également été imposées à des sites de vente en ligne imposant un passage par un point de vente physique, comme Evioo537.

b. Les livraisons de verres « complexes » ont, en pratique, revêtu un caractère arbitraire

517. Tout d’abord, il doit être noté que les opticiens physiques ne faisaient l’objet d’aucune règle contraignante encadrant la prise de mesures et l’ajustement des montures pour les verres Varilux avant l’adoption des CPV Varilux en 2014 (voir les paragraphes 232 et suivants ci-avant).

518. Une note interne à Essilor de décembre 2011 reconnaissait d’ailleurs, sur ce point, que le niveau de service en magasin était peu formalisé538. Par ailleurs, Essilor ne conteste pas que son Guide d’adaptation des verres progressifs était purement facultatif avant d’être incorporé dans les CPV. Ainsi, force est de constater que les prétendues différences objectives distinguant les verres Varilux des verres progressifs qualifiés de « non-complexes » ne justifiaient pas, d’après Essilor elle-même, de mettre en place des règles de commercialisation particulières avant 2014539.

519. Essilor ne saurait ainsi justifier le refus de vente de produits Varilux aux sites « pure players » par la nécessité de respecter des exigences qui ne s’imposaient pas aux opticiens physiques, pourtant sujets aux mêmes aléas s’agissant des écarts et erreurs de mesures540. De surcroît, comme rappelé supra (voir le paragraphe 248), l’Autorité relève qu’Essilor ne produit aucun exemple concret d’application des règles encadrant la vente de verres Varilux vis-à-vis d’opticiens physiques, alors qu’elle y était invitée par un questionnaire des services d’instruction541.

520. Par ailleurs, il apparaît qu’Essilor a vendu des verres progressifs « complexes » tant sous marque blanche que sous marque Essilor et Varilux à de nombreux « pure players » (ou opticiens « cross-canal » proposant une offre 100 % en ligne), et ce en contradiction avec l’inadéquation supposée du « modèle économique » de ces acteurs pour ce type de verres.

521. Ainsi, il a été constaté – et n’est pas contesté par Essilor – qu’en France, Essilor a vendu des verres « complexes » (y compris de marque « Varilux » dans certains cas) aux sites :

- Mister Spex, qui, à l’époque des pratiques, ne proposait qu’une offre 100 % en ligne en France (où, à la différence de l’Allemagne, il ne disposait d’aucun réseau d’opticiens, comme le confirme une étude interne réalisée par Essilor sur le commerce en ligne en Europe542) ;

- ConfortVisuel, qui a pu vendre des verres de marques Essilor et Varilux et communiquer sur ces marques entre 2010 et 2016 (date de l’arrêt du site), alors même que le site utilisait des méthodes de prise de mesures similaires à celles des sites ayant subi des restrictions de la part d’Essilor et, en toute hypothèse, ne respectait pas les recommandations du groupe Essilor figurant dans son Livret des Produits et Services543 ;

 Sensee, qu’Essilor a fini par accepter de fournir en verres progressifs544, y compris les verres progressifs Prelude et Amatsi (dont rien n’indique, comme rappelé supra, qu’ils sont moins sensibles aux écarts de mesure que les verres Varilux non personnalisés).

522. De plus, BBGR, à compter de 2016, a vendu des verres progressifs de sa marque à des sites de vente en ligne destinés au marché français545.

523. En outre, comme l’ont relevé à juste titre les services d’instruction, Essilor commercialisait elle-même des verres progressifs « premium », y compris de marque Essilor, sur ses propres sites « pure players » à l’étranger546. Sur ce point, la déclaration du Président du groupe, prétendant que ce dernier ne vendait pas de « verres progressifs sophistiqués » sur ses sites FramesDirect et EyeBuyDirect547 est manifestement inexacte548. De la même manière, contrairement à ce qu’indique Essilor, le site GlassesDirect propose plusieurs types de verres progressifs549.

524. Enfin, la commercialisation de verres progressifs à l’étranger atteste du défaut de caractère objectif de la différence de « modèle économique » des « pure players » apportées par Essilor.

525. À ce titre, s’il est exact que les sites détenus par Essilor à l’étranger ne commercialisent pas de verres Varilux, d’une part cette absence n’est due qu’à la politique interne du groupe consistant à réserver, en principe, la marque Varilux aux opticiens physiques, et, d’autre part, il a pu être constaté que des sites tiers commercialisaient des verres Varilux, notamment au Royaume-Uni, sans rencontrer de difficultés particulières et sans se voir opposer de restrictions par Essilor550.

526. Il résulte de l’ensemble de ces constats et considérations que le traitement défavorable dont font l’objet les opticiens en ligne n’est pas justifié par une différence de « modèle économique » qui les empêcherait de garantir une prise de mesure satisfaisante pour les verres « complexes ».

527. En tout état de cause, l’application arbitraire et incohérente de la politique commerciale revendiquée par Essilor en démontre, dans les faits, le manque de fondement et d’objectivité.

Sur l’existence d’effets anticoncurrentiels produits par les pratiques en cause

528. Selon Essilor, dans la mesure où la démonstration d’un abus de position dominante ne saurait se limiter à établir « que le comportement incriminé a été » de nature à « affecter la position concurrentielle des entreprises victimes des pratiques », les services d’instruction auraient dû établir (i) l’existence d’un lien de causalité entre les pratiques alléguées et les effets constatés et (ii) un scenario contrefactuel551.

529. Essilor allègue, ainsi, qu’un examen des particularités des verres dits « complexes » aurait permis de constater que le succès limité de la vente en ligne est imputable « à des facteurs exogènes aux pratiques alléguées »552.

530. Elle considère en outre que les comportements qui lui sont reprochés n’ont, en tout état de cause, emporté aucun effet sur la concurrence entre les opticiens, et n’ont ainsi pas porté préjudice au bien être des consommateurs.

531. Ces deux types d’arguments sont examinés successivement ci-après.

Sur les facteurs externes invoqués par Essilor pour expliquer le succès limité de la vente en ligne de verres optiques en France

532. Essilor soutient que différents « facteurs externes »553 liés aux spécificités du marché français, aux caractéristiques de la demande et à la technicité des produits concernés expliquent l’échec relatif du modèle économique des acteurs de la vente en ligne.

533. À cet égard, Essilor réitère l’argument tenant à l’inadaptation d’Internet pour la vente de verres en raison du manque de fiabilité dans la prise de mesures, notamment pour les verres les plus « complexes », ce que les opérateurs de la vente en ligne auraient en outre eux-mêmes admis.

534. Sur ce point, l’Autorité a déjà constaté que le caractère prétendument inadapté de la vente en ligne aux verres correcteurs et en particulier aux verres « complexes » est surévalué par Essilor, comme établi aux paragraphes 478 et suivants ci-avant. De même, l’allégation selon laquelle l’inadéquation de la vente en ligne pour ce type de produits aurait été reconnue par les opérateurs de la vente en ligne eux-mêmes a déjà été écartée au paragraphe 482 ci-avant.

535. Par ailleurs, Essilor allègue que l’ambiguïté du contexte réglementaire en vigueur lorsque la vente de produits d’optique en ligne a débuté aurait considérablement nui à son essor.

536. Essilor soutient, de surcroît, que l’inadaptation de la vente en ligne à la vente de verres correcteurs résulterait de l’existence d’un fort lien de confiance entre le consommateur et l’opticien554, de la complexité du parcours d’achat sur Internet555, et du fait que les consommateurs français sont peu sensibles au prix, compte tenu de leur appétence pour les verres « premium » et eu égard à la circonstance que le marché français des verres d’optique est subventionné, si bien que les consommateurs ne s’acquittent que d’une infime partie du prix de vente des verres de qualité. Ces facteurs concourraient à expliquer qu’un modèle fondé sur les prix ne pouvait fonctionner.

537. À titre liminaire, l’Autorité relève que la seule circonstance que des facteurs autres que les pratiques aient également pu influer sur le développement des ventes en ligne de produits d’optique en France ne saurait, en elle-même, permettre d’exclure que les comportements incriminés ont produit des effets anticoncurrentiels

538. Cette circonstance n’impose pas davantage l’établissement d’un « scenario contrefactuel » qui n’est pas exigé par la jurisprudence (voir les paragraphes 400 et suivants ci-avant). Celle-ci impose uniquement que les effets des pratiques reprochées à l’entreprise dominante ne soient pas purement hypothétiques ou que leur survenance ne soit pas impossible dans le contexte pertinent.

539. Les autres arguments soulevés par Essilor n’emportent pas davantage la conviction.

• Sur le régime juridique en vigueur lors de l’essor de la vente en ligne

540. S’agissant du régime juridique applicable à la vente en ligne, il doit tout d’abord être rappelé que le ministère de la Santé a pris position publiquement dès le 12 juin 2009 sur le fait que le droit français n’interdisait pas la vente en ligne de produits d’optique :

« La France ne s’oppose pas à la vente sur Internet de produits optique. C’est une voie de distribution, soumise aux mêmes règles que celles applicables aux professionnels installés et exerçant dans des structures. Ces règles visent à garantir la qualité et la sécurité des soins et des prestations de santé. Comme tous les produits de santé vendus sur Internet et en pharmacie, la France impose des règles d’exercice de la profession (diplômes, compétences...), de conseil au patient et de sécurité. Ces règles s’appliquent à tous les professionnels de santé quels que soient les supports de vente » 556.

541. Par ailleurs, les éléments du dossier indiquent qu’Essilor partageait cette analyse avant même cette déclaration, comme l’atteste la note interne adressée à la directrice juridique du groupe le 8 juin 2009, qui confirme « la possibilité de pratiquer les ventes en ligne dans le respect d’un certain cadre réglementaire (qui est le même que pour les ventes « en dure [sic] ») »557. La position exprimée dans cette note rejoint d’ailleurs l’analyse de l’Union des Opticiens qui indiquait pour sa part dès le 2 juin 2009, que la vente sur Internet de produits optiques était légale558.

542. Enfin, dans sa décision n°21-D-20, l’Autorité a également relevé que la législation française en vigueur lors des pratiques reprochées à Essilor n’avait pas éliminé toute possibilité de comportement concurrentiel de la part de cet acteur559.

543. Ainsi, l’ambiguïté sur la question de la licéité de la vente en ligne de produits d'optique sur le territoire français avant l’adoption de la loi Hamon n’était que relative et ne peut, en toute hypothèse, expliquer à elle seule le faible développement de ce mode de commercialisation en France. 

• Sur le lien entre consommateurs et opticiens physiques

544. Ensuite, l’importance du lien particulier entre consommateurs et opticiens physiques allégué par Essilor est exagérée.

545. En premier lieu, même à le supposer avéré, il ne constitue en tant que tel aucun frein absolu ni même quantifiable au développement de la vente en ligne. À titre d’exemple, il ressort des éléments au dossier que les consommateurs allemands, qui attachent une grande importance aux conseils fournis par les opticiens (71 % des consommateurs pour l’année 2018560 contre 68 % en France561) procèdent beaucoup plus fréquemment à des achats en ligne (14 %562 des ventes totales pour l’année 2018 contre 2 % en France563).

546. En deuxième lieu, une étude de l’UFC-Que choisir564 indique que le lien invoqué est, en tout état de cause, très relatif.

547. En effet, selon cette étude, qui se réfère à une enquête de la Commission d’octobre 2011565, la satisfaction globale des consommateurs français vis-à-vis de leurs opticiens physiques est relativement faible par rapport à celle constatée dans la plupart des autres pays européens.

548. L’étude précise qu’« en croisant la satisfaction des consommateurs, et le budget qu’ils doivent consacrer à leur équipement en lunettes, les Français apparaissent doublement pénalisés. S’ils ont le budget le plus élevé ils ont également la satisfaction la plus faible des grands pays européens ! Les prix français des lunettes ne sont donc en aucun cas la contrepartie d’une qualité de service supérieure à ce qui existe à l’étranger »566.

549. En troisième lieu, l’argument d’Essilor, selon lequel les ventes en ligne de produits d’optique constituent une part très minoritaire des ventes totales en France est ambivalent.

550. De fait, la distribution en ligne ne représentait en 2013 qu’entre 0,1 % et 1 % du secteur en France – contre 10 % aux États-Unis et 5 % en Allemagne567 et n’était estimée qu’à 4 % en 2019568. Toutefois, cette constatation, loin d’écarter la possibilité d’effets anticoncurrentiels attachés au comportement d’Essilor, est tout aussi susceptible d’en accréditer l’existence, le faible développement de la vente en ligne en France pouvant précisément résulter, pour partie au moins, des pratiques en cause.

551. Dans ce contexte, si la récente étude de l’institut de sondage OpinionWay, intitulée « Les intentions d'achat d'optique dans le contexte de la crise du Covid-19 Vague 3 », publiée au mois de février 2021, atteste que les consommateurs français envisagent, en majorité, l’achat de produits d’optique en points de vente physiques de proximité plutôt qu’en ligne, elle révèle également que plus d’un quart des sondés (26 %) ont déclaré préférer réaliser leur prochain achat en ligne569.

552. De la même manière, l’étude QualiQuanti de 2017 montre que 4 % des sondés ont déjà acheté une paire de lunettes en ligne, tandis que 30 % envisagent de le faire, ce qui constitue une part non négligeable des consommateurs570.

553. En dernier lieu, les éléments du dossier indiquent que les consommateurs ayant recours à la vente sur Internet sont globalement satisfaits de leur expérience. Un sondage OpinionWay de 2011, relatif à la satisfaction des acheteurs de lunettes sur Internet et des acheteurs de lunettes en magasin en France, démontre que les acheteurs en ligne présentaient un niveau de satisfaction élevé et comparable aux acheteurs en magasins physiques s’agissant de la qualité des verres et de la qualité de la correction571, ce niveau étant même plus élevé concernant le prix payé572.

554. Ces différents éléments sont de nature à sensiblement relativiser la pertinence du lien entre consommateurs et opticiens physiques comme facteur explicatif du développement limité de la vente en ligne en France.

• Sur la faible sensibilité au prix des consommateurs français

555. Le même raisonnement s’applique encore s’agissant de l’argument d’Essilor selon lequel l’appétence des consommateurs français pour les produits « premium », qui découle notamment du système de remboursement français et de « raisons historiques », expliquerait l’échec des sites Internet ayant proposé exclusivement des produits « premier prix ».

556. Cette préférence alléguée des consommateurs tend en effet tout autant à confirmer l’importance que revêt l’accès aux produits de marque pour les sites. Or, ce sont précisément ces produits que le groupe Essilor a refusé de fournir aux opticiens en ligne.

557. Par ailleurs, contrairement aux affirmations d’Essilor573, le système de remboursement par les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) n’est en rien assimilable à un « subventionnement » du secteur de l’optique.

558. Depuis le désengagement de l’assurance maladie, les dépenses d’optique des Français sont, in fine, quasi intégralement supportées par les consommateurs, en partie via leurs cotisations à leur OCAM, et pour le « reste à charge » payé directement à l’opticien574. Une étude Gallileo produite par Essilor montrait à cet égard qu’en 2012, sur le prix total moyen facturé, les OCAM remboursaient 63 % et 37 % était à la charge de l’assuré575. Cette situation a perduré avec l’instauration de plafonds de remboursement à compter de 2014576.

559. En outre, il convient de rappeler que les consommateurs n’ont, à ce jour, pas tous accès à une assurance maladie complémentaire. Si la généralisation de l’assurance complémentaire s’est accélérée à compter de 2016 avec l’obligation pesant sur les employeurs du secteur privé de proposer une couverture complémentaire de santé collective à leurs salariés577, le taux de couverture était, au tournant des années 2010, considérablement plus faible.

560. Compte tenu de l’augmentation constante des prix des lunettes de vue578, ceci explique que les consommateurs français, pour une part significative d’entre eux tout du moins, ne soient en réalité pas indifférents aux prix, à rebours des propos d’Essilor.

561. L’étude Gallileo de 2012 révèle ainsi que 36 % des porteurs de lunettes choisissent leur opticien pour des motifs économiques579, ce qui atteste que pour une partie importante des consommateurs, le prix n’est pas seulement un élément important, mais un critère de choix essentiel. Ces résultats sont confirmés par l’étude QualiQuanti de juin 2017, qui établit que 35 % des consommateurs considèrent le rapport qualité/prix des lunettes et verres proposés comme un critère essentiel dans le choix de leur opticien580. L’étude Gallileo de juin 2015 montre quant à elle que pour 66 % des consommateurs, le prix est une information très importante, tandis que 48 % estiment que les promotions sont une information très importante, et 41 % assez importante581.

562. Ces résultats infirment la thèse d’Essilor selon laquelle les consommateurs français se désintéresseraient de la question du prix du fait du système de remboursement des produits d’optique.

• Sur le parcours d’achat proposé par les sites de vente en ligne

563. Le développement de la vente en ligne – et la position de leader acquise par Essilor – dans les pays limitrophes de la France (voir paragraphes 64 et suivants ci-avant) contredit, à lui seul, l’hypothèse avancée par Essilor, d’un parcours d’achat « excessivement complexe » proposé par les sites de vente en ligne.

• Sur la circonstance que la majorité des opticiens physiques ne vendraient pas ou peu de verres Varilux

564. Le fait – par ailleurs nullement établi – que plus de la moitié des opticiens physiques ne

« vend pas ou peu de verres Varilux »582, n’est pas de nature à remettre en cause la capacité d’Essilor à entraver le développement des sites de vente en ligne.

565. En effet, cet argument, qui vise à remettre en cause l’avantage concurrentiel lié à la faculté de proposer des verres de marque Varilux est clairement infirmé par les éléments du dossier tels que synthétisés aux paragraphes 576 et suivants, ci-après. En tout état de cause, les pratiques d’Essilor ne se sont pas limitées aux seuls verres de marque Varilux mais ont concerné l’ensemble des verres unifocaux et progressifs distribués sous les différentes marques d’Essilor.

566. Pour l’ensemble des raisons exposées ci-avant, les différents facteurs externes invoqués par Essilor ne permettent ni d’expliquer à eux seuls le succès relativement limité de la vente en ligne en France, ni d’exclure le rôle joué par les pratiques d’Essilor à cet égard.

567. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les évolutions du modèle « pure player » depuis 2013583, dont la présentation faite par Essilor dans ses écritures584 est au demeurant trompeuse. En effet, s’il est vrai que plusieurs « pure players » ont développé des points de vente physiques ou « showrooms », les écritures d’Essilor pourraient laisser penser que les consommateurs doivent à présent toujours nécessairement passer par ces derniers pour finaliser leur achat, ce qui n’est pas le cas, comme rappelé aux paragraphes 28 à 31 ci-avant.

568. Dans ces conditions, quelles que soient les évolutions sur le marché de la vente en ligne de lunettes, celles-ci ne sont en tout état de cause pas de nature à accréditer la thèse d’Essilor selon laquelle le canal de vente entièrement en ligne n’est pas adapté à la vente de verres correcteurs, y compris « complexes ».

Sur les effets des pratiques mises en œuvre par Essilor

569. L’Autorité constate, par ailleurs, qu’Essilor n’apporte aucun élément susceptible d’établir que son comportement n’était pas de nature à affecter la concurrence entre opticiens physiques et sites de vente en ligne et, ce faisant, de porter atteinte à l’intérêt des consommateurs.

• Les effets sur la concurrence entre opticiens physiques et sites de vente en ligne

570. S’agissant des effets des pratiques sur les sites de vente en ligne, Essilor conteste le caractère incontournable de ses marques pour les opticiens en ligne et le fait que leur distribution confère un « avantage concurrentiel certain »585.

571. L’existence d’un tel avantage serait notamment infirmée par le succès de certains opticiens présents en ligne et ne proposant pas de verres Essilor, BBGR et Varilux. Essilor se réfère à cet égard notamment au procès-verbal d’audition des représentants d’une centrale de référencement, selon lesquels certains de leurs adhérents « ne font aucun verre Essilor », dans la mesure où « des qualités de produits équivalents [à ceux d’Essilor] peuvent se retrouver chez d’autres [fournisseurs] »586.

572. S’agissant, spécifiquement, des verres Varilux, Essilor considère « selon ses meilleures estimations » qu’une très grande partie (62,5 %) des opticiens en France n’en vend pas, ou en vend en quantités négligeables (moins d’une paire par mois).

573. Comme il a été rappelé supra, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour de justice que, pour être considérée comme abusive au regard de l’article 102 TFUE, il suffit que la discrimination, par un opérateur dominant, de partenaires commerciaux se trouvant dans un rapport de concurrence « tende, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à conduire à une distorsion de concurrence entre ces partenaires commerciaux »587 (soulignement ajouté).

574. En outre, dans le cadre de cette analyse, la Cour a rappelé qu’« il ne saurait (…) être exigé que soit apportée en outre la preuve d’une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle des partenaires commerciaux pris individuellement »588.

575. En l’espèce, l’Autorité relève en tout état de cause qu’aucun des éléments allégués par Essilor ne remet en question la capacité de son comportement à affecter la position concurrentielle des opticiens en ligne (notamment celle des « pure players ou des sites proposant une offre « mixte »).

576. Il ressort, au contraire, des pièces qui figurent au dossier que la possibilité pour un opticien de proposer des produits de marque du groupe Essilor, et le droit de communiquer sur le nom Essilor et les marques qui lui sont attachées, confèrent un avantage concurrentiel significatif. Cet avantage est notamment dû à la notoriété et la réputation de qualité sans équivalent des marques d’Essilor, déjà constatées aux paragraphes 378 et suivants ci-avant.

577. En premier lieu, la marque des verriers constitue un argument commercial de poids pour les opticiens.

578. L’étude de juin 2014589, mise en avant par Essilor, selon laquelle « pratiquement 80 % des porteurs de lunettes en France ne connaissent pas leur marque de verres »590, est contredite par plusieurs autres éléments transmis par Essilor.

579. En effet, selon une étude Gallileo de 2015, 52 % des sondés considèrent que l’information sur la marque est « assez » (36 %) ou même « très » (16 %) importante591. Cette même étude révèle que seuls 48 % des porteurs de lunettes interrogés ne connaissent pas ou ne sont pas sûrs de la marque de leurs verres592. En outre, 27 % des porteurs de lunettes sont certains d’être équipés de verres de marques Essilor/Varilux.

580. Deux autres études indiquent, l’une593 que la marque est un critère « important » ou « très important » pour 46 % des sondés, l’autre594 que 50 % des porteurs de lunettes exposés à une publicité sur une marque de verres sont enclins à choisir cette marque et à se rendre dans un magasin qui la propose.

581. En second lieu, les marques d’Essilor constituent nécessairement un avantage significatif, dans la mesure où ce fabricant est le seul verrier connu du grand public, régulièrement prescrit par les ophtalmologues et demandé par les consommateurs595.

582. Essilor a ainsi elle-même reconnu que la marque Varilux constituait un atout majeur pour attirer les consommateurs, comme en atteste la déclaration du 26 janvier 2021 de sa directrice marketing selon laquelle « [l]a notoriété des verres Varilux est sans égale sur le marché : c’est un puissant levier pour convaincre le consommateur de se rendre en magasin et s’équiper en verres progressifs »596.

583. Une étude Harris Interactive de 2020 identifie Essilor comme la marque de verres la plus connue et celle associée au plus haut niveau de qualité, « loin devant les autres marques »597. Elle précise en outre : « plus une marque est connue, plus ses verres sont associés à un haut niveau de qualité (dans un secteur aussi « technique » que les verres de lunettes, sur lesquels les connaissances du grand public sont relativement limitées, il est probable que tout gain de notoriété s’accompagne d’un gain en réputation de qualité »598. Le lien direct entre la notoriété et l’image de qualité d’une marque est, partant, mis en évidence.

584. Dans les faits, la réputation d’Essilor se traduit par une demande supplémentaire et particulière des consommateurs pour ses verres, demande qui bénéficie nécessairement à ses seuls revendeurs.

585. Une étude de juin 2020 produite par Essilor souligne ainsi la capacité de la marque Varilux à convertir sa forte notoriété en intention d’achat chez le consommateur599. Parallèlement, le groupe Zeiss mentionne le déficit de crédibilité vis-à-vis de Varilux comme un handicap commercial à surmonter auprès des opticiens600.

586. De même, la notoriété et la réputation de qualité des produits Essilor permettent aux opticiens de vendre les verres Essilor et Varilux plus cher que les verres concurrents équivalents, sans que cette différence de prix soit nécessairement justifiée par des qualités intrinsèques supérieures, comme relevé dans une étude réalisée en avril 2014 par 60 millions de consommateurs601.

587. Par ailleurs, les marques Essilor et Varilux engendrent un important trafic en boutique602, ce qui explique pourquoi les opticiens revendeurs de verres Essilor (y compris affiliés à de grandes enseignes comme Atol, Optic2000 ou Krys) communiquent largement sur la présence de produits Essilor via des campagnes de communication sur leur devanture et leur site Internet, comme l’attestent les éléments réunis par les services d’instruction603.

588. De ce point de vue, le droit d’accéder aux produits Essilor et de communiquer sur cette marque représente un enjeu important pour les opticiens et, plus encore, pour les opticiens en ligne. Le fondateur du site Happyview déclarait, en avril 2013, sur ce point:

« Quand un patient va voir son médecin et que ce médecin lui déconseille les sites de vente en ligne, c’est très difficile. Mais les médecins sont visités par les visiteurs médicaux d’Essilor, et il y a des déclarations d’Essilor dans la presse »604 (soulignement ajouté).

589. En effet, contrairement aux opticiens physiques, les sites de vente en ligne constituent toujours en France un canal de distribution émergent. À ce titre, ils peuvent moins aisément compenser l’absence de produits de verriers de renom dans leur catalogue par la notoriété et le pouvoir rassurant de leur propre enseigne.

590. En dépit de niveaux de satisfaction élevés605, il leur est ainsi moins aisé de convertir les consommateurs novices en matière d’achat de lunettes en ligne.

591. La « transformation client », comme l’a notamment souligné le dirigeant du site ConfortVisuel606, apparait d’ailleurs comme l’un des principaux obstacles au développement de la vente en ligne. De ce point de vue, le pouvoir rassurant de la marque et du logo Essilor aurait été de nature à faciliter cette transformation.

592. Or, c’est précisément ce droit de vendre des produits Essilor et de communiquer sur ces derniers (y compris ceux que le groupe lui-même estimait adaptés à la vente en ligne, comme constaté au paragraphe 145 ci-avant), que le groupe Essilor a limité à l’égard des sites de vente en ligne.

593. Ce comportement a nécessairement entravé le développement des opticiens en ligne, ce que corroborent les déclarations de plusieurs fondateurs de sites de vente en ligne versées au dossier :

- selon le fondateur du site ConfortVisuel « le fait de voir le logo Essilor permet de rassurer le client, c’est de notoriété publique. Le logo Essilor a véritablement un impact sur la confiance tissée entre l’internaute et le vendeur »607 ;

- de la même manière, le fondateur d’Happyview indiquait pour sa part que « les consommateurs français ne connaissent que la marque Essilor. Il n’y a pas un client qui ne demande pas la marque des verres. Nous sommes obligés de tourner autour du pot. Soit nous arrivons à rassurer le consommateur sans la marque, soit ils ne commandent pas. Si demain je peux mettre la marque Essilor, je multiplierais le chiffre d’affaires par 6 ou 7 »608 ;

- le dirigeant de Sensee, alors confronté au refus de vente de verres de marques de la part d’Essilor, déplorait pour sa part dans un article du Figaro en mars 2013 la perte d’un « argument de vente capital pour convaincre les consommateurs de la qualité des lunettes vendues en ligne à un prix très inférieur »609 ;

- le fondateur du site Direct Optic, confronté à la demande d’Essilor de supprimer toute référence à sa marque sur le site, a pu mesurer concrètement les conséquences des restrictions mises en œuvre par Essilor sur son volume d’affaires, et « identifier des pertes de clients liées à la perte de la présence de la marque Essilor. Plusieurs clients n'ont pas compris pourquoi la marque des verres n'était plus visible et pensent que "si ce n'est pas Essilor, c'est chinois et ce n'est pas bien" »610. Il a également précisé que le pourcentage de ventes de verres progressifs a connu une baisse sensible dès le premier mois suivant le retrait de la mention de l’origine Essilor de ses verres611 : « Jusqu'au mois de février 2012, les verres progressifs représentaient environ 37 % des ventes en volume et environ 60 % en valeur (données de novembre 2011 à février 2012). Depuis l'arrêt de la mention de marque Essilor en mars 2012, les verres progressifs ne représentent plus que 32 % des ventes en volume et environ 54 % des ventes en valeur (données de mars à décembre 2012 ». La pertinence de cette déclaration n’est pas remise en cause par l’étude économique produite par Essilor, qui en conteste le caractère probant au motif que la demande de verres fluctuerait de manière importante d’un mois à l’autre612. Une lecture attentive du procès-verbal d’audition du fondateur du site Direct Optic, exploité par la société SAS Optiqual613, montre en effet que le constat de la diminution du poids des verres progressifs est fondé sur des données de mars à décembre 2012, et non sur le seul mois de mars 2012.

• Les effets des pratiques sur les consommateurs

594. Les pratiques mises en œuvre par Essilor ont également eu plusieurs effets négatifs sur les consommateurs.

595. Elles ont, tout d’abord, entravé le développement d’une concurrence intra-marque, alors que les clients du e-commerce se déclarent, selon l’étude  OpinionWay  précitée  au  paragraphe 501 nettement plus satisfaits vis-à-vis du prix payé que les clients des magasins physiques614.

596. Ce faisant, elles ont nécessairement favorisé le maintien de prix particulièrement élevés sur le marché français, en particulier pour les produits « premium » les plus chers.

597. Ce maintien est intervenu dans un contexte où les prix des produits d’optique en France ont connu une évolution à la hausse entre 2008 et 2018615 et où près des trois quarts des consommateurs français jugent les prix des lunettes excessifs et près de sept sur dix considèrent qu’ils ne sont pas justifiés616. Le maintien de prix élevés a également été favorisé par les limitations en termes de comparaison de prix sur les produits de marques Essilor, alors qu’Essilor reconnaît elle-même que les consommateurs recourent de façon croissante à Internet pour s’informer et comparer les produits d’optique, y compris avant un achat en boutique617.

598. Au-delà du prix, les pratiques d’Essilor ont également limité l’accès des consommateurs à un canal de vente alternatif pourtant tout à fait à même de satisfaire leurs attentes en termes d’expérience client. Le sondage OpinionWay réalisé fin 2011 sur un échantillon représentatif de consommateurs révélait à cet égard que les acheteurs en ligne présentent un niveau de satisfaction élevé et comparable aux acheteurs en magasin, s’agissant de la qualité des verres et de la qualité de la correction618.

599. À cet égard, il apparaît que les intentions de nouvel achat en ligne sont particulièrement importantes (de l’ordre de 95 %) et en tout état de cause, nettement supérieures à celles exprimées par les acheteurs en point de vente « physique »619.

600. De ce point de vue, les limitations à la « garantie adaptation » Varilux (voir ci-avant, paragraphes 236 et suivants) ont restreint la qualité du service offert aux consommateurs dans le cadre de la vente en ligne, ceux-ci se voyant privés de la possibilité de commander à nouveau des verres en cas d’inadaptation lors du premier rendu, aux frais d’Essilor.

601. Contrairement à ce que soutient Essilor, les effets négatifs entraînés par une telle restriction sur le consommateur (et, par voie de conséquence, sur l’attractivité des sites) sont indépendants du point de savoir si la garantie était ou non « indispensable »620 pour acheter en ligne. Ils sont également indépendants du faible taux de retour observé en pratique auprès des sites de vente en ligne621, qui atteste d’ailleurs de la qualité du service apporté par ces sites.

602. Le fait est que l’absence de garantie a immanquablement rendu la vente en ligne moins attractive qu’elle ne l’aurait été en l’absence des restrictions imposées par Essilor, ce sans justification légitime et objective.

603. Il ressort de ce qui précède que les pratiques mises en œuvre par Essilor sur le marché français ont affecté négativement la capacité concurrentielle des sites de vente en ligne, en particulier des sites maintenant une offre entièrement en ligne. Ces éléments indiquent également que ces pratiques ont maintenu les prix à un niveau artificiellement haut et affecté le choix des consommateurs.

604. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’Essilor n’a pas démontré à suffisance l’existence de facteurs extérieurs de nature à écarter la possibilité que ses pratiques aient pu avoir des effets anticoncurrentiels ou à indiquer que ces effets ne pourraient être qu’hypothétiques.

605. Essilor n’a pas davantage produit d’éléments excluant la capacité de son comportement à fausser la concurrence entre opticiens physiques et site de vente en ligne, au préjudice des consommateurs. Au contraire, l’Autorité a pu constater que ces effets sont loin d’être hypothétiques, compte tenu, notamment, de l’importance de la marque Essilor pour le développement des sites de vente en ligne et des conséquences qu’une limitation de ce développement a nécessairement emportées en termes de prix et de choix pour les consommateurs.

Sur la justification des pratiques

606. Essilor soutient, à titre subsidiaire, que son comportement est en tout état de cause justifié par divers éléments tenant à la protection de ses intérêts commerciaux légitimes et des consommateurs.

607. À titre liminaire, il ressort d’une jurisprudence constante que pour justifier d’agissements susceptibles d’enfreindre l’article 102 TFUE, une entreprise en position dominante peut démontrer, soit que son comportement est objectivement nécessaire, soit que l’effet qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs622.

608. Le comportement mis en œuvre doit être indispensable et proportionné à l’objectif poursuivi ou aux gains d’efficacité allégués. Sur ce fondement, la Cour de justice a par exemple considéré, s’agissant de la recherche d’une politique de qualité par une entreprise en position dominante, que « si [celle-ci] est recommandable et légitime […] cette pratique ne peut être justifiée que si elle ne met pas en place des entraves dont le résultat dépasse l’objectif à atteindre »623.

609. En l’espèce, l’Autorité a constaté aux paragraphes 512 et suivants ci-avant la divergence entre les principes sensés, selon Essilor, légitimer les restrictions imposées par cette dernière aux opticiens en ligne et leur application.

610. Cette circonstance, qui révèle déjà en soi l’existence d’une discrimination contraire aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce, s’oppose également à ce que celle-ci puisse être justifiée sur le fondement des dispositions rappelées ci-avant.

611. En effet, à supposer même que certaines des justifications apportées par Essilor soient fondées dans leur principe, le comportement d’Essilor qui les sous-tend a nécessairement été disproportionné, compte tenu de l’absence d’uniformité dans la mise en œuvre de sa politique commerciale (voir les paragraphes 512 et suivants ci-avant).

612. Ces mêmes considérations ne permettent pas, en outre, de soutenir, comme le fait Essilor, que les pratiques qui lui sont reprochées pourraient être justifiées sur le fondement des critères dégagés par la Cour de justice dans son arrêt « Coty » du 6 décembre 2017624, compte tenu des « impératifs de préservation de l’image des produits et des conditions de vente de produits techniques »625.

613. En effet, indépendamment même du fait que cet  arrêt  concernait  l’application  de  l’article 101 TFUE dans le cadre d’un réseau de distribution sélective et non un comportement unilatéral susceptible d’enfreindre l’article 102 TFUE, les critères dégagés par la Cour ne peuvent, manifestement pas, être utilisés pour justifier le comportement d’Essilor.

614. De fait, dans son arrêt, la Cour a dit pour droit que si une clause restreignant la capacité des distributeurs agréés de recourir de manière visible à des plateformes tierces peut être conforme à l’article 101 TFUE, c’est à condition qu’elle vise à titre principal à préserver l’image de luxe des produits « pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ».

615. Or, ces conditions ne sont manifestement pas remplies en l’espèce. Comme établi aux paragraphes 478 et suivants ci-avant, les restrictions imposées par Essilor reposaient sur des critères arbitraires et opaques dont les justifications ont, en outre, été développées ex post compte tenu des risques, dont elle avait pleinement conscience, que sa politique commerciale soulevait au regard des règles de concurrence. Par ailleurs, celle-ci a également été mise en œuvre de façon discriminatoire au regard des principes sensés la justifier.

Sur la protection des intérêts commerciaux d’Essilor

616. Essilor fait valoir que ses pratiques étaient justifiées par la préservation de la qualité et de l’image de marque de ses produits les plus sophistiqués et le risque de parasitisme. Elle considère en outre que la soumission de la « garantie adaptation » (voir les paragraphes 236 et suivants ci-avant) au respect du « guide d’adaptation des verres progressifs » (voir les paragraphes 238 et suivants ci-avant) répond à une contrainte économique et commerciale.

• Sur la préservation de la qualité et de l’image de marque des produits Essilor

617. Compte tenu des incertitudes suscitées par l’apparition de la vente en ligne en France, il existait, selon Essilor un « risque élevé » que les problèmes engendrés par les erreurs de prises de mesures liées à ce nouveau canal de distribution soient attribués à ses verres. Cette circonstance justifierait sa politique, dans un contexte où « elle n’avait par ailleurs aucun intérêt à protéger le canal de distribution physique de la concurrence  de la vente  en  ligne »626.

618. Sur ce point, l’Autorité relève tout d’abord que l’absence alléguée d’intérêt à protéger le canal de distribution physique ne saurait emporter la conviction, dans la mesure où, comme l’ont relevé les services d’instruction, la protection du canal physique s’expliquait tant par la pression en ce sens des opticiens physiques que par la volonté propre d’Essilor de préserver ses niveaux de marges627.

619. Ensuite, les documents internes saisis au sein du groupe Essilor attestent que le choix de favoriser les opticiens physiques s’est opéré dès 2009 pour des motifs commerciaux, et non pour des motifs liés à la prise des mesures, invoqués par le groupe Essilor a posteriori628.

620. En outre, il a été constaté que, depuis 2009, le groupe Essilor vend, partout dans le monde, des verres simples et « complexes » (voir les paragraphes 72 et 83 ci-avant) sur ses sites Internet. Ceux-ci font figurer la marque Essilor et louent la haute qualité et la facilité d’adaptation de ses produits. Dès lors, Essilor ne saurait utilement soutenir que la vente de ses verres sur Internet présente un risque pour sa réputation.

621. Enfin, comme exposé aux paragraphes 478 et suivants ci-avant, les doutes, exprimés a posteriori par Essilor, sur la capacité des opticiens « pure players » à garantir la prise de mesure de l’écart pupillaire ne reposent sur aucun élément factuel. Il en va de même de l’impact prétendument négatif de la vente en ligne sur la satisfaction des porteurs.

622. Ces arguments doivent donc être rejetés.

• Sur le risque de parasitisme

623. Essilor justifie également ses pratiques par l’existence d’un risque de « parasitisme » lié au fait que les « pure players » encourageraient leurs clients à se rendre chez les opticiens physiques pour la prise de mesures et l’ajustage des montures.

624. Toutefois, Essilor ne fournit aucun élément circonstancié à l’appui de ses allégations, en dehors de quelques mentions, figurant sur les sites easyverres.com, Happyview et Opticien24 (racheté depuis par Essilor)629.

625. En outre, ces sites ne font qu’évoquer la possibilité pour les clients, en cas de difficultés persistantes d’adaptation, de se rapprocher d’un opticien physique, étant rappelé que le site Happyview a développé des partenariats avec des magasins dès 2012. Par ailleurs, en tout état de cause, ces sites proposaient une garantie « satisfait ou remboursé »630.

626. Dans ces conditions, le risque de parasitisme invoqué par Essilor n’est pas établi et apparaît, en toute hypothèse, mineur.

627. Pour l’ensemble de ces raisons, les justifications invoquées par le groupe Essilor tenant à la préservation de ses intérêts commerciaux légitimes doivent donc être écartées.

• Sur le conditionnement du bénéfice de la garantie adaptation au respect d’un protocole de prise de mesures en magasin

628. S’agissant de la soumission du bénéfice de la « garantie adaptation » au respect d’un protocole de prise de mesures en magasin, Essilor met en avant les contraintes économiques et commerciales liées à ce type de garantie631.

629. Toutefois, aucun élément au dossier ne permet de considérer que l’extension du bénéfice de la garantie adaptation à des sites de vente en ligne constituerait une contrainte particulière par rapport à celle qu’Essilor assume vis-à-vis des opticiens physiques.

630. Comme déjà rappelé ci-avant (voir les paragraphes 498 et suivants), il apparaît en effet que les sites de vente en ligne connaissent des taux de retour très faibles, ce qu’Essilor admet elle-même dans ses écritures632.

631. La satisfaction des clients des opticiens en ligne a d’ailleurs été constatée dans l’étude réalisée par l’institut OpinionWay pour l’Association Française des Opticiens sur Internet en 2011633. L’Autorité relève également que l’opticien en ligne Sensee justifiait, en 2012, d’un taux de retour inférieur à 2 %634.

632. Par ailleurs, aucun élément ne permet d’affirmer, comme le fait Essilor, que les faibles taux de retour s’expliqueraient par le fait que les clients seraient « moins accompagnés pour exprimer leur insatisfaction »635.

633. Au contraire, il apparaît que les sites de vente en ligne fournissent des informations sur les spécificités liées aux verres progressifs et la nécessité d’une période d’adaptation. Ils proposent en outre l’accès aux conseils personnalisés d’un opticien, notamment en cas de difficultés persistantes. De même, la plupart des sites de vente en ligne offrent une garantie « satisfait ou remboursé » de 30 jours, voire de 100 jours pour certains, ce qui est supérieur au délai de la garantie offerte par Essilor ainsi qu’au délai légal de rétraction636.

Sur les arguments relatifs aux objectifs de protection de la santé des consommateurs.

634. Essilor fait valoir que les restrictions induites par sa politique commerciale seraient en tout état de cause justifiées au regard de l’objectif légitime de protection des consommateurs.

635. Elle rappelle à cet égard le caractère « inadapté et insatisfaisant » de la vente en ligne de verres « complexes »637 (voir les paragraphes 128 et suivants ci-avant), d’ailleurs souligné selon elle par de nombreux professionnels, et soutient avoir adopté la même position à l’étranger.

636. L’Autorité considère toutefois que les restrictions imposées par le groupe Essilor aux sites de vente en ligne poursuivaient des visées purement commerciales.

637. Il apparaît en effet que les motifs liés à la prise de mesures et à la santé des consommateurs ont été invoqués a posteriori pour justifier la stratégie élaborée initialement. Ce point est clairement illustré par la version initiale du compte-rendu de réunion du 19 janvier 2012638, cité par Essilor, qui identifiait la nécessité d’explorer des pistes « pour limiter la vente de verres progressifs sur internet », la mention relative à la protection des consommateurs ayant été ajoutée dans un second temps.

638. La stratégie décidée par le groupe Essilor ne reposait ainsi, dès l’origine, sur aucun élément factuel démontrant l’existence d’un danger pour les consommateurs ayant recours aux opticiens en ligne actifs en France.

639. En outre, comme indiqué aux paragraphes 478 et suivants ci-avant, les éléments du dossier attestent de la pleine capacité des sites de vente en ligne à vendre des verres progressifs, qualifiés de « complexes » par Essilor (voir le paragraphe 60 ci-avant).

640. Comme déjà souligné, le niveau de satisfaction des acheteurs de lunettes en ligne en France est élevé, que ce soit pour les verres « simples » ou « complexes » (voir le paragraphe 60 ci-avant).

641. S’agissant, enfin, de la position d’Essilor à l’étranger, les éléments du dossier indiquent en outre que l’ensemble des sites « pure players » détenus par Essilor ont vendu et vendent des lunettes montées de verres progressifs. Dans ce cadre, la déclaration du Président du groupe, prétendant qu’Essilor ne vendait pas de verres progressifs sur ses sites FramesDirect et EyeBuyDirect, était manifestement inexacte639

642. Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’indépendamment même de son application arbitraire, la politique commerciale discriminatoire d’Essilor ne poursuivait en tout état de cause aucun objectif de nature à la justifier.

c) Sur la durée des pratiques

643. Essilor conteste les dates de début (29 avril 2009, date d’un échange interne à Essilor, voir ci-avant paragraphe 122) et de fin (date de la notification de griefs, soit le 23 décembre 2020) retenues par les services d’instruction pour déterminer la durée des pratiques visées dans le grief n° 1.

644. Elle considère en effet que l’échange du 29 avril 2009640 est trop vague pour être considéré comme participant à l’élaboration des pratiques anticoncurrentielles qui lui sont reprochées. Elle soutient, partant, que les pratiques alléguées ne peuvent, en toute hypothèse, avoir débuté qu’à compter de la première restriction en matière de communication figurant au dossier d’instruction, soit le 25 mai 2010, date de la mise en demeure du site Acheter-lunettes.com641.

645. En ce qui concerne la fin des pratiques, Essilor soutient que les services d’instruction n’apportent aucun élément de preuve des prétendues pratiques postérieurement au mois de décembre 2013642, hormis ceux, contestables, relatifs à la « garantie adaptation » et aux CPV Varilux.

Sur le point de départ des pratiques

646. L’Autorité constate que l’échange du 29 avril 2009 fait clairement référence à l’interdiction de vente de verres Varilux sur Internet (« la recommandation d’Essilor France est de ne pas proposer Varilux dans un modèle de ecommerce dont Essilor est acteur»), élément central de la politique commerciale discriminatoire sanctionnée au titre du premier grief.

647. Par ailleurs, la présentation « Projet Clair – Distribution par internet », jointe à ce courriel, révèle que cette décision faisait partie d’une stratégie plus globale et mûrement réfléchie, conçue pour « tenter d’assurer une distribution « sélective » des produits ». Dans ce cadre, l’objectif était de réserver en exclusivité les produits d’Essilor à certains réseaux et de mettre en œuvre une veille sur les prix sur Internet, avec un « plan d’action si un distributeur casse les prix »643.

648. Ces documents constituent, comme tels, des actes préparatoires précis sous-tendant la politique discriminatoire d’Essilor vis-à-vis des sites de vente en ligne. Cette politique ayant été effectivement mise en œuvre par Essilor, ils en constituent une partie nécessaire et indissociable qu’il est, à ce titre, légitime de retenir comme point de départ des pratiques constituant le premier grief.

649. Dans ces conditions, l’Autorité considère que la première manifestation concrète de la politique discriminatoire mise en place par Essilor à l’endroit des sites de vente en ligne français est effectivement l’échange du 29 avril 2009 retenu par les services d’instruction.

Sur la date de fin des pratiques

650. Il ressort des éléments du dossier et des développements ci-avant que le maintien, à compter de 2014, des conditions de garantie restrictives contenues dans les CGV Essilor et les CPV Varilux, qui ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des ventes de verres correcteurs d’Essilor, atteste que les pratiques d’Essilor ont perduré de façon ininterrompue, à tout le moins jusqu’à la notification de griefs.

d) Sur les entités responsables

651. Il ressort des éléments exposés ci-avant que la société Essilor International SAS a mis en œuvre les pratiques qui lui sont reprochées au titre du premier grief et que sa responsabilité peut ainsi être engagée de ce chef en tant qu’auteur.

652. S’agissant en revanche de la société BBGR, également mise en cause au titre du premier grief, l’Autorité constate que les documents mis en avant par les services d’instruction attestent que BBGR a participé à certains échanges ou réunions relatifs à la politique d’Essilor vis-à-vis des sites de vente en ligne en France. Toutefois, le seul élément attestant de la participation active de BBGR dans la politique commerciale élaborée et mise en œuvre par Essilor International SAS est son intervention auprès du site Visiofactory en 2013 décrite au paragraphe 228 ci-avant. Cet élément est en lui-même insuffisant, au regard des circonstances de l’espèce, pour retenir la responsabilité de BBGR dans la mise en œuvre de la pratique.

e) Conclusion sur le grief n°1

653. Sur la base des éléments précédemment exposés, l’Autorité considère qu’Essilor a abusé de sa position dominante, en mettant en œuvre une politique commerciale discriminatoire comportant, d’une part, des restrictions en termes de communication et, d’autre part, des restrictions en termes de garanties, ciblant spécifiquement les sites de vente en ligne et visant à freiner leur progression sur le marché de la distribution des lunettes de vue en France, et ce sur une période s’étendant du 29 avril 2009 au 23 décembre 2020.

2.  S’AGISSANT DU GRIEF N° 2

654. Le second grief notifié par les services d’instruction à Essilor consiste en la diffusion d’un discours trompeur en vue d’entraver la pénétration et le développement de la vente en ligne de lunettes de vue en France.

a) Le rappel des principes applicables

655. Il ressort de la pratique décisionnelle de l’Autorité, que les comportements dénigrants consistent à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié. Ils se distinguent de la simple critique dans la mesure où ils émanent d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur644.

656. Plusieurs critères sont pertinents pour considérer qu’un dénigrement puisse être qualifié d’abus de position dominante.

657. En premier lieu, l’Autorité s’attache à vérifier si le discours commercial tenu par l’entreprise en position dominante relève de constatations objectives ou s’il procède d’assertions non vérifiées645. 

658. À titre d’exemple, dans le secteur pharmaceutique, l’Autorité considère que, s’il est loisible à un laboratoire pharmaceutique de mettre en exergue les qualités objectives d’un produit, le fait de souligner non pas seulement des qualités, mais des différences qui – dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu – ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute objectif sur les qualités des spécialités génériques concurrentes ou sur les risques associés à la substitution, peut témoigner d’une volonté d’induire le praticien en erreur et être constitutif d’un abus de position dominante646.

659. Dans des secteurs réglementés, comme l’énergie ou la téléphonie, l’Autorité a relevé, s’agissant de pratiques de discours commercial trompeur :

« si le discours d’une entreprise en position dominante mettant en avant les avantages de ses offres commerciales auprès de ses consommateurs ne présente aucun caractère anticoncurrentiel, il en va différemment si ce discours est de nature à induire ses interlocuteurs en erreur de manière à tenter d’évincer ses concurrents »647.

660. En revanche, dans un arrêt du 9 janvier 2019, la Cour de cassation a précisé que la divulgation d’une information se rapportant à un sujet d’intérêt général et reposant sur une base factuelle suffisante n’est pas constitutive d’un dénigrement, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure648.

661. En deuxième lieu, il convient de déterminer si le discours commercial de l’entreprise dominante a été de nature à influencer la structure de marché.

662. Cette analyse est effectuée in concreto, en considération des spécificités du secteur concerné et, à ce titre notamment, de la plus ou moins grande sensibilité des destinataires de l’information à son contenu. Dans ce cadre, l’Autorité en examine les effets attendus ou réels auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents649.

663. La cour d’appel de Paris a, par exemple, pris en compte, pour confirmer le caractère abusif de communications mises en œuvre par un laboratoire pharmaceutique, le fait que les professionnels de santé concernés avaient peu de connaissances en matière de pharmacologie, comme en matière de réglementation des spécialités génériques, et se caractérisaient par leur aversion à toute prise de risque. Dans un tel contexte, elle a considéré que la diffusion d'une information négative, voire l'instillation d'un doute sur les qualités intrinsèques d'un médicament, pouvait le discréditer immédiatement auprès de ces professionnels650.

664. Les modalités de diffusion du discours commercial de l’entreprise dominante peuvent également constituer un critère d’analyse pertinent.

665. À ce titre, le caractère ciblé ou non des communications a pu être parfois être pris en compte.

666. Ainsi, dans la décision n° 16-D-23 du 24 octobre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des actes prothétiques, l’Autorité a écarté la qualification de dénigrement au motif que la communication litigieuse visait « un très grand nombre de chirurgiens-dentistes, sans cibler de catégorie de professionnels en particulier » et ne visait pas spécifiquement les professionnels qui n’étaient pas affiliés à l’organisme auteur du communiqué651. De même, dans un arrêt du 21 décembre 2017, la cour d’appel de Paris a estimé que le courriel type envoyé à certains maires par TDF, bien que contenant une présentation « incomplète, et à ce titre trompeuse », n’était toutefois pas constitutif d’un abus, dans la mesure où l’information qu’il contenait n’était « pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF »652(soulignements ajoutés).

667. De manière analogue, dans la décision n° 12-D-19, pour écarter l’existence d’un dénigrement dans le secteur du blanchiment des dents, l’Autorité a relevé que les propos tenus par les organismes représentatifs des chirurgiens-dentistes avaient consisté en des propos généraux et que « leur cible n’est jamais individualisée et ils ne permettent ni d’identifier un opérateur particulier – notamment l’une ou l’autre des entreprises saisissantes – ni la prestation susceptible de lui être associée »653.

668. Parmi les autres facteurs pris en compte, la cour d’appel de Paris a jugé que « l’expérience enseigne que la tenue d’un discours dénigrant par une entreprise en position dominante à l’encontre d’un produit concurrent nouveau est potentiellement apte à entraver son accès au marché »654. Elle a également pris en considération le fait que les communications s’insèrent dans une « stratégie globale et structurée »655.

669. En troisième et dernier lieu, il convient que soit établi un lien entre la domination de l’entreprise et la pratique de dénigrement656.

670. Ce lien peut résulter de la notoriété de l’entreprise concernée et de la confiance que lui accordent les acteurs du marché, qui sont de nature à renforcer significativement l’impact de son discours. L’Autorité a ainsi pris en considération le fait que l’entreprise mise en cause bénéficiait aux yeux du grand public de la réputation et de la notoriété d’un ancien monopole gérant un service public657.

b) L’application en l’espèce

671. Les services d’instruction reprochent à Essilor d’avoir diffusé un discours consistant, d’une part, entre novembre 2008 et avril 2011 (ci-après la « première période »), à véhiculer l’idée erronée que la vente en ligne de lunettes de vue était illégale en France et, d’autre part, à partir d’avril 2011 (ci-après la « seconde période »), à mettre en doute la qualité et la sécurité des produits vendus sur les sites de vente en ligne.

672. Pendant la seconde période, le grief reproche plus précisément à Essilor (i) d’avoir critiqué de manière générale et indifférenciée la vente en ligne de lunettes de vue ; (ii) d’avoir véhiculé une définition floue de la distinction entre verres « simples » et verres

« complexes » et affirmé que la vente en ligne n’était pas adaptée à la commercialisation de cette dernière catégorie ; (iii) d’avoir affirmé de manière mensongère qu’Essilor ne commercialisait pas de verres correcteurs en ligne, (iv) d’avoir affirmé ou laissé entendre que l’accompagnement personnalisé par un opticien ou un ophtalmologue dans le cadre de l’achat de verres correcteurs n’était pas réalisable en ligne et (v) d’avoir tenu des propos particulièrement critiques à l’égard des « pure players ».

673. Essilor considère qu’aucune des conditions prévues par la jurisprudence pour la qualification d’un abus de position dominante fondé sur la diffusion d’un discours commercial trompeur n’est remplie en l’espèce.

674. S’agissant de la première période, et contrairement à l’analyse des services d’instruction, il apparaît que les  éléments du dossier – notamment le projet de communiqué de crise  d’avril 2009 dans lequel le groupe affirmait que la question de la vente en ligne ne se posait pas dans la mesure où la vente d’équipement optique sur Internet était interdite en France – ne permettent pas de considérer de façon certaine qu’Essilor a effectivement diffusé à l’extérieur un discours commercial trompeur (voir les paragraphes 120 à 125 ci-avant). Ils ne permettent pas non plus d’identifier précisément à quelle fréquence et auprès de qui ce discours aurait été diffusé.

675. Dès lors, indépendamment même du contenu de ces documents, leur effet actuel ou potentiel sur la structure du marché n’est pas suffisamment démontré en l’espèce.

676. S’agissant de la seconde période, les services d’instruction ont considéré qu’Essilor avait diffusé un discours commercial trompeur consistant en une série de déclarations de différente teneur, synthétisées dans le tableau ci-dessous, ayant pour objectif de jeter le doute sur la qualité et la sécurité des verres correcteurs vendus sur les sites de vente en ligne.

GRIEF    2 – DECLARATIONS  PUBLIQUES D’ESSILOR

La Tribune 4 avril 2011

Entretien avec le PDG d’Essilor international

Cote 9835

« Nous pensons que l’offre Internet est mieux adaptée à des verres simples qu’à des verres complexes comme les verres progressifs pour lesquels des prises de mesures supplémentaires par l’opticien sont nécessaires » (soulignement ajouté).

Communiqué du 22 novembre 2011

Cote 9799 « Essilor France estime que la santé visuelle des Français ne peut être assurée qu’au travers d’une filière intégrant les professionnels de l’optique que sont les ophtalmologistes et les opticiens. En effet, un équipement optique de qualité nécessite de la part de ces professionnels un conseil personnalisé qui tient compte des besoins visuels précis des porteurs, d’une grande précision dans la prise de mesures, d’une garantie de l’origine des produits vendus et d’un contrôle strict de l’équipement  lors   de   sa   remise   au   consommateur.   Aujourd’hui, la vente à distance ne permet pas de garantir ces services ; c’est pourquoi nous avons décidé de ne pas associer les verres de marques Essilor aux sites de vente de lunettes en ligne » (soulignement ajouté).

Les Echos 27 avril 2012

Entretien avec le PDG d’Essilor International

Cote 9697 « Sur certains sites réglementés, dans certains pays, nous pouvons être amenés à vendre des verres simples, mais aucune de nos grandes marques n’y sera présente et cela reste très marginal. La visite chez l’opticien reste la meilleure façon de protéger et corriger sa vue » (soulignement ajouté).

Le Figaro 28 mars 2013 Entretien avec M. X… (Sensee)

Cote 9390 « Quant à Essilor, interrogé sur sa position vis-à-vis de la vente en ligne, il “ne recommande pas aujourd’hui la vente à distance des verres correcteurs Essiior [sic]”. La vente sans rencontre avec un opticien en magasin “ ne garantit pas, selon nous, le respect du protocole nécessaire à la bonne prise en charge du patient et à la délivrance de lunettes correctrices parfaitement adaptées à ses besoins et à sa morphologie ” » (soulignement ajouté).

Présentation du 29 août 2013 des résultats du 1er semestre 2013

PDG d’Essilor

Cotes 10097 et 10098 « L’Internet est très bien pour des solutions simples, des yeux médicalement sans problème et lorsque cela est organisé de manière saine. En revanche, cela constitue une véritable catastrophe lorsque cela est sauvagement pris par des cow-boys qui ne regardent pas l’intérêt du consommateur. Cela existe partout dans le monde. Lorsqu’on touche aux verres progressifs, aux fortes myopies, astigmatismes et que cela se combine, seuls l’ophtalmologiste ou l’optométriste, combiné à un opticien professionnel pourra vous conseiller. Vous ne trouverez pas cela sur Internet. Par contre, si vous trouvez une monture à votre goût et que vous êtes myope de moins 1,5, vous pouvez aisément vous rendre sur Internet » (soulignement ajouté).

« […] il y a quelques années, nous avons intégré les distributions Internet aux États-Unis. Nous avons réitéré ce processus récemment avec FramesDirect.com et EyeBuyDirect.com, sur lesquels vous ne trouverez pas nos marques, ni même des verres progressifs sophistiqués. En revanche, cela satisfait tout à fait un certain nombre de consommateurs ayant envie d’acheter une monture à trois heures du matin ou un dimanche après-midi et de dépenser 50 dollars pour des verres simples » (soulignement ajouté).

Courrier du 20 décembre 2013 de la Direction commerciale verres France à ses clients

Cote 854 « […] si la vente en ligne peut, pour des besoins simples, répondre à de nouveaux modes de consommation, les verres ophtalmiques demeurent des produits de santé.

C’est pourquoi, nous sommes vigilants à ce que nos verres complexes, et en particulier les verres Varilux, soient commercialisés par des professionnels qualifiés capables de réaliser une prestation qui repose notamment sur une analyse fine des besoins visuels du porteur, un ajustage systématique de la monture et des prises de mesures précises. I1 en va de la performance de nos verres, de la satisfaction et de la sécurité des porteurs ».

Le Figaro 28 février 2014 Entretien avec le PDG Cote 9853

Les verres Varilux, en tant que verres progressifs, « ne se prêtent pas à la vente en ligne ».

Déclaration du 19 février 2015 lors de la présentation des résultats de 2014

Directeur général adjoint d’Essilor International

Cote 10055 « […] nous trouvons pour le moment que les technologies ne sont pas tout à fait là pour accomplir des choses très bien dans le domaine des verres progressifs. Certains se vendent en ligne et nous estimons que ce n’est pas tout à fait là où ça devrait être. Nous nous concentrons sur les verres pour les myopes pour le moment et nous évaluerons ce qu’il en sera à moyen terme » (soulignement ajouté).

« C’est la raison pour laquelle vous ne visualisez pas la marque Varilux sur aucun de nos sites Internet. Nous considérons que la technologie n’est pas là et que ce produit est pour les opticiens, les optométristes. Eux seuls sont capables de garantir aux consommateurs, grâce à leurs services et à leurs compétences, qu’un verre progressif sera bien prescrit et bien monté ».

« on ne trouve pas sur internet nos grandes marques de verres progressifs. La personnalisation est dédiée exclusivement à l’ensemble des réseaux traditionnels d’opticiens et d’optométristes ».

Rapport annuel 2015-2016 publié le 12 mai 2016

Cote 9865 « la vente en ligne est un canal bien adapté à la vente des lentilles de contact, des équipements solaires, des lunettes de lecture et des verres de prescription simples ».

677. Il ressort des éléments ci-dessus que certains de ces propos établissant une dichotomie peu claire, voire arbitraire, entre les verres « simples » et les verres « complexes », ou laissant entendre qu’Essilor ne vendait pas de verres « complexes » en ligne, sont susceptibles d’être trompeurs.

678. De même, certaines prises de position d’Essilor ont pu véhiculer l’idée trompeuse que la vente en ligne ne permettait pas de bénéficier des conseils personnalisés d’un opticien (voir les paragraphes 134 et suivants ci-avant).

679. Toutefois, l’Autorité considère que prises dans leur globalité, les caractéristiques de ces communications ne permettent pas d’identifier une pratique de discours trompeur sur le fondement des articles 102 TFUE et L.420-2 du code de commerce.

680. Tout d’abord, outre que les services d’instruction n’ont retenu que neuf déclarations publiques susceptibles de constituer un dénigrement abusif entre 2011 et 2016, soit en moyenne moins de deux déclarations par an sur la période considérée, ces déclarations n’identifient pas clairement le produit, le service ou le tiers qui serait visé par le discours trompeur.

681. Les déclarations d’Essilor visent en effet indistinctement la « vente en ligne », la « vente à distance » ou « Internet », sans identifier avec davantage de précision une catégorie de professionnels, qui peut pourtant, ainsi qu’il l’a été relevé ci-avant, recouvrir une grande diversité d’acteurs comprenant, notamment, ceux uniquement dédiés à la vente en ligne, comme Sensee, (les « pure players ») et ceux disposant tant de magasins physiques que de sites de vente en ligne. Par ailleurs, les déclarations litigieuses visent une catégorie de services fluctuante, puisqu’elles font référence à la vente en ligne tantôt de verres correcteurs en général, tantôt de « verres complexes », tantôt de « verres progressifs », tantôt de « verres progressifs sophistiqués » ou de verres de marque Essilor et, en particulier, de marque Varilux (voir le tableau au paragraphe 676 ci-avant).

682. En outre, la communication d’Essilor ne ciblait pas une catégorie spécifique d’interlocuteurs et, en particulier, ne visait pas un public, comme, par exemple, les ophtalmologues, qui auraient pu, de par leur qualité de prescripteurs, avoir une influence particulière dans la décision des consommateurs de se tourner vers la vente en ligne. Au contraire, les éléments de communication recensés s’adressent alternativement, et ce de façon peu fréquente, au grand public (notamment les déclarations à la presse), à des clients ou à des investisseurs.

683. Enfin, il n’est pas établi au regard des éléments au dossier, qu’Essilor ait tenté d’influencer, par une stratégie de communication, les pouvoirs publics français, la seule pièce citée par les services d’instruction en ce sens, à savoir les déclarations d’Essilor lors d’une réunion fin 2009 du Conseil Interprofessionnel de l’Optique, ne présentant pas de caractère probant658.

684. Il ressort de ce qui précède que les éléments au dossier ne permettent pas d’identifier une communication globale et structurée visant une catégorie de destinataires spécifiques.

685. Au contraire, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, le contenu du discours d’Essilor a fluctué au fil des différentes déclarations, faisant référence à la vente en ligne de verres de catégories différentes. En outre, les différentes prises de position d’Essilor ne répondent pas à un plan de communication préétabli mais semblent correspondre à des prises de position ponctuelles répondant à un contexte spécifique (déclarations directes ou reprises par la presse, un communiqué de presse, un courrier envoyé à des clients d’Essilor et deux présentations de résultats d’Essilor aux investisseurs et à la presse).

686. À la lumière de ces éléments, et des critères rappelés ci-avant, l’Autorité estime que si certaines prises de position d’Essilor ont pu faire une présentation erronée et, à cet égard trompeuse, de la distribution en ligne des verres correcteurs, elles ne constituent pas, compte tenu de leur caractère isolé, diffus, fluctuant, et parfois non public, un discours commercial trompeur de nature à influencer la structure de marché et limiter le développement de la vente en ligne en France.

687. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de retenir le grief n° 2 notifié le 30 décembre 2020.

E. SUR L’IMPUTABILITE

1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

688. Il résulte d’une jurisprudence constante que les articles L. 420-1, L. 420-2 du code de commerce et 101 du TFUE visent les infractions commises par des entreprises. La notion d’entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. C’est cette entité économique qui doit, lorsqu’elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle659.

689. Ainsi, en droit interne comme en droit de l’Union, au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques660.

690. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans cette hypothèse, il suffit pour l’autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, l’autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale661.

691. Ainsi que l’a rappelé la cour d’appel de Paris dans son arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, ces règles d’imputabilité, qui découlent de la notion d’entreprise visée aux articles 101 TFUE et 102 TFUE, relèvent des règles matérielles du droit européen de la concurrence. L’interprétation qu’en donnent les juridictions européennes s’impose donc aux autorités nationales de concurrence lorsqu’elles appliquent le droit européen ainsi qu’aux juridictions qui les contrôlent662.

692. Par ailleurs, comme l’ont rappelé les juridictions tant internes que de l’Union, cette présomption est compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d’individualisation des peines. En effet, lorsqu’une entité économique enfreint les règles de concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction.

2.  APPLICATION AU CAS D’ESPECE

693. Comme relevé au paragraphe 34 ci-avant, la concentration entre les sociétés Essilor et Luxottica a été autorisée par la Commission le 1er mars 2018663.

694. Le 1er octobre 2018, la société Essilor International SA – ancienne holding du groupe Essilor

– est devenue la société EssilorLuxottica SA – nouvelle holding détenant 100 % des sociétés Essilor International SAS – dans laquelle toutes les filiales anciennement détenues par Essilor International SA ont été transférées – et Luxottica Group SpA664.

695. En application des principes susvisés, l’influence déterminante de la société Essilor International SA sur la société Essilor International SAS peut être présumée. Cette présomption n’étant pas contestée, elle est réputée établie. Il convient donc de retenir comme suit la responsabilité au titre du grief n° 1 notifié le 30 décembre 2020 :

- pour la période du 29 avril 2009 au 23 décembre 2020 à la société Essilor International SAS, en tant qu’auteure ; et

- pour la période du 1er octobre 2018 au 23 décembre 2020, à la société EssilorLuxottica SA, en tant que société mère.

F. SUR LES SANCTIONS

696. Les dispositions du I de l’article L. 464-2 du code de commerce et l’article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L1, p. 1) habilitent l’Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, ainsi que par les articles 101 et 102 du TFUE.

697. Le troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce précité prévoit que « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

698. Par ailleurs, aux termes du quatrième alinéa du I de l’article L. 464-2 du même code, « le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % de montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».

699. En l’espèce, l’Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, le « communiqué sanctions »)665.

1. SUR LA DETERMINATION DU MONTANT DE BASE DE LA SANCTION

700. Le communiqué sanctions énonce que « Le montant de base est déterminé pour chaque entreprise ou organisme en fonction de l’appréciation portée par l’Autorité sur la gravité des faits et sur l’importance du dommage causé à l’économie (…) » (point 22).

701. La durée des pratiques constituant un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits666, que l’importance du dommage causé à l’économie667, elle fera l’objet d’une prise en compte sous ce double angle selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué sanctions précité.

a) Sur la valeur des ventes affectées

Rappel des principes applicables

702. En application du point 23 du communiqué sanctions, la pratique décisionnelle de l’Autorité retient comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction, la valeur des ventes réalisées par l’entreprise mise en cause pour les biens ou les services qui sont en relation avec l’infraction.

703. Par ailleurs, selon le point 33 du communiqué sanctions, la valeur des ventes est déterminée par référence au dernier exercice comptable complet de mise en œuvre des pratiques. Toutefois, suivant le point 37 du même communiqué, lorsque ce dernier exercice « ne constitue manifestement pas une référence représentative, l’Autorité retient un exercice qu’elle estime plus approprié ou une moyenne d’exercices, en motivant ce choix ».

Application au cas d’espèce

704. Essilor soutient que l’Autorité porterait atteinte au principe de proportionnalité si elle retenait, au titre de la valeur des ventes en relation avec l’infraction, le montant total de ses ventes de verres correcteurs pour déterminer le montant de base de la sanction. Selon Essilor, la valeur des ventes à prendre en compte en l’espèce devrait être uniquement celle des verres dits « complexes » (voir paragraphe 60), et donc des verres progressifs, catégorie la plus proche, au motif que seul ce type de verres serait visé par les pratiques susvisées.

705. Cet argument ne résiste pas à l’analyse. En effet, aux termes des points 23 et 33 du communiqué sanctions, l’Autorité retient comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction la valeur des ventes réalisées par l’entreprise mise en cause pour les biens ou les services qui sont « en relation avec l’infraction ».

706. De surcroît, il ressort d’une jurisprudence constante que l’Autorité prend en compte, au titre de la détermination de la valeur des ventes, l’ensemble des ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction, que lesdites ventes aient ou non été réellement affectées par cette infraction, la partie du chiffre d’affaires provenant de la vente des produits faisant l’objet de l’infraction étant la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction668.

707. En l’espèce, comme il a été démontré ci-avant, les pratiques en cause ont été mises en œuvre sur le marché français de la fourniture en gros de verres correcteurs finis, tous types de matériaux, nature de la correction visuelle ou canaux de distribution confondus669 (paragraphes 426 et suivants).

708. À cet égard, contrairement à ce que soutient Essilor et comme il a été démontré aux paragraphes 127 et suivants ci-avant, l’expression verres « complexes » est utilisée indifféremment pour faire faire référence aux verres unifocaux et aux verres progressifs. Il n’est par ailleurs pas contesté par la mise en cause que le marché de produits concerné par la pratique est celui de la fourniture en gros de verres correcteurs finis, tous verres de correction compris670, sans qu’il soit besoin de distinguer entre les verres dits « complexes » et les autres types de verres. Ainsi, dans la mesure où les pratiques en cause ont porté tant sur les verres progressifs que sur les verres unifocaux, il n’y a pas lieu de restreindre la valeur des ventes en relation avec l’infraction aux seuls verres progressifs.

709. Il ressort de ce qui précède que la valeur des ventes à prendre en compte correspond au chiffre d’affaires réalisé pour la fourniture des verres correcteurs unifocaux et des verres progressifs, représentant l’ensemble des catégories de produits en relation avec l’infraction.

710. En l’espèce, conformément au point 33 du  communiqué  sanctions  rappelé  au  paragraphe 703 ci-avant, le dernier exercice complet de participation à l’infraction est celui de l’année 2019 pour Essilor International. Il convient donc de retenir une valeur des ventes de [Confidentiel]671.

b) Sur la gravité de la pratique

Rappel des principes applicables

711. Lorsqu’elle apprécie la gravité d’une infraction, l’Autorité tient notamment compte de la nature de l’infraction, de la nature du secteur, de la qualité des personnes susceptibles d’être affectées et des caractéristiques objectives de l’infraction672.

712. Par ailleurs, l’Autorité considère de façon constante que des pratiques intervenant « dans le secteur de la santé publique, dans lequel la concurrence est déjà réduite en raison de l’existence d’une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d’assurance maladie » sont, de manière générale, particulièrement graves673.

Application au cas d’espèce

713. Essilor conteste que les pratiques en cause en l’espèce revêtent une « particulière gravité ».

714. Elle soutient, en premier lieu, que l’absence d’encadrement par les pouvoirs publics de la vente des produits d’optique antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », justifierait les comportements qui lui sont imputés, et rappelle, à cet égard, que l’absence de clarté d’une législation a déjà été considérée comme une circonstance atténuante par l’Autorité674.

715. En deuxième lieu, elle réitère les arguments qu’elle a déjà formulés (voir ci-avant, paragraphes 605 et suivants) quant à l’existence de justifications objectives relatives à la protection de la santé des consommateurs et de ses intérêts commerciaux légitimes. Selon Essilor, ces circonstances, à supposer qu’elles ne puissent être retenues au titre de la qualification des pratiques, devraient à tout le moins être prises en considération pour en modérer la gravité.

716. En troisième et dernier lieu, elle allègue que la circonstance que le développement des ventes en ligne de lunettes n’ait pas connu l’essor escompté par les acteurs du secteur serait imputable à d’autres facteurs que les pratiques en cause. Ces facteurs, déjà mentionnés aux paragraphes 532 et suivants ci-avant, incluent la réticence généralisée de l’ensemble des acteurs du secteur quant à la vente de ces dispositifs médicaux en ligne, la relation particulière qu’entretiennent les consommateurs français avec leur opticien physique, l’insuffisance des services proposés sur Internet ou encore la complexité des sites de vente en ligne.

717. Aucun de ces arguments ne saurait toutefois prospérer.

Sur le défaut de clarté du régime juridique de la vente en ligne

718. À titre liminaire, il convient de souligner qu’ainsi qu’il a été rappelé aux paragraphes 360 à 389 ci-avant, Essilor est en position dominante sur le marché français de la fourniture en gros de verres correcteurs finis. Elle est, à ce titre, tenue à une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée675 et il ne lui appartenait pas, ainsi, de se substituer aux pouvoirs publics en imposant des restrictions ne reposant sur aucune justification objective.

719. Par ailleurs, comme il a été rappelé au paragraphe 397 ci-avant, si l’exploitation abusive d’une position dominante constitue une notion objective, l’existence d’une intention manifeste de s’abstraire des règles de concurrence constitue une circonstance pertinente dans le cadre de l’examen des pratiques reprochées à Essilor.

720. En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les pratiques mises en œuvre par Essilor se sont inscrites dans une stratégie délibérée visant à préserver le marché traditionnel de la vente de produits d’optique du développement de la vente en ligne, et à réserver ses produits de marque aux opticiens physiques676.

721. Les éléments rappelés notamment aux paragraphes 120 et suivants ci-avant attestent qu’Essilor avait manifestement conscience de la licéité de la vente en ligne des verres correcteurs677 et de l’absence de circonstances légitimes de nature à justifier la mise en œuvre de restrictions à l’égard des sites de vente en ligne678.

722. À cet égard, un courriel interne du responsable du pôle juridique d’Essilor International alertait la direction marketing d’Essilor dès 2011 sur le fait que « d’un point de vue juridique, en l’état de la réglementation et de la jurisprudence, nous ne pouvons ni interdire la revente de nos produits sur internet, ni refuser de vendre ses produits aux opticiens en ligne ».

723. Le même courriel atteste qu’Essilor avait également conscience des risques que sa stratégie lui faisait courir au regard des règles de concurrence. Son auteur souligne en effet que la question des restrictions à la vente en ligne « est particulièrement sensible notamment pour les autorités de concurrence (plusieurs décisions ont été rendues et ce depuis plusieurs années maintenant, pour sanctionner des fournisseurs refusant la revente en ligne de leurs produits ou leur imposant de mettre en place des conditions de vente en ligne) ».

724. C’est donc en connaissance de cause qu’Essilor a décidé de limiter autant que possible la distribution de ses verres par des sites de vente en ligne. Elle l’a fait en élaborant un argumentaire artificiel centré sur la protection des consommateurs visant à légitimer a posteriori les restrictions mises en œuvre et ce alors même que dès le 12 juin 2009, le ministère de la Santé et des Sports, via le communiqué de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, avait clairement pris position (voir ci-avant, paragraphe 540) et que la licéité de la vente en ligne de lunettes de vue avant la loi Hamon était connue des acteurs du secteur, telle l’Union des opticiens (voir, ci-avant, paragraphe 541)679.

725. De surcroît, dès la fin des années 2000, plusieurs sites de vente en ligne (par exemple Happyview, ConfortVisuel ou Direct Optic) proposaient des lunettes de vue de manière transparente vis-à-vis des autorités françaises chargées de la santé et de la sécurité sanitaire680. Enfin, le groupe Essilor a lui-même fourni des verres de qualité Essilor et Varilux sous marque blanche à des acteurs du commerce en ligne en France dès 2010 au moins (voir paragraphes 426 et suivants).

726. Il ressort de ce qui précède que l’argument relatif au défaut de clarté du régime juridique applicable à la vente en ligne avant l’adoption de la loi Hamon, dont l’un des objectifs était précisément d’encourager le développement de ce mode de commercialisation, ne saurait être retenu, en l’espèce, pour atténuer la gravité des pratiques.

Sur l’existence de justifications objectives

727. Les arguments d’Essilor visant à justifier les restrictions mises en œuvre ne sauraient davantage prospérer, pour les motifs exposés ci-avant (voir les paragraphes 606 et suivants ci-avant).

728. S’agissant tout d’abord des arguments relatifs à la protection de la santé publique, la circonstance même qu’Essilor ait vendu des verres correcteurs sous marque blanche à certains sites de vente en ligne suffit à démontrer leur caractère purement artificiel.

729. Les arguments relatifs à la protection des intérêts commerciaux d’Essilor et à ses craintes d’atteinte à sa réputation sont tout autant dénués de fondement, dès lors que, comme exposé ci-avant (voir paragraphes 616 et suivants), Essilor a, d’une part, appliqué en France une politique commerciale à géométrie variable à l’égard de ses différents partenaires, et, d’autre part, n’a cessé de développer la vente en ligne de verres correcteurs à l’étranger depuis 2009, sur ses sites ou des sites tiers681.

Sur les facteurs externes allégués par Essilor

730. La portée des allégations d’Essilor en ce qui concerne l’influence de facteurs externes aux pratiques sur le développement de la vente en ligne doit également être relativisée pour les motifs précédemment exposés aux paragraphes 480 à 483 (réticence généralisée de l’ensemble des acteurs du secteur quant à la vente de verres correcteurs en ligne), 544 à 552 (relation particulière des consommateurs français avec leur opticien physique), 478 à 510 (insuffisance des services proposés sur Internet ) et 563 (complexité des sites de vente en ligne).

731. Il résulte de ce qui précède que la pratique en cause présente un caractère de gravité certain. En outre, l’Autorité relève que les pratiques en cause ont spécifiquement visé un canal de vente émergent et comme telles, nécessairement limité la concurrence sur les prix et la qualité dans le secteur de la santé.

732. Enfin, l’impact des pratiques en cause a été d’autant plus grand que celles-ci ont été mises en œuvre dès le début de la vente en ligne, à la fin des années 2000, et avaient toujours cours à la date de la notification de griefs en décembre 2020.

c) Sur l’importance du dommage causé à l’économie

Rappel des principes applicables

733. L’importance du dommage causé à l’économie ne se confond pas avec le préjudice qu’ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s’apprécie en fonction de la perturbation générale qu’elles sont de nature à engendrer pour l’économie682.

734. Dans un arrêt du 26 janvier 2010, Adecco France, la cour d’appel de Paris a précisé, s’agissant du périmètre de cette perturbation générale, que « l’appréciation de l’importance du dommage à l’économie […], qui ne se limite pas, par principe, à la seule atteinte au surplus économique des consommateurs, doit porter sur la perte du surplus subie par l’ensemble des opérateurs du  marché,  entreprises  concurrentes,  offreurs  ou demandeurs »683.

735. L’existence du dommage à l’économie ne se présume pas684, mais s’apprécie de manière objective et globale en prenant en compte l’ensemble des éléments pertinents de l’espèce.

736. Cependant, il convient de rappeler que si, selon une jurisprudence constante, l’Autorité n’est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l’économie, elle doit néanmoins procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l’économie engendrée par les pratiques en cause685. Pour apprécier le dommage causé à l’économie, l’Autorité prend en considération les effets tant avérés que potentiels de la pratique686.

737. Enfin, l’Autorité tient notamment compte, pour apprécier l’incidence économique de la pratique en cause, de l’ampleur de l’infraction, telle que caractérisée en particulier par sa couverture géographique ou par la part de marché de l’entreprise sanctionnée sur le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques du secteur concerné687.

Application au cas d’espèce

738. Essilor soutient que la pratique constitutive du premier grief n’est pas susceptible, compte tenu notamment de sa faible ampleur et des caractéristiques économiques du secteur, d’avoir eu un impact significatif en France, sur le développement des ventes en ligne des verres correcteurs, d’une part, et, d’autre part, sur le prix des verres correcteurs. Elle se fonde à cet égard sur deux notes économiques, l’une produite en réponse au rapport des services d’instruction688, l’autre produite en réponse à certaines observations du service économique de l’Autorité formulées lors de la séance du 9 décembre 2021689.

Sur l’ampleur de la pratique

739. Essilor prétend que les services d’instruction n’ont pas analysé le marché sur lequel la pratique a eu lieu, à savoir le marché aval de la distribution de produits d’optique. Elle considère notamment qu’ils n’ont pas quantifié l’impact probable des pratiques en cause sur le développement de la vente en ligne de lunettes en France ni pris en considération d’autres facteurs susceptibles d’influencer les ventes en ligne.

740. Ce reproche est infondé.

741. Comme rappelé ci-avant au paragraphe 733, l’examen de l’ampleur d’une pratique n’a, comme les autres critères d’appréciation du dommage à l’économie, pas pour objet de déterminer ses effets concrets sur le marché mais vise à apprécier le degré de perturbation du marché qu’elle est susceptible d’entraîner.

742. À cet égard, il ressort de l’instruction que les pratiques d’Essilor ont été mises en œuvre sur l’ensemble du territoire national par une entreprise disposant d’une part de marché très importante sur le marché des verres correcteurs, lequel représente plus de la moitié de la valeur totale de produits optiques, loin devant les montures, les lunettes solaires et les lentilles. (voir ci-avant, paragraphe 360)

743. L’instruction a également permis d’établir qu’en raison, notamment, de la position et de la notoriété d’Essilor sur ce marché, les pratiques en cause étaient de nature à affecter le développement du marché aval de la vente en ligne de lunettes en France, étant observé que les Français consacrent aux produits d’optique le budget le plus élevé d’Europe690.

744. Enfin, les pratiques en cause ont été mises en œuvre pendant une durée importante de près de 10 ans.

745. Il ressort de ce qui précède que les pratiques reprochées à Essilor sont d’une ampleur significative.

Sur les caractéristiques économiques du secteur en cause

746. Selon Essilor, les services d’instruction n’ont pas pris en compte certains facteurs liés à la demande des produits d’optique qui justifieraient le faible développement de la vente en ligne de ces produits.

747. D’après elle, les revendeurs en ligne ne seraient pas en mesure d’offrir la même qualité de services que les points de vente physiques. Or les consommateurs seraient attachés à ces services, comme le démontrerait leur fidélité à leur opticien, observée dans toute l'Europe, où plus de 60 % des consommateurs seraient des clients récurrents de leur opticien691.

748. Essilor conteste également que ses marques constituent un facteur d’attractivité pour les opticiens en ligne. Elle estime, en se fondant sur l’étude économique produite au soutien de ses observations692, que les achats en ligne concerneraient des produits optiques d’entrée de gamme. De fait, le positionnement « haut de gamme » des verres Essilor les rendrait inadaptés à la vente en ligne.

749. Essilor estime, en outre, que les consommateurs français seraient moins sensibles au prix que leurs homologues européens, en raison de « systèmes de remboursement exceptionnellement élevés » et d’un reste à charge ne représentant, en moyenne, que légèrement plus de 20 % du prix total des lunettes de vue693. Selon le fabricant, dans la mesure où le prix est l’« élément moteur »694 des achats en ligne, cette circonstance expliquerait le faible développement de vente en ligne de produits optiques en France.

750. Dans ce contexte, Essilor ajoute que ses produits, de gamme supérieure, sont encore moins susceptibles d’être achetés en ligne que des produits optiques d’entrée de gamme.

751. Essilor, s’appuyant sur l’étude économique produite au soutien de ses observations en réponse au rapport des services d’instruction695, relève ainsi que dans 22 pays européens, le prix moyen des lunettes de vue vendues sur ses propres sites en ligne est environ quatre fois moins élevé que celui des lunettes de vue vendues tous canaux de vente confondus. Ce constat confirmerait que les produits optiques achetés en ligne sont en moyenne d’une gamme inférieure.

• Sur la qualité des services offerts par les opticiens en ligne et la fidélité des consommateurs à leur opticien physique

752. S’agissant de l’argument selon lequel la vente en ligne ne répondrait pas aux attentes de qualité de service des consommateurs, l’Autorité a déjà relevé aux paragraphes 465 et suivants ci-avant, y compris sur la base de documents internes à Essilor696, que les sites Internet de ventes de lunettes de vue proposent des interfaces adaptées à la vente de verres correcteurs, et notamment à nombre de verres « complexes ». Cette circonstance explique en outre en partie que les ventes en ligne représentent jusqu’à 14 % des ventes de lunettes de vue697 dans d’autres pays.

753. À cet égard, Essilor n’apporte aucun élément démontrant le caractère prétendument « sous optimal » de l’expérience d’achat en ligne pour une « part importante des consommateurs », comme l’affirme une des études économiques produites au soutien de ses observations698.

754. Une étude de satisfaction réalisée par l’institut OpinionWay fin 2011 sur un échantillon représentatif de consommateurs699 révèle, au contraire, que les acheteurs en ligne présentaient un niveau de satisfaction élevé comparable à celui des acheteurs en magasin s’agissant de la qualité des verres et de la qualité de la correction, ainsi qu’un niveau de satisfaction nettement plus élevé vis-à-vis du prix payé que les clients des magasins physiques.

755. Ce constat n’est pas remis en cause par l’enquête Gfk réalisée en 2017 pour GrandVision700 selon laquelle plus d’un tiers des personnes interrogées n’ont pas l’intention d’acheter une nouvelle paire de lunettes de vue en ligne avant un délai de cinq ans, tandis que 52 % des porteurs de lunettes renouvellent effectivement leur paire (en ligne ou en magasin) avant deux ans, et que 88 % renouvellent effectivement leur paire avant quatre ans. En effet, outre que l’étude révèle, a contrario, que près de deux tiers des clients de sites de vente en ligne ont l’intention de réitérer leur achat via ce canal, ces chiffres ne fournissent en tant que tels, aucune indication utile quant à leur niveau de satisfaction.

756. De plus, comme il sera démontré aux paragraphes 759 et suivants ci-après (et comme le rappelle d’ailleurs Essilor701), les acheteurs en ligne sont potentiellement plus sensibles au prix. Cette circonstance apparaît plus à même de justifier la moindre fréquence de renouvellement observée sur le canal de vente en ligne que la prétendue insatisfaction, au demeurant nullement établie, des consommateurs alléguée par Essilor.

757. En outre, et comme le montre l’étude même produite par Essilor au soutien de ses observations en réponse au rapport des services d’instruction, certains pays connaissent des taux de pénétration des ventes en ligne significativement plus importants qu’en France, alors même que la fidélité des consommateurs à leur opticien physique n’y est pas moins marquée702.

758. Par exemple, il ressort d’une étude datée de 2018703 produite par Essilor que les consommateurs allemands recourent plus fréquemment à la vente en ligne que les consommateurs français alors qu’ils sont encore plus attachés au conseil en magasin.

• Sur le niveau de sensibilité au prix des consommateurs

759. Essilor soutient qu’en raison de l’existence d’un système de remboursement particulièrement avantageux, le consommateur français bénéficie, pour une même dépense individuelle nominale, d’un budget total plus important que ses voisins européens. Cette circonstance le rendrait moins sensible au prix et, partant, moins susceptible de recourir à la vente en ligne.

760. Toutefois, l’Autorité considère que cet argument ne peut expliquer le développement relativement limité des ventes en ligne en France par rapport, notamment, aux États européens voisins

761. Il sera en premier lieu observé qu’Essilor sous-estime le reste à charge effectivement supporté par les consommateurs français, ce qui la conduit à minimiser leur sensibilité aux prix des verres optiques.

762. Sur ce point, selon une étude datée de 2012, produite par Essilor à l’appui de ses écritures704, le reste à charge des consommateurs français était substantiellement plus élevé pendant la période couverte par les pratiques que ne le prétend Essilor, qui se fonde sur uniquement sur le reste à charge pour l’année 2020. En effet, comme rappelé au paragraphe 559 ci-avant, ce n’est qu’à partir de 2016 que les employeurs du secteur privé ont eu l’obligation de proposer une couverture complémentaire de santé collective à leurs salariés. Dès lors, avant cette date, la part des consommateurs français ayant accès à une assurance complémentaire de santé était moindre et le reste à charge plus élevé pour une partie d’entre eux.

763. L’Autorité relève, par ailleurs, sur le même point, que les estimations d’Essilor reposant sur une comparaison des restes à charge moyens en France et dans d’autres États705 la conduisent à exagérer l’importance du lien de causalité entre la politique de remboursement en France et la propension des consommateurs français à acheter des produits en moyenne plus haut de gamme.

764. En effet, contrairement à ce que laissent supposer les différentes études économiques produites par Essilor, les niveaux de prix pratiqués par les détaillants, indépendamment des différences de qualité et de gamme, ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Sur ce point, dans son rapport précité de 2013, la Cour des comptes a relevé l’existence d’un différentiel de prix entre la France et d’autres pays, et a noté par ailleurs l’importance des marges des intervenants de la filière706.

765. En deuxième lieu, la circonstance, à la supposer avérée, que la politique de remboursement suivie en France conduirait les consommateurs français à acheter des lunettes plus sophistiquées que celles achetées par les consommateurs dans d’autres pays européens n’est manifestement pas de nature à priver de tout intérêt économique l’achat des mêmes produits en ligne à un meilleur tarif.

766. Sur ce point, comme l’ont relevé les services d’instruction et comme il sera à nouveau abordé aux paragraphes 771 et suivants, le canal de vente en ligne n’est pas exclusivement réservé à la distribution de produits « bas de gamme ». Les services d’instruction ont également mis en évidence l’importance pour les consommateurs français de la qualité et du prix des produits707. Dans ces conditions, et quelle que soit la sensibilité au prix des consommateurs, la pratique reprochée à Essilor était de nature à limiter leur possibilité de mettre en concurrence les produits.

767. Enfin, en tout état de cause, plusieurs éléments recueillis au cours de l’instruction témoignent d’une forte sensibilité au prix du consommateur français pour ce type de produits.

768. L’étude Gallileo de 2012 produite par Essilor708 révèle par exemple que « 36 % des porteurs de lunettes choisissent leur opticien pour des motifs économiques, ce qui atteste que pour une partie importante des consommateurs, le prix n’est pas seulement un élément important, mais un critère de choix essentiel ». De même, l’étude QualiQuanti de juin 2017 établit que

« 35 % des consommateurs considèrent le rapport qualité/prix des lunettes et verres proposés comme un critère essentiel dans le choix de leur opticien »709. L’étude Gallileo de juin 2015 montre quant à elle que pour 66 % des consommateurs, le prix est une information très importante, tandis que 48 % estiment que les promotions sont une information très importante, et 41 % assez importante710.

769. Une autre étude produite par Essilor à l’appui de ses écritures711 atteste, de surcroît, que le prix des lunettes de vue est le second critère le plus important pour les consommateurs français, juste après la qualité des verres. Ces données révèlent d’ailleurs que les consommateurs français accordent aux prix une importance égale ou supérieure aux consommateurs anglais, allemands et espagnols712.

770. Il ressort de ce qui précède que le lien de causalité allégué par Essilor entre le reste à charge et le recours à la vente en ligne ne peut être établi et qu’il ne peut être conclu à une moindre appétence du consommateur français pour les ventes en ligne par rapport à ses voisins européens.

• Sur la circonstance que la vente en ligne concernerait essentiellement les verres à bas prix

771. Pour contester que les ventes en ligne aient pu être affectées par les pratiques qui lui sont reprochées, Essilor soutient que les verres qu’elle fabrique ne sauraient, compte tenu de leur positionnement « haut de gamme », représenter un quelconque facteur d’attractivité pour ce canal de vente.

772. Elle en veut pour preuve le fait, souligné dans l’étude économique713 produite en délibéré au soutien de ses observations, que les prix moyens des achats en ligne observés dans plusieurs pays européens sont très inférieurs à ceux des achats en magasin. Cette circonstance indiquerait, selon elle, que les achats en ligne concernent essentiellement des verres d’entrée de gamme.

773. Cette analyse n’emporte toutefois pas la conviction.

774. Sur un plan méthodologique, l’analyse présentée par Essilor concerne des lunettes et non des verres : les différentiels observés incluent donc le prix des montures, si bien qu’il n’est pas possible d’en tirer des enseignements utiles sur le différentiel de prix entre verres correcteurs.

775. Sur le fond, ensuite, les écarts entre les prix moyens des achats effectués en ligne et en magasin peuvent résulter, non d’une différence de gamme ou de qualité dans les produits achetés, mais bien de différentiels de prix entre la vente en ligne et la vente en magasin. En effet, les prix des lunettes en ligne peuvent être, toutes choses égales par ailleurs, plus faibles qu’en magasin en raison des caractéristiques propres à la vente en ligne, telles que l’existence d’une concurrence plus forte, de coûts d’exploitation plus faibles, d’un segment de clientèle plus sensible au prix, etc. Sur ce point, une étude interne d’Essilor d’octobre 2012 mettait d’ailleurs en évidence la capacité effective des sites de vente en ligne à proposer des prix significativement inférieurs, ce tant pour des lunettes de vue d’entrée de gamme que pour des produits « premium »714.

776. Dans son étude économique produite en délibéré715, Essilor conteste l’interprétation par les services d’instruction de son étude initiale. Elle y soutient que ses marges ne lui permettraient pas de pratiquer de forts différentiels de prix entre la vente en ligne et la vente physique. Elle considère également que l’étude interne de 2012 ne portait pas sur des produits identiques et que les comparaisons de prix réalisées, reposant notamment sur des prix moyens en magasins, ne permettent pas de conclure avec certitude sur l’absence de prix en magasin inférieurs aux prix en ligne.

777. Ces arguments ne sauraient toutefois prospérer.

778. S’agissant des taux de marge présentés par Essilor, ceux-ci sont, comme l’ont souligné les services d’instruction, sujets à caution716. En outre, les coûts des sites de vente en ligne sont nécessairement inférieurs à ceux d’un opérateur physique (économie de coûts fixes sur les boutiques physiques, coûts d’exploitation moins élevés, etc.) et les prix bas sont essentiels pour la conquête de leur clientèle, à la fois vis-à-vis d’autres sites de vente en ligne et vis-à-vis des opticiens physiques.

779. S’agissant ensuite des différences de prix présentées dans le document interne d’Essilor d’octobre 2012, l’Autorité relève que ce document fait lui-même état de « prix extrêmement élevés sur le marché traditionnel », sans attribuer ce phénomène à des gammes de produit ou de service supérieures717.

780. En outre, les comparaisons de prix dans l’étude interne de 2012 sont réalisées pour chaque canal de vente (en ligne ou physique) et pour des produits de qualité et de gamme équivalentes. Sur ce point, les graphiques inclus dans l’étude distinguent selon le type de verres (unifocaux ou progressifs), leur qualité et l’indice de correction.

781. Enfin, l’utilisation d’un prix moyen dans l’étude interne de 2012 ne remet pas en question les écarts de prix substantiels constatés par les services d’instruction entre les ventes en ligne et les ventes en magasin. Par ailleurs, plusieurs autres éléments présents au dossier confirment l’existence de différentiels de prix très importants entre le canal en ligne et le canal physique, y compris sur le site d’Essilor lui-même718.

782. Ces différents éléments indiquent que les différentiels de prix entre vente en ligne et vente en magasin ne proviennent pas du type de produits privilégiés par les consommateurs lors de leurs achats en ligne mais des prix très inférieurs sur ce canal de vente comparé aux prix en magasin.

783. Par ailleurs, certains pays européens caractérisés par une proportion élevée d’achats de verres sophistiqués, comme la Suède ou le Danemark, connaissent un développement des ventes en ligne nettement plus élevé qu’en France719.

784. Il ressort de ce qui précède que les éléments présents au dossier confirment l’existence de différentiels de prix importants entre le canal en ligne et le canal physique, y compris sur le site d’Essilor lui-même720 et permettent d’établir que ces différentiels ne sont pas tant liés à une moindre qualité des produits achetés en ligne qu’à une plus grande compétitivité en terme de prix du canal de vente en ligne.

785. Enfin, et en tout état de cause, l’Autorité relève que l’existence même des pratiques faisant l’objet du premier grief contredit, en elle-même, l’absence de demande des sites de vente en ligne pour les verres correcteurs « premium » en France.

Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles de l’infraction

786. Essilor soutient que le dommage à l’économie est uniquement présumé par les services d’instruction sur le fondement d’éléments relatifs au potentiel de croissance de la vente en ligne. Elle considère qu’une analyse contrefactuelle, qui manque en l’espèce, aurait permis de démontrer que les pratiques qui lui sont reprochées n’ont pu affecter, ni le développement de la vente en ligne, limité par les facteurs externes précédemment évoqués, ni les prix de vente au détail.

787. S’agissant de l’impact des pratiques commerciales d’Essilor constitutives du grief n° 1 sur le développement de la vente en ligne de verres optiques en France, Essilor considère que les services d’instruction n’ont pas tenu compte de facteurs liés à la structure de la demande, qui ont joué un rôle important dans le faible développement de la vente en ligne dans toute l’Europe, puisque la pénétration des ventes en ligne y est en règle générale inférieure à 10 %. En outre, certaines particularités du marché français expliqueraient que la part des ventes en ligne soit encore plus faible en France721.

788. S’agissant ensuite de l’impact des pratiques commerciales d’Essilor constitutives du grief n° 1 sur les prix des verres correcteurs en France, Essilor soutient qu’une analyse comparative de l’évolution des prix des verres, en gros et au détail, démontre que les prix en France ont évolué de manière similaire à ceux des autres pays dans lesquels la vente en ligne de lunettes est plus développée722. Cette analyse suggèrerait donc, selon Essilor qu’un développement plus important de la vente en ligne de verres optiques en France aurait eu peu de chances d'entraîner une réduction significative des prix.

789. Enfin, Essilor allègue qu’il est nécessaire, pour apprécier le dommage à l’économie, de mettre en balance les effets positifs et négatifs de la vente en ligne de lunette de vue sur le bien-être des consommateurs. Selon Essilor, à supposer que le développement des ventes en ligne ait un effet baissier sur les prix, il aurait dans le même temps pour effet de diminuer le niveau de service offert aux consommateurs.

• Sur les effets sur le développement de la vente en ligne

790. Essilor soutient que le faible développement des ventes en ligne est dû à un ensemble de facteurs indépendants des pratiques qui lui sont reprochées.

791. Toutefois, s’il ne peut être exclu qu’une partie du retard de développement des ventes en ligne en France, par rapport à d’autres pays européens, puisse être expliquée par des facteurs autres que la pratique reprochée, certains de ces facteurs ne sont en réalité pas spécifiques à la France, et n’y sont pas plus marqués que dans les autres pays européens. De plus, les facteurs propres à la France mis en avant par Essilor dans ses écritures ne permettent pas d’expliquer le retard constaté en France par rapport à d’autres pays européens (voir les paragraphes 532 et suivants ci-avant).

792. Par ailleurs, l’Autorité considère qu’en privant les opticiens en ligne de la possibilité de tirer parti de la notoriété et de l’image des produits et des marques du groupe Essilor, les pratiques constatées ont, en retour, artificiellement favorisé la position des opticiens physiques.

793. Sur ce point, comme rappelé ci-avant aux paragraphes 581 et suivants, la possibilité d’accéder et de communiquer sur les produits Essilor était un enjeu d’autant plus important pour les opticiens en ligne, que ceux-ci constituaient un canal de vente émergent et qu’en dépit d’un niveau de satisfaction élevé, les opticiens en ligne ont été confrontés à un déficit de crédibilité et à des difficultés pour convertir les consommateurs novices en matière d’achat de lunettes en ligne.

794. Cette conclusion est confirmée par les déclarations des fondateurs de sites visés par les pratiques d’Essilor, qui figurent au paragraphe 593 ci-avant.

795. Les pratiques du groupe Essilor ont donc été de nature à entraver l’essor d’un nouveau canal de distribution dont la stratégie était de se démarquer par des prix attractifs pour des produits équivalents. Les comportements qui lui sont reprochés ont non seulement pu empêcher l’émergence d’une concurrence intra marque sur les produits de marque Essilor, susceptible d’augmenter la pression sur les prix, mais aussi, de manière générale, pu affecter l’attractivité et la crédibilité des opticiens en ligne par rapport à leurs homologues physiques.

• Sur les effets sur les prix de vente au détail

796. L’Autorité considère qu’en entravant le développement d’un canal de distribution concurrent, le groupe Essilor a pu favoriser le maintien des prix des lunettes de vue à des niveaux élevés et en augmentation au cours de la période infractionnelle723.

797. Comme relevé ci-avant (voir les paragraphes 37 à 39), le marché aval de la vente de produits optiques aux consommateurs en France se caractérise par les prix élevés qui y sont pratiqués.

798. Par ailleurs, les prix des lunettes de vue en France ont connu une évolution à la hausse entre 2008 et 2018724, en dépit des différentes réformes adoptées par le législateur dans le but de les faire baisser. Ce niveau élevé des prix rend les entraves au développement d’une concurrence en ligne notamment axée sur des prix compétitifs d’autant plus dommageables.

799. Les restrictions imposées par Essilor ont ainsi contribué à freiner l’évolution du marché. Elles ont, en outre, été susceptibles d’empêcher le consommateur d’accéder à des informations, notamment en matière de prix, sur les produits Essilor, et d’être ainsi en mesure de procéder à des comparaisons, dans un secteur caractérisé par son opacité et par une forte asymétrie d’informations entre le client et le revendeur725. Le groupe Essilor, dans ses observations, souligne d’ailleurs lui-même l’importance croissante d’Internet comme source d’information préalablement aux achats de produits optiques, que ceux-ci soient réalisés en magasin ou en ligne726.

800. Les éléments apportés par Essilor à l’appui de ses écritures ne permettent pas d’infirmer cette conclusion.

801. S’agissant de l’analyse de l’évolution des prix en ligne de gros727 et de détail728 des verres correcteurs en Europe, l’Autorité considère que les comparaisons effectuées par Essilor ne sont pas suffisamment probantes pour exclure que les pratiques aient pu affecter le prix des verres correcteurs en France.

802. En effet, l’étude économique produite par Essilor ne comporte aucune analyse de la représentativité des verres vendus utilisés pour l’analyse des prix de détail. Il ne peut ainsi être exclu que ces verres soient peu concernés par la vente en ligne, de sorte que l’évolution alléguée des prix ne pourrait refléter pleinement l’intensification de la concurrence due au développement de la vente en ligne des verres correcteurs.

803. Par ailleurs, les données de prix de détail ne sont pas suffisamment précises pour neutraliser le risque d’effet de composition, c’est-à-dire le risque que les évolutions de prix constatées s’expliquent non pas uniquement en raison d’une modification tarifaire, mais principalement en raison du fait qu’une proportion plus ou moins grande de verres plus chers peut être vendue d'une année sur l'autre. En particulier, les données disponibles ne permettent pas de distinguer, d’une année sur l’autre, le type de verre, la qualité des verres ou encore le canal de distribution.

804. En outre, comme le relève Essilor elle-même729, l’analyse de l’évolution des prix de gros et de détail ne peut être que sommaire, puisqu’elle ne prend pas en compte les facteurs explicatifs des prix qui ont pu varier au cours de la période dans les différents pays étudiés et ainsi entraîner des variations de prix différentes entre pays, indépendamment du développement ou non des ventes en ligne. En particulier, plusieurs autres pays européens ont pu connaître des évolutions ayant conduit à une élévation des prix de vente, susceptibles de masquer, dans ces pays, l’effet sur les prix du développement des ventes en ligne. En effet, une hausse plus importante des prix, concomitante au développement des ventes en ligne, peut découler, non pas de l’absence d’effet déflationniste des ventes en ligne, mais de l’existence, dans le pays concerné, de facteurs de variations propres, ce que l’étude met en lumière pour plusieurs pays inclus dans l’analyse730.

805. De manière analogue, le secteur de l’optique en France a lui-même connu des évolutions économiques et réglementaires qui lui ont été propres durant la période (voir paragraphes 20 et suivants et 34 et suivants ci-avant) les. Ces évolutions ont pu entraîner une diminution ou une stabilisation des prix masquant l’impact inflationniste du sous-développement des ventes en ligne en France731, de sorte que l’évolution des prix en France ne saurait être utilement comparée à celle observée dans les États qui n’ont pas connu de changements analogues.

806. Pour ces différentes raisons, les études économiques d’Essilor ne permettent pas d’identifier, à partir des données disponibles, l’impact des ventes en ligne sur les prix. L’Autorité a néanmoins démontré qu’un tel effet, à tout le moins potentiel, est probable en l’espèce.

807. Tout d’abord, Essilor estime elle-même que la concurrence pâtit d’une certaine opacité des prix (constat confirmé par la Cour des comptes732), que les ventes sur Internet auraient justement pu réduire733. Par ailleurs, les documents internes d’Essilor relatifs à la stratégie mise en place pour limiter la vente en ligne (voir, par exemple, les paragraphes 110 à 115 ci-avant), établissent sans ambiguïté que celle-ci était notamment motivée par « l’impact médiatique et commercial de la vente sur Internet »734 et, selon les termes du président-directeur général de Sensee, en réponse à un questionnaire des services d’instruction, par « la crainte de voir les prix baisser au détriment de la marge des opticiens physiques dans un premier temps, puis celle des fabricants »735.

• Sur la mise en balance des effets induits par la vente en ligne de lunettes correctrices

808. Enfin, s’agissant de l’absence de mise en balance des effets positifs et négatifs de la vente en ligne sur les consommateurs, ainsi qu’il a été développé aux paragraphes 752 et suivants ci-avant, il n’est aucunement démontré que le niveau de service offert par les sites de vente en ligne de lunettes de vue ne serait pas équivalent à celui offert par les opticiens qui exercent dans des points de vente physiques.

809. Il n’y a donc pas lieu de prendre en considération les prétendus effets positifs de la limitation du développement de la vente en ligne sur le bien-être des consommateurs tels qu’allégués par Essilor. 

810. Ainsi, les pratiques d’Essilor ont pu priver les seuls opticiens en ligne de la possibilité de tirer parti de la notoriété et de l’image des produits et des marques du groupe Essilor, ce qui a artificiellement favorisé la position des opticiens physiques et ce alors même que, la vente en ligne étant un canal émergent, la possibilité d’accéder et de communiquer sur les produits d’Essilor représentait un enjeu crucial en terme de crédibilité pour les sites de vente en ligne.

811. Du point de vue de la demande, les pratiques d’Essilor ont pu favoriser le maintien des prix de lunettes de vue à des niveaux élevés736, diminuer le choix de produits disponibles pour les consommateurs ainsi qu’empêcher le consommateur de procéder à des comparaisons faute d’informations sur l’origine des verres.

Conclusion sur le dommage à l’économie

812. Au regard de ce qui précède, le dommage causé à l’économie par les pratiques commerciales en cause apparaît certain.

813. Il présente toutefois un caractère modéré, compte tenu, notamment, de la part limitée des ventes en ligne de verres correcteurs en France.

d) Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes

814. Compte tenu de l’appréciation qu’elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et du caractère certain, mais modéré, du dommage causé à l’économie dans le secteur concerné, l’Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises en cause, une proportion de 4 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions pécuniaires prononcées au titre du grief retenu à l’égard d’Essilor.

e) Sur la durée de la pratique

Rappel des principes applicables

815. La durée de l’infraction est un facteur qui est pris en compte tant dans le cadre de l’appréciation de la gravité des faits737 que lors de l’évaluation de l’importance du dommage à l’économie738.

816. Dans le cas d’infractions qui se sont prolongées plus d’une année, l’Autorité s’est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l’importance du dommage causé à l’économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l’exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois complet près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent739.

817. Dans chaque cas d’espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d’entre elles pendant l’exercice comptable retenu comme référence.

Application au cas d’espèce

818. Pour les motifs qui figurent aux paragraphes 646 à 650 ci-avant, l’Autorité considère qu’Essilor International a mis en œuvre l’infraction constitutive du premier grief notifié à compter du 29 avril 2009 et que celle-ci a pris fin le 23 décembre 2020, date de la notification de griefs. En conséquence, la durée de la pratique retenue pour la détermination du montant de base est de 11 ans et 7 mois, soit un coefficient multiplicateur de 6,29.

819. S’agissant  d’Essilor  Luxottica,  dont  la  responsabilité  a  été  retenue   à  compter  du   1er octobre 2018 en sa qualité de société mère, il convient de la tenir solidaire de la sanction pécuniaire à hauteur de sa durée de détention du capital d’Essilor International sur la période infractionnelle, soit environ 19 % de cette dernière.

f) Conclusion sur la détermination du montant de base

820. Eu égard à la gravité des faits et au dommage causé à l’économie par les pratiques en cause, le montant de base des sanctions pécuniaires, déterminé en proportion des ventes en relation avec l’infraction réalisées par les entreprises concernées, d’une part, et en fonction de la durée de l’infraction, d’autre part, est présenté dans le tableau ci-après.

Entreprise Montant de base (en euros)

Essilor International SAS 73 697 666

EssilorLuxottica SA 14 000 000

2. SUR L’INDIVIDUALISATION DE LA SANCTION

821. Dans le communiqué sanctions, l’Autorité s’est engagée à adapter le montant de base retenu à la situation individuelle de l’entreprise sanctionnée et, quand c’est le cas, du groupe auquel elle appartient.

822. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d’espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes et aggravantes caractérisant le comportement de l’entreprise mise en cause dans la commission des infractions, ainsi que d’autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle, tels la prise en compte du caractère mono-produit de l’activité, l’appartenance à un groupe puissant ou l’existence de difficultés financières.

823. Cette prise en compte peut conduire à ajuster le montant de la sanction tant à la baisse qu’à la hausse740.

a) Sur les circonstances atténuantes et aggravantes

824. Essilor soutient que la sanction prononcée devrait être revue à la baisse, comme prévu aux points 44 et 45 du communiqué sanctions, compte tenu de ce que les comportements incriminés auraient été encouragés, au moins à titre de précaution, par les pouvoirs publics, en raison du contexte juridique incertain avant l’adoption de la loi Hamon

825. Toutefois,   Essilor   ne   démontre   nullement   en   quoi   les   pouvoirs   publics   auraient « encouragé » les pratiques incriminées. Il a, en revanche été établi qu’Essilor, en tant qu’acteur dominant, s’est substituée aux pouvoirs publics en mettant en œuvre, sous couvert d’une prétendue interdiction légale de la vente en ligne741, une politique commerciale restrictive envers les sites français de vente en ligne de lunettes de vue.

826. Aucune circonstance atténuante ne saurait, partant, être retenue à ce titre.

b) Sur les autres éléments d’individualisation

827. Il résulte des points 47 à 49 du communiqué sanctions qu’« afin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l’Autorité peut adapter, à la baisse ou à la hausse, le montant de base en considération d’autres éléments objectifs propres à la situation de l’entreprise ou de l’organisme concerné. En particulier, elle peut l’adapter à la baisse pour tenir compte du fait que l’entreprise concernée mène l’essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction (entreprise « mono-produit ») (…) elle peut aussi l’adapter à la hausse pour tenir compte du fait que (…) le groupe auquel appartient l’entreprise concernée dispose lui-même d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, cet élément étant pris en compte, en particulier, dans le cas où l’infraction est également imputable à la société qui la contrôle au sein du groupe».

828. Essilor soutient, tout d’abord, qu’elle devrait être considérée comme une entreprise mono-produit, au moins pour la période antérieure à la fusion entre Essilor et Luxottica, datant d’octobre 2018, ce qui justifierait ainsi de revoir à la baisse le montant de la sanction.

829. Elle indique, à cet effet, que si la valeur des ventes retenue est celle indiquée par les services d’instruction dans le rapport, les ventes concernées représentaient [80-90] % de son chiffre d’affaires en 2017 et entre [80-90] et [90-100] % entre 2008 et 2016.

830. Sur ce point, il ressort d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle constantes que la prise en compte du caractère d’entreprise « mono-produit » a pour finalité d’éviter que l’application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés742.

831. Un tel risque s’apprécie en tenant compte de la valeur des ventes utilisée comme assiette de la sanction, et en comparant ce chiffre au montant du chiffre d’affaires annuel total déclaré par l’entreprise ou, le cas échéant, au montant du chiffre d’affaires annuel total consolidé du groupe auquel celle-ci appartient743.

832. Or, selon cette approche, la valeur des ventes retenue au paragraphe 710, ne représente qu’un faible pourcentage du chiffre d’affaires annuel total d’Essilor International SA jusqu’à 2017744 et, a fortiori, d’EssilorLuxottica SA à compter de 2018745.

833. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire bénéficier Essilor de l’atténuation de la sanction liée au caractère mono-produit de l’activité de l’entreprise.

834. Essilor estime, par ailleurs, que son appartenance au groupe EssilorLuxottica ne justifierait pas une augmentation de la sanction, dès lors qu’il ne serait pas démontré, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence, que les comportements qui lui sont reprochés ont été influencés ou facilités par cette appartenance. Elle devrait d’autant moins être prise en compte que la fusion entre Essilor et Luxottica n’est intervenue qu’en octobre 2018 et ne pouvait, par définition, influencer ou faciliter les pratiques antérieures, voire même postérieures, à cette date.

835. À cet égard, il ressort d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constantes que l’appréciation de la situation individuelle peut conduire à prendre en considération l’envergure de l’entreprise en cause ou du groupe auquel elle appartient746.

836. La jurisprudence de l’Union va dans le même sens. Tout en indiquant que le recours à la valeur des ventes de l’entreprise en cause permet de proportionner l’assiette de la sanction à l’ampleur économique de l’infraction et au poids relatif de l’intéressée sur le secteur ou marché en cause, elle rappelle en effet qu’il est légitime de tenir compte, dans le même temps, du chiffre d’affaires global de cette entreprise, en ce que celui-ci est de nature à donner une indication de sa taille, de sa puissance économique et de ses ressources747 au moment de l’adoption de la décision litigieuse748.

837. De fait, la circonstance qu’une entreprise dispose d’une puissance financière importante peut justifier que la sanction qui lui est infligée, en considération d’une ou plusieurs infractions données, soit plus élevée que si tel n’était pas le cas, afin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire749. À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que l’efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction pécuniaire soit effectivement dissuasive – objectif également mis en exergue, s’agissant des sanctions pouvant être imposées en cas de violation de règles nationales de concurrence, par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 27 septembre 2011, Menarini Diagnostics/Italie750 –, au regard de la situation financière propre à chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée751.

838. En vertu de ces principes, l’Autorité n’est pas tenue pour majorer la sanction, « de démontrer en quoi l’appartenance à un groupe a joué un rôle dans la commission des pratiques, dès lors que la société faîtière du groupe, société mère, qui s’est vu imputer les pratiques, et la société auteur des pratiques constituent une entreprise unique au sens du droit de la concurrence »752. Lorsque la société mère d’un groupe est présumée avoir exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, et que, pour cette raison, les pratiques mises en œuvre par celle-ci doivent lui être imputées, « il s’en déduit, par définition, que l’appartenance [de la filiale au groupe] a joué un rôle dans la mise en œuvre de ces pratiques »753.

839. En l’espèce, les griefs ont été imputés aux sociétés Essilor International et EssilorLuxottica qui constituent, prises ensemble, une entreprise au sens du droit de la concurrence, ainsi que cela ressort des développements supra relatifs à l’imputabilité des pratiques (voir les paragraphes 688 et suivants ci-avant).

840. La société Essilor International, à laquelle l’infraction a été imputée en tant qu’auteure des pratiques, fait partie d’un groupe d’envergure mondiale, EssilorLuxottica SA, au sein duquel elle consolide ses comptes.

841. La société EssilorLuxottica SA, à laquelle l’infraction a été imputée en tant que société mère de l’auteur des pratiques, est à la tête d’un groupe qui a réalisé, en 2021, un chiffre d’affaires mondial consolidé de 19,82 milliards d’euros754.

842. La société EssilorLuxottica SA dispose ainsi d’une taille, d’une puissance économique et de ressources globales très importantes

843. Par ailleurs, la valeur des ventes retenue comme assiette de la sanction au titre du grief n° 1 ne représente que 1,5 % du chiffre d’affaires total du groupe disponible le plus récent755.

844. Au vu de ces éléments, et afin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction au regard de la situation financière propre à l’entreprise au moment où elle est sanctionnée, il y a lieu, en l’espèce, d’augmenter de 10 % la sanction infligée aux sociétés Essilor International SAS et EssilorLuxottica SA.

3. CONCLUSION SUR LE MONTANT DE LA SANCTION PECUNIAIRE

845. Au vu des considérations qui précèdent, les sanctions encourues, au titre du grief n° 1 sont les suivantes :

Entreprise Montant de base (en euros)

Essilor International SAS 81 067 432

EssilorLuxottica SA 15 400 000

4.  SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX

a) Sur le maximum légal

846. S’agissant du plafond de la sanction applicable, aux termes du I de l’article L.464-2 du code de commerce, les seuils auxquels sont soumises les sanctions sont les suivants : « Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ».

847. Conformément aux informations fournies par le groupe Essilor, le maximum légal de la sanction encourue est de 1,98 milliard d’euros, correspondant à 10 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes de 2021756.

848. La sanction encourue par les sociétés mises en cause est donc inférieure au plafond légal.

b) Sur la situation financière de l’entreprise

849. En l’espèce, les mises en cause n’invoquent aucune difficulté particulière et n’ont pas produit d’éléments financiers et comptables permettant de démontrer l’existence de difficultés financières affectant leur capacité à s’acquitter de la sanction que l’Autorité envisage de leur infliger.

c) Sur le montant final de la sanction

850. Au vu de l’ensemble des éléments généraux et individuels tels qu’exposés ci-dessus, le montant de la sanction infligée à Essilor International SAS est de 81 067 432 euros, arrondi à 81 067 400 euros. Sur cette somme, EssilorLuxottica est solidairement responsable pour un montant de 15 400 000 euros.

DÉCISION

Article 1er : Les conditions d’une interdiction au titre de l’article 102 du TFUE ne sont pas réunies s’agissant de la pratique visée par le grief n° 1 notifié le 30 décembre 2020 à la société BBGR SAS en raison de sa participation directe et à la société Essilor International SAS en sa qualité de société mère de la société BBGR SAS.

Conformément à l’article 3, paragraphe 2,  du  règlement  (CE) n°1/2003  du  Conseil  du  3 décembre 2002, cette pratique ne peut pas non plus être interdite sur le fondement de l’article L. 420-2 du code de commerce. Il n’y a donc pas lieu, en application de l’article 5 dudit règlement, à poursuivre la procédure, que ce soit au titre du droit de l’Union ou du droit national.

Article 2 : Les conditions d’une interdiction au titre de l’article 102 du TFUE ne sont pas réunies s’agissant de la pratique visée par le grief n° 2 notifié le 30 décembre 2020 aux sociétés BBGR SAS et Essilor International SAS en raison de leur participation directe et à la société Essilor International SAS en sa qualité de société mère de la société BBGR SAS.

Conformément à l’article 3, paragraphe 2,  du  règlement  (CE) n°1/2003  du  Conseil  du  3 décembre 2002, cette pratique ne peut pas non plus être interdite sur le fondement de l’article L.420-2 du code de commerce. Il n’y a donc pas lieu, en application de l’article 5 dudit règlement, à poursuivre la procédure, que ce soit au titre du droit de l’Union ou du droit national.

Article 3 : Il est établi que la société Essilor International SAS, en tant qu’auteure, et EssilorLuxottica SA en tant que société mère, ont enfreint les dispositions de l’article

L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l’article 102 du TFUE, pour avoir mis en œuvre, du 29 avril 2009 au 23 décembre 2020 s’agissant d’Essilor International SAS et du 1er octobre 2018 au 23 décembre 2020 s’agissant d’EssilorLuxottica SA, une politique commerciale discriminatoire à l’encontre des sites Internet proposant une offre de lunettes de vue entièrement en ligne.

Article 4 : Est infligée à la société Essilor International SAS, au titre de la pratique visée à l’article 3, une sanction pécuniaire de 81 067 400 euros, dont 15 400 000 euros solidairement avec la société EssilorLuxottica SA.

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Au titre de sa responsabilité solidaire, pour la période courant du 1er octobre 2018 au 23 décembre 2020.

3 Cotes 483 à 495.

4 Cotes 505, 506, 552, 553, 592, 593, 609 et 610.

5 Cotes 4033 et 4034.

6 Cotes 7937 à 7986.

7 Cotes 7937 à 7986.

8 Cotes 7987 à 8042.

9 Xerfi France, La fabrication de lunettes, verres et lentilles, juin 2020, page 20 ; en 2009, ce chiffre d’affaires était inférieur à 6 milliards d’euros.

10 Xerfi France, La fabrication de lunettes, verres et lentilles, juin 2020, page 12.

11 Directive 93/42/CEE du  Conseil,  du  14  juin  1993,  relative  aux  dispositifs  médicaux,  JO L 169  du  12 juillet 1993, page 1.

12 Parmi les exigences réglementaires auxquelles sont soumis les dispositifs médicaux, figurent notamment le marquage « CE », les obligations de déclaration auprès des autorités réglementaires – quant à l’activité, à la nature des produits commercialisés, et aux ventes annuelles en France – ainsi que le respect des règles en matière de publicité, de transparence et de matériovigilance.

13 Décision de la Commission du 1er mars 2008, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018)  1198  final,  paragraphe 32.

14 Décision de la Commission du 1er mars 2008, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018)  1198  final,  paragraphe 32.

15 Décision de la Commission du 1er mars 2008, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018)  1198  final,  paragraphe 33.

16 Les verres progressifs permettent aux personnes presbytes de voir net à toutes les distances avec une seule paire de lunettes ; voir le site Internet d’Essilor, accessible à partir de l’URL suivant : https://www.essilor.fr/la- vue/acheter-ses-lunettes/verres-progressifs. Cotes 7743, 7848, 7849, 7835, 7836 et 7827.

17 Décision de la Commission du 1er mars 2008, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018)  1198  final,  paragraphe 35.

18 Cote 7732.

19 Cote 10102.

20 Cote 10104.

21 Cote 10104.

22 Tels que la distance entre le verre et l’œil, l’angle pantoscopique, l’angle de galbe, la hauteur de montage, le comportement tête-œil, le système verre-œil et la distance de lecture ; voir les cotes 9935, 9988 et 9989.

23 Anomalie de la vision, due à un défaut des milieux réfringents de l‘œil (myopie, hypermétropie, astigmatisme).

24 Jusqu’alors, cette activité était réservée aux pharmaciens, en vertu de l’article L. 4211-1 du code de la santé publique.

25 Cette distance entre les deux pupilles permet aux opticiens de centrer précisément les verres correcteurs des lunettes. Elle peut être mesurée, à distance, à l’aide des technologies adéquates (voir les paragraphes 88 et suivants par exemple).

26 Avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée, paragraphe 840.

27 Par exemple, les boutiques Alain Mikli Shop distribuent les produits Mikli (cote 19720), et Maui Jim vend ses lunettes sur son site Internet, accessible à partir de l’URL : https://www.mauijim.com/.

28 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes (affaire pendante), paragraphe 39.

29 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes (affaire pendante), paragraphe 871.

30 À titre d’illustration, voir cote 10107.

31 À titre d’illustration, voir cotes 10111 et 10115-10116.

32 À titre d’illustration, voir cote 10112.

33 Cote 2040.

34 Cote 9142.

35 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes (affaire pendante), paragraphe 873.

36 E. TREGUIER, « Pourquoi les opticiens s’opposent à la vente de lunettes par internet », 15 décembre 2013, Challenge, accessible à partir de l’URL : https://www.challenges.fr/entreprise/pourquoi-les-opticiens-s- opposent-la-vente-de-lunettes-par-internet_30589.

37 Cote 10617.

38 H. CHARRONDIERE, « Acuitis se renforce dans la vente en ligne », 6 février 2020, Les Échos études, accessible à partir de l’URL : https://www.lesechos-etudes.fr/blog/actualites-21/acuitis-se-renforce-dans-la- vente-en-ligne-9594.

39 Commission européenne, « Concentrations : la Commission donne son feu vert à la concentration entre Essilor et Luxottica », communiqué de presse du 1er mars 2018, IP/18/1442.

40 Commission européenne, « Mergers : Commission clears acquisition of GrandVision by EssilorLuxottica, subject to conditions », communiqué de presse du 23 mars 2021, IP/21/1348 ; EssilorLuxottica,

« EssilorLuxottica announces decision to close acquisition of GrandVision on 1st July 2021 in accordance with the terms and conditions of the agreements signed on 30 July 2019 », communiqué de presse du 29 juin 2021, accessible à partir de l’URL suivant : https://www.essilorluxottica.com/essilorluxottica-announces-decision- close-acquisition-grandvision-1st-july-2021-accordance-terms.

41 Acuité, « Le site Happyview ouvre  son premier  magasin physique  et développe  un  concept unique »,  20 mars 2017, accessible à partir de l’URL : https://www.acuite.fr/actualite/magasin/108389/le-site- happyview-ouvre-son-premier-magasin-physique-et-developpe-un.

42 Société française créée le 1er avril 2011 qui a commercialisé des lunettes, d’abord exclusivement par Internet, puis également dans des boutiques physiques, jusqu’à son acquisition par Acuitis.

43 Acuité : « X… abandonne l’optique et cède son groupe Sensee », 28 janvier 2020, accessible à partir de l’URL : https://www.acuite.fr/actualite/magasin/175112/marc-simoncini-abandonne-loptique-et-cede-son- groupe-sensee.

44 Elle fabrique et distribue aujourd’hui les lunettes des marques Gucci, Cartier, Yves Saint Laurent, Bottega Veneta, Balenciaga, Chloé, Alexander McQueen, Montblanc, Brioni, Dunhill, Boucheron, Pomellato, Alaïa, Mcq, et Puma ; voir le site Internet de l’entreprise, accessible à partir de l’URL : https://www.kering.com/en/houses/kering-eyewear/.

45 Cour des comptes, La sécurité sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2013, page 399.

46 Cour des comptes, La sécurité sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2013, page 400 ; voir aussi, sur ce point, la décision n° 02-D-36 du 14 juin 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des lunettes d’optique sur le marché de l’agglomération lyonnaise, page 5, ainsi que l’étude commanditée par Essilor en 2012, qui souligne que « les fabricants de verres comme Essilor et les fabricants de montures comme Luxottica réalisent des marges considérables, avec des multiples de 4 sur le prix de revient, marges amplifiées par les opticiens au multiple moyen de 5 » (cote 10286).

47 Cour des comptes, La sécurité sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2013, page 419.

48  Amendement  n° 22  présenté  par  Mme  Massat,  M.   Frédéric   Barbier,   Mme   Got,   M.   Potier,   Mme Valter, M. Fekl, Mme Marcel, M. Destans, M. Gille et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen le 29 novembre 2013,  lors de  la deuxième  lecture  du projet de  loi relatif à  la  consommation du  21 novembre 2013.

49 Assemblée nationale, Compte rendu intégral de la première séance du jeudi 13 février 2014.

50 D. MARIMORT et J. POUYET, « L’optique en France. Étude Économique », étude Altermind conduite à la demande de Sensee ; voir cote 183.

51 Cote 8976.

52 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 12.

53 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 5.

54 Cote 8955.

55 Commission européenne, « Concentrations : la Commission donne son feu vert à la concentration entre Essilor et Luxottica », communiqué de presse du 1er mars 2018, IP/18/1442.

56 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 38.

57 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 40.

58 Cote 8957.

59 Cote 8955.

60 Commission européenne, « Concentrations : la Commission autorise l’acquisition de GrandVision par EssilorLuxottica, sous conditions », communiqué de presse du 23 mars 2021.

61 Cote 9124.

62 Source : Bien vu Vu juin 2019 pages 12-13 et https://www.bienvu.ws/2020-12-11/carte-mondiale-en-2019- des-magasins-essilorluxottica-apres-rachat-de-grandvision/ .

63 Décision de la Commission du 1er mars 2018, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018) 1198 final, paragraphe 5. La vente de lunettes de soleil et de lecture ne représente qu’entre 10 % et 20 % du chiffre d’affaires, et les machines moins de 5 % de ce dernier.

64 Cote 10553.

65 Décision de la Commission du 1er mars 2018, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018) 1198 final, paragraphe 2.

66 Décision de la Commission du 1er mars 2018, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018) 1198 final, paragraphe 4.

67 Décision de la Commission du 1er mars 2018, M.8394 Essilor / Luxottica, C(2018)  1198  final,  paragraphe 41.

68 Ibid, paragraphe 41.

69 L’angle « pantoscopique » mesure l’inclinaison du verre par rapport à un axe vertical.

70 L’angle « de galbe » mesure la courbe de la monture.

71 Cote 9935.

72 Cotes 9988 et 9989.

73 Tels que l’angle de galbe ou l’inclinaison.

74 Cote 902.

75 Les verres « tolérants », tels que définis par Essilor (cote 10747), désignent des verres progressifs dont le design prend en compte l’erreur potentielle commise sur les hauteurs de montage, qui ne sont, dès lors, pas mesurées mais calculées selon la règle « easy-to-fit ».

76 Tableau établi par l’Autorité sur la base des informations contenues dans le dossier d’instruction et fournies par Essilor.

77 Cote 12653.

78 Cote 9807.

79 Cote 9807.

80 Document de référence 2015 d’Essilor, page 9.

81 Cote 9852.

82 Document de référence 2015 d’Essilor, page 9.

83 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 44.

84 Cote 9806.

85 Cote 9809.

86 Cotes 2173, 10164 et 10165.

87 Cote 10178.

88 Cote 10178.

89 Cotes 10180 à 10182.

90 Cote 10187.

91 Cote 10193.

92 Cote 10199.

93 Cotes 10205 et 10216 à 10217.

94 Cote 10225.

95 Cote 10226.

96 Cote 274.

97 Cote 275.

98 Cotes 10231 à 10235.

99 Cotes 10231 à 10238.

100 Cote 10239.

101 Cotes 10245 à 10257.

102 Cote 10255.

103 Cotes 10258 à 10260.

104 Cotes 10262 à 10267.

105 Cotes 10123 à 10131.

106 Cote 10137.

107 Cote 10140.

108 Cotes 10141 et 10142.

109 Cotes 10144 à 10153 et 10154 à 10161.

110 Cote 2037.

111 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 6.

112 Cotes 10522 et 10526.

113 Cote 3336.

114 Cote 355.

115 Cotes 358, 457 et 2157.

116 Cote 9846.

117 Cotes 57, 285, 355, 357, 1106, 7309 et 9620.

118 Cote 9620.

119 Cotes 53, 285 et 293.

120 Cote 293.

121 Cote 8681.

122 Cotes 10527, 10533, 10536, 10537, 10538, 10539, 10540, 10541, 10542 et 10543.

123 Cote 458.

124 Cote 1106.

125 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 19.

126 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 6.

127 Cote 8471.

128 Marque chinoise, n°1 de l’optique-lunetterie en Chine (https://www.essilor.com/fr/marques/bolon/), partiellement rachetée par Essilor en 2013 et présente sur le marché français depuis 2017.

129 Cote 2157.

130 Cote 9912.

131 Cote 8408.

132 Cote 29.

133 Cotes 29 et 165.

134  Essilor  communique  en  TV  sur  son  traitement   Crizal :  le  spot  en  avant-première  sur   Acuité !,  21 janvier 2011, disponible à partir de l’URL suivant : https://www.acuite.fr/actualite/produits/9415/essilor- communique-en-tv-sur-son-traitement-crizal-le-spot-en-avant-premiere.

135 Cote 9803.

136 Cotes 1149 et 1150.

137 Cote 1106.

138 Cote 10040.

139 Cote 1273.

140 Cote 10507.

141 Cote 2230.

142 Cote 2231.

143 Cote 1151.

144 Cote 861.

145 Cote 990.

146 Cote 76.

147 Cote 1273.

148 Cote 989, voir également cote 990.

149 Cote 995.

150 Cote 1061.

151 Cote 993.

152 Cote 2006.

153 Méthode que les sites Coastal et Clearly, deux sociétés du groupe Essilor, emploient toutefois comme rappelé au paragraphe 90.

154 Cotes 1030 et 1031.

155 Cote 2230.

156 Cote 9835.

157 Cote 956.

158 Cote 956.

159 Cote 956.

160 Cotes 10097 à 10098.

161 Cote 854.

162 Cote 965.

163 Cote 969.

164 Cote 970.

165 Cote 9853.

166 Cote 10277.

167 Cotes 10055 et 10056.

168 Cote 9865.

169 Cote 10510.

170 Cotes 9585 et 9586.

171 Cote 9586.

178 Cote 9390.

179 Cote 995.

180 Cote 1062.

181 Cote 1066.

182 Cote 1636.

183 Cote 1636.

185 Cote 1700.

186 Cotes 10446 à 10492.

187 Entreprise française exploitant un site et une application de rencontres.

188 Voir, par exemple, les cotes 38, 9141 à 9143, 9708, 9796, 9797 et 9848 à 9850.

189 Cote 1625.

190 Cote 10494.

191 Cote 10494.

192 Cote 2231.

193 Cote 2232.

194 Cote 10515.

195 Cote 10513.

196 Cote 10417.

197 Cote 10416.

198 Cote 10415.

199 Cote 10415.

200 Les dispositifs médicaux qui satisfont aux normes nationales conformément aux normes harmonisées de ce type sont présumés conformes aux exigences essentielles visées à l’article 3  de la directive 93/42/CEE  du  14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette dernière.

201 Cote 10415.

202 Cote 10391.

203 Cotes 2508 et 2509.

204 Cote 2507.

205 Cote 2508.

206 Cote 2506. Activisu est une marque d’IVS Group, leader mondial des solutions de prise de mesures et des outils d’aide à la vente électroniques pour les opticiens. Elle a été rachetée par Essilor en 2012.

207 Cote 2505.

208 Cote 2505.

209 Cote 2504.

210 Cote 2503.

211 Cote 10367.

212 Cote 10366.

213 Cotes 2080 et suivantes.

214 Cote 2081.

215 Cotes 2081 et 2082.

216 Cote 2083.

217 Cotes 2488 à 2490.

218 Cote 2489.

219 Cote 2489.

220 Ibid.

221 Cote 2040.

222 Cote 2490.

223 Ibid.

224 Voir les Conditions générales de vente d’Essilor (à titre d’exemple celles de 2013, cotes 8360-8362) et le Livret produits et services (cotes 9910 et suivantes).

225 Cote 10335.

226 Cote 10351.

227 Cote 10358.

228 Ibid.

229 Cotes 10346 et 10347.

230 Cote 9389.

231 Cote 2534.

232 Cote 1729.

233 Cote 1730.

234 Cote 1732.

235 Cote 1725.

236 Cotes 10280 et 10281.

237 Cotes 1915 et 1916.

238 Cotes 1915 et 1916.

239 Cote 882.

240 Cotes 10443 et 10444.

241 Cote 10443.

242 Cote 57.

243 Cotes 57 et 1616.

244 Cote 1616.

245 Cote 1202.

246 Ibid.

247 Cote 1203.

248 Cote 9619.

249 Cote 53.

250 Cote 1918.

251 Cote 1919.

252 Cote 1918.

253 Cote 9667.

254 Cote 48.

255 Cotes 10227 à 10230.

256 Cote 278.

257 Cote 278.

258 Cote 4006.

259 Cote 9652.

260 Cote 13003.

261 Cote 9821.

262 Cote 10444

263 Cote 10439.

264 Cote 2162.

265 Cote 2084.

266 Cote 2085.

267 Cote 8339.

268 Cote 8361.

269 Cote 9886. Voir ci-avant paragraphe 178.

270 Cote 9889.

271 Cote 9890.

272 Cote 9891.

273 Cote 8339.

274 Cote 8361.

275 Cotes 8537 et 8538.

276 Cote 969.

277 Cote 8386.

278 Ibid.

279 Ibid.

280 Cote 9985.

281 Cote 8386.

282 Cote 8079.

283 Cote 8128.

284 Cotes 8130 à 8296.

285 Cote 8128.

286 Arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij NV (LVM) e.a. / Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, EU:C:2002:582, points 187 et 192 ; du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC / Commission, T-471/13, EU:T:2016:460, point 354 ; du 27 juin 2012, Bolloré / Commission, T-372/10, EU:T:2012:325, point 104 ; du 9 septembre 1999, UPS Europe SA / Commission, T-175/99, EU:T:2002:78, point 38 et du 22 octobre 1997, SCK et FNK / Commission, T-213/95 et T-18/96, EU:T:1997:157, point 57.

287 Arrêts de la cour d’appel de Paris du 6 mai 2021, Société Transports-Transit-Déménagements, 20/07505, point 27 ; du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 109 et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, 10/23945, page 18.

288 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 109.

289 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, 10/23945, page 18.

290 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 mai 2021, Société Transports-Transit-Déménagements, 20/07505, point 28, et du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 109.

291 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, 10/23945, page 19.

292 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, 10/23945, pages 18    et 19.

293 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 113 ; voir aussi arrêts de la cour d’appel de Paris du 19 juin 2014, 13/01006 et du 30 janvier 2007, SA Le Foll TP, 06/00566, page 13.

294 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 120.

295 Ordonnance du JLD du 2 juillet 2014, cotes 483 à 495.

296 Ordonnance du JLD du 2 juillet 2014, cotes 483 à 495.

297 Le dossier final compte 13 498 cotes.

298 Cotes 10698 et 10711.

299 Cote 13126.

300 Cotes 8047-8049.

301 Arrêts de la cour d’appel de Paris du 8 avril 2008, 07/07008, page 7 ; et du 3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 121.

302 Arrêts de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International,  10/23945 et du         3 décembre 2020, Brenntag, 13/13058, point 122.

303 Arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 1999, 97-13.125.

304 Arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2003, 01-00.528.

305 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 février 2012, Crédit Lyonnais, 10/20555, page 21, non remis en cause, sur ce point, par l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2015, G 12-15.971. ; voir aussi, sur ce point, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 mai 2021, Société Transports-Transit-Déménagements, 20/07505, points 38 et 39.

306 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 février 2012, Crédit Lyonnais, 10/20555, page 21, non remis en cause, sur ce point, par l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2015, G 12-15.971.

307 Arrêts de  la  cour  d’appel  de  Paris  du  11 juillet 2019,  Janssen-Cilag,  18/01945,  point  118 ;  et  du  21 décembre 2017, Société Crédit Lyonnais, 15/17638, points 104 et suivants ; décisions  n° 18-D-23 du     24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture, paragraphes 106 et suivants ; et n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, paragraphes 365 et suivants.

308 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2019, Janssen-Cilag, 18/01945, point 119.

309 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2019, Janssen-Cilag, 18/01945, point 118 ; voir également arrêt du 21 décembre 2017, Société Crédit Lyonnais, 15/17638, points 104 et suivants.

310 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 2011, société Perrigault, n° 10/08165, page 14.

311 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, Société Crédit Lyonnais, 15/17638, point 110. Voir, dans le même sens, décision  de  la  Commission  européenne  n° COMP/M.  8394    Essilor/Luxottica  du 1er mars 2018, paragraphe 688.

312 Cotes 155 à 231.

313 Cotes 8686 à 8711.

314 Cotes 915 à 917.

315 Cotes 9080 à 9110.

316 Cote 11377.

317 Cote 13003.

318 Cote 2004.

319 Cote 1631.

320 Cote 57.

321 Cote 311.

322 Cote 10525.

323 Cotes 8814, 9287 et 11698.

324 Cotes 10914 à 10956.

325 Voir, par analogie, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2019, précité, points 118 et 119.

326 Cotes 483 à 495.

327 Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 novembre 2017, 16-84525 ; voir également arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 juin 2017, n° 15/24387.

328 Arrêt de la cour d’appel de Paris, 24 juin 2008, France Travaux, 2006/06913, page 17 ; voir également la décision n° 07-D-49 du 19 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Biotronik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical dans le cadre de l’approvisionnement des hôpitaux en défibrillateurs cardiaques implantables, paragraphes 160 à 163.

329 Cote 13173.

330 Notification de griefs, paragraphe 472.

331 Cote 10799.

332 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA /Autoridade da Concorrência, C-525/16, EU:C:2018:270.

333 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 septembre 2015, Cegedim SA, n°2014/17586.

334 Cotes 10622 et 10670 à 10677.

335 Cotes 13176 à 13180.

336 Décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales.

337 Arrêts de la Cour de justice du 25 mars 2021, Slovak Telekom a.s / Commission et Deutsche Telekom / Commission, C-165/19 P et C-152/19 P, EU:C:2021:239 et EU:C:2021:238, points 50 à 53.

338 Arrêt de la Cour de justice du 26 novembre 1998, Bronner, C-7/97, EU:C:1998:569.

339 Cotes 10617 et 10618.

340 Cote 10670.

341 Tels que Happyview (cote 9619), Direct Optic (cotes 53, 1918-1919 et 9667), ConfortVisuel  (cotes 1616,

2231, 2242, 8681, 8683 et 8684) ou encore Evioo (cote 9821).

342 Cote 13060.

343 Cote 10628.

344 Cote 10673.

345 Ibid.

346 Cote 10673.

347 Commission européenne, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, p. 0081–0096, point 18.

348 Commission européenne, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, p. 0081–0096, point 19.

349Arrêts du Tribunal du 14 décembre 2006, Österreichische Volksbanken et Niederösterreichische Landesbank-Hypothekenbank / Commission, T-259/02 à T–264/02 et T–271/02, EU:T:2006:396, point 181.

350Arrêt de la Cour de justice 24 septembre 2009, Erste Group Bank / Commission, C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07  P  et  C-137/07  P,  EU:C:2009:576,  point  38 ;  voir  aussi  arrêt  de  la  Cour  de  justice  du         4 septembre 2014, API e.a., C-184/13 à C-187/13, C-194/13, C-195/13 et C-208/13, EU:C:2014:2147,

point 44 et arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 2014, Kontiki, 13-19.476.

351 Arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2012, Orange Caraïbe e.a., 10-25.772, page 6.

352 Arrêts de la Cour  de  cassation  du  31 janvier  2012,  Orange  Caraïbe  e.a.,  10-25.772,  page  6,  et  du 20 janvier 2015, Société Chevron Products Company e. a., 13-16.745 ; arrêt de la cour  d’appel de Paris du 28 mars 2013, Société des pétroles Shell e. a., 11/18245.

353 Commission européenne, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, pages 81 à 96, point 53.

354 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 208, tableau 3.

355 Cote 7841.

356 Arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen AG / Commission, T-62/98, EU:T:2000:180, point 320. Voir également arrêt de  la  cour  d’appel  de  Paris  du  26  septembre  2013,  Roland  Vlaemynck  Tisseur, n° 12/08948.

357 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JO C 372, 9 décembre 1997, pages 5 à 13, point 7.

358 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JO C 372, 9 décembre 1997, pages 5 à 13, point 13.

359 Voir, notamment, décisions n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, paragraphe 220 ; n° 10-D-19 du 24 juin 2010 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés de la fourniture de gaz, des installations de chauffage et de la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, paragraphes 158 et 159 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 2011, Perrigault, n° 10/08165. Plus récemment, voir la décision     n° 21-D-25 du 2 novembre 2021 relatives à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement en mélasse à La Réunion, décision faisant l’objet d’un recours (affaire pendante), paragraphe 126.

360 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JO C 372, 9 décembre 1997, pages 5 à 13, point 8.

361 La Commission européenne, dans sa décision du 1er mars 2018, précitée, utilise la terminologie de « verres ophtalmiques » (traduction libre), qui est équivalente à celle de « verres correcteurs » pour les besoins de la présente décision.

362 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 106.

363 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphes 41 à 45.

364 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 107.

365 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 108.

366 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphes 109 et 110.

367 Cotes 7634, 7650, 7717, 7731, 7743 et 7894.

368 Cote 13042.

369 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 3670 – Zeiss/EQT/Sola JV du 3 mars 2005.

370 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphes 41 à 44.

371 Cote 13042.

372 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 151.

373 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 150.

374  Arrêt  de  la  Cour  de  justice  du  14 février  1978,  United  Brands  et  United  Brands  Continentaal   BV / Commission, 27/76, EU:C:1978:22, point 65 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, TDF, n° 16/15499, point 59.

375  Arrêt  de  la  Cour  de  justice  du  14 février  1978,  United  Brands  et  United  Brands  Continentaal   BV / Commission, 27/76, EU:C:1978:22, point 72 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, TDF, n° 16/15499, point 59, confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020, n° 18-11.034.

376 Arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti / Commission, T-30/89, EU:T:1991:70, point 90 ; et du    25 juin 2010, Imperial Chemical Industries / Commission, T-66/01, EU:T:2010:255, points 255 et 256 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, TDF, n° 16/15499, point 54.

377 Arrêt de la Cour de justice du 3 juillet 1991, AKZO / Commission, C-62/86, EU:C:1991:286, point 60 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, TDF, n° 16/15499, point 54.

378 Arrêt de la Cour de justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche / Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 41 ; arrêt du Tribunal, Van den Bergh Foods / Commission, T-65/98, EU:T:2003:281, point 154 ; du   25 juin  2010,  Imperial  Chemical  Industries / Commission,  T-66/01,   EU:T:2010:255,   point   256 ;  du  30 janvier 2007, France Télécom / Commission, point 100.

379 Voir, à cet égard, l’arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar, T-228/97, EU:T:1999:246, points 97 à 104 et les décisions n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques dans le secteur de la télévision payante, paragraphe 532, n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, et n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, paragraphe 316.

380 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, point 738.

381 Ibid, point 699.

382 Ibid, points 690, 738 et 744.

383 Ibid, point 696.

384 Ibid, points 485 à 487 et 738.

385 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mai 2018, Umicore, n° 2016/16621. Voir également, s’agissant de la pratique décisionnelle de l’Autorité, les décisions n° 07-D-09 du 14 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France, paragraphe 162 et n° 10-D-07 du 2 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kadéos dans le secteur des titres cadeaux prépayés, paragraphe 50.

386 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mai 2018, Umicore, n° 2016/16621, paragraphe 124.

387 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mai 2018, Umicore, n° 2016/16621, paragraphe 191.

388 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 octobre 2020, Groupe Canal+,  n° 2019/11688,  page 23,  paragraphe 116.

389 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, points 684 à 686.

390 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphes 661 à 663, (traduction libre). La Commission a conclu que le pouvoir de marché d’Essilor était insuffisant pour lui permettre de verrouiller le marché de la distribution des montures de lunettes et de lunettes de soleil, y compris sur les segments de marché sur lesquels Essilor détenait un pouvoir de marché particulièrement important. Elle a relevé, à cet égard, d’une part, que les possibilités de verrouillage sur ces marchés étaient limitées (comme ne pouvant consister qu’en la vente de montures et verres liés, ce qui constitue une pratique rare sur le marché) et ne pourraient avoir qu’un effet limité au sous-segment de marché concerné (paragraphe 688), et, d’autre part, que l’entité fusionnée n’aurait pas d’incitation à mettre en place une stratégie de verrouillage qui présenterait un bilan bénéfices/risques désavantageux (paragraphes 715 à 723).

391 Luxottica n’étant pas présent sur le marché de la fourniture de verres correcteurs.

392 Décision n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 208, Tableau 3.

393 Dans l’avis n° 09-A-32 du 26 juin 2009 relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur de l’optique lunetterie, paragraphe 53, l’Autorité a indiqué : « L’industrie du verre ophtalmique est très concentrée avec une entreprise française leader mondial le groupe Essilor (720 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2007), suivie de loin par Carl Zeiss Vision numéro deux mondial ».

394 Décision n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kalivia dans le secteur de l’optique-lunetterie.

395 Cote 9092.

396 Cote 8829.

397 Tableau réalisé sur la base des estimations fournies par Essilor, voir les cotes 7843 et 7844.

398 Incluant Essilor France, BBGR et Novacel.

399 Tableau réalisé sur la base des estimations fournies par Essilor, voir les cotes 7843 et 7844. 400 Comprenant d’une part les verres bifocaux et trifocaux, et d’autre part, les verres progressifs. 401 Tableau réalisé sur la base des estimations fournies par Essilor, voir les cotes 7843 et 7844. 402 Tableau réalisé sur la base des estimations fournies par Essilor, voir les cotes 7843 et 7844.

403 Arrêt de la Cour de justice du  3 juillet  1991,  AKZO / Commission,  C-62/86,  EU:C:1991:286, paragraphe 60.

404 Cote 9856.

405 Étude Harris Interactive pour SantéClair, « Observatoire des parcours de soins des Français – Thème : les Français et l’optique », juin 2020, page 28, cote 11482.

406 Étude MSW pour Essilor, « 2015 Brand Health Tracking – Essilor Brands Consumer Tracking Results », octobre 2015, cote 11273.

407 Présentation interne Essilor, « PAL products knowledge and Varilux brand evaluation », Strategic Marketing, juin 2014.

408 Présentation interne Essilor, « PAL products knowledge and Varilux brand evaluation », Strategic Marketing, juin 2014, paragraphe 82.

409 Voir les exemples figurant aux cotes 12948 à 12953, 12958 à 12966 et 13009 à 13010.

410 Cotes 12631 à 12634 et 12663 à 12666.

411 Cote 12632.

412 Cotes 13047 à 13054.

413 Décision de la Commission européenne n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018, paragraphe 686.

414 Cote 10040.

415 Cote 9862.

416 Cote 967.

417 Voir l’étude Xerfi, « La fabrication de lunettes, de verres et de lentilles, étude annuelle, tendances et concurrence », 2022, p. 16.

418 Cotes 13055 et 13056.

419 Voir notamment les arrêts de la Cour de Justice du 9 novembre 1983, Michelin / Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 57 et du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak / Commission, T-83/91, EU:T:1994:246, points 112 et suivants, du 7 octobre 1999, Irish Sugar / Commission, T-228/97, EU:T:1999:246, points 111 et suivants, du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods / Commission, T-65/98, EU:T:2003:281, points 157 et suivants et du 17 septembre 2007, Microsoft / Commission, T-201/04, EU:T:2007:289, point 1070.

420 Voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de justice du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, EU:C:2015:184, point 125 ; du 2 avril 2009, France Télécom / Commission, C-202/07 P, EU:C:2009:214, point 105 ; du 6 octobre 2009 GlaxoSmithKline Services e.a. / Commission e.a., C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, EU:C:2009:610, point 63 ; du 17 février 2011, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, EU:C:2011:83, point 24.

421 Voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche / Commission, 85/76,  EU:C:1979:36,  point.  91 ;  du  9 novembre  1983,  NV  Nederlandsche   Banden   Industrie   Michelin / Commission, 322/81, EU:C:1983:313, points 57 et 70 ; du 3 juillet 1991, Akzo / Commission, C-62/86, EU:C:1991:286, point 69 ; du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, EU:C:2007:166, point 66 ; du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202/07 P, EU:C:2009:214, spoint 104 ; du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom / Commission, C-280/08 P, EU:C:2010:603, point 173 ; du 16 février 2011, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, EU:C:2011:83, point 27.

422 Arrêts de la Cour de justice du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal / Commission, 22/76, EU:C:1978:22, point 249 ; du 11 décembre 2008, Kanal 5 et TV4, C-52/07, EU:C:2008:703, point 27. Voir également l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 novembre 2019, Sanicorse, n° 18/23992, page 8, confirmé sur ce point par l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2021, n° 19-25.586.

423 Voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de justice du 18 avril 1975, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, EU:C:1975:50, point 26 ; du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom / Commission, C-280/08 P, EU:C:2010:603, point 173 ; du 16 février 2011, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, EU:C:2011:83, point 26.

424 Arrêts de la Cour de justice du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C-549/10 P, EU:C:2012:221, points 17 et 21, et du Tribunal du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T-301/04, EU:T:2009:317, points 140 et 141.

425 Arrêt de la Cour de justice du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. / Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato e.a., C-377/20, EU:C:2022:379, point 63 ; et du 30 janvier 2020, Generics (UK) Ltd e.a. / Competition and Markets Authority, C-52/09, EU:C:2020:28, point 162.

426 Voir, en ce sens, l’arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2012, Tomra  Systems  e.a./Commission, C-549/10 P, EU:C:2012:221, point 68.

427 Arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, EU:C:2015:651, point 66 et jurisprudence citée.

428 Voir, en ce sens, l’arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C-457/10 P, EU:C:2012:770, points 109 et 111 et du 12 mai 2022, Enel, C-377/20, EU:C:2022:379, points 70-72.

429 Arrêts de la Cour de justice du 17 février 2011, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, EU:C:2011:83, points 61 à 65, et du Tribunal du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T -219/99, EU:T:2003:343, points 293-294, 297.

430 Arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2015, Post Danmark, C 23/14, EU:C:2015:651, point 65.

431 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 mai 2015, Solaire Direct, RG n° 2014/02694, page 16.

432 Arrêts de la Cour de justice du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, points 40-41 et du 30 janvier 2020, Generics (UK) Ltd e.a. / Competition and Markets Authority, C-307/18, EU:C:2020:28, point 165.

433 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, EU:C:2018:270, point 24.

434 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 mars 2008, S.A. Edipost e.a., n° 05/24993, confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2009, n° 08-15.290.

435 Décisions n° 21-D-25 du 2 novembre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement  en  mélasse  à  La  Réunion,  paragraphe  187  (affaire  pendante)   ;  n° 20-D-15  du   27 octobre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de déplacements aériens professionnels, paragraphe 89 et n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, paragraphe 158 ; voir également l’arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, EU:C:2018:270, point 24.

436 Arrêt du Tribunal, confirmé par la Cour, du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris, T-128/98, EU:T:2000:290, point 206, confirmé par l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union du 24 octobre 2002, C-82/01 P, EU:C:2002:617 et décision n° 21-D-25 du 2 novembre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement en mélasse à La Réunion, paragraphe 188.

437 Décisions n° 09-D-04 du 27 janvier 2009 relative à des saisines de la société les Messageries Lyonnaises de Presse à l’encontre de pratiques mises en œuvre par le groupe des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne dans le secteur de la distribution de la presse, paragraphe 154 ; n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, paragraphe 160, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 septembre  2015,  Cegedim e.a.,  n° 2014/17586,  et  par  l’arrêt  de  la  Cour  de  cassation  du  21  juin  2017,  Cegedim e.a.,  n° H 15-25.941.

438 Décisions n° 13-D-07 du 28 février 2013 relative à une saisine de la société E-kanopi, paragraphe 33 ;     n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, paragraphes 161 et 162.

439 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, EU:C:2018:270, point 24 ; du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, EU:C:2007:166, point 143.

440 Décisions n° 13-D-07 du 28 février 2013 relative à une saisine de la société E-kanopi, paragraphes 33 et 34 ; n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, paragraphes 163 et 164 ; et n° 14-D-17 du 20 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la réparation navale de grande plaisance en Méditerranée, paragraphes 140 à 144.

441 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, EU:C:2018:270, point 25. Voir également arrêt de la Cour de justice du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, EU:C:2007:166, point 144.

442 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimedia SA, C-295/17, EU:C:2018:270, point 26.

443 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimedia SA, C-295/17, EU:C:2018:270, point 27. Soulignement ajouté.

444 Arrêt de la Cour de justice du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, EU:C:2007:166, point 145 ; du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimedia SA, C-295/17, EU:C:2018:270 points 27 et 28.

445 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimedia SA, C-295/17, EU:C:2018:270, point 37.

446 Arrêts de la  Cour de justice  du 11  décembre 2008, Kanal 5, C-52/07, EU:C:2008:703, point 44 ; et du  19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, EU:C:2018:270, point 25 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 novembre 2008, Compagnie industrielle des pondéreux du Havre, n° 07/17386, pages 19 et 20.

447 Comme rappelé aux paragraphes 28 à 30 ci-avant, les sites proposant une offre entièrement en ligne peuvent être des « pure players » ou proposer également une offre « cross-canal » « mixte » permettant (mais n’imposant pas) le passage du consommateur par un point de vente physique.

448 Selon la segmentation retenue par Essilor, voir paragraphe 60.

449 Cote 75.

450 Ibid.

451 Cote 2534.

452 Cote 2504.

453 Cote 10416 et 10365 à 10367.

454 Cotes 1915 et 1916.

455 Cote 882.

456 Cote 882.

457 Cote 13178.

458  À titre d’illustration, voir cotes 48, 53, 278, 4006 et 9619.

459  Cotes  10785-10787, 9652. Tableau fourni,  par Essilor en réponse  au questionnaire  de  l’Autorité  du    2 juillet 2020, cotes 8549 et 8550. Il ressort de ce tableau que des verres de marque ont été vendus en 2010 à ConfortVisuel, Mister Spex et Direct Optic pour un montant total d’environ [Confidentiel] euros. Voir aussi le tableau interne de suivi des ventes de verre aux « pure players » de 2011 à 2016, cotes 11938 et 11939.

460 Cote 10786. La pièce mentionnée ne permet d’établir les ventes alléguées à Mister Spex dans la mesure où il s’agit d’un courrier de ConfortVisuel à Essilor. Toutefois le tableau interne de suivi des ventes aux « pure players » de 2011 à 2016 (cote 11939) fait effectivement état de verres vendus à Mister Spex.

461 Tableau interne de suivi des ventes de verre aux « pure players » de 2011 à 2016, cotes 11938 et 11939.

462 Cote 8681.

463 Cotes 2230 et 2231 : document interne d’Essilor d’octobre 2012, contenant une analyse comparative de plusieurs sites de vente en ligne français.

464 Cote 2231.

465 Cote 9679.

466 Cotes 11938 et 11939.

467 Cotes 11938 et 11939.

468 Article 1, d) introduit dans les Conditions générales d’utilisation des marques Essilor et des matériels publicitaires à partir de 2013, cotes 8362, 8381, 8408 et 8428.

469 Cotes 12135-12159 et 13400-13444.

470 Cote 12138.

471 Cote 12138.

472 Cotes 12157 à 12159.

473 Cote 13072.

474 Cote 12157.

475 Cotes 13185 et 13186.

476 Cotes 10443 et 10444.

477 Cotes 13185 et 13186.

478 Cote 13186.

479 Cotes 10811 et 12147-12148.

480 Cotes 12958 à 12961.

481 Cotes 12958-12961, 12962-12966, 13009-13010, 12950-12951, 12948-12949, 12952-12953, 12663-12666,

12941-12943, 21944-12945 et 12956-12957.

482 Cote 969.

483 Cote 13187.

484 Cote 2130.

485 Cote 8079.

486 Cote 8128.

487 Cote 10789. Décision n° 13-D-07 du 28 février 2013 relative à une saisine de la société E-kanopi, paragraphe 63.

488 Cote 10794.

489 Cotes 13196 et 13197.

490 Cotes 10795 à 10797.

491 À tout le moins pour les verres « complexes » tels que définis par Essilor (voir paragraphe 60 de la présente décision).

492 Essilor reconnaît sur ce point que « les outils de prises de mesures existants étant suffisants pour ne pas risquer la santé des consommateurs avec des imprécisions ». Voir cote 10746.

493  Cotes 10748 à 10752.

494 Cotes 10789 à 10799.

495 Cotes 11594-11596, 12122-12123 et 12275-12276.

496 Cote 102.

497 Cotes 12124 à 12126.

498 Cotes 11997 à 12013.

499 Ibid.

500 Voir les cotes 11994 à 11996 pour la teneur des propos du dirigeant de Sensee et celle de l’auteur de l’article.

501 Cote 2040.

502 Cote 8682.

503 Cote 12639 à 12645. Voir aussi les explications d’Yves Jacquot, fondateur de ConfortVisuel, opticien diplômé et ingénieur en optique, cotes 682 à 684.

504 Cote 8684.

505 Cotes 11837-11847, 11848-11850, 11959-11963, 11994-11996, 12040-12045, 12112-12115, 12122-12123,

12124-12126, 12127-12129, 12347-12350 et 12382-12388.

506 Cote 12070.

507 Cotes 12072 à 12082.

508 Cote 12816.

509 Cote 12040 à 12045.

510 Cotes 8683 et 8684.

511 Ibid.

512 Cote 8692.

513 Cotes 12789 à 12797.

514 K. Citek, D.L. Torgersen, J.D. Endres, et R.R. Rosenberg, « Safety and compliance of prescription spectacles ordered by the public via the Internet », (« sécurité et conformité des lunettes de prescription commandées sur internet, », traduction libre) American Optometric Association, septembre 2011, cotes 12021 à 12028.

515 B. Frenette, « Evaluation des prescriptions et des montures achetées par l’entremise de sites Internet », L’Optométriste, mai/juin 2012, cotes 12029 à 12031.

516 Cotes 12021 à 12028.

517 Cette étude ne concernait que cinq sites Internet (dont Sensee ne faisait pas partie), et portait sur une seule paire de lunettes progressives par site. Voir cotes 12014 à 12020.

518 Cette étude portait sur une seule paire de verres unifocaux et une seule paire de verres progressifs par site. Voir cotes 12032 à 12039.

519 Cote 12107.

520 Cotes 11959-11963, 11964-11987 et 12382-12388.

521 Cote 10366

522 Cotes 11964 à 11987.

523 TrustPilot est une des principales plateformes d’avis clients en ligne: https://fr.trustpilot.com/.

524 Cotes 12743 et 12744.

525 Cotes 12711 et 12712.

526 Cotes 2040 et 7357.

527  Cote 8696.

528 Cote 8697.

529 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes (affaire pendante), paragraphe 874.

530 Cote 2168.

531 Tout en notant que « ce n’est sans doute pas sur ces verres très haut de gamme que porteront les demandes des opticiens en ligne ».

532 La note relève ainsi que si ces verres « ne semblent pas pouvoir être vendus sans contact physique avec le porteur, il convient néanmoins de rechercher si ces mesures ne pourraient pas être effectuées à distance, ainsi que leurs effets sur la performance des verres et les bénéfices attendus par les porteurs (ex : kit de mesure sophistiqué livré chez le porteur au moment de la commande) Ex : Physio 2.0 fit, Vx S2 ». Voir cotes 2165 et 2166.

533 Les paramètres de « fit » définis au paragraphe 57 ci-avant, incluent l’angle pantoscopique, la distance verre-oeil, l’angle de galbe, et l’inclinaison du verre.

534 Voir aussi le Livret produits et services d’Essilor de 2011, montrant que seuls l’écart et la hauteur pupillaires sont nécessaires pour les verres progressifs, en ce compris les verres Varilux, mais à l’exclusion des Varilux Physio 2.0 Fit et Ipseo 2.0 qui requièrent des mesures supplémentaires (cote 9985).

535 Cote 2169.

536 Réponse d’Essilor à la notification de griefs, paragraphe 351, cote 10796.

537 Itespresso.fr,  « e-Commerce : le site de vente en ligne de lunettes Evioo.com lève  100 000 euros »,       19 septembre 2012: « [L] 'internaute sélectionne le modèle de son choix, saisit la correction optique délivrée par l'ophtalmologiste sur son ordonnance et fait livrer le tout chez l’opticien partenaire le plus proche de son domicile, pour une séance « en live » afin de finaliser les réglages et le montage de la paire de lunettes (…) », cotes 11581 et 11582.

538 Cote 1032.

539 Cote 10630 et 10671.

540 Cotes 12639 à 12645.

541 Cote 8079.

542 Cote 2251.

543 Cotes 8683 et 8684.

544 Cotes 882 et 1915-1916.

545 Cote 8128.

546         Cotes    2173,     10132    à             10136,   10164    et            10165,   12733    à             12736,   12753    à             12764.

Voir   également   la   capture   d’écran   du   site   de   FramesDirect,   accessible   à   l’adresse   suivante

https://web.archive.org/web/20140201114844/http://www.framesdirect.com/landing/a/progressive- lenses.html

547 Cotes 10097 et 10098.

548 Cotes 10164-10165, 10178, 12733-12736 et 12753-12754.

549 Voir par exemple le lien : https://www.glassesdirect.co.uk/help/varifocals-and-bifocals/.

550 Cote 10132-10136 et 10140-10161.

551 Cotes 13198 à 13200.

552 Cote 13198.

553 Cotes 10831 et 10832.

554 Cotes 10739-10743 et 13157-13162.

555 Cotes 10743-10745 et 13162-13166.

556 Cotes 9385-9386 et 12262-12263.

557 Cote 2006.

558 Cotes 12261 à 12263

559 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes (affaire pendante), paragraphes 835 et 866.

560  Étude  menée  par  Silmo,  Mido  et  GfK,  « OMO  Optical  Monitor,  Wave  8  Result  Presentation »,  29 septembre 2018, annexe 7 des observations d’Essilor en réponse au rapport, cote 13365.

561 Ibid, cote 13345.

562 Cote 13363.

563 Cotes 12696 et 12697.

564 Cote 9095.

565 http://ec.europa.eu/consumers/consumer research/editions/docs/6th edition scoreboard fr.pdf.

566 Cote 9095.

567 Ibid.

568Article du quotidien Le Parisien du 12 septembre 2019, « La grande distribution se lance dans les lunettes », cote 9115.

569 Étude OpinionWay, « Les intentions d’achat d’optique dans le contexte de la crise du Covid-19 Vague 3 », Février 2021, cote 10943.

570 Cote 11789.

571 Cote 8696.

572 Cote 8696

580 Cote 11778.

581 Cote 11111.

582 Les observations d’Essilor en réponse à la notification de griefs mentionnent à cet égard que ce chiffre allégué est « basé sur les meilleures estimations d’Essilor ». Voir cote 10770.

583 Observations en réponse à la notification de griefs, paragraphes 181-195, cotes 10759-10762.

584 Observations en réponse à la notification de griefs, paragraphes 181-195, cotes 10759-10762.

585 Cote 13199.

586 Cote 458.

587 Arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA, C-525/16, ECLI:EU:C:2018:270, point 27.

588 Ibid point 26, renvoyant à l’arrêt du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, EU:C:2007:166, point 145.

589 Cote 13169, renvoyant à la présentation de Strategic Marketing de juin 2014, « PAL products knowledge and Varilux brand evaluation », cotes 11151-11177.

590 Cote 13169.

591 Cote 11111.

592 Cote 11124.

593 Cote 13169, se référant à l’étude Harris Interactive pour SantéClair, « Observatoire des parcours de soins des Français – Thème 5 : Les Français et l’optique », juin 2020, cotes 11454-11507 et spécialement cote 11482.

594 Gallileo Business Consulting, « Essilor : Etude du parcours d’information du porteur de lunettes dans le cadre de son dernier achat en optique », juin 2015, cote 11099.

595 Cote 2489.

596 Cote 12662.

597 Cote 11462.

598 Ibid.

599 Cote 11377.

600 Cote 3336.

601 Cotes 12934 à 12940.

602 Cote 7310.

603 Cotes 12958-12961, 12962-12966, 13009-13010, 12950-12951, 12948-12949 et 12952-12953.

604 Cote 9620.

605 Cote 8696.

606 Cote 8681.

607 Cote 8681.

608 Cote 9620.

609 Cote 9389.

610 Cote 53.

611 Ibid.

612 Étude économique du 25 octobre 2021 produite par Essilor en réponse au rapport des services d’instruction, cote 13464.

613 Cote 53.

614 Cote 8696.

615 Cote 8982.

616 Cote 185.

617 Cotes 10744-10745 et 11048-11144.

618 Cote 8696.

619  Cote  8707.  Rapport  préparé   par  OpinionWay  Association  Française   des  Opticiens  sur   Internet, 28 septembre 2011, « Satisfaction comparée des acheteurs de lunettes sur internet vs en magasin ».

620 Observations d’Essilor en réponse au rapport des services d’instruction, paragraphe 213, cote 13199.

621 Observations en réponse au rapport, paragraphe 213, cote 13199.

622 Arrêt de la Cour de justice du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, point 42.

623 Arrêt de la Cour de justice du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, point 158.

624 Arrêt de la Cour du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH c/ Parfumerie Akzente GmbH, C-230/16, EU:C:2017:941.

625 Cote 10804.

626 Cote 10805.

627 Cote 13073.

628 Cotes 76, 1151, 1273, 2230-2231, 990, 861, 10342 et 10507.

629 Cote 10751.

630 Cote 13075.

631 Cotes 10805 et 10806.

632 Cote 10806.

633 OpinionWay, rapport pour l’Association Française des Opticiens sur Internet, avril 2011, cotes 8687-8711.

634 Cote 2040.

635 Cote 10806 et 10807.

636 À titre d’illustration, voir cote 10112.

637 Cote 13194.

638 Cotes 10444 et 10439.

639 Pour FramesDirect voir cotes 10164-10165, et, pour EyeBuyDirect, 10180-10182 et 12753-12764.

640 Cote 1061.

641 Observations en réponse d’Essilor au rapport, paragraphe 354, cote 1202. 642 Observations en réponse d’Essilor au rapport, paragraphe 357, cote 13225. 643 Cote 1066.

644 Décisions n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de  la  dégénérescence  maculaire  liée  à  l’âge  (DMLA),  paragraphe  770  (recours  pendant) ;  n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, paragraphe 530 ; n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, paragraphe 365 et n° 13-D-21 du 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville, paragraphe 360.

645 Décisions n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, paragraphe 532 ; n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l’accès  à  Internet  à  haut  débit,  paragraphe 305 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 367 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 362.

646 Décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 373 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 365. Analyse confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2019, Janssen-Cilag SAS, n° 18/01945, point 353 ; voir également arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2020, A.St.A World-Wide, n° 18-15.651.

647 Décision n° 17-D-06 du 21 mars 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de gaz naturel, d’électricité et de services énergétiques, paragraphe 140. Voir également, décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, paragraphe 206.

648 Arrêt de la Cour de cassation, Com., 9 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.350, voir également, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2019, Janssen-Cilag SAS, n° 18/01945, point 353.

649 Décisions n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, paragraphe 537 ; n° 10-D-32, précitée, paragraphe 307 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 368 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 363.

650 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2014, RG n°2013/12370.

651 Décision n° 16-D-23 du 24 octobre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des actes prothétiques ou de pose d’implants par les chirurgiens-dentistes, paragraphes 88 et 89.

652 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, RG n° 16/15499, paragraphe 141, confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation, 16 décembre 2020, pourvoi n° 18/11.034.

653 Décision n° 12-D-19 du 26 septembre 2012 relative à des pratiques dans le secteur du blanchiment et de l’éclaircissement des dents, paragraphes 100 et 101.

654 Arrêt du 11 juillet 2019, Janssen-Cilag SAS, n° 18/01945, point 410.

655 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2014, RG n°2013/12370.

656 Décisions n° 20-D-11, précitée, paragraphe 771 ; n° 17-D-25, précitée, paragraphe 531 ; n° 09-D-14 du  25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité, paragraphes 57 et 58, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, n° 09/09599 ; voir également la décision n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l’accès à Internet à haut débit, paragraphe 305 et les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 366 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 361.

657 Décisions n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, paragraphe 538 ; n° 07-D-33, précitée, paragraphe 79 ; voir également les décisions n° 13-D-11, précitée, paragraphe 369 et n° 13-D-21, précitée, paragraphe 364.

658 Cotes 12975 et 12980. Lors de cette réunion, le CIO s’est interrogé sur la possibilité de soutenir auprès d’instances ministérielles le conditionnement des remboursements par la Sécurité Sociale à la délivrance du produit en magasin physique. Essilor a déclaré que « faire des propositions, c’est prendre le risque de s’enfermer. Il vaut mieux réaffirmer que l’on est contre [la vente en ligne des lunettes de vue] ».

659 Voir, notamment les arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, Rec. p. I-08237, points 55 et 56, et du 20 janvier 2011, General Quimica/Commission, C-90/09 P, Rec. p. I-0001, point 36 ; voir, également l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., p. 18 et 20.

660 Arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, General Quimica/Commission, point 37, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 18 et 19.

661 Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 60 et 61, General Quimica/Commission, points 39 et 40, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19 et 20.

662 Voir également, en ce sens, l’arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, Rec. p. I-04529, points 49 et 50.

663 Décision n° COMP/M. 8394 – Essilor/Luxottica du 1er mars 2018.

664 Document de référence 2018 d’EssilorLuxottica, page 38.

665 Le 30 juillet 2021, l’Autorité, tenue de prendre en compte les modifications législatives apportées par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 et de l’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021, a adopté un nouveau communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, lequel abroge et remplace le communiqué du 16 mai 2011. Cette modification n’est toutefois pas applicable en l’espèce. Il y a donc lieu de faire application du communiqué du 16 mai 2011.

666 Voir, en ce sens, arrêts de la Cour de cassation du 28 juin 2003, Domo services maintenance, n° 01-00.528, et du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13.910.

667 Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17.482 et 10-17.791.

668 CJUE, 11 juillet 2013, aff. C-444/11 P, Team Relocation e.a. c. Commission, pt. 76 ; CJUE, 19 avril 2015, C-286/13 P, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe c. Commission, EU:C:2015:184, pts. 148-149. Cass. com., 22 septembre 2021, n° 18-21.436, paragraphes 50 à 55.

669 Voir également la décision de la Commission européenne du 1er mars 2018, M. 8394 Essilor / Luxottica, paragraphe 112.

670 Cote 10764.

671 Cotes 12621 et 12624 à 12628.

672 Point 26 du communiqué sanctions.

673 Voir notamment la décision n° 13-D-11, paragraphe 641, confirmée par les arrêts de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2014 et de la Cour de cassation du 18 octobre 2016, ainsi que la décision n° 13-D-21, confirmée par les arrêts de la cour d’appel de Paris du 26 mars 2015 et de la Cour de cassation du 11 janvier 2017.

674 Décision n° 17-D-06 du 21 mars 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de gaz naturel, d’électricité et de services énergétiques, paragraphe 177.

675 Voir, notamment, arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, aff. 85/76, EU:C:1979:36 ; du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, EU:C:1983:313, point 57 ; du        2 avril 2009, France Télécom/Commission, C -202/07 P, EU:C:2009:214, point 105 ; du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. / Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato e.a., C-377/20, EU:C:2022:379, point 74 ; décisions du Conseil de la concurrence n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l’accès à Internet à haut débit, paragraphe 77 et   n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM sur différents marchés,  paragraphe 216 ; décisions de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-06 du 21 mars 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de gaz naturel, d’électricité et de services énergétiques, paragraphes 123 et 124 et n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphe 322.

676 Voir notamment les cotes 1273, 990, 10342, 1061 et 1066.

677 Cote 2006.

678 Voir, par exemple, les cotes 2080-2083, 2503 et 10366-10367,

679 Cotes 12262 et 12263.

680 Cotes 9385 et 183-184.

676 Voir notamment les cotes 1273, 990, 10342, 1061 et 1066.

677 Cote 2006.

678 Voir, par exemple, les cotes 2080-2083, 2503 et 10366-10367,

679 Cotes 12262 et 12263.

680 Cotes 9385 et 183-184.

681 Cotes 8549, 8550, 10178, 10187, 10193, 10205, 10216, 10225 et 11939.

682 Voir, par exemple, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, 07/18040, page 4.

683 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France, 09/03532.

684 Arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., 09-12984, 09-13163 et 09-65940.

685 Arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., 09-12984, 09-13163 et 09-65940.

686 Arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, 04 13910.

687 Arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, 04 13910.

688 Étude économique fournie par Essilor au soutien de ses observations en réponse au rapport des services d’instruction, cotes 13444-13480.

689 Étude économique fournie par Essilor en délibéré en réponse aux observations du service économique formulées lors de la séance, cotes 13504-13526.

690 Cote 9110.

691 Cote 13217, renvoyant aux cotes 13445 et suivantes.

692 Cote 13218.

693 Ibid, renvoyant à la cote 13448.

694 Voir observations d’Essilor, cote 13217, s’appuyant sur l’étude économique précitée.

695 Cote 13218.

696 Cotes 13024 et 13025.

697 Cote 13363.

698 Cote 13445.

699 Cote 8696.

700 Gfk, « GrandVision Future Optics Market. Report of the consumer study and other insights. », janvier 2018, cote 13455.

701 Cote 13217.

702 Cotes 13217-13218, 13445 et suivantes.

703 Étude  menée  par  Silmo,  Mido  et  GfK,  « OMO  Optical  Monitor,  Wave  8  Result  Présentation »,  2 9 septembre 2018, cotes 13345 et 13365.

704 Selon l’étude de Gallileo Business Consulting de 2012 fournie par Essilor (cotes 11830 -11833), le reste à charge sur le prix total moyen facturé était en France en 2012 d’environ 37 %, soit une proportion presque deux fois supérieure à celle initialement mentionnée dans l’étude économique d’Essilor.

705 Cotes 13511 et 13512.

706 Notamment le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, voir cotes 915 et 916.

707 Cotes 11778 et 11111.

708 Résumé de l’étude de Gallileo Business Consulting de 2012 fournie par Essilor, cotes 11830 à 11833.

709 Cote 11778.

710 Cote 11111.

711  Étude  menée  par  Silmo,  Mido  et  GfK,  « OMO  Optical  Monitor,  Wave  8  Result  Présentation »,  29 septembre 2018, cotes 13345 et 13365.

712 Cotes 13355, 13360 et 13365.

713 Cotes 13514 et 13515.

714 Cote 2231.

715 Cotes 13514-13515.

716 Rapport des services d’instruction, paragraphes 187 à 193, cotes 13044-13045.

717 Cote 2230.

718 Essilor propose sur son site FramesDirect, des verres progressifs au prix de 135,99  dollars,  contre  339,96 dollars dans le commerce (cote 12734). Ces différentiels de prix entre vente en ligne et vente en magasin sont également confirmés par un document de présentation de Sensee (cote 254).

719 Cote 13462.

720 Essilor lui-même, sur son site FramesDirect, propose des verres progressifs au prix de 135,99 dollars, contre 339,96 dollars dans le commerce (cote 12734). Ces différentiels de prix entre vente en ligne et vente en magasin sont également confirmés par un document de présentation du Groupe Sensee (cote 254).

721 Cotes 13445 et suivantes.

722 Cotes 13473 et suivantes et 13516 et suivantes.

723 Paragraphe 46 de la notification des griefs, cote 8982.

724 Cote 8982.

725 Cote 915.

726 Cotes 11105-11108.

727 Cote 13474. L’analyse en Figure 11 constate une diminution du prix de gros des verres en France depuis 2016, moindre qu’en Suède ou qu’au Danemark mais supérieure à celle observée dans d’autres pays, notamment Hongrie, Pays-Bas, République tchèque ou Royaume-Uni.

728 Cote 13476. L’analyse en Figure 13 montre qu’à compter de 2015, les prix de détail en France sont restés à peu près stables. Dans les autres pays servant de bases de comparaison, les prix ont pu croître (Espagne, Pologne, Allemagne, Hongrie) ou diminuer (Royaume-Uni).

729 Cotes 13475.

730 Cotes 13474 à 13476. Les prix de gros auraient ainsi baissé selon l’étude économique d’Essilor, en Suède et au Danemark, en raison d’un mouvement de concentration de la distribution autour de grandes chaînes. En Pologne et en Hongrie, la hausse des prix observée s’expliquerait par une forte croissance économique. En Espagne, elle serait liée à la reprise de la demande suite à la crise financière de 2008.

731 Ces évolutions peuvent être par exemple l’encadrement ces dernières années du remboursement des dépenses d’optique (décret n° 2014-1374 du 18 novembre 2014, entré en vigueur le 1er avril 2015), l’augmentation des volumes vendus par Essilor et donc des remises tarifaires accordées (cotes 7843 et 7844) ou encore l’augmentation du nombre d’opticiens sur la même période (cotes 13469).

732 Cote 915.

733 Cote 10744.

734 Cote 10507.

735 Cote 76.

736 Voir supra paragraphe 39.

737 Arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144.

738 Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge Ciments e. a., n° 10-17482 et 10-17791.

739 Point 42 du communiqué sanctions.

740 Points 43 et suivants du communiqué sanctions.

741 Voir les paragraphes 718 et suivants.

742 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, RG 16/15499.

743 Autorité de la concurrence, décision n° 16-D-09 du 12 mai 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion. La cour d’appel de Paris a, quant à elle, précisé que lorsque la société mère est tenue pour solidairement responsable en raison de son influence déterminante, il lui appartient, comme à sa filiale, de démontrer qu’elle a elle-même le caractère d’entreprise « mono-produit » : cour d’appel de Paris, 20 décembre 2018, RG 17/21459.

744 Ce chiffre s’élevait ainsi à 7 490 000 000 euros en 2017.

745 Ce chiffre s’élevait à 17 390 000 000 euros en 2019.

746 Voir en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi -Méditerranée e.a., n° 02-15203.

747 Voir, notamment, l’arrêt de la Cour de justice du 26 juin 2006, Showa Denko/Commission, aff. C-289/04, EU:C:2006:431, points 16 et 17.

748Arrêt de la Cour de justice du 4 septembre 2014, YKK Corporation, C-408/12, EU:C:2014:2153, point 86.

749 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., p. 71, et du 30 janvier 2014, Société Colgate-Palmolive Service, n° 2012/00723, p. 41.

750 A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, n°43509/08, paragraphe 41, CEDH 2011.

751Arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2012, Sephora e.a., n° 12-14401.

752 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 octobre 2016, Société Beiersdorf e.a.,15/01673, point 426.

753 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 octobre 2017, Caisse des dépôts et consignations e.a.,17/01658, page 20.

754https://www.essilorluxottica.com/sites/default/files/documents/202203/EssilorLuxottica%20DEU%202021_FINAL%20PDF_FR.pdf.

755 Aux termes de la jurisprudence applicable, l’efficacité de la lutte  contre  les  pratiques  anticoncurrentielles  requiert  que  la   sanction   soit   effectivement   dissuasive,   au   regard   de   la situation  financière  propre  à  l’entreprise  au  moment     elle   est   sanctionnée   (voir   arrêt   de   la Cour de cassation, 18 septembre 2012, n° 12.14401 et autres).

756https://www.essilorluxottica.com/sites/default/files/documents/202203/EssilorLuxottica%20DEU%202021_ FINAL%20PDF_FR.pdf.