CA Rennes, 1re ch. B, 29 octobre 2009, n° 08/06483
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Doux Elevage (SNC)
Défendeur :
Comité Interprofessionnel de la Dinde Française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Simonnot
Conseillers :
Mme Le Brun, M. Gimonet
Avoués :
SCP Bazille Jean-Jacques, SCP Gautier-Lhermitte
Avocats :
SCP Avens-Lehman et Associés, Me Tinland
L'association Comité Interprofessionnel de la Dinde Française (CIDEF) est une association qui a pour objet de regrouper toutes les initiatives professionnelles en vue d'organiser et de réguler le marché de la dinde.
Elle a été reconnue comme organisation interprofessionnelle pour le secteur de la dinde par arrêté interministériel du 24 juin 1976 et a pour ressources, les participations de ses membres et des subventions, mais aussi des cotisations versées par des membres de l'interprofession non adhérents en application de l'article L 632-6 du code rural.
Exposant que la SNC DOUX ELEVAGE était redevable d'un important arriéré de cotisations échues, l'association CIDEF l'a faite assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Quimper, par acte du 22 décembre 2005.
Par jugement contradictoire du 19 août 2008, ce tribunal a :
- déclaré recevable la demande de l'association CIDEF,
- déclaré irrecevable l'exception de question préjudicielle de droit communautaire soulevée par la SNC DOUX ELEVAGE,
- condamné la snc Doux Elevage à payer à l'association CIDEF
209 478, 62 €, avec intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2004 sur la somme de 132 464, 60 € et à compter du 23 septembre 2005 sur celle de 77 014, 02 €, ainsi que 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 2 septembre 2009 auxquelles il est renvoyé pour exposé de ses moyens, la SNC DOUX ELEVAGE, appelante, conclut à la réformation du jugement et demande à la cour de :
- déclarer l'association CIDEF irrecevable à agir,
- la débouter de ses demandes,
- condamner l'association CIDEF :
- à lui rembourser 451 601, 93 € au titre des cotisations payées au cours des années 2001, 2002 et 2003, outre intérêts au taux légal à compter du versement,
- à lui verser 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Rappelant qu'à l'origine, la durée de l'association CIDEF avait été fixée à 25ans et faisant valoir qu'en l'absence de production aux débats des convocations, de l'ordre du jour, de la feuille de présence et de l'intégralité du procès-verbal, il n'était pas possible d'apprécier la régularité du vote intervenu lors de l'assemblée générale du 10 mars 1998 qui décidé de proroger le terme pour une nouvelle période de 25 ans, elle soutient que les demandes formées par une entité dénuée d'existence légale sont irrecevables.
Elle fait grief au tribunal d'avoir déclaré irrecevable sa demande de renvoi préjudiciel devant la cour de justice mais précise qu'au jour où la cour va statuer cette question est devenue sans intérêt dans la mesure où la Commission Européenne, par décision du 10 décembre 2008, a qualifié d'aides d'Etat le système de cotisations volontaires obligatoires (CVO) mis en place par les interprofessions.
Elle fait valoir qu'en vertu de cette décision du 10 décembre 2008, les cotisations appelées par l'association CIDEF constituent des aides d'Etat et que ces aides d'Etat sont illégales, faute d'avoir été notifiées à la Commission préalablement à leur mise en application.
Elle expose que les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour remettre en cause une décision communautaire régulièrement intervenue et réclame le bénéfice de cette décision devant la juridiction nationale, compte tenu de son effet direct.
Elle reconnaît que la France a déposé un recours en annulation à l'encontre de la décision du 10 décembre 1998 mais souligne que ce recours est dénué d'effet suspensif, la France n'ayant pas sollicité le bénéfice du sursis à exécution.
Elle en tire la conséquence que les demandes en paiement dirigées contre elle sont mal fondées et qu'elle est bien fondée à solliciter le remboursement des cotisations mises en place par l'accord interprofessionnel du 26 octobre 2001 et son avenant, s'agissant d'aides dites nouvelles illégalement mises en place dès lors qu'elles n'ont pas été soumises à l'autorisation préalable de la Commission Européenne.
Elle ajoute que les cotisations sont encore illégales en ce qu'elles financent des actions contraires aux principes communautaires de la concurrence, en intervenant directement sur le marché lors d'opérations d'abattage et de retrait de production et en mettant en place des opérations de promotion de la dinde française dans d'autres Etats membres de l'Union.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 10 septembre 2009, l'association Cidef conclut à la confirmation du jugement et, y ajoutant, à la condamnation de la snc Doux Elevage à lui payer 400 329, 02 €, au titre des cotisations en principal restant dues sur la période du 15 février 2005 au 31 décembre 2008, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'exigibilité des cotisations, et 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal de première instance (TPI) des Communautés Européennes se soit prononcé sur le mérite du recours formé par le gouvernement français à l'encontre de la décision de la Commission Européenne n° 561/2008 du 10 décembre 2008.
Elle fait valoir que la Cour de Justice écarte toute qualification d'aide d'Etat lorsque l'organisation interprofessionnelle est suffisamment indépendante de la puissance publique, ce qui est son cas. Elle en déduit que les cotisations n'avaient pas à faire l'objet de la déclaration préalable visée à l'article 88 § 3 du traité CE.
Elle précise que l'accord interprofessionnel en vertu duquel elle collecte des cotisations ne figurait pas au nombre des accords soumis par les autorités françaises à l'appréciation de la Commission.
Au cas où la cour estimerait que cette décision est transposable au présent litige, elle sollicite un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir du TPI sur les mérites du recours en annulation formé par le gouvernement français à l'encontre de la décision de la Commission.
Elle allègue que les opérations de stockage de viande et les retraits d'oeufs au couvoir stigmatisé par la SNC DOUX n'ont pas affecté les échanges intra-communautaires et n'ont financé aucune activité illégale et que les campagnes de communication satisfaisaient aux contraintes imposées par la réglementation communautaire.
Elle conteste devoir verser aux débats diverses pièces sollicitées par la SNC DOUX ELEVAGE pour établir la preuve de la régularité formelle de l'assemblée générale du 10 mars 1998 alors que les statuts ne prévoyaient aucun formalisme particulier pour l'envoi des convocations et que les actions en nullité sont prescrites. Elle conteste également devoir produire les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration des années 2008 et 2009 dès lors que ses demandes ne concernent que les cotisations dues jusqu'au 31 décembre 2008 dont le montant a été fixé par le conseil d'administration du 18 octobre 2007.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 10 septembre 2009.
DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION
a) sur la recevabilité de l'action engagée par l'association CIDEF
Que l'article 4 des statuts de l'association stipule que sa durée est fixée à 25 ans, sauf prorogation ou dissolution anticipée décidée par l'assemblée générale extraordinaire, à compter du 13 novembre 1974 ;
Que, lors de l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 10 mars 1998, la durée de l'association a été prorogée de 25 ans à compter du 13 novembre 1999 ;
Que cette modification statutaire a été enregistrée le 24 avril 1998 à la préfecture d'Ille-et-Vilaine ;
Que la nullité des assemblées générales pour irrégularités commises dans la convocation, la tenue ou les votes est une nullité relative soumise à la prescription quinquennale de l'article 1304 du code civil ;
Que le délai pour agir en nullité est expiré ; qu'en tout état de cause, la SNC DOUX ELEVAGE qui n'est pas membre de l'association n'aurait pu agir que si elle y avait intérêt direct et personnel, intérêt qu'elle s'abstient de caractériser ;
Qu'étant établi que la durée de l'association a été prorogée de 25 ans, elle n'est pas dissoute et a bien la capacité pour agir en justice ;
Que le moyen d'irrecevabilité, mal fondé, sera écarté ;
b) sur le renvoi préjudiciel
Qu'une demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice pour interprétation des textes communautaires pouvant être présentée en tout état de cause, et même à titre subsidiaire, le jugement sera réformé en ce qu'il a déclaré la demande de renvoi irrecevable pour avoir été soutenue à titre infiniment subsidiaire ;
Que la SNC DOUX ELEVAGE exposant que sa demande de renvoi est désormais sans intérêt du fait de la décision rendue par la Commission Européenne le 10 décembre 2008, il convient de constater qu'elle ne reprend plus cette demande devant la cour ;
c) au fond
Que, selon le paragraphe 1 de l'article 87 du traité CE, sauf dérogations prévues par le traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ;
Que le paragraphe 2 énumère un certain nombre d'aides qui sont automatiquement compatibles avec le marché commun tandis que le paragraphe 3 recense les aides qui peuvent être considérées comme compatibles ;
Que le gouvernement français, eu égard aux divergences quant à la nature des CVO, a notifié , dans un souci de sécurité juridique, des actions conduites par des interprofessions à la Commission, laquelle dans une décision N561/2008 du 10 décembre 2008 a conclu que la mesure ne risque pas d'affecter les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun et qu'elle pouvait bénéficier de la dérogation de l'article 87, paragraphe 3, point c du traité en tant que mesure pouvant contribuer au développement du secteur;
Qu'elle a considéré au point 52, que les CVO étaient des taxes parafiscales, c'est-à-dire des ressources publiques, et au point 58, que la mesure en cause relève de l'article 87 §1 du traité et constitue une aide d'Etat,
Que cette décision a été frappée par le gouvernement français d'un recours en annulation qui est actuellement pendant devant le TPI des Communautés Européennes ;
Que, même si les actions de l'association CIDEF ne figuraient au nombre des actions soumises à l'appréciation de la Commission, et même si aucun recours suspensif n'a été formé à l'encontre de la décision du 10 décembre 2008, il est admis par les parties que les actions soumises à la Commission étaient similaires à celles de l'association CIDEF ;
Que la décision à intervenir du TPI étant susceptible d'influer sur la solution du présent litige, il convient, pour une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer jusqu'à ce que cette juridiction se prononce sur le mérite du recours formé par le gouvernement français ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré l'association Cidef recevable à agir ;
L'infirme en ce qu'il a déclaré irrecevable la question préjudicielle ;
Et statuant à nouveau de ce chef :
Déclare recevable la question préjudicielle ;
Constate qu'en cause d'appel, la SNC DOUX ne forme pas de demande de renvoi préjudiciel ;
Sursoit à statuer sur le surplus dans l'attente de la décision à intervenir du Tribunal de Première Instance sur le mérite du recours en annulation formée par le gouvernement français à l'encontre de la décision de la Commission Européenne du 10 décembre 2008.