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Décisions

Cass. com., 12 janvier 2016, n° 14-21.393

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament

Paris, du 20 mai 2014

20 mai 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2014), que la société Centre chirurgical de Montereau, qui exploitait une clinique dans un immeuble appartenant à la SCI Pierre de Montereau (la SCI), a, le 1er juin 2001, donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Polyclinique de Seine et Yonne (la société PSY) ; que la société Centre chirurgical de Montereau ayant été mise en redressement judiciaire le 13 novembre 2001, le tribunal a arrêté, le 20 mars 2003, un plan de cession partielle de ses actifs au profit de la société Monterelaise d'investissement hospitalier (la société MIH), la cession ne portant pas sur le bail commercial consenti par la SCI, qui avait été résilié avec effet au 20 mars 2003 ; que la société PSY est demeurée dans les lieux sans conclure de nouveau bail avant d'être mise en redressement judiciaire le 9 novembre 2004, Mme X... étant désignée en qualité de représentant des créanciers ; qu'à sa demande, un jugement du 12 avril 2005 a étendu, sur le fondement de la confusion de leurs patrimoines, la procédure collective de la société PSY à la société MIH et prononcé leur liquidation judiciaire, Mme X... devenant liquidateur ; qu'un jugement du 13 décembre 2005 a, sur le même fondement, étendu à la SCI cette liquidation ; qu'après infirmation de cette décision par un arrêt du 10 mars 2009, la SCI a obtenu la restitution de ses locaux le 9 mai suivant ; que, lui reprochant diverses fautes, la SCI a recherché la responsabilité personnelle de Mme X... ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° T 14-21. 393 :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de réparation du préjudice résultant du défaut d'administration de l'immeuble pour la période allant du 13 décembre 2005 au 9 mai 2009 alors, selon le moyen, que l'appel du jugement d'ouverture d'une liquidation judiciaire n'étant pas suspensif, le liquidateur doit, dès ce jugement, prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise ; qu'en se fondant, pour juger que Mme X... n'avait pas commis de faute en ne mettant pas en location ou en ne réalisant pas rapidement les actifs immobiliers de la SCI, placée en liquidation judiciaire par jugement du 13 décembre 2005, sur la circonstance inopérante que le débiteur avait interjeté appel de ce jugement, ce qui n'était pas de nature à limiter les pouvoirs du liquidateur judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et L. 623-1 du code de commerce dans sa version applicable ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la SCI ne peut reprocher au liquidateur de ne pas avoir recherché un acquéreur pour ses actifs immobiliers, dans l'attente du jugement de l'appel qu'elle avait elle-même formé contre la décision ouvrant, par voie d'extension, sa liquidation judiciaire, ni lui faire grief de l'absence, dans le même intervalle, de mise en location de ces biens, dès lors que seul un bail précaire était envisageable, ce qui n'était pas possible au regard de la consistance des locaux et de leur aménagement à usage exclusif de clinique ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le liquidateur n'avait commis aucune faute, peu important que le jugement fût exécutoire de droit ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du même pourvoi :

Attendu que la SCI fait encore grief à l'arrêt de modifier la mission de l'expert en ce qu'elle porte sur les conséquences dommageables du défaut de surveillance de l'immeuble par le liquidateur alors, selon le moyen :

1°/ que la fonction de la responsabilité civile est de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; que la cour d'appel qui, après avoir relevé que Mme X... avait commis une faute en n'assurant pas la surveillance du bien dont l'administration lui avait été confiée de décembre 2005 à mai 2009, qui avait ainsi été vandalisé, ce dont il résultait que la réparation accordée au propriétaire devait être égale au coût des travaux de remise en état du bien, s'est néanmoins fondée, pour juger que le préjudice consistait en une diminution éventuelle de la valeur vénale de l'immeuble, et ainsi limiter la mission de l'expert judiciaire à ce chef, que la clinique était menacée de fermeture depuis octobre 1997 et que seule pouvait être envisagée une reconversion du bâtiment dans le cadre d'une opération impliquant la commune, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que la cour d'appel qui, après avoir constaté que Mme X... avait occupé les fonctions de liquidateur à compter du 13 décembre 2005 et qu'elle avait restitué les clés des locaux le 9 mai 2009, a néanmoins limité à la période allant de février 2006 à mai 2008 le préjudice résultant du défaut de surveillance, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ que la cour d'appel qui, après avoir constaté que les clés avaient été restituées à la SCI le 9 mai 2009 et qu'un procès-verbal de constat avait été établi par M. B..., huissier de justice, les 4, 5 et 12 mai 2009, ce dont il résultait que le bien y était décrit dans son état au moment de sa restitution au propriétaire, s'est néanmoins fondée, pour dire que Mme X... ne saurait être tenue pour responsable de l'état de l'immeuble tel que décrit par M. B... dans son procès-verbal de constat, sur la circonstance inopérante que des actes de vandalisme avaient été commis au-delà de la fin du mandat du liquidateur, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'en application de l'article 150, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision qui modifie une mesure d'instruction ne peut être frappée de pourvoi en cassation indépendamment du jugement sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi ; que l'arrêt s'étant, sur le point en litige, borné, dans son dispositif, à modifier la mission de l'expert, le moyen, qui ne critique que cette modification, est irrecevable ;

Sur le quatrième moyen du même pourvoi :

Attendu que la SCI fait enfin grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation de la perte de chance de relouer les locaux durant la période comprise entre les mois de mai 2009 et janvier 2012 alors, selon le moyen :

1°/ que les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter la perte de chance du propriétaire de percevoir des loyers de mai 2009 à mars 2014, qu'il n'était démontré aucune certitude ni opportunité de relouer les locaux quel qu'ait pu être leur état, sans s'expliquer par aucun autre motif, notamment sur l'absence de chance de relouer des locaux qui avaient pourtant été constamment occupés jusqu'en décembre 2005, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que, en tout état de cause, le préjudice dont la réalisation n'est pas certaine est réparé par l'indemnisation de la perte d'une chance ; qu'en retenant, pour écarter l'indemnisation de la perte d'une chance de relouer les locaux entre les mois de mai 2009 et mars 2014, qu'il n'était démontré aucune certitude ni opportunité de relocation, ce qui n'était pas de nature à écarter l'indemnisation d'une perte de chance, fût-elle minime, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la clinique était menacée de fermeture depuis le mois d'octobre 1997, en raison de la non-conformité des locaux aux normes sanitaires et de lutte contre l'incendie, que seule une reconversion du bâtiment était envisageable après d'importants travaux de démolition, dépollution et désamiantage, et que l'objectif de la SCI de retrouver un locataire dans le secteur sanitaire ou un secteur connexe n'était pas corroboré par un projet ou une étude sérieux, c'est souverainement que, par une décision motivée, la cour d'appel a exclu toute perte de chance de relouer les locaux dans la période de mai 2009 à janvier 2012 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° P 14-22. 240 :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de retenir sa faute en raison de l'occupation indue de l'immeuble de la SCI entre le 12 avril et le 13 décembre 2005 et de la condamner à des dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1°/ qu'un liquidateur judiciaire est fondé à adopter les mesures conservatoires qu'imposent la protection des droits des créanciers ; qu'en affirmant que l'introduction d'une action tendant à l'extension à la SCI, propriétaire de l'immeuble litigieux, de la procédure de liquidation ouverte à l'encontre des sociétés SPSY et SMIH, n'était pas de nature à justifier le défaut de restitution du bien lui appartenant, occupé sans droit ni titre, quand les éléments de nature à faire croire à la confusion des patrimoines de ces trois sociétés et, partant, au droit des créanciers d'obtenir l'application de la procédure de liquidation aux biens de la SCI, justifiait la conservation de cet immeuble lui appartenant susceptible de faire l'objet de la liquidation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'un liquidateur judiciaire est fondé à adopter les mesures conservatoires qu'imposent la cession des actifs dans les meilleures conditions ; qu'en affirmant que l'introduction d'une action tendant à l'extension à la SCI, propriétaire de l'immeuble litigieux, de la procédure de liquidation ouverte à l'encontre des sociétés SPSY et SMIH n'ôtait pas son caractère fautif au défaut de restitution de cet immeuble, occupé sans droit ni titre, sans rechercher ainsi, qu'elle y était invitée, si la cession globale du fonds de commerce exploité dans ces locaux et de l'immeuble l'abritant n'était pas de nature à justifier la conservation de ces biens susceptibles d'être cédés dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire unique dont la confusion des patrimoines pouvait entraîner l'application, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°/ que la faute du tiers à la procédure qui n'a pas exercé les prérogatives que la loi lui confère pour défendre ses intérêts est de nature à exonérer en tout ou partie le liquidateur de sa responsabilité ; qu'en condamnant Mme X... à indemniser la SCI des conséquences du défaut de restitution de l'immeuble lui appartenant, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le propriétaire ne s'était pas lui-même abstenu de toute initiative pour en obtenir la restitution, se satisfaisant de son occupation par l'ancien locataire dès lors qu'il était difficile à relouer en l'état et aux mêmes conditions, et faisant le pari de la cession de l'immeuble ou du contrat dont il faisait l'objet dans le cadre d'un plan de cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4°/ que l'indemnisation doit être à l'exacte mesure du préjudice causé par le manquement retenu ; qu'en accordant à la SCI des dommages-intérêts correspondant aux loyers de huit mois d'occupation illicite des locaux, quand, elle constatait que, si, sans la faute imputée au liquidateur judiciaire, les locaux avaient été restitués à la SCI, il n'existait aucune chance sérieuse de les relouer, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que le liquidateur d'un débiteur qui occupe sans droit ni titre des locaux appartenant à un tiers est tenu de les restituer à celui-ci et ne peut prétendre s'y opposer, à titre conservatoire, dans l'attente du jugement de sa demande en extension à ce tiers de la liquidation judiciaire du débiteur, à moins qu'il n'y soit expressément autorisé par une décision de justice ; qu'ayant constaté que la société PSY s'était maintenue indûment dans les locaux appartenant à la SCI, puis retenu que Mme X... n'avait, en sa qualité de liquidateur de la société PSY, accompli aucune diligence pour faire cesser l'occupation de locaux sur lesquels elle n'avait encore aucun droit, c'est exactement, et sans avoir à effectuer les recherches invoquées par les deuxième et troisième branches, que la cour d'appel a dit que Mme X... avait commis une faute ;

Et attendu que si la cour d'appel a constaté l'absence de toute chance sérieuse de relouer les locaux, c'est pour la période postérieure au 13 décembre 2005 et non pour celle en cause, comprise entre le 12 avril 2005 et cette dernière date ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier et le cinquième moyens du pourvoi n° T 14-21. 393, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.