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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 24 octobre 2019, n° 18/21825

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Rohart-Messager, Mme Deliere

T. com. Paris, du 20 sept. 2018, n° 2014…

20 septembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

La SNC Prestige Rénovation a été créée en 1990. Son capital social de 152 449,02 euros est également réparti de façon égalitaire entre M. X et Mme Y épouse X (ci-après désignée Mme Y). Elle avait pour activité la construction, la rénovation, la restauration fabrication, la réparation et tous les travaux de gros oeuvre en matière immobilière ainsi que des activités annexes à celles-là. Plus généralement, cette société appartenait au GROUPE X, fondé par M. X qui était spécialisé dans la rénovation d'immeubles anciens éligibles à la loi Malraux.

Par jugement du 10 mai 2012, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SNC Prestige Rénovation, désignant la SCP BTSG représentée par Me W, en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 11 octobre 2013 le tribunal de grande instance d'Evry a ouvert une liquidation judiciaire à l'égard de M. X et Me Z a été désignée ès qualité de liquidateur judiciaire.

Me W, ès qualités, a, par acte du 26 novembre 2014, assigné Mme Y devant le tribunal de commerce de Paris en vue de la voir condamnée à lui payer la somme de 342.826,12 euros représentant, selon lui, le montant de sa contribution aux pertes sociales.

Parallèlement, par jugement du 8 janvier 2015, le tribunal de commerce d'Evry a étendu la procédure de liquidation judiciaire, dont faisait l'objet M. X, à Mme Y. Un appel de cette décision a été interjeté.

Par un jugement de sursis à statuer du 24 novembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a suspendu l'instance en cours afin de connaître la décision de la cour d'appel statuant sur le jugement du tribunal de commerce d'Evry.

Par arrêt du 9 février 2016, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement prononçant l'extension de la liquidation judiciaire de M. X à l'égard de Mme Y.

Me Z, en qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de M. X a régularisé un pourvoi en cassation à rencontre de l'arrêt du 9 février 2016.

La Cour de cassation a rejeté ce pourvoi par arrêt du 12 juillet 2017.

Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit la SCP BTSG prise en la personne de Me Stéphane W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Prestige Rénovation, recevable en son action ;

- Débouté la SCP BTSG prise en la personne de Me Stéphane W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Prestige Rénovation, des demandes dirigées contre Mme Y, épouse X ;

- Rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 code de procédure civile ;

- Laissé à la charge de la SCP BTSG prise en la personne de Me Stéphane W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Prestige Rénovation, les dépens de l'instance

La SCP BTSG, représentée par Me W ès qualité de liquidateur judiciaire de la SNC Prestige Rénovation, a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 5 octobre 2018.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 24 décembre 2018, la SCP BTSG, représentée par Me W ès qualité de liquidateur judiciaire de la SNC Prestige Rénovation demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il l'a dit recevable en son action ;

- l'infirmer pour le surplus.

Et statuant à nouveau :

- dire et juger qu'elle est bien fondée à solliciter de Madame Y qu'elle contribue aux pertes de la SNC Prestige Rénovation dans la proportion de sa participation au capital, soit à hauteur de 4.863.771,55 euros ;

- Condamner provisoirement Madame Y à lui verser la somme de 4.863.771,55 euros correspondant à la partie de l'insuffisance d'actif certaine, au titre de sa contribution aux pertes sociales de la société Prestige Rénovation.

- surseoir à statuer sur le surplus de l'insuffisance d'actif jusqu'à la détermination exacte de la part supérieure à 9.727.543,10 euros qui est admise à ce jour.

- Débouter Madame Y de ses demandes.

- Condamner Madame Y à lui verser la somme de 10.000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner Madame Y aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 25 mars 2019, Mme Y, épouse X demande à la cour de :

1- A titre principal

- Prendre acte que l'assignation engagée par Maître W ès qualités est une action en paiement, en vue de la voir condamnée au règlement des dettes sociales de la SNC Prestige Rénovation à hauteur de sa participation au capital social de celle-ci,

- Dire et juger que cette action en paiement n'est ouverte qu'aux créanciers de la société et non au liquidateur judiciaire de la société liquidée,

- Prendre acte de ce que le liquidateur judiciaire est autorisé non pas à recouvrer auprès de l'associé le montant des dettes sociales à hauteur de sa contribution au capital social, mais uniquement à voir fixer la contribution de l'associé aux pertes de la société liquidée,

- Dire et juger que la SCP BTSG représentée par Maître W ès qualités ne satisfait donc pas aux conditions fixées par la loi pour pouvoir agir en justice,

- Dire et juger encore que les demandes nouvelles de Maître W ès qualités à la voir supporter l'insuffisance d'actif dans sa totalité ne satisfont aucunement aux conditions fixées par l'article L651-2 du Code de Commerce,

Par conséquent,

- Déclarer irrecevable Maître W ès qualités en toutes ses demandes, fins et prétentions,

2- A titre subsidiaire

- Constater et, au besoin, dire que le demandeur ne justifie pas, à l'appui de ses réclamations, de l'état d'avancement des contentieux en cours et des opérations de réalisation d'actif susceptibles d'influencer le montant de l'insuffisance d'actif annoncé,

- Prendre acte de ce que le liquidateur judiciaire ne peut connaître du montant exact de l'éventuelle insuffisance d'actif de la procédure collective considérée,

- Dire et juger l'action prématurée,

Par conséquent,

- Débouter consécutivement Maître W ès qualités de l'ensemble de ses demandes,

- Confirmer le jugement entrepris de ce chef

3- A titre subsidiaire

- Dire et juger que la contribution aux pertes sociales d'un associé ne saurait être déterminée sans prise en compte du montant des apports opérés par les associés fondateurs à la constitution de la société,

- Dire et juger que sa contribution aux pertes sociales ne saurait ainsi excéder la somme de 266.601,61 euros,

- Lui donner acte des graves difficultés financières qu'elle rencontre et qui s'opposent à ce qu'elle puisse en tout cas assumer le paiement en une seule échéance d'une condamnation à supporter toute contribution aux pertes sociales de la SNC Prestige Rénovation,

Conséquemment,

- Reporter à vingt-quatre mois l'exigibilité de toute condamnation financière portée à sa charge sans intérêt,

4- En toutes hypothèses

- Confirmer la décision,

- Débouter la SCP BTSG de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner, la SCP BTSG représentée par Maître W ès qualités au règlement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers dépens.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Mme Y soutient que seuls les créanciers sociaux ont qualité pour assigner un associé tenu du passif social au titre de l'obligation des associés aux dettes sociales et fait valoir que le liquidateur judiciaire n'a pas qualité pour exercer l'action ouverte par l'article 1857 du code civil.

Elle ajoute par ailleurs que l'action fondée sur l'article 1832 du code civil permet uniquement de fixer la contribution de l'associé aux pertes de la société, mais qu'en l'espèce, Me W ès qualité sollicite sa condamnation à lui verser les sommes qu'il estime devoir être mises à sa charge, rendant ainsi l'action irrecevable.

Elle indique également que la contribution aux pertes sociales prévue à l'article 1832 doit prendre en considération les apports réalisés par les associés et qu'en ne tenant pas compte des apports qu'elle a effectués, Me W démontre ainsi qu'il entend poursuivre le paiement des dettes sociales prévu à l'article 1857 du code civil pour lequel il n'a pas qualité à agir.

Elle précise encore que Me W sollicite le paiement de l'ensemble de l'insuffisance d'actif soit la somme de 685.652,24 euros, qu'une telle demande ne peut être fondée que sur l'article L651-2 du code de commerce

En réponse, Me W précise que son action est fondée sur l'article 1832 du code civil qui traite de la contribution des associés aux pertes sociales ouverte à la société à l'encontre des associés, qu'en qualité de liquidateur judiciaire il a, seul, qualité pour agir au nom de la société afin de demander aux associés de prendre en charge l'insuffisance d'actif à proportion de leur part dans le capital social. Il ajoute qu'en l'espèce il sollicite la somme de 4.863.771,55 euros correspondant à 50% de l'insuffisance d'actif connue à ce jour.

Selon l'article 1832 du Code civil, les associés s'engagent à contribuer aux pertes sociales.

En l'espèce, Mme Y était associée d'une société en nom collectif et donc tenue indéfiniment et solidairement du passif social, de sorte qu'elle est à la fois obligée aux dettes sociales, sur le fondement de l'article L. 221-1 du code de commerce et obligée de contribuer aux pertes sur le fondement de l'article 1832 du Code civil.

Si l'obligation aux dettes sociales est contractée par l'associé au profit des créanciers sociaux, la contribution pertes oblige l'associé à l'égard de la société elle-même.

La SNC Prestige Rénovation étant en liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire se voit investi de la représentation du débiteur dessaisi et il est donc recevable à agir à l'encontre des associés pour voir fixer la contribution aux pertes sociales par la prise en compte, outre du montant de leurs apports, de celui du passif social et du produit de la réalisation des actifs.

Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré son action recevable.

Sur la contribution aux pertes de la SNC Prestige Rénovation

Me W ès qualité indique que la quasi-totalité du passif de la société débitrice d'un montant de 415.309.336,89 euros a été contestée, que le montant du passif définitivement admis s'élève à ce jour à la somme de 10.377.338,37 euros, que l'actif recouvré est de 649.795,27 euros et que le montant de l'insuffisance d'actif s'élève à ce jour à la somme de 9.727.543,10 euros.

Il estime en conséquence le montant provisoire de la contribution de Madame A. aux pertes sociales à la somme de 4.863.771,55 euros et demande sa condamnation à lui verser ce montant.

Pour le surplus de l'insuffisance d'actif il demande à la cour de surseoir à statuer d'ans l'attente de l'achèvement des opérations de vérification et de réalisation des actifs.

Mme Y fait valoir que la part contributive aux pertes ne saurait se résumer au montant du passif définitif réduit des actifs recouvrés à ce jour, elle indique que les opérations de vérification des créances ne sont pas achevées, que, ni elle, ni la cour n'est informée des procédures en cours, des opérations de réalisation de l'actif.

Elle estime, dans ces conditions, la demande prématurée et sollicite son rejet.

Subsidiairement elle estime que sa contribution devrait être calculée en tenant compte de l'apport de 152.449,02 euros qu'elle a effectué lors de la constitution de la société.

Pour débouter le liquidateur judiciaire de sa demande, les premiers juges ont considéré que la procédure de liquidation en cours n'est pas clôturée, que les opérations de vérification des créances ne sont pas achevées et que la totalité du produit de la réalisation des actifs est inconnue, de sorte que la procédure est prématurée.

Cependant, il convient de relever que le liquidateur judiciaire ne sollicite que le paiement, à titre de provision, de la moitié de l'insuffisance d'actif, ainsi qu'un sursis à statuer, jusqu'à ce que le montant de l'insuffisance d'actif soit définitivement établi.

Depuis l'ouverture de la procédure collective en 2012, la plupart des actifs ont été réalisés, de sorte qu'il est établi que la SNC Prestige Rénovation se trouve dans l'incapacité de supporter au moyen de ses actifs l'ensemble du passif admis à ce jour.

Il convient, toutefois, de prononcer en considération les apports effectués par Mme Y lors de la constitution de la SNC d'un montant de 342'826,12 euros.

Compte tenu de ces éléments, Mme Y sera condamnée à payer au liquidateur judiciaire, à titre de provision, une somme de 4'000'000 d'euros et il sera sursis à statuer sur le surplus de l'insuffisance d'actif jusqu'à la détermination exacte de celle-ci.

Sur la demande de délai

A titre infiniment subsidiaire, Mme Y fait valoir qu'en application de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Elle explique qu'elle est au chômage, non indemnisée, qu'elle n'est plus éligible au RSA et qu'elle bénéficie de la CMU depuis septembre 2014. Elle sollicite en conséquence un délai de deux pour solder toute condamnation.

En l'espèce, Mme Y ne justifiant pas de sa situation personnelle évoquée dans ses conclusions et compte tenu de l'ancienneté de l'ouverture de la procédure collective, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de délais.

Sur les dépens et les frais hors dépens

Mme Y sera condamnée aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société BTSG, prise en la personne de Me W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNC Prestige Rénovation,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE Mme Y à payer à la société BTSG, prise en la personne de Maître W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNC Prestige Rénovation, une somme de 4.000.000 d'euros à titre de provision au titre de sa contribution aux pertes de la société la SNC Prestige Rénovation,

SURSEOIT à statuer le surplus de la contribution aux pertes sociales jusqu'à la détermination exacte de la part d'insuffisance d'actif supérieure à 9.727.543,10 euros établie à ce jour,

DEBOUTE Mme Y de sa demande de délais de paiement,

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société BTSG, prise en la personne de Me W, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNC Prestige Rénovation, une somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la radiation de l'affaire et dit qu'elle sera réenrôlée à l'initiative la partie la plus diligente.