CA Paris, 4e ch. A, 10 mai 1995, n° 93/002967
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vatanen
Défendeur :
Alengry, SAF Publishing And Printing (Sté), Editions Albin Michel (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, Mme Marais
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Olivier, Me Mira Bettan, Me Chanin, SCP Gaultier Kistner
Avocats :
Me Coisne, Me Salczer Sanchez, Me Gaultier
Le coureur automobile Ari VATANEN a publié en 1985 en FINLANDE un ouvrage autobiographique écrit par lui et Vesa VAISANEN.
Par contrat du 3 décembre 1987, il a cédé aux Editions Albin MICHEL le droit de publier ce livre en langue française.
Cette convention disposait notamment :
- en son article 5 : "la traduction de ladite oeuvre sera faite de bonne foi et avec exactitude. Aucune suppression, aucune addition ni aucune modification ne sera apportée au texte de ladite oeuvre sans le consentement écrit du propriétaire, ledit consentement ne pouvant pas être déraisonnablement refusé. Le Propriétaire, par les présentes, donne à M. Georges ALENGRY et à M. Jean-Louis MONCET le droit d'approbation".
- en son article 20 : "Le Propriétaire convient d'autoriser les Editeurs à modifier ladite oeuvre pour le marché français avec l’aide du traducteur Georges ALENGRY et sous la supervision de Jean-L...MONCET. Le Propriétaire, par les présentes, donne son approbation auxdites modifications à la discrétion du traducteur Georges ALENGRY et de Jean-Louis MONCET".
Par contrat du 4 décembre 1987, Robert ESMENARD (Editions ALBIN MICHEL) a confié à Georges ALENGRY le soin de traduire personnellement en langue française l’ouvrage dont s'agit.
La convention précisait que :
- le Traducteur cédait à l’Editeur “le droit exclusif, en tous pays, de publier, reproduire sous toutes formes et par tous modes et procédés actuels la traduction, moyennant le versement d'1 % du prix de vente hors taxes de chaque exemplaire vendu et 5 % "sur toutes sommes nettes de frais hors toutes taxes, encaissées en contrepartie des autorisations ou cessions consenties à des tiers pour l'utilisation de la traduction” (article 1 et 5), - la cession comportait pour l’Editeur, seul, le droit de disposer et de traiter pour :
a) la reproduction totale ou partielle de la traduction visée, en pré-publication et post-publication dans les journaux ou périodiques, digests, condensés, romans-photos,
b) l’impression, publication, reproduction de la traduction en toutes Editions ordinaires,
c) la reproduction totale ou partielle de la traduction visée par voie de radiodiffusion sonore ou visuelle,
d) généralement toute diffusion du texte de la traduction par tous procédés auditifs ou visuels, actuels et à venir.
Georges ALENGRY a reçu pour ce travail un à valoir de 33.500 frs.
La traduction du livre a été publiée en mars 1988 dans un tirage de 11.115 exemplaires sous le titre ”Pour une poignée de secondes”.
En août 1988, Ari VATANEN a cédé à la Société de droit anglais SAF PUBLISHING and PRINTING "le droit exclusif d'éditer et de vendre sous forme de volume, totalement ou en partie, en langue anglaise et dans tous les pays l’oeuvre littéraire" dont s'agit
La Société SAP PUBLISHING AND PRINTING a confié à S.K. KUSNIERZ le soin de traduire en anglais la version française de l’ouvrage.
Le livre a public en Angleterre en octobre 1988 sous le titre ’’Every second Counts" avec la mention "translated in English by SK KUSNIERZ".
Le 26 décembre 1988, Georges ALENGRY a interrogé les Editions ALBIN MICHEL sur l’autorisation verbale que celles-ci auraient accordée, selon Ari VATANEN à l'éditeur anglais d'utiliser la traduction française et sur le versement des 5 % prévus au contrat au titre des droits dus au traducteur.
Il lui a été répondu le 28 décembre suivant que l’éditeur n'aurait pu céder des droits qui ne portaient que sur la version française de l’ouvrage et ne pouvait davantage lui verser un pourcentage sur une somme qu'il n'avait pas encaissée.
Le 23 mars 1989, la Société SAF PUBLISHING and PRINTING a précisé à Georges ALENGRY "...Nous nous sommes adressés à ALBIN MICHEL quant à l'utilisation du texte pour la traduction en anglais. Vous trouverez ci- joint une copie de la lettre que nous avons reçue d'ALBIN MICHEL confirmant qu'il a le copyright pour la traduction française et qu'il n'a aucune objection à notre version anglaise".
La lettre sus-visée, datée du 21 mars 1989, précisait en effet : "Je vous confirme que nous avons bien le copyright de la traduction française de l’ouvrage d'Ari VATANEN… Nous n'avons d'ailleurs le copyright que pour la version française et n'avons donc aucune objection à une version anglaise ou autre..."
Les 30 mai, 22 et 26 août 1991, Georges ALENGRY, se fondant sur l’article 2 de la Convention de Berne et l’article 4 de la loi du 11 mars 1957, a assigné Ari VATANEN, les Editions ALBIN MICHEL et la Société SAP devant le Tribunal de Grande instance de PARIS aux fins de voir constater la contrefaçon de son oeuvre et de voir les défendeurs condamner à lui verser les sommes de :
- 100.000 frs en réparation de son préjudice matériel,
- 50.0 frs en indemnisation de son préjudice moral,
- 20.000 frs en application de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
ainsi qu'à assumer le coût de l’insertion d'un encart dans les exemplaires de la version anglaise précisant qu'elle est la traduction de la version française élaboré par lui, et celui de la publication du jugement dans quatre journaux français et quatre journaux anglais, le tout avec exécution provisoire.
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 24 septembre 1992, le Tribunal, aux motifs d'une part qu'"en faisant assurer la publication et en publiant la traduction anglaise de l’ouvrage "Pour une poignée de secondes” sans l’autorisation de Georges ALENGRY, auteur de l’adaptation en français, la SAP et Ari VATANEN (avaient) commis les actes de contrefaçon qui leur (étaient) reproches, d'autre part, qu'il n'était pas démontré que la Société ALBIN MICHEL ait cédé des droits dont elle n'était pas titulaire et participe aux actes incrimines", a : - condamné in solidum la Société SAP PUBLISHING AND PRINTING et Ari VATANEN à payer à Georges ALENGRY les sommes de 30.000 frs à titre de dommages et intérêts et de 10.000 frs en application de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
- dit que tous nouveaux tirages de l'ouvrage "Every second counts" devraient mentionner qu'il s'agit d'une traduction à partir de l’adaptation française de Georges ALENGRY,
- mis la Société Les Editions ALBIN MICHEL hors de cause,
- rejeté toutes autres demandes.
Ari VATANEK a interjeté appel de cette décision le 5 janvier 1993.
A l’appui de ce recours, il expose que le contrat conclu par lui en août 1988 avec la Société SAF PUBLISHING and PRINTING ne concernait que la cession de son oeuvre en langue française et ne prévoyait nullement qu'il autorisait l'éditeur anglais à utiliser la version française, le fait qu'il ait été consulté verbalement par la Société SAF à propos de cet usage et qu'il ne s'y soit pas opposé n'étant motivé que par le respect de son droit moral et ne valant pas cession des droits que détenaient Georges ALENGRY et Jean-Louis MONCET sur la traduction et l’adaptation.
En déduisant qu'il appartenait à l'éditeur anglais d'obtenir l’autorisation préalable de Georges ALENGRY et Jean-Louis MONCET, il conclut à l'infirmation du jugement déféré et sollicite la condamnation de Georges ALENGRY à lui verser la somme de 20.000 frs au titre de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Georges ALENGRY qui a formé un appel incident par conclusions du 15 décembre 1993, rappelle qu'aux termes de l’article 2 alinéa 3 de la Convention de Berne, les traductions sont protégées comme des oeuvres originales sans préjudice des droits de l’auteur de l’oeuvre originale et que, selon l'article L. 112-3 du Code de la Propriété Intellectuelle l'auteur d'une traduction jouit de la protection instituée par ce code.
II fait valoir qu'avec l’accord de l’auteur de l’oeuvre originale dans le cadre du mandat très large donné par celui-ci, il a "fourni un véritable travail d'adaptation afin d'actualiser l’ouvrage et de le compléter à partir des notes établies à l’occasion des rallyes PARIS-DAKAR de 1987 à 1988 et de la rendre accessible au public français", le rôle de Jean-Louis MONCET s'étant limité à contrôler le vocabulaire technique propre aux véhicules et aux courses automobiles.
Soutenant que la traduction-adaptation en langue française effectuée par lui constituait ainsi une oeuvre originale et que l’édition anglaise était la traduction de la version française il allègue qu'Ari VATANEN qui savait qu'en sus de ses propres droits sur l’oeuvre, Georges ALENGRY était titulaire des droits de traduction et d'adaptation, ne pouvait "ne fût-ce que verbalement" autoriser la Société SAF à utiliser cette version sans la mettre en garde quant aux droits du traducteur.
Il ajoute que les premiers juges ont relevé à juste titre que la Société SAF en tant que professionnel averti, ne pouvait se contenter d'une autorisation verbale, voire du silence des Editions ALBIN MICHEL et a ainsi commis une faute.
Il fait en outre valoir que, bien qu'informées de l’intention de l’éditeur anglais d'utiliser la version française du livre, les Editions ALBIN MICHEL "ne l’ont pas interdite et n'ont pas même mis en garde les Editions SAF quant au fait qu’elles n’étaient pas titulaires du droit de traduction de la version française et qu'il leur fallait s'adresser à (lui)" et ont ainsi également commis une faute à son encontre.
Il sollicite en conséquence :
- la condamnation in solidum d'Ari VATANEN, de la Société SAF et de la Society ALBIN MICHEL à lui verser les sommes de 100.000 frs et de 50.000 frs en réparation de ses préjudices matériel et moral et de 50.000 frs en vertu de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
- l’insertion dans tous exemplaires disponibles à la vente ou tout nouveau tirage du livre "Every Second Counts" d'un encart précisant "qu'il s'agit d'une traduction à partir de la version française de Georges ALENGRY", et ce, sous astreinte de 500 frs par infraction constatée.
- la publication du présent arrêt dans quatre journaux français et quatre journaux anglais de son choix, aux frais des succombants dans la limite de 160.000 frs.
La Société des Editions Albin Michel assignée en appel le 10 janvier 1994 par Georges ALENGRY, réplique que celui-ci ne démontre pas et n'offre pas de démontrer (qu'elle) ait effectivement commis des actes de contrefaçon.
Elle conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Georges ALENGRY à lui verser la somme de 10.000 frs au titre de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La Société SAF PUBLISHING and PRINTING soutient qu'Ari VATANEN ne l'a pas informée "de l’existence d'une version française de l'ouvrage" et s'est contenté "de lui affirmer que la version anglaise ne violerait aucun copyright existant".
Elle allègue en outre que "le fait que l’Edition française du livre porte la mention "traduction et adaptation du finnois de G. ALENGRY avec la participation de Jean-Louis MONCET" ne signifie pas pour autant que M. ALENGRY soit titulaire d'un droit sur l’ouvrage "mais qu'il s'agirait seulement d'une mention informative".
Elle demande sa mise hors de cause et la condamnation de Georges ALENGRY à lui payer une somme de 6.000 frs en application de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
SUR CE,
Sur la confrefaçon,
Considérant que l'auteur d'une traduction ou d'une adaptation d'une oeuvre de l’esprit jouit de la protection instituée par la loi sans préjudice des droits de l’auteur de l’oeuvre originale.
Qu'en l'espèce, Georges ALENGRY a été chargé par contrat du 4 décembre 1987 du soin de traduire personnellement de finnois en français l’ouvrage litigieux.
Qu'il a, en outre, reçu mission d'adapter la version initiale du livre ainsi qu'il résulte :
- de l’article 20 du contrat du 3 décembre 1987 intervenu entre les Editions ALBIN MICHEL et Ari VATANEN lequel déclare "autoriser les Editions à modifier ladite oeuvre pour le marché français avec l’aide du traducteur Georges ALENGRY" et "donner son approbation auxdites modifications",
- d'une lettre adressée en septembre ou octobre 1989 à l'intimée par Vesa VAISANEN qui lui précise "si tu vois et lorsque tu constates qu'il reste encore des répétitions ou toute une partie - même longue - qui n'intéresse pas les Français, enlève-la sans hésiter. Tu as également toutes les libertés de couper encore le texte, toute liberté aussi pour la traduction, ainsi que nous l’avons déjà convenu (sic) entre Ari, toi et moi..."
- de l’ouvrage publie qui mentionne "Traduction et adaptation du finnois de Georges ALENGRY".
Que le Tribunal en a déduit à bon droit que Georges ALENGRY qui était demeure titulaire du droit de traduction de son oeuvre était bien fondé à se prévaloir de la protection légale de celle-ci, instituée par l’article 4 de la loi du 11 mars 1957 et l’article 2-3 de la Convention de Berne.
Or considérant qu'il n'est pas contesté que S.Z.KUSNIERZ qui ne connait pas au demeurant le finnois a traduit en anglais l’ouvrage français "Pour une poignée de secondes" sans que Georges ALENGRY ait préalablement donné son accord pour ce faire.
Que la publication du livre "Every second counts" suffit ainsi à caractériser la contrefaçon alléguée.
Sur l’imputabilité de la contrefaçon,
Considérant que les premiers juges ont exactement relevé qu'en faisant traduire en anglais l’ouvrage vise puis en publiant cette traduction, la Société SAP PUBLISHING AND PRINTING avait commis une faute engageant sa responsabilité.
Qu'il convient en effet de souligner qu'il appartenait à cette professionnelle avertie de l’Edition, au seul examen du livre « Pour une poignée de seconde » qui lui révélait l’existence d'une traduction adaptation et du nom de l’auteur de celle-ci, de prendre tous renseignements notamment auprès des Editions ALB IN MICHEL afin de contacter Georges ALENGRY et d'obtenir son accord pour la traduction de son oeuvre.
Qu'en revanche, Ari VATANEN et la société des Editions ALBIN MICHEL qui ne possédaient aucun droit sur l’oeuvre de Georges ALENGRY, ne sauraient se voir reprocher une quelconque participation aux faits incriminés.
Que le fait qu'Ari VATANEN ne se soit pas oppose à l’utilisation de la traduction française de son livre par l'éditeur anglais s'analyse, non pas comme la cession de droits qu'il ne détenait pas, mais comme l’assurance donnée à la Société SAP que cet usage ne portait pas atteinte à son droit moral.
Que, de même, les Editions ALBIN MICHEL ont à juste titre fait valoir à Georges ALENGRY dès le 28 décembre 1988 que le contrat qui l’unissait à Ari VATANEN ne portant que sur la version française du livre de celui-ci, elle n'aurait pu céder à la Société SAP des droits qu'elle n'avait pas.
Sur la réparation du préjudice,
Considérant que le Tribunal a fait une juste appréciation des mesures réparatrices qu'il y avait lieu d'ordonner en l'espèce
Que le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les frais non taxables,
Considérant que la Société SAF qui succombe sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Qu'il est équitable de laisser à la charge d'Ari VATANEN et de la Société des Editions ALBIN MICHEL les frais par eux exposés non compris dans les dépens.
Qu'il convient en revanche de condamner la Société SAF à payer à Georges ALENGRY une somme de 20.0 frs à ce titre.
PAR CES MOTIFS ;
Réforme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Dit la demande en contrefaçon formée par Georges ALENGRY à l’encontre d'Ari VATANEN mal fondée.
L'en déboute,
Condamne la Société SAP PUBLISHING AND PRINTING à payer à Georges ALENGRY les sommes de TRENTE MILLS FRANCS (30.000 frs) à titre de dommages et intérêts et de VINGT MILLE FRANCS (20.000 frs) en application de l’article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne Georges ALENGRY aux dépens d'appel afférents à la mise en cause de la Société des Editions ALBIN MICHEL et à l’égard d'Ari VATANEN,
Condamne la Société SAP PUBLISHING AND PRINTING aux surplus des dépens d'appel.
Admet la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY et la SCP GAULTIER KISTNER, titulaires d'un office d'avoué, au bénéfice de l’article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.