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Décisions

Cass. soc., 1 février 2000, n° 98-46.201

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gélineau-Larrivet

Rapporteur :

M. Merlin

Avocat général :

M. Duplat

Avocat :

Me de Nervo

Paris, du 28 sept. 1998

28 septembre 1998

Attendu que la société Servair est une société de services spécialisée dans la fourniture de repas et d'aliments pour les vols des compagnies aériennes de transport utilisant les aérodromes de Roissy Charles-de-Gaulle ; que lui reprochant de recourir de manière systématique et abusive à des salariés engagés par contrats à durée déterminée, soit par contrats saisonniers, soit par des contrats motivés par un surcroît d'activité, l'Union locale des syndicats CGT de la zone aéroportuaire de Roissy (ci-après le syndicat), exerçant l'action de substitution prévue par l'article L. 122-3-16 du Code du travail a saisi la juridiction prud'homale en demandant la requalification en contrats à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée de plusieurs salariés, la poursuite des effets des contrats, des rappels de salaire ainsi que des dommages-intérêts ;

Sur les fins de non-recevoir soulevées par la défense :

Attendu que la société Servair soulève l'irrecevabilité du pourvoi du syndicat, d'une part, faute de désignation des salariés dans la déclaration de pourvoi et, d'autre part, au motif que Mme Z... qui a donné mandat à M. X... de former la déclaration de pourvoi ne justifie pas que sa qualité de secrétaire de l'Union locale des syndicats CGT de la zone aéroportuaire de Roissy l'habilite spécialement à former un pourvoi en cassation ou à donner pouvoir au nom du syndicat pour faire un pourvoi ni à déposer sous sa signature un mémoire ampliatif ;

Mais attendu, d'abord, que l'action que peut exercer une organisation syndicale en vertu de l'article L. 122-3-16 du Code du travail est une action de substitution qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés ; que dès lors le syndicat n'est pas tenu d'indiquer dans la déclaration de pourvoi les nom, prénoms, profession et domicile des salariés en faveur desquels il agit ;

Attendu, ensuite, qu'en vertu de l'article 16 des statuts de l'Union locale des syndicats CGT de la zone aéroportuaire de Roissy, le secrétaire général du syndicat dispose d'un mandat permanent afin d'agir et de le représenter en justice et qu'il peut déléguer ce mandat à tout autre membre de la commission exécutive ;

D'où il suit que les fins de non-recevoir soulevées par l'employeur ne peuvent être accueillies et que le pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les demandes recevables dans la limite de celles exposées dans la lettre d'intention de l'article L. 122-3-16 du Code du travail, alors, selon le moyen, que la cour d'appel a relevé que les salariés avaient été informés par courrier recommandé avec avis de réception, dès le 31 octobre 1996, que le syndicat agissait " en application de l'article L. 122-3-13 du Code du travail " et par l'utilisation de l'article L. 122-3-16 et R. 122-1 du Code du travail ; alors, encore, que l'article L. 122-3-13 du Code du travail stipule " si le tribunal fait droit à la demande du salarié, il doit lui accorder, à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, sans préjudice de l'application des dispositions de la section II du chapitre II du titre II du livre 1er du présent code " ; alors, en outre, que les salariés ont été convoqués aux audiences par écrit recommandé avec avis de réception ; qu'ils ont eu connaissance des demandes formulées devant le conseil de prud'hommes, qu'ils ont reçu le jugement avec les conséquences de la requalification (réintégration, indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse), qu'ils ont reçu les convocations devant la cour d'appel, qu'ils ne se sont pas opposés à la poursuite de l'action, comme ils en étaient informés et comme ils auraient pu le faire, que c'est une preuve de l'acceptation de la démarche du syndicat et donc des demandes formulées ; alors, au surplus, que l'article R. 516-1 du Code du travail mentionne que toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l'objet d'une seule instance ; alors, enfin, que la loi du 12 juillet 1990 a été promulguée dans le but d'accélérer l'indemnisation et la réparation du bénéfice de la requalification en contrat à durée indéterminée ;

Mais attendu qu'en application des articles L. 122-3-16 et R. 122-1 du Code du travail le salarié doit notamment être informé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de la nature et de l'objet de l'action exercée par le syndicat ; que cette formalité substantielle est protectrice de la liberté du salarié en sorte que le syndicat ne peut présenter de demandes autres que celles mentionnées dans cette lettre ;

Et attendu que la cour d'appel qui a constaté que la lettre d'intention envoyée par le syndicat aux salariés n'indiquait comme demandes que la requalification du contrat de travail, l'indemnité de requalification, l'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la fourniture sous astreinte du registre d'entrées et de sorties du personnel a décidé, à bon droit, que les autres demandes du syndicat qui n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle lettre adressée aux salariés dans les conditions des articles L. 122-3-16 et R. 122-1 du Code du travail n'étaient pas recevables ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que le syndicat fait encore grief à l'arrêt d'avoir omis de statuer sur certains chefs du dispositif du jugement du conseil de prud'hommes qui avait ordonné la réintégration, sur leur demande, des salariés ayant quitté leur emploi au terme de leur contrat et réservé les droits à indemnisation des salariés qui ne seraient pas réintégrés dans leur emploi ;

Mais attendu que la cour d'appel en ne déclarant les demandes recevables que dans la limite de celles contenues dans la lettre d'intention a nécessairement déclaré irrecevables les autres demandes ; que le moyen manque en fait ;

Mais sur le troisième moyen, pris en ses troisième et sixième branches :

Vu les articles L. 122-3-16 et R. 122-1 du Code du travail, l'article 126 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer irrecevable la demande du syndicat concernant M. A..., la cour d'appel énonce que le conseil de prud'hommes a été saisi à la même date que l'envoi à l'intéressé de la lettre visée à l'article L. 122-3-16 du Code du travail, c'est-à-dire sans respecter le délai de quinze jours, que le syndicat ne peut justifier qu'à la date de la saisine du conseil de prud'hommes le salarié avait connaissance de son intention et que cette condition préalable est nécessaire à la recevabilité de l'action par une organisation syndicale qui doit justifier de l'acceptation tacite du salarié ;

Attendu, cependant, qu'ayant constaté que le syndicat avait adressé au salarié, le 21 novembre 1996, la lettre d'intention prévue à l'article L. 122-3-16 du Code du travail, et que le conseil de prud'hommes ne s'était prononcé que le 16 mai 1997, ce dont il résultait que la cause de l'irrecevabilité de la demande avait disparu au moment où il a statué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés ;

Et sur le quatrième moyen :

Vu l'article L. 121-1 du Code du travail ;

Attendu que pour déclarer irrecevable la demande du syndicat en faveur de M. Y..., la cour d'appel se borne à énoncer qu'il a été engagé par contrat de travail saisonnier par la société Acna et qu'il n'a donc pas été le salarié de la société Servair entité juridique distincte de la société Acna, peu important les liens entre les deux sociétés ;

Qu'en statuant ainsi sans rechercher si les éléments caractérisant l'existence d'un lien de subordination entre M. Y... et la société Servair étaient ou non réunis et si le salarié exerçait son travail sous l'autorité de cette société qui avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner ses manquements, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions déclarant irrecevables les demandes présentées en faveur de MM. A... et Y... dans la limite de celles mentionnées dans la lettre qui leur a été adressée par le syndicat en application de l'article L. 122-3-16 du Code du travail, l'arrêt rendu le 28 septembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.