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Décisions

Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-19.077

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocats :

SCP Delamarre et Jehannin, Me Balat

Douai, du 11 juin 2020

11 juin 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 juin 2020), la société à responsabilité limitée HEP a été constituée le 5 mai 2014 entre Mme [V], M. [V] et M. [D], Mme [V] en étant la gérante.

2. La société HEP a notamment pour objet social l'exploitation d'un café, bar, brasserie ainsi que toutes opérations immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à cette exploitation. Elle a, pour exercer son activité, conclu le 17 juillet 2014 un bail commercial portant sur un local à usage commercial situé à [Localité 4] (Hauts-de-France).

3. La SCI des Collières, constituée entre Mme [V] et M. [D], a, le 14 mars 2017, acquis l'immeuble comprenant le local à usage commercial loué par la société HEP pour exercer son activité.

4. M. [V] a, par un acte du 1er septembre 2017, assigné Mme [V] et la société HEP, représentée par Mme [V], aux fins de voir condamner Mme [V] à payer des sommes en réparation de son préjudice et de celui subi par la société HEP. Mme [V] a opposé une fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'était pas valablement représentée faute de désignation d'un mandataire ad hoc.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, en ce qu'ils font grief à l'arrêt de dire que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué à son devoir de loyauté à l'égard de M. [V] et de la condamner à payer à M. [V] une somme en réparation de son préjudice moral, et sur le quatrième moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'est pas régulièrement représentée dans l'instance relative à l'action sociale exercée par M. [V], de dire que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué à son devoir de loyauté à l'égard de la société HEP et de la condamner à payer à la société HEP une somme à titre de dommages-intérêts

Enoncé du moyen

6. Mme [V] fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir présentée en défense, de dire qu'en dissimulant l'information selon laquelle l'immeuble exploité par la société HEP était à vendre et, en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières, Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté à l'égard de la société HEP engageant sa responsabilité, et de condamner Mme [V] à verser à la société HEP une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce, avec intérêts au taux légal, alors :

« 1° / qu'excède ses pouvoirs la cour d'appel qui se prononce sur les mérites de l'action ut singuli tant que la société n'est pas valablement représentée à l'instance ; qu'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'en retenant pourtant que "l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action" , la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;

2°/ qu'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'il appartient à la juridiction saisie de désigner ce mandataire ad hoc ; qu'en retenant, par motifs propres et éventuellement adoptés, que M. [V] n'avait pas qualité pour solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc et que Mme [V] n'avait elle-même pas formé une demande aux fins de désignation d'un tel mandataire ad hoc, quand il appartenait au juge lui-même de procéder à cette désignation, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;

3°/ que le représentant légal de la société en exercice se trouve nécessairement en état de conflit d'intérêts lorsque l'action ut singuli est exercée à son encontre, et non contre l'un de ses prédécesseurs ; qu'en retenant pourtant qu'en l'absence de demande de Mme [V] contre la société HEP, il n'existerait pas de conflit d'intérêts, quand Mme [V], partie dont était sollicitée la condamnation au paiement de dommages et intérêts au profit de la société HEP, était représentant légal de la société HEP, la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 223-32 du code de commerce et les principes qui régissent l'excès de pouvoir :

7. Selon ce texte, lorsque l'action sociale est intentée par un associé, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre celle-ci et ses représentants légaux.

8. Il en résulte que l'action sociale exercée par un associé n'est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l'instance. Lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office.

9. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'était pas régulièrement représentée dans l'instance relative à l'action sociale exercée par M. [V] et condamner Mme [V] à payer à cette société des dommages-intérêts en réparation de son préjudice, l'arrêt, après avoir constaté, dans son en-tête, que Mme [V] était assignée à la fois à titre personnel et en sa qualité de représentant légal de la société HEP, retient, par motifs propres et adoptés, que si l'action ut singuli exige, en raison de sa nature sociale, la mise en cause régulière de la société par l'intermédiaire de son représentant légal, l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action, que Mme [V] ne sollicite pas elle-même la désignation d'un mandataire ad hoc et qu'il n'existe pas de conflit d'intérêts entre cette dernière et la société HEP, dès lors que Mme [V] ne forme aucune demande à l'encontre de la société.

10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [V] avait été assignée à la fois à titre personnel et en tant que représentante légale de la société HEP et que, par suite, il existait un conflit d'intérêts entre la société HEP, prétendument victime des agissements de sa gérante, et cette dernière, ce dont elle aurait dû déduire qu'elle devait désigner un mandataire ad hoc pour que la société HEP soit régulièrement représentée, peu important qu'elle n'ait pas été saisie d'une demande en ce sens, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il écarte la fin de non-recevoir soulevée par Mme [V] et en ce qu'il dit que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté à l'égard de la société HEP et la condamne à verser à la société HEP la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, l'arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.