Livv
Décisions

Cass. crim., 13 mars 1995, n° 94-82.247

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le GUNEHEC

Bordeaux, du 31 mars 1994

31 mars 1994

Sur les faits et la procédure :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une vérification de la comptabilité de son commerce, Claude B... s'est vu notifier des redressements qu'il a contestés devant le tribunal administratif ;

que sa o requête a été rejetée par un jugement du 19 novembre 1987, confirmé par le Conseil d'Etat le 11 octobre 1991 ;

Que, par ailleurs, à raison des mêmes omissions de déclaration de sommes soumises à l'impôt, Claude B... a été condamné pour fraude fiscale par un jugement du tribunal correctionnel du 11 mai 1987, confirmé par un arrêt de la cour d'appel du 22 février 1989 devenu définitif ;

Que, les 24 décembre 1991 et 17 avril 1992, B... a fait citer directement devant le tribunal correctionnel trois fonctionnaires des Impôts :

Françoise X..., épouse A..., vérificateur, Georges Even et Jean Z..., signataires des mémoires déposés au nom de l'administration devant les juridictions administratives, pour répondre notamment du délit de concussion, en leur reprochant l'emploi abusif de la procédure de rectification d'office de sa comptabilité ainsi que des erreurs grossières dans la reconstitution de ses recettes, commises par le vérificateur, maintenues par les deux autres prévenus et ayant eu pour résultat de lui faire payer plus d'impôts qu'il n'en devait ;

Que, le tribunal correctionnel ayant renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, déclaré "irrecevable" la constitution de partie civile et condamné B... à payer à chacun des prévenus la somme de 20 000 francs par application de l'article 472 du Code de procédure pénale, la partie civile appelante a demandé devant la cour d'appel l'audition d'un témoin, la condamnation des prévenus à lui payer des dommages et intérêts, et subsidiairement une expertise ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 31, 32, 512, 513 et 592 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a rejeté la demande d'audition de témoin présentée par la partie civile à l'issue de débats au cours desquels le représentant du ministère public n'a pas été entendu ;

"alors que le ministère public, étant partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives, doit, à peine de nullité, être entendu en ses réquisitions même lorsque la cour d'appel statue sur le seul appel de la partie civile, et qu'en l'espèce, la cour d'appel ayant décidé de rejeter la demande d'audition de témoin formulée par la partie civile, il est certain que l'irrégularité en cause a porté atteinte à l'intérêt du demandeur" ;

Attendu que l'arrêt attaqué mentionne qu'après le rapport et l'interrogatoire des prévenus, l'avocat de la partie civile a sollicité de la cour d'appel l'audition d'un témoin ;

qu'après observations de l'avocat des prévenus, cette requête a été écartée par la Cour ;

qu'ont ensuite été entendus l'avocat de la partie civile, qui a développé ses conclusions, l'avocat des prévenus, le ministère public et enfin les prévenus, qui ont eu la parole en dernier ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que la cour d'appel a rendu, après audition du ministère public, un seul arrêt sur l'incident et sur le fond, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 513 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a rejeté la demande d'audition de témoins ;

"alors qu'en vertu du principe de l'égalité des armes, consacré par la Convention européenne susvisée, le droit pour le prévenu de faire entendre des témoins appartient également à la partie civile et que, par suite, la cour d'appel, qui a rejeté la demande d'audition d'un témoin régulièrement cité sans donner un quelconque motif à sa décision, a, en statuant ainsi, violé les textes susvisés" ;

Attendu que, contrairement à ce qui est allégué, la cour d'appel, pour rejeter la demande qui lui était présentée, relève que, de l'aveu de Claude B..., le témoin dénoncé n'a aucune connaissance des faits ;

Attendu que le demandeur, qui n'a pas usé de la faculté, qu'il tenait des articles 435 et 444, alinéa 3, du Code de procédure pénale, de faire citer le témoin devant les premiers juges, ne saurait dès lors faire grief à la cour d'appel d'avoir, par des motifs exempts d'insuffisance, refusé l'audition de ce témoin conformément à l'article 513 du même Code ;

Qu'ainsi le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a, en méconnaissance des dispositions de l'article 593, alinéa 2 du Code de procédure pénale, omis de se prononcer sur la demande de la partie civile tendant à ordonner une expertise" ;

Attendu que, s'il est exact que la cour d'appel n'a pas répondu à la demande d'expertise présentée à titre subsidiaire par la partie civile, elle l'a nécessairement écartée, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'opportunité d'ordonner des mesures d'instruction, en se prononçant sur le fond ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 174 de l'ancien Code pénal et 432-10 du nouveau Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite du chef de concussion ;

"aux motifs que Françoise X..., Georges Even et Jean Z... s'expliquent sur des points qu'ils ont précisément arrêtés dans la prise en compte des appareils en stock. Ils indiquent qu'il n'ont pas usé du raisonnement simpliste qui leur est prêté par Claude B..., mais qu'ils ont rapproché le montant annuel des amortissements, en valeurs en stock, le montant des achats déclarés et les preuves apportées par le contribuable sur le nombre et la valeur des appareils mis en exploitation directe. Ils exposent que c'est sur ces bases qu'ils ont opéré leurs déductions de la valeur des appareils considérés comme "achats vendus".

Un tel mode de raisonnement est logiquement fondé, sous réserve de preuve contraire. Le fait que les agents des impôts tiennent compte par ailleurs de remise en exploitation directe d'un certain nombre d'appareils ne contredit pas, mais renforce au contraire, le raisonnement de base, car la mise en exploitation directe peut parfaitement être compatible avec des ventes en fin de période, d'une part, et, d'autre part, doit laisser trace en immobilisations ou amortissements ;

"alors que, d'une part, après avoir rappelé le principe selon lequel la chose jugée par la juridiction administrative sur le plan fiscal comme la chose jugée sur le plan pénal en matière de fraude fiscale ne s'imposent pas au juge pénal saisi de faits distincts, la cour d'appel a cependant cru pouvoir se fonder sur la circonstance que les éléments d'évaluation arrêtés par les agents des impôts dans le cadre de la reconstitution du chiffre d'affaires de Claude B... avaient été soumis au juge administratif qui n'avait pas sanctionné l'irrégularité en la forme, dans la procédure de redressement, ni admis les contestations du contribuable, au fond, sur le montant des impositions fraudées, pour en déduire que force est de constater que l'erreur alléguée n'était pas manifeste et qu'il ne peut être parlé d'abus de pouvoir dans une procédure de redressement soumise à l'examen des deux ordres de juridiction qui n'ont pas relevé de manquements à la procédure, et que, dès lors même dans l'hypothèse où une erreur aurait été commise par les agents des Impôts, rien ne permet de postuler qu'elle ait été commise volontairement ou maintenue de mauvaise foi et que de ce fait elle constitue une violation des fonctionnaires en cause à leur devoir de probité ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui s'est fondée pour relaxer les prévenus du chef de concussion sur l'autorité de la chose jugée des décisions du juge de l'impôt et du juge pénal statuant en matière de fraude fiscale, sans même analyser le contenu de ces décisions, a méconnu le principe liminairement et exactement énoncé par elle ;

"alors que, d'autre part, il se déduit des termes tant de l'article 174 de l'ancien Code pénal que de l'article 432-10 du nouveau Code pénal qu'en matière de concussion la mauvaise foi consiste dans la connaissance par la personne dépositaire de l'autorité publique que les sommes demandées par elle ne sont pas dues ou excèdent ce qui est dû, et qu'en écartant la mauvaise foi des prévenus, agents de la direction générale des impôts, en se référant à l'argument selon lequel le raisonnement dont ils se prévalaient dans leurs redressements était "logiquement fondé", la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le point -qui est essentiel- de savoir s'ils avaient connaissance de ce que leurs redressements avaient pour conséquence l'exigence par l'administration fiscale de sommes excédant ce qui était dû par le contribuable, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

"alors qu'enfin, un motif inintelligible équivaut à une absence de motifs ;

que la constatation opérée par la cour d'appel précédemment rappelée, qui s'avère inintelligible, prive la décision de toute base légale" ;

Attendu que, pour confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la partie civile fondées sur le délit de concussion, l'arrêt attaqué retient notamment qu'à supposer qu'une erreur ait été commise dans la vérification fiscale entreprise contre le demandeur, "force est de constater que l'erreur alléguée n'était pas manifeste, et qu'il ne peut être parlé, comme le fait Claude B..., d'abus de pouvoir, dans une procédure de redressement soumise à l'examen de deux ordres de juridiction, qui n'ont pas relevé de manquement à la procédure", et qu'en conséquence "rien ne permet de postuler qu'une telle erreur ait été commise volontairement, ou maintenue de mauvaise foi" ;

Qu'il ajoute, après avoir analysé les conditions dans lesquelles ont été opérés les redressements, que "le mode de raisonnement des agents des impôts était fondé en raison, ce qui est exclusif de la mauvaise foi caractéristique du délit de concussion" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et abstraction faite d'un motif erroné relatif à l'absence d'autorité de chose jugée, en matière de concussion, des décisions des juridictions administratives ayant statué sur la régularité de la procédure d'imposition et sur le bien-fondé des impôts mis à la charge du demandeur, les juges du second degré, en se prononçant sur l'absence d'intention coupable des prévenus par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction, ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 472 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir relaxé les prévenus des fins de la poursuite a confirmé la décision des premiers juges condamnant la partie civile à leur verser des dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile ;

"alors qu'il se déduit des termes de l'article 472 du Code de procédure pénale que la partie civile qui a mis en mouvement l'action publique ne peut être condamnée à des dommages-intérêts que s'il est constaté qu'elle a agi de mauvaise foi ou témérairement ;

que la citation délivrée aux prévenus par Claude B... visait l'article 174 de l'ancien Code pénal et incriminait dès lors le fait pour des fonctionnaires publics, officiers publics ou percepteurs de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir des contributions ou taxes en sachant que les sommes demandées excèdent ce qui est dû, et que l'arrêt qui, non seulement n'a pas constaté que Claude B... ait agi de mauvaise foi ou témérairement, mais encore a admis expressément l'existence d'une erreur commise par les prévenus au détriment du contribuable qu'est Claude B..., a par là -même constaté que la partie civile ne pouvait qu'être de bonne foi, en sorte qu'en allouant des dommages-intérêts aux prévenus pour abus de constitution de partie civile, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale" ;

Attendu que, pour condamner le demandeur à des réparations civiles envers les prévenus par application de l'article 472 du Code de procédure pénale, la cour d'appel énonce, par adoption des motifs des premiers juges, que "l'action de B... vis-à -vis des prévenus constitue un abus manifeste de constitution de partie civile à l'égard de fonctionnaires irréprochables qui n'ont fait qu'exécuter les obligations qui leur incombaient en raison de leurs fonctions et dont les décisions ont été ratifiées par les plus hautes juridictions" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où se déduisent la mauvaise foi et la témérité de Claude B..., l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs du moyen, qui ne pourra qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;