CA Nîmes, 2e ch. com. B, 23 juillet 2013, n° 12/02583
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Scoop (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Filhouse
Conseillers :
M. Bertrand, M. Gagnaux
Avocats :
SCP Curat Jarricot, Me Prigent, SCP Pericchi, Me Chastel, Me Leroy, Me Pomies Richaud
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu l'assignation délivrée le 24 mars 2011 à Mme Patricia Bodin épouse Jourd'hui et à la SNC (société en nom collectif) Scoop, établie à Mazan (84380) où elle exploite un fonds de commerce de vente de tabac et presse, devant le tribunal de commerce d'Avignon, par M. Christian de la Torre, gérant de la SNC Scoop, qui sollicitait notamment, au visa de l'article 1844-7, 5° du code civil :
- la dissolution judiciaire de la SNC Scoop,
- la nomination d'un liquidateur afin de procéder à la liquidation de cette société et accomplir toutes les formalités légales afférentes,
- l'autorisation pour le liquidateur de poursuivre les affaires en cours et en engager de nouvelles pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la reddition des comptes,
- la condamnation de Mme Jourd'hui, seule autre associée avec lui dans cette société, à lui payer une somme de 2.000,00 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Vu la décision contradictoire en date du 16 mars 2012, de cette juridiction qui a, notamment, au visa de l'article 1844-7 du code civil :
- prononcé la dissolution anticipée et la liquidation de la SARL SNC Scoop, dont le siège social est sis [...], immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Avignon sous le n° 383 562 212,
- désigné la SELARL Bauland, Gladel et Martinez, à Avignon, prise en la personne de Me Carole Martinez, en qualité de liquidateur amiable, avec tous pouvoirs pour représenter gérer la SNC Scoop, et avec pour mission, notamment :
* de faire signifier aux parties le jugement,
* d'accomplir les formalités de publicité de sa désignation, notamment au registre du commerce et des sociétés d'Avignon,
* de se faire communiquer tous les éléments comptables et administratifs,
* de poursuivre les affaires en cours et d'en engager de nouvelles pour les besoins de la liquidation et ce jusqu'à la reddition des comptes,
* de procéder aux opérations de liquidation de la SNC Scoop jusqu'à leur terme,
- dit que cette mission était fixée à six mois renouvelables une fois sur demande du tribunal,
- dit qu'il appartiendrait au liquidateur de rendre compte au tribunal de toutes difficultés rencontrées à l'occasion de sa mission,
- fixé à la somme de 3.000,00 € le montant de la rémunération du liquidateur, à la charge de la SNC Scoop, ou à défaut d'actif suffisant, avancée par M. Christian de la Torre ou tout autre intéressé, et ce dans le délai d'un mois du jugement,
- dit que tous les frais liés aux formalités à effectuer auprès du registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce d'Avignon seraient pris en charge par la SNC Scoop, ou à défaut par M. Christian de la Torre ou tout autre intéressé,
- débouté M. Christian de la Torre de toutes ses autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens seraient supportés par moitié par M. de la Torre et par moitié par Mme Jourd'hui,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- rejeté tous autres moyens, fins et conclusions contraires ;
Vu l'appel de cette décision interjeté le 11 juin 2012 par Mme Patricia Bodin épouse Jourd'hui ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 11 septembre 2012 et signifiées à ses adversaires le même jour, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, dans lesquelles Mme Patricia Bodin épouse Jourd'hui, sollicite notamment :
- le rejet de la demande de dissolution présentée par M. de la Torre,
- à titre reconventionnel la condamnation de M. de la Torre à lui payer une somme de 154.000,00 € à titre de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, lui reprochant d'avoir laissé péricliter le commerce exploité par la société et de l'avoir ainsi privée du retour qu'elle était en droit d'escompter sur son investissement initial, à savoir la valeur des parts,
- la condamnation de M. Christian de la Torre au paiement de la somme de 5.000,00 € pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 19 octobre 2012 et signifiées à ses adversaires le même jour, auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées, dans lesquelles M. Christian de la Torre, demande notamment la confirmation de la décision entreprise, le rejet des demandes de Mme Jourd'hui et la condamnation de Mme Patricia Bodin épouse Jourd'hui à lui payer une somme de 5.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 13 novembre 2012 et signifiées à ses adversaires le même jour, dans lesquelles la SELARL Bauland, Gladel et Martinez, agissant en sa qualité d'administrateur judiciaire et de liquidateur amiable de la SNC Scoop, déclare s'en rapporter à justice sur l'appel interjeté ;
Vu la signification de la déclaration d'appel délivrée le 2 août 2013, à personne habilitée, à la SNC Scoop, laquelle est représentée en appel par son liquidateur amiable, la SELARL Bauland, Gladel et Martinez;
Vu la communication de l'affaire au procureur général près la cour d'appel de Nîmes qui l'a visée sans avis le 18 février 2013 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 18 avril 2013 et les écritures des parties auxquelles il y a lieu de se référer pour une plus ample relation des faits, de la procédure et des moyens de celles-ci ;
SUR CE :
SUR LA PROCÉDURE :
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est ni contestée ni contestable au vu des pièces produites ;
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Attendu qu'il ressort des conclusions des parties, communes sur ce point, qu'après la création en commun de la société en nom collectif Scoop, chargée d'exploiter un fonds de commerce de vente de tabac, presse et bimbeloterie à Mazan, le 22 novembre 1991 pour une durée de 99 ans et avec un capital social de 3.048,98 €, Mme Patricia Bodin, épouse Jourd'hui, associée à hauteur de 98 des 200 parts sociales avec M. Christian de la Torre, seul gérant statutaire et associé à hauteur de 102 parts sociales, a souhaité quitter la société dès le 5 janvier 1992, invoquant un problème de santé ;
Que depuis lors les parties sont en litige quant au rachat des parts sociales détenues par Mme Jourd'hui, notamment quant à la valeur de celle-ci, ce qui a donné lieu à plusieurs décisions de justice depuis un jugement du tribunal de grande instance de Carpentras en date du 27 mai 1997 (pièce n°4) jusqu'à un arrêt de la cour d'appel de Nîmes en date du 4 décembre 2008 (pièce n°10) ;
Que M. de la Torre, seul gérant statutaire et associé majoritaire, gère seul la SNC Scoop, conformément aux dispositions de l'article L.221-4 du code de commerce et aux statuts lui conférant de très larges pouvoirs (pièce n°1) ; qu'ainsi hormis la modification des statuts eux-mêmes, la souscription d'un emprunt supérieur à la somme de 500.000,00 F (76.224,51 €), la vente du fonds de commerce, la décision d'accorder une participation aux bénéfices, l'achat ou la vente d'immeubles, la souscription d'une hypothèque ou d'un nantissement sur les biens sociaux, ainsi que la dissolution, qui requièrent l'unanimité, le gérant majoritaire en parts sociales peut accomplir seul tous les actes de gestion de la société (articles 9 et 20 des statuts) ;
Que chaque associé ait aussi la possibilité d'abonder la trésorerie de la SNC Scoop par des avances en compte courant (article 11), ce que M. de la Torre déclare avoir fait ;
Que le gérant ne justifie pas ni même n'allègue une paralysie du fonctionnement de celle-ci jusqu'au 25 juin 2010, nonobstant la disparition, incontestée par les parties, de tout 'affectio societatis' depuis de nombreuses années ; qu'ainsi il convient de constater que la mésentente entre les deux associés n'a nullement entraîné la paralysie du fonctionnement de la SNC Scoop pendant plus de 18 ans ;
Que pour solliciter la dissolution anticipée de la société, en application de l'article 1844-7 du code civil, M. de la Torre invoque la mésentente entre associés, qui a conduit Mme Patricia Jourd'hui à rejeter la validation de ses comptes de gestion, par courrier, lors de l'assemblée générale ordinaire du 25 juin 2010, puis à refuser une augmentation de capital qu'il proposait, lors de l'assemblée générale extraordinaire tenue le même jour, à laquelle elle n'a pas participé ;
Que M. de la Torre invoque l'irrégularité de ces votes, les statuts exigeant que l'associé soit présent ou représenté à l'assemblée générale, ce qui n'était pas le cas de Mme Jourd'hui ;
Mais attendu que les statuts sociaux prévoient (article 13) la possibilité pour le gérant, en application de l'article L.221-6 du code de commerce, de consulter par écrit les autres associés sans tenir d'assemblée générale, sauf lorsqu'un associé demande au gérant la réunion d'une assemblée générale par lettre recommandée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ;
Que l'approbation des comptes sociaux ne requière que la majorité simple du capital social, que détient M. de la Torre, seul (article 16 des statuts) et qu'il ressort d'ailleurs des procès-verbaux des assemblées générales ordinaires tenues le 25 juin 2010 (pièce n°26) et le 5 janvier 2011 (pièce n°4) en l'absence de Mme Jourd'hui, que toutes les résolutions d'approbation des comptes et de la gestion ont été adoptées régulièrement ;
Que M. de la Torre n'a pas, au vu des pièces produites, tenu une seule assemblée générale dont les résolutions n'ont pu être adoptées du fait de la carence de l'autre associée, pendant 18 ans, de 1992 à 2010 ; que, comme l'indique Mme Jourd'hui, il était prévisible pour lui que celle-ci ne viendrait pas pour des raisons économiques à une assemblée générale extraordinaire tenue à Avignon (84000), dans le cabinet d'un avocat choisi par le gérant, Me Mireille Reynaud, alors qu'elle demeure à Saintes (17100) et n'avait pas la possibilité pratique de s'y faire représenter conformément aux statuts, par son conjoint, demeurant comme elle à Saintes, ou un autre associé, faute d'autre associé que M. de la Torre ;
Que l'expression par écrit de sa position en qualité d'associé de la SNC Scoop sur les propositions du gérant (pièces n°15 et 16), même si elle n'est pas juridiquement valable en ce cas, traduit toutefois le fait qu'elle ne se désintéresse pas de la vie sociale, contrairement à ce que soutient le gérant et qu'une décision régulière pouvait être prise si une consultation écrite avait été sollicitée, plutôt que la réunion d'assemblées générales, non réclamées par un associé par lettre recommandée ;
Que le recours à une consultation écrite sur les questions débattues aux assemblées générales extraordinaires de la SNC Scoop tenues le 25 juin 2010 et le 5 janvier 2011, demeure possible et qu'il n'est donc pas justifié d'une paralysie du fonctionnement social de ce fait ; que par ailleurs, sur le fond, le fait pour une associée minoritaire de refuser une augmentation de capital proposée par l'autre associé, majoritaire en parts sociales, entraînant une augmentation substantielle de son propre engagement financier, ne peut être considéré en soi comme caractérisant une paralysie du fonctionnement de la société, sauf à justifier de circonstances particulières tenant notamment au caractère impératif de procéder à une telle augmentation pour la continuation de la société ;
Que M. de la Torre soutienne dans ses conclusions que cette augmentation de capital de la SNC Scoop, fixée à 57.911,00 €, (dont 1.862 nouvelles parts sociales à 15,24 € soit 28.376,00 € devant être payées par Mme Jourd'hui), était nécessaire pour faire face à l'endettement apparaissant au bilan arrêté au 30 septembre 2009 mais ne verse pourtant pas ce bilan comptable aux débats ;
Que M. de la Torre invoque aussi l'absence de Mme Jourd'hui aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la SNC Scoop tenues le 5 janvier 2011, contenant la proposition d'une dissolution amiable de la société, lui-même, âgé de 63 ans, désirant prendre bientôt sa retraite professionnelle mais entendant liquider d'abord la société exploitant le fonds de commerce ; que Mme Jourd'hui n'a en effet pas participé ni été représentée à ces assemblées générales pour lesquelles elle avait été convoquée ; qu'elle ne pouvait pas valablement faire connaître sa position par écrit, ainsi qu'exposé ci-dessus ;
Mais attendu que, là encore, compte-tenu de la situation géographique des parties, de nature à entraîner l'absence de Mme Jourd'hui, M. de la Torre avait et a toujours la possibilité de solliciter une consultation écrite de l'autre associée sur ces questions, conformément aux statuts, ce qu'il n'a pas fait ;
Qu'il ressorte des éléments susvisés que le fonctionnement de la SNC Scoop n'a nullement été paralysé par la mésentente existante entre les associés et le comportement de Mme Jourd'hui ; qu'au contraire le gérant a eu volontairement recours à un formalisme particulier dans la gestion de la SNC Scoop depuis juin 2010 dans le but avéré de provoquer une situation sociale dont il pourrait se targuer pour obtenir la dissolution judiciaire de la société, contre le gré de l'unique autre associée ;
Qu'il convient donc, infirmant le jugement déféré, de débouter M. de la Torre de sa demande de dissolution judiciaire anticipée de la SNC Scoop ;
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE :
Attendu que, comme en première instance, Mme Jourd'hui sollicite la condamnation à titre reconventionnel de M. de la Torre à lui payer une somme de 154.000,00 € à titre de dommages et intérêts ; qu'ainsi qu'elle le relève dans ses conclusions le tribunal de commerce d'Avignon a effectivement omis de statuer sur sa demande ; qu'en effet, la formule générale de rejet de tous autres moyens, fins et conclusions des parties figurant dans le dispositif ne peut valoir décision sur cette demande, en l'absence de toute désignation de celle-ci dans le dispositif du jugement et de tout motif s'y rapportant ; qu'il convient donc de le faire dans le cadre de l'appel dévolu à cette cour ;
Qu'elle fonde son action sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, invoquant la faute du gérant qui aurait volontairement provoqué la ruine de la SNC Scoop pour éviter de lui payer le prix de ses parts sociales, estimé par elle à la somme de 154.000,00 € ; qu'elle reproche à M. de la Torre de ne pas avoir cédé le fonds de commerce de la société, comme il en avait la possibilité ;
Mais attendu qu'il ne résulte pas des pièces produites, et comme le conteste M. de la Torre dans ses conclusions, que la SNC Scoop ait cessé d'exploiter son fonds de commerce ni qu'elle soit ruinée et dans l'impossibilité de céder le dit fonds de commerce en cas de cessation d'activité de son gérant ; que Mme Jourd'hui est toujours propriétaire des parts sociales de la SNC Scoop, qui n'a pas été liquidée ;
Qu'il s'ensuit qu'il n'est établi, en l'état, ni la faute reprochée à M. de la Torre, consistant à avoir provoqué volontairement la ruine de la SNC Scoop, ni la disparition alléguée du fonds de commerce appartenant à cette société, pas plus en conséquence que la perte de valeur invoquée des parts sociales de Mme Patricia Jourd'hui, qu'elle n'a pas encore cédées, au demeurant ;
Qu'il convient donc de rejeter cette demande de dommages et intérêts ;
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS :
Attendu qu'il y a lieu de condamner M. Christian de la Torre, qui succombe, aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais et honoraires de la SELARL Bauland, Gladel et Martinez, mandataire judiciaire chargée de la liquidation amiable de la SNC Scoop depuis le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 16 mars 2012 ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de Mme Patricia Bodin épouse Jourd'hui comme à celle de M. Christian de la Torre, les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire, après communication au ministère public et en dernier ressort,
Vu les articles 6, 9 et 463 du code de procédure civile,
Vu les articles 1134, 1382 et 1844-7, 5° du code civil,
Vu les articles L.221-4 et L.221-6 du code de commerce,
Reçoit l'appel en la forme,
Infirme le jugement du tribunal de commerce d'Avignon prononcé le 16 mars 2012,
Et statuant à nouveau :
- Déboute M. Christian de la Torre de sa demande de dissolution judiciaire anticipée de la SNC Scoop, dont il est le gérant, ainsi que de celle tendant à la désignation d'un liquidateur amiable,
Y ajoutant,
- Déboute Mme Patricia Jourd'hui de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts dirigée contre M. Christian de la Torre,
Condamne M. Christian de la Torre, aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais et honoraires de la SELARL Bauland, Gladel et Martinez, pour sa mission de liquidateur amiable de la SNC Scoop ;
Rejette toutes autres demandes des parties ;
Autorise la S.C.P. CURAT-JARRICOT, avocat, à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.