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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 28 juin 2022, n° 69 /2022

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vergnet (Sté)

Défendeur :

Hydro Construction & Eng. Co. Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocats :

Me Cheviller, Me Fabre, Me de Maria, Me Barradas-Lopez, Me Papadopoulos, Me Della Vittoria

TGI Paris, du 15 janv. 2021, n° 21/00071

15 janvier 2021

I/ FAITS ET PROCÉDURE

1-La société Vergnet est une société de droit français experte en matière d’énergies renouvelables, et notamment d’énergie éolienne (ci-après « la société Vergnet »).

2-La société Hydro Construction & Eng. Co. Ltd est une société éthiopienne spécialisée dans le forage et l’ancrage au sol (ci-après « la société Hydro »).

3-Dans le cadre d’un projet relatif à la construction d’un parc éolien en Ethiopie qui lui a été confié le 9 octobre 2008 par la société Ethiopian Electric Power Corporation, la société Vergnet a, par un contrat signé le 11 décembre 2009, sous-traité le forage des puits nécessaires à l’ancrage des éoliennes à la société Hydro.

4-Un acompte de 40% du prix du contrat a été versé à la société Hydro afin de lui permettre de disposer des fonds pour l’achat des machines et de l’équipement nécessaires à la réalisation de l’ouvrage.

5-En contrepartie, la société Hydro devait fournir une garantie bancaire de restitution d’acompte d’un montant équivalent à cette avance.

6-Le 24 mars 2011, la société Vergnet a unilatéralement procédé à la résiliation de ce contrat, et un contentieux est né entre les parties à la suite du refus de la société Hydro de rembourser l’acompte et des difficultés rencontrées par la société Vergnet pour faire valoir sa garantie.

7-Le 18 avril 2013, la société Hydro a introduit une requête d’arbitrage auprès de la Chambre de commerce internationale (CCI), suspendue le 6 mai 2014 afin que, comme les parties l’avaient contractuellement convenu, le litige soit préalablement soumis à un adjudicateur désigné par la Fédération internationale des ingénieurs-conseils.

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8-Le 20 mai 2016, l’adjudicateur a rendu une décision non-contraignante en faveur de la société Hydro et condamné la société Vergnet au paiement de 1.680.826,06 euros. La société Vergnet a contesté cette décision le 27 mai 2016.

9-Par jugement du 30 aout 2017, le tribunal de commerce d’Orléans a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Vergnet et désigné la SELARL Z Forek en qualité de mandataire judiciaire chargé d’établir la liste des créances, ainsi que la SELARL X en qualité d’administrateur judiciaire ayant pour mission de l’assister. Un plan de redressement sur dix ans a été adopté par jugement du 6 mars 2018.

10-A la suite de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la société Hydro a déclaré par courrier du 16 novembre 2017 entre les mains du mandataire judiciaire une créance chirographaire de 3.811.706,25 euros, à titre principal, ou 1.680.826,06 euros, à titre subsidiaire.

11-Le juge-commissaire a, par décision du 12 septembre 2018, ordonné un sursis à statuer sur cette déclaration de créance dans l’attente d’une décision d’un juge compétent.

12-Le 10 octobre 2018, la société Hydro a sollicité la reprise de la procédure arbitrale CCI.

13-L’arbitre unique a été désigné par la CCI le 28 novembre 2018.

14-Parallèlement, le juge commissaire a, par ordonnance du 2 octobre 2019, prononcé la forclusion de la société Hydro au titre de sa créance déclarée au passif de la société Vergnet faute pour la première d’avoir saisi dans le délai d’un mois la juridiction compétente pour statuer sur sa créance.

15-Par arrêt du 5 novembre 2020, la cour d’appel d’Orléans a infirmé l’ordonnance du juge commissaire du 2 octobre 2019 et débouté la société Vergnet et le mandataire judiciaire de sa demande de constat de la forclusion et renvoyé les parties devant le juge commissaire aux fins de poursuite de la procédure de fixation de la créance de la société Hydro.

16-Par une sentence en date du 27 juillet 2020, l’arbitre unique a confirmé le montant de la créance que la société Hydro détenait vis-à-vis de la société la société Vergnet et condamné cette dernière au paiement d’un montant principal de 1.060.643,76 US$, ainsi qu’à la somme de 475.476 US$ à titre d’intérêts, outre les frais et dépens.

17-Par requête en date du 12 janvier 2021, la société Hydro a sollicité un exequatur « limité à la reconnaissance de la créance de la créance résultant de la sentence arbitrale et sollicité la délivrance d’une expédition revêtue de cette reconnaissance ».

18-Par une ordonnance du 15 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris a, après avoir constaté que « la sentence arbitrale (…) ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à l’ordre public », conféré l’exequatur à cette sentence en la déclarant « exécutoire uniquement en ce qu’elle consacre la créance résultant de la sentence arbitrale ».

19-Se prévalant de cette ordonnance, la société Hydro a sollicité auprès du juge-commissaire la reprise de la procédure de fixation de sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Vergnet le 8 février 2021.

20-Par déclaration du 25 février 2021, la société Vergnet a interjeté un appel contre l’ordonnance d’exequatur.

21-Par conclusions notifiées le 27 avril 2021 et régularisées le 30 mars 2022, les SELARL Z Florek et X, respectivement mandataire et administrateur judiciaires dans la procédure collective à l’encontre de la société Vergnet, ont demandé à la Cour de déclarer recevable et bien fondée leur intervention volontaire dans la présente procédure ainsi que de faire droit aux demandes de la société Vergnet.

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22-La clôture dans le cadre de cette procédure, initialement prévue au 29 mars 2022, a été reportée au 10 mai 2022.

II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES

23-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2022, la société Vergnet S.A. demande à la cour, au visa des articles 1514, 1520 et 1525 du code de procédure civile, 14 et suivants du même code, des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, ainsi que de l’article 6 § 1 de Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, de bien vouloir :

- DIRE la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd irrecevable en ses demandes, fins et conclusions tendant à voir la présente Cour :

« – Constater que la déclaration d’appel de la société Vergnet ne contient aucun des chefs de l’Ordonnance critiqués ;

- Dire n’avoir lieu à statuer en l’absence d’effet dévolutif de l’appel. »

- DÉBOUTER la société Construction & Engineering Co. Ltd de ses demandes, fins et conclusions tendant à voir :

« – Constater que la déclaration d’appel de la société Vergnet ne contient aucun des chefs de l’Ordonnance critiqués ;

- Dire n’avoir lieu à statuer en l’absence d’effet dévolutif de l’appel. »

- SE DÉCLARER saisi de la demande de la société Vergnet tendant à la réformation ou à l’annulation, de l’ordonnance d’exequatur de Monsieur le Président du Tribunal Judiciaire de Paris en date du 15 janvier 2021 qui a déclarée exécutoire une sentence arbitrale finale en date du 27 juillet 2020 ;

- INFIRMER l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 janvier 2021 par le tribunal judicaire de Paris;

Et, statuant à nouveau de :

Engineering Co. Ltd ;

- DÉBOUTER la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd à verser à la société Vergnet S.A., la somme de 50.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

-CONDAMNER la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd aux entiers dépens.

24-Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mars 2022, les SELARL Z Florek et X demandent à la cour, au visa des articles L. 622-20 à L. 622-22, L. 622-28, L. 624-2, L. 626-25, R. 622-20 et R. 624-5 du code de commerce, et des articles 325 et s., 554, 700, 901, 1520 et 1525 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- RECEVOIR les intervenants en leur intervention volontaire,

- CONSTATER le bien-fondé de l’intervention volontaire,

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En conséquence,

Sur l’effet dévolutif :

-DIRE et JUGER la société Hydro irrecevable en sa demande tendant à faire juger que la déclaration d’appel n’aurait pas emporté effet dévolutif,

- Subsidiairement sur ce point, CONSTATER que la déclaration d’appel a bien dévolu l’entier litige, en tout état de cause indivisible, à la Cour,

Sur le fond :

- RECEVOIR la société Vergnet en son appel et faire droit aux demandes de Vergnet tendant à l’infirmation de l’ordonnance du Tribunal Judiciaire de Paris rendue le 15 janvier 2021 et au rejet de la demande d’exequatur présentée par Hydro ;

-INFIRMER l’ordonnance du Tribunal Judiciaire de Paris rendue le 15 janvier 2021.

Statuant à nouveau :

-REJETER la demande d’exequatur de la sentence du 27 juillet 2020 présentée par Hydro ;

-DÉBOUTER la société Hydro de l’ensemble de ses moyens, fins et prétentions ;

-CONDAMNER la société Hydro à verser à chacun des intervenants volontaires ès qualités, la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

-CONDAMNER la société Hydro aux entiers dépens d’appel.

25-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 avril 2022, la société Hydro demande à la cour, au visa des articles 562, 901, 1466, 1514, 1520 et 1525 du code de procédure civile, et de l’ordonnance du 15 janvier 2021, de bien vouloir :

A titre principal :

- DIRE et JUGER recevable la demande de la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd tendant à faire juger que la déclaration d’appel n’a pas emporté d’effet dévolutif ;

- CONSTATER que la déclaration d’appel de la société Vergnet ne contient aucun des chefs de l’Ordonnance critiqués ;

- CONSTATER que l’exception relative au caractère indivisible du litige, fixée à l’article 901 du Code de procédure civil, n’est pas applicable dans la présente affaire ;

- DIRE n’avoir lieu à statuer en l’absence d’effet dévolutif de l’appel.

A titre subsidiaire :

- CONFIRMER l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de Paris ;

A titre infiniment subsidiaire :

- CONFIRMER l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de Paris, mais uniquement en ce qui concerne la reconnaissance du montant principal de la créance de la société Hydro (soit 1.060.643,76 USD) ;

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En tout état de cause :

- REJETER tous les moyens, prétentions et demandes de la société Vergnet et de ses organes de procédure ;

- CONDAMNER solidairement la société Vergnet S.A et les intervenants volontaires à verser à la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd, la somme de 70 000 EUR en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Vergnet S.A aux entiers dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire

26- Les SELARL Z Florek et X, respectivement mandataire et administrateur judiciaires dans la procédure collective ouverte pour la société Vergnet, demandent à ce que leur intervention volontaire soit déclarée recevable sur le fondement de l’article 554 du code de procédure civile, étant précisé qu’elles n’ont ni ne été parties ni mises en cause dans la procédure arbitrale. Elles soutiennent que tant le mandataire judiciaire (article L. 622-20 du code de commerce) que le commissaire à l’exécution du plan (article L. 626-25 dudit code) sont habilités à engager des actions dans l’intérêt collectif des créanciers et font donc valoir l’intérêt des créanciers à ce qu’il soit fait obstacle à l’admission au passif de la créance de la société Hydro qui porterait atteinte à la capacité de la société Vergnet à mettre en œuvre son plan de continuation.

27- La société Hydro ne s’oppose pas à la recevabilité de cette intervention volontaire.

28- La société Vergnet n’a pas conclu sur cette question.

SUR CE,

29-La recevabilité des interventions volontaires des SELARL Z Florek et X ne faisant l’objet d’aucune contestation, il convient d’en prendre acte et de les déclarer recevables.

Sur l’absence d’effet dévolutif de l’appel

30- La société Hydro fait valoir à titre principal que la déclaration d’appel déposée par la société Vergnet le 25 février 2021 omet de mentionner les chefs critiqués du dispositif de l’ordonnance d’exéquatur, exigence requise par les articles 562 et 901 du code de procédure civile, privant ainsi l’appel de tout effet dévolutif.

31-Elle soutient qu’en se contentant de faire référence à un « appel tendant à la réformation ou à l’annulation » de l’ordonnance dans sa déclaration, la société Vergnet a en effet omis d’inclure les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel doit se limiter, et que la Cour n’est par conséquent pas investie du pouvoir d’examiner les demandes des parties.

32-Elle précise en effet que l’ordonnance inclut deux chefs de dispositif puisque le Tribunal judiciaire de Paris a d’abord décidé que la sentence n’était pas contraire à l’ordre public et ensuite jugé qu’il pouvait reconnaître la sentence dans l’ordre juridique français uniquement en ce qu’elle consacre la créance de la société Hydro. Elle considère que ces deux chefs du dispositif de l’ordonnance devaient, en amont, figurer dans la déclaration d’appel de la société Vergnet.

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33-Elle expose qu’en indiquant inexactement, aux termes de sa déclaration, former appel de l’ordonnance « qui a déclarée exécutoire une sentence arbitrale finale en date du 27 juillet 2020 », la société Vergnet a énoncé un chef de jugement qui n’existe pas dans l’ordonnance et ignore ceux qui la composent vraiment.

34-Elle rejette également l’applicabilité à l’espèce de l’exception portant sur le caractère indivisible du litige soulevée par la société Vergnet. Elle rappelle que l’ordonnance contient non pas un mais deux chefs du dispositif, qui au surplus ne correspondent pas à l’objet du litige tranché par la décision.

35-En réponse à l’irrecevabilité soulevée par la société Vergnet, la société Hydro précise qu’elle soulève un moyen exclusivement procédural et que l’article 910-4 du code de procédure civile visant les prétentions au fond, l’irrecevabilité de sa demande au regard de cet article n’est donc pas applicable.

36-En réponse, la société Vergnet et les intervenants volontaires soutiennent que la demande de la société Hydro concernant l’absence d’effet dévolutif, formulée dans ses secondes conclusions, est irrecevable au regard de l’article 910-4 du code de procédure civile aux motifs que la société Hydro fait ainsi valoir une nouvelle prétention et se place donc en violation du principe de concentration des prétentions en cause d’appel.

37-Ils soutiennent ensuite que le dispositif de l’ordonnance d’exequatur ne contient qu’un seul chef, l’autre partie de l’ordonnance (« constatant […] ») relevant de la motivation de l’ordonnance d’exequatur de sorte que l’objet du litige est unique et donc indivisible au sens de l’article 901, 4° du code de procédure civile.

38-Ils ajoutent qu’en tout état de cause, lorsque la déclaration d’appel vise la réformation d’un jugement sans en mentionner les chefs critiqués, l’appel ne risque pas d’être amputé de son effet dévolutif mais plutôt d’être entaché de nullité et qu’il revient alors au demandeur à la nullité de prouver l’incertitude résultant de l’imprécision des chefs critiqués.

SUR CE,

Sur l’irrecevabilité du moyen ;

39-Si, en application de l’article 910-4 du code de procédure civile, « A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond

», cette règle vise les conclusions qui déterminent sur le fond l’objet du litige au sens de l’article 910-1 de ce même code.

40-Tel n’est pas le cas de conclusions qui contiennent un moyen tiré de l’absence d’effet dévolutif.

41-L’irrecevabilité de ce moyen sera en conséquence rejetée.

Sur le bien-fondé du moyen ;

42-En vertu de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel « défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. /La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».

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43-En application de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa version applicable au jour de la déclaration d’appel (décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020) « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :

(…)

4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible (…) ».

44-Il résulte de ces articles lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas.

45-En l’espèce, l’ordonnance d’exequatur en date du 15 janvier 2021 énonce que: « […] Constatant que la sentence arbitrale ci-contre ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à l’ordre public.

La déclarons exécutoire uniquement en ce qu’elle consacre la créance résultant de la sentence arbitrale ».

46-La déclaration d’appel en date du 25 février 2021 comporte les mentions suivantes : « Appel tendant à la réformation ou à l’annulation, selon les moyens qui seront développés dans les conclusions, de l’Ordonnance d’exequatur de Monsieur le Président du Tribunal Judiciaire de Paris en date du 15 janvier 2021 qui a déclarée exécutoire une sentence arbitrale finale en date du 27 juillet 2020 en langue française et anglaise, rendue en Suisse à Genève par le Tribunal arbitral constitué sous l’égide de la Chambre de Commerce Internationale et composé de Monsieur C D arbitre unique, sous le numéro d’Affaire 19408/EMT/GR, conformément au règlement d’arbitrage de la Cour Internationale d’arbitrage de la CCI ».

47-Il convient de relever que si l'« ordonnance d’exequatur » du 15 janvier 2021 ne comporte formellement aucune distinction entre les motifs et le dispositif, la mention selon laquelle le juge constate que « la sentence arbitrale ci-contre ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à l’ordre public » constitue un motif qui a conduit le juge à décider qu’il pouvait conférer l’exequatur à la sentence, quand bien même celle-ci serait limitée « en ce qu’elle consacre la créance résultant de la sentence arbitrale ».

48-Dès lors, la société Vergnet, en mentionnant dans sa déclaration d’appel qu’elle entendait voir réformer l’ordonnance d’exequatur en date du 15 janvier 2021 « qui a déclarée exécutoire une sentence arbitrale finale en date du 27 juillet 2020 », cette déclaration d’appel satisfait aux articles 562 et 901 précités.

49-En l’état de ces éléments, l’irrecevabilité de l’appel sera en conséquence rejetée.

Sur la violation de l’ordre public international (articles 1525 et 1520 5° CPC)

Sur le grief de non-respect du principe de l’arrêt des poursuites individuelles ;

50-La société Vergnet et les intervenants volontaires font valoir qu’une sentence qui condamne un débiteur au paiement d’une créance après l’ouverture d’une procédure collective ne peut faire l’objet ni d’une reconnaissance ni d’une exécution en France en application du principe de l’arrêt des poursuites individuelles posé par l’article L. 622-21 du code de commerce.

51-Ils soutiennent que la reconnaissance ou l’exécution de la Sentence litigieuse, en insérant de facto dans l’ordre juridique français une condamnation d’un débiteur en procédure collective à payer une créance antérieure, et en la rendant opposable audit débiteur, ainsi qu’à la collectivité des créanciers, heurte donc de plein fouet le principe d’ordre public international de l’arrêt des poursuites individuelles.

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52-Ils précisent que la jurisprudence de 2020 de la Cour de cassation invoquée par la société Hydro n’est pas applicable à l’espèce car elle porte sur une sentence arbitrale rendue avant l’ouverture de la procédure collective de telle sorte que lorsqu’elle a été rendue, la sentence ne violait pas le principe d’arrêt des poursuites individuelles en condamnant une partie à payer une certaine somme.

53-Ils ajoutent qu’en condamnant le débiteur au paiement de sa créance en parfaite connaissance du principe de suspension des poursuites, l’arbitre s’est rendu coupable d’une incitation à la fraude au droit français.

54-Ils soutiennent au surplus que le juge de l’exequatur a outrepassé ses pouvoirs en révisant la sentence car l’ordonnance en l’espèce déclare la décision exécutoire et « consacre la créance » qui en résulte et que c’est donc bien la créance qui est reconnue comme exécutoire, revenant ainsi sur le raisonnement de l’arbitre par une disposition déclarative.

55-En réponse, la société Hydro indique que la simple reconnaissance du montant de sa créance établie par la Sentence, sans demande d’exécution, respecte le principe d’arrêt des poursuites individuelles.

56-Elle fait valoir que la décision d’exequatur se limite à la reconnaissance d’une sentence qui constate le montant de la créance et ordonne son paiement et que cette reconnaissance est nécessaire pour permettre au créancier de la société en procédure collective de faire reconnaitre son droit de créance.

57-Elle invoque en ce sens un arrêt de la cour de cassation du 12 novembre 2020, affaire dans laquelle l’exequatur en cause était « réduit » dès lors qu’il était limité à la reconnaissance de la créance dans le seul but de permettre au créancier de faire reconnaître son droit de créance et soutient qu’un exequatur ainsi limité à la reconnaissance de la créance permet de préserver le principe de l’arrêt des poursuites individuelles.

58-En bornant l’exequatur de la sorte, elle affirme que le juge n’a pas modifié les termes de la sentence contrairement à ce que soutient la société Vergnet et que seul l’effet de la sentence a été circonscrit à un exequatur réduit en France, ce qui ne saurait transformer la décision arbitrale en une sentence déclaratoire.

SUR CE,

59-Il résulte de l’article 1520, 5° du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international.

60-L’ordre public international au regard duquel s’opère le contrôle du juge de l’annulation s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international.

61-Le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international ne vise cependant pas à s’assurer que le tribunal arbitral a correctement appliqué des dispositions légales, fussent-elles d’ordre public, mais s’attache vérifier qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation caractérisée de l’ordre public international.

62-A cet égard, le principe d’arrêt ou de suspension des poursuites individuelles en matière de faillite relève de l’ordre public international.

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63-Ce principe interdit, après l’ouverture de la procédure collective, la saisine du tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, sans qu’il se soit soumis, au préalable, à la procédure de vérification des créances.

64-De même, les instances en cours à la date du jugement d’ouverture sont suspendues jusqu’à ce que le créancier ait déclaré sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l’administrateur dûment appelés, mais ne peuvent tendre en tout état de cause qu’à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

65-En l’espèce, il est constant qu’une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société Vergnet par jugement du tribunal de commerce d’Orléans du 30 août 2017 et qu’aux termes de la sentence rendue postérieurement le 27 juillet 2020, l’arbitre unique a prononcé une condamnation de la société Vergnet au paiement au profit de la société Hydrode diverses sommes dont l’origine était antérieure au jugement d’ouverture, étant observé que les organes de la procédure collective n’avaient pas non plus été appelés à intervenir dans l’instance arbitrale.

66-Indépendamment de la question de savoir si au jour de ce jugement, l’instance arbitrale était effectivement en cours alors que le tribunal arbitral n’a été constitué que le 28 novembre 2018, il convient de relever que l’insertion de cette sentence dans l’ordre juridique interne, fût-ce par la seule voie de sa reconnaissance, heurte l’objectif poursuivi par le principe rappelé ci-dessus visant à garantir un caractère collectif et égalitaire de la procédure de redressement judiciaire.

67-En conséquence, la reconnaissance ou l’exécution de cette sentence méconnaît de manière caractérisée l’ordre public international français.

68-Sans qu’il ne soit utile de se prononcer sur les autres moyens soulevés, il convient d’accueillir l’appel et d’infirmer l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 janvier 2021.

Sur les frais et dépens ;

69-Il y a lieu de condamner la société Hydro, partie perdante, aux dépens.

70-En outre, elle doit être condamnée à verser à la société Vergnet, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 20 000 euros.

71-Pour les mêmes motifs, la société Hydro sera condamnée à verser aux Selarl Z Florek et X une somme de 5 000 euros à chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1- Déclare recevable l’intervention volontaire des Selarl Z Florek et X ;

2-Déboute la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd sur l’absence d’effet dévolutif de l’appel ;

3-Infirme l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 janvier 2021 par le tribunal judicaire de Paris;

Cour d’Appel de Paris ARRET DU 28 JUIN 2022 Pôle 5 – Chambre 16 N° RG 21/03765 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFYU- 10ème page

Y ajoutant :

4-Rejette la demande d’exequatur formée par la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd ;

5-Condamne la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd à payer à la société Vergnet S.A., la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

6-Condamne la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd à payer aux Selarl Z Florek et X, à chacune, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

7-Condamne la société Hydro Construction & Engineering Co. Ltd aux dépens.