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Décisions

CJUE, 8e ch., 16 juin 2022, n° C-376/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Zamestnik-ministar na regionalnoto razvitie i blagoustroystvoto i rakovoditel na Upravlyavashtia organ na Operativna programa « Regioni v rastezh » 2014-2020

Défendeur :

Obshtina Razlog

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. N. Jääskinen

Juges :

M. M. Safjan, M. M. Gavalec

Avocat général :

Mme L. Medina

CJUE n° C-376/21

15 juin 2022

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 102 et 104 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1) (ci-après le « règlement no 966/2012 »), ainsi que des articles 160 et 164 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci-après le « règlement financier »).

2 Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant le Zamestnik-ministar na regionalnoto razvitie i blagoustroystvoto i rakovoditel na Upravlyavashtia organ na Operativna programa « Regioni v rastezh » 2014-2020 (vice-ministre du Développement régional et des Travaux publics, en sa qualité de chef de l’autorité de gestion du programme opérationnel « Régions en développement » 2014-2020, ci-après le « ministre ») à l’Obshtina Razlog (commune de Razlog, Bulgarie) au sujet de la décision de ce dernier imposant une correction financière à cette commune en raison de violations de règles relatives, d’une part, à la passation des marchés publics et, d’autre part, à l’utilisation de fonds européens alloués à ladite commune.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 966/2012

3 Intitulé « Principes applicables aux marchés publics », l’article 102 du règlement no 966/2012 prévoyait :

« 1. Tous les marchés publics financés totalement ou partiellement par le budget [de l’Union européenne] respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination.

2. Tous les marchés font l’objet d’une mise en concurrence la plus large, sauf dans les cas de recours à la procédure visée à l’article 104, paragraphe 1, point d).

[...] »

4 Intitulé « Procédures de passation de marché », l’article 104 de ce règlement disposait, à son paragraphe 1 :

« Les procédures de passation de marché pour l’attribution de contrats de concession ou de marchés publics, y compris de contrats-cadres, prennent l’une des formes suivantes :

[...]

d) procédure négociée, y compris sans publication préalable ;

[...] »

5 Intitulé « Pouvoir adjudicateur », l’article 117 dudit règlement disposait, à son paragraphe 1 :

« Les institutions au sens de l’article 2, les agences exécutives et les organismes au sens des articles 208 et 209 sont considérés comme des pouvoirs adjudicateurs pour les marchés attribués pour leur propre compte, sauf lorsqu’ils réalisent leurs achats auprès d’une centrale d’achat. [...]

Ces institutions délèguent, conformément à l’article 65, les pouvoirs nécessaires à l’exercice de la fonction de pouvoir adjudicateur. »

 Le règlement financier

6 Intitulé « Définitions », l’article 2 du règlement financier dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

51. “marché public” : un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs au sens des articles 174 et 178, en vue d’obtenir, contre le paiement d’un prix en tout ou en partie à la charge du budget, la fourniture de biens mobiliers ou immobiliers, l’exécution de travaux ou la prestation de services, comprenant :

[...]

b) les marchés de fournitures ;

[...] »

7 Intitulé « Gestion partagée avec les États membres », l’article 63 de ce règlement prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsque la Commission [européenne] exécute le budget en gestion partagée, les tâches liées à l’exécution budgétaire sont déléguées aux États membres. La Commission et les États membres respectent les principes de bonne gestion financière, de transparence et de non-discrimination et assurent la visibilité de l’action de l’Union lorsqu’ils gèrent les fonds de celle-ci. À cet effet, la Commission et les États membres remplissent leurs obligations respectives de contrôle et d’audit et assument les responsabilités qui en découlent, prévues par le présent règlement. Des dispositions complémentaires sont prévues par la réglementation sectorielle. »

8 Intitulé « Principes applicables aux marchés et champ d’application », l’article 160 dudit règlement dispose :

« 1. Tous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination.

2. Tous les marchés font l’objet d’une mise en concurrence la plus large possible, sauf dans les cas de recours à la procédure visée à l’article 164, paragraphe 1, point d).

[...]

9 Intitulé « Procédures de passation des marchés », l’article 164 du même règlement prévoit :

« 1. Les procédures de passation de marchés pour l’attribution de contrats de concession ou de marchés publics, y compris de contrats-cadres, prennent l’une des formes suivantes :

[...]

d) procédure négociée, y compris sans publication préalable ;

[...]

4. Dans toutes les procédures faisant intervenir une négociation, le pouvoir adjudicateur négocie avec les soumissionnaires l’offre initiale et toutes les offres ultérieures éventuelles, ou des parties de celles-ci, à l’exception de leur offre finale, en vue d’en améliorer le contenu. Les exigences minimales et les critères précisés dans les documents de marché ne font pas l’objet de négociations.

[...] »

10 Intitulé « Pouvoir adjudicateur », l’article 174 du règlement financier dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Les institutions de l’Union, les agences exécutives et les organismes de l’Union visés aux articles 70 et 71 sont considérés comme des pouvoirs adjudicateurs pour les marchés attribués pour leur propre compte, sauf lorsqu’ils réalisent leurs achats auprès d’une centrale d’achat. Les services des institutions de l’Union ne sont pas considérés comme des pouvoirs adjudicateurs lorsqu’ils concluent entre eux des accords au niveau des services. »

 La directive 2014/24

11 Les considérants 2 et 50 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2015/2170 de la Commission, du 24 novembre 2015 (JO 2015, L 307, p. 5) (ci-après la « directive 2014/24 »), énoncent :

« (2) Les marchés publics [...] constituent l’un des instruments fondés sur le marché à utiliser pour parvenir à une croissance intelligente, durable et inclusive, tout en garantissant l’utilisation optimale des fonds publics. À cette fin, les règles de passation des marchés publics adoptées en application de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1)], ainsi que de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114),] devraient être révisées et modernisées pour accroître l’efficacité de la dépense publique [...]

[...]

(50) Compte tenu de ses effets négatifs sur la concurrence, le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché devrait être réservé à des circonstances très exceptionnelles. Ces exceptions devraient se limiter aux cas où une publication n’est pas possible pour des raisons d’extrême urgence résultant d’événements imprévisibles qui ne sont pas imputables au pouvoir adjudicateur ou bien lorsqu’il est clair dès le départ qu’une publication ne susciterait pas plus de concurrence ou n’apporterait pas de meilleurs résultats, en particulier parce qu’il n’existe objectivement qu’un seul opérateur économique capable d’exécuter le marché. Tel est le cas des œuvres d’art, pour lesquelles l’identité de l’artiste détermine en soi le caractère unique et la valeur de l’œuvre d’art. L’exclusivité peut aussi résulter d’autres motifs, mais le recours à la procédure négociée sans publication ne peut être justifié que dans une situation d’exclusivité objective, c’est-à-dire lorsque l’exclusivité n’a pas été créée par le pouvoir adjudicateur lui-même en vue de la passation du marché.

Les pouvoirs adjudicateurs invoquant cette exception devraient en justifier l’absence de solutions de remplacement ou rechange raisonnables telles que le recours à d’autres canaux de distribution, y compris en dehors de l’État membre du pouvoir adjudicateur ou le fait d’envisager des travaux, fournitures ou services ayant une fonction comparable.

Lorsque l’exclusivité est due à des raisons techniques, celles-ci devraient être rigoureusement définies et justifiées au cas par cas. Parmi ces raisons pourraient par exemple figurer la quasi-impossibilité technique, pour un autre opérateur économique, de réaliser les prestations requises, ou la nécessité de recourir à un savoir-faire, des outils ou des moyens spécifiques dont ne dispose qu’un seul opérateur économique. Des raisons techniques peuvent également découler d’exigences spécifiques d’interopérabilité qui doivent être satisfaites pour garantir le fonctionnement des travaux, des fournitures ou des services achetés.

Enfin, une procédure de passation de marché n’est pas utile lorsque les fournitures sont achetées directement sur une bourse des matières premières, notamment les plateformes d’échange de produits de base telles que les bourses de produits agricoles, de matières premières et de produits énergétiques, où la structure d’échange multilatérale réglementée et contrôlée garantit naturellement les prix du marché. »

12 Intitulé « Montant des seuils », l’article 4 de cette directive dispose :

« La présente directive s’applique aux marchés dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est égale ou supérieure aux seuils suivants :

[...]

c) 209 000 [euros] pour les marchés publics de fournitures et de services passés par des pouvoirs adjudicateurs sous-centraux et pour les concours organisés par ceux-ci ; [...]

[...] »

13 Aux termes de l’article 5 de ladite directive, intitulé « Méthodes de calcul de la valeur estimée du marché » :

« 1. Le calcul de la valeur estimée d’un marché est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir adjudicateur, y compris toute forme d’option éventuelle et les éventuelles reconductions des contrats, explicitement mentionnées dans les documents de marché.

[...]

3. Le choix de la méthode pour le calcul de la valeur estimée d’un marché ne peut être effectué avec l’intention de le soustraire à l’application de la présente directive. Un marché ne peut être subdivisé de manière à l’empêcher de relever du champ d’application de la présente directive, sauf si des raisons objectives le justifient.

4. Cette valeur estimée est valable au moment de l’envoi de l’avis d’appel à la concurrence, ou, dans les cas où un tel avis n’est pas prévu, au moment où le pouvoir adjudicateur engage la procédure de passation du marché, par exemple, le cas échéant, en entrant en contact avec les opérateurs économiques au sujet de la passation du marché.

[...] »

14 Intitulé « Principes de la passation de marchés », l’article 18 de la même directive dispose, à son paragraphe 1 :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »

15 Intitulé « Choix de la procédure », l’article 26 de la directive 2014/24 prévoit, à ses paragraphes 4 et 6 :

« 4. Les États membres prévoient que les pouvoirs adjudicateurs peuvent appliquer une procédure concurrentielle avec négociation ou à un dialogue compétitif dans les situations suivantes :

[...]

b) pour les travaux, les fournitures ou les services pour lesquels, en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées. En pareil cas, les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas tenus de publier un avis de marché s’ils incluent dans la procédure tous, et seulement, les soumissionnaires qui satisfont aux critères visés aux articles 57 à 64 et qui, lors de la procédure ouverte ou restreinte antérieure, ont soumis des offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation de marchés.

Sont notamment considérées comme irrégulières les offres qui ne sont pas conformes aux documents de marché, qui sont parvenues tardivement, qui comportent des éléments manifestes de collusion ou de corruption ou que le pouvoir adjudicateur a jugées anormalement basses. Sont notamment considérées comme inacceptables les offres présentées par des soumissionnaires dépourvus des capacités requises ou dont le prix dépasse le budget du pouvoir adjudicateur tel qu’il a été déterminé et établi avant le lancement de la procédure de passation de marché.

[...]

6. Dans certains cas et circonstances expressément visés à l’article 32, les États membres peuvent prévoir que les pouvoirs adjudicateurs peuvent recourir à une procédure négociée sans publication préalable d’un appel à la concurrence. Les États membres n’autorisent pas l’application de cette procédure dans d’autres cas que ceux visés à l’article 32. »

16 Intitulé « Recours à la procédure négociée sans publication préalable », l’article 32 de cette directive dispose, à son paragraphe 2 :

« Il est possible de recourir à la procédure négociée sans publication préalable pour des marchés publics de travaux, de fournitures et de services dans chacun des cas suivants :

a) lorsque aucune offre ou aucune offre appropriée ou aucune demande ou aucune demande appropriée de participation n’a été déposée en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées et qu’un rapport soit communiqué à la Commission, à sa demande.

Une offre n’est pas considérée comme appropriée lorsqu’elle est sans rapport avec le marché parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modifications substantielles, de répondre aux besoins et aux exigences du pouvoir adjudicateur spécifiés dans les documents de marché. Une demande de participation n’est pas considérée comme appropriée lorsque l’opérateur économique concerné doit ou peut être exclu en vertu de l’article 57 ou ne remplit pas les critères de sélection établis par le pouvoir adjudicateur en vertu de l’article 58 ;

[...] »

 Le droit bulgare

 La loi relative aux marchés publics

17 Le zakon za obshtestvenite porachki (loi relative aux marchés publics, DV no 13, du 16 février 2016), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative aux marchés publics »), prévoit, à son article 2 :

« (1) Les marchés publics sont attribués conformément aux principes du traité [FUE], notamment à la libre circulation des marchandises, à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services et à la reconnaissance mutuelle, ainsi qu’aux principes qui en découlent :

1. l’égalité de traitement et la non‑discrimination ;

2. la libre concurrence ;

3. la proportionnalité ;

4. la publicité et la transparence.

(2) Lors de l’attribution de marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs n’ont pas le droit de restreindre la concurrence en prévoyant des conditions ou des exigences qui confèrent un avantage injustifié ou qui limitent indûment la participation d’opérateurs économiques à un marché public et qui ne sont pas liées à l’objet, à la valeur, à la complexité, à la quantité ou au volume du marché. »

18 L’article 18 de cette loi énonce, à ses paragraphes 1, 2 et 7 :

« (1) Les procédures au sens de la présente loi sont :

[...]

8. la négociation sans publication préalable ;

9. la négociation sans invitation préalable à participer ;

10. la négociation sans publication d’un avis de marché ;

[...]

13. la négociation directe.

(2) La procédure ouverte et la mise en concurrence publique sont des procédures dans le cadre desquelles toute personne intéressée peut présenter une offre.

[...]

(7) Dans le cadre des procédures négociées au sens du paragraphe 1, points 8 à 10 et point 13, le pouvoir adjudicateur négocie les clauses contractuelles avec une ou plusieurs personnes bien définies. »

19 Selon l’article 79, paragraphe 1, de ladite loi :

« Les pouvoirs adjudicateurs publics ne peuvent recourir à une procédure négociée sans publication préalable que dans les cas suivants :

1. lorsque, dans le cadre d’une procédure ouverte ou restreinte, aucune offre ou demande de participation n’a été déposée ou lorsque les offres ou les demandes de participation n’étaient pas appropriées, et les conditions initiales du marché ne sont pas substantiellement modifiées ;

[...] »

20 L’article 110 de cette même loi dispose, à son paragraphe 1 :

« Le pouvoir adjudicateur clôture la procédure par une décision motivée, lorsque :

1. aucune offre, demande de participation ou projet concurrentiel n’a été déposé, ou bien lorsqu’aucun participant ne s’est présenté à la négociation ;

2. aucune des offres ou des demandes de participation ne remplissait les conditions de soumission, y compris en ce qui concerne les formes, les modalités et les délais, ou n’étaient appropriées ;

[...] »

21 L’article 182 de la loi relative aux marchés publics prévoit :

« (1) Le pouvoir adjudicateur peut négocier directement avec des personnes déterminées en présence de l’un des motifs prévus à l’article 79, paragraphe 1, points 3 et 5 à 9, ou bien lorsque :

[...]

2. la procédure d’adjudication au moyen d’une mise en concurrence publique a été clôturée au motif qu’aucune offre n’a été déposée ou que les offres déposées étaient inappropriées, et que les conditions initiales n’ont pas été modifiées de manière substantielle ;

[...] »

 La loi sur les Fonds structurels et d’investissement européens

22 L’article 49, paragraphe 2, du zakon za upravlenie na sredstvata ot Evropeyskite strukturni i investitsionni fondove (loi sur la gestion des ressources des Fonds structurels et d’investissement européens, DV no 101, du 22 décembre 2015), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les Fonds structurels et d’investissement européens »), prévoit :

« Pour la désignation d’un contractant chargé de tâches liées à des travaux, services et/ou fournitures de marchandises faisant l’objet d’un marché public au sens de la loi relative aux marchés publics, les règles énoncées dans :

1. la loi relative aux marchés publics, lorsque le bénéficiaire est un pouvoir adjudicateur au sens de ladite loi ;

[...] sont applicables. [...] »

 Le règlement d’application de la loi relative aux marchés publics

23 L’article 64 du pravilnik za prilagane na zakona za obshtestvenite porachki (règlement d’application de la loi relative aux marchés publics, DV no 28, du 8 avril 2016), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Dans la décision de clôture de la procédure visée à l’article 18, paragraphe 1, points 8 à 10 et 13, de la loi relative aux marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs indiquent également les personnes qui seront invitées à participer à la négociation, sauf dans les cas visés à l’article 79, paragraphe 1, points 7 et 8, à l’article 138, paragraphe 1, point 2, à l’article 164, paragraphe 1, points 9 et 10, de [cette] loi [...], ainsi que dans les cas visés à l’article 182, paragraphe 1, point 3, de [ladite] loi [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

24 La commune de Razlog a bénéficié de fonds européens alloués en vue de l’amélioration de l’infrastructure scolaire et de l’enseignement dans le lycée professionnel pour la mécanisation de l’agriculture situé sur son territoire. Dans cette perspective, elle a, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, organisé une procédure de passation de marché avec mise en concurrence publique, ayant pour objet la fourniture de technique, d’équipement et de mobilier pour les besoins de ce lycée.

25 Ce marché était divisé en quatre lots. La seule offre qui a été déposée concernait uniquement le lot no 2, intitulé « Équipement pour le façonnage des métaux ». Le pouvoir adjudicateur ne l’a pas jugée conforme aux conditions du marché, au motif que son montant était plus de deux fois supérieur à la valeur estimée du marché. Le pouvoir adjudicateur a alors constaté le caractère infructueux de cette procédure et l’a close, par une décision du 1er novembre 2017, prise sur le fondement de l’article 110, paragraphe 1, points 1 et 2, de la loi relative aux marchés publics.

26 Par une décision du 1er décembre 2017, le pouvoir adjudicateur a, en vertu de l’article 79, paragraphe 1, point 1, de cette loi, recouru à une procédure négociée sans publication préalable, ayant pour objet la « Fourniture d’équipement pour le façonnage des métaux pour les besoins du lycée professionnel pour la mécanisation de l’agriculture de la ville de Razlog ». La valeur estimée de ce marché, qui reprenait, sans modification, les conditions du marché initialement annoncées pour ce lot, était de 33 917,82 leva bulgares (BGN) hors TVA (environ 17 370 euros). Le choix de ce mode d’attribution aurait été motivé par l’absence d’une offre adéquate pour ce lot dans le cadre de la procédure ouverte antérieure.

27 Dans le cadre de cette procédure négociée sans publication préalable, le pouvoir adjudicateur a invité un seul opérateur économique à participer, en l’occurrence Dikar Konsult OOD, et lui a attribué, par un contrat conclu le 29 décembre 2017, un marché d’une valeur de 33 907 BGN hors TVA (environ 17 365 euros).

28 Ladite procédure négociée sans publication préalable a fait l’objet d’un signalement auprès du ministre. Ce signalement reprochait au pouvoir adjudicateur d’avoir, sans aucune justification, avantagé l’opérateur économique choisi et ainsi éliminé la libre concurrence, en violation des principes visés, notamment, à l’article 160 du règlement financier.

29 Par lettre du 20 mars 2020, le ministre a informé le pouvoir adjudicateur, en sa qualité de bénéficiaire de fonds européens, du signalement reçu et de l’ouverture d’une procédure de fixation d’une correction financière.

30 Le pouvoir adjudicateur a soutenu qu’il lui était loisible de choisir, conformément à l’article 18, paragraphe 7, de la loi relative aux marchés publics, de négocier avec une ou plusieurs personnes déterminées. En outre, la procédure négociée sans publication préalable serait indissociable de la procédure de mise en concurrence publique qui l’a précédée, à laquelle toutes les personnes intéressées ont eu la possibilité de participer. Or, la présentation d’une seule offre, dont le montant dépassait le double de la valeur estimée du marché, démontrerait l’absence d’intérêt à participer à cette procédure, en raison de la faible valeur du marché. La clôture infructueuse de la procédure de mise en concurrence publique aurait ainsi justifié la décision du pouvoir adjudicateur d’adresser une invitation à un seul opérateur économique, dans la procédure négociée sans publication préalable subséquente.

31 Par une décision du 15 avril 2020 (ci-après la « décision du 15 avril 2020 »), le ministre a appliqué au pouvoir adjudicateur une correction financière de 10 % sur les dépenses éligibles au financement par les fonds européens liées au contrat conclu avec Dikar Konsult. Dans cette décision, le ministre contestait les modalités de mise en œuvre de la procédure négociée sans publication préalable. Il ressortirait notamment de l’article 160 du règlement financier que le principe de libre concurrence doit impérativement être respecté dans une procédure de passation de marchés publics. Partant, l’article 79, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux marchés publics ne saurait justifier l’attribution d’un marché en l’absence de toute mise en concurrence, étant donné que, en visant des « personnes » au pluriel, l’article 64, paragraphes 1 et 3, du règlement d’application de cette loi imposerait expressément d’adresser une invitation à participer aux négociations à plusieurs personnes. Ce faisant, en invitant uniquement Dikar Konsult, sans motiver cette décision, le pouvoir adjudicateur aurait accordé un avantage injustifié à cette dernière et limité la participation d’un cercle indéfini d’opérateurs économiques intéressés par le marché.

32 Sur recours du pouvoir adjudicateur, l’Administrativen sad Blagoevgrad (tribunal administratif de Blagoevgrad, Bulgarie) a annulé la décision du 15 avril 2020. Selon cette juridiction, les conditions de déroulement de la procédure négociée sans publication préalable rendent matériellement impossible d’appliquer le principe de garantie de la concurrence sur la base la plus large possible, soit en raison de l’objet spécifique du marché, soit en l’absence de soumission d’offres appropriées. En outre, l’article 18, paragraphe 7, de la loi relative aux marchés publics donnerait expressément la possibilité au pouvoir adjudicateur de négocier les clauses du contrat avec une ou plusieurs personnes déterminées.

33 Saisi d’un pourvoi en cassation par le ministre, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) se demande si un pouvoir adjudicateur viole les principes d’égalité de traitement, de non‑discrimination et de libre concurrence lorsqu’il adresse une invitation à conclure un marché public à un seul opérateur économique, dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable qui, d’une part, est lancée à la suite de la clôture d’une procédure ouverte infructueuse et, d’autre part, reprend, sans les modifier, les conditions initiales du marché, et ce alors même que l’objet du marché ne présente pas une spécificité justifiant de confier son exécution à l’opérateur invité.

34 À cet égard, cette juridiction fait état de divergences parmi les juridictions bulgares, y compris en son sein, quant à l’interprétation de l’article 79, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux marchés publics, lu en combinaison avec l’article 160, paragraphe 2, et l’article 164, paragraphe 1, sous d), du règlement financier. Elle relève, tout d’abord, que, si l’article 160, paragraphe 2, du règlement financier permet, à titre exceptionnel, de déroger au principe de la passation des marchés publics avec la concurrence la plus large possible, cette disposition n’a pas pour effet d’écarter les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination. L’article 164, paragraphe 4, première phrase, du règlement financier se référerait d’ailleurs à des « soumissionnaires » au pluriel.

35 Ensuite, bien que le règlement financier ne s’applique normalement pas aux pouvoirs adjudicateurs nationaux, la juridiction de renvoi estime qu’il conviendrait d’en faire application en l’occurrence, dès lors que la valeur du marché public concerné n’atteint pas le seuil fixé par la directive 2014/24. L’application de l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement financier pourrait être justifiée par l’utilisation de ressources provenant du budget de l’Union.

36 Enfin, la juridiction de renvoi relève que les faits pertinents dans la présente affaire se sont déroulés alors que le règlement no 966/2012 était encore en vigueur, tandis que la décision du 15 avril 2020 aurait été adoptée après l’abrogation de ce règlement et l’entrée en vigueur du règlement financier. En tout état de cause, le contenu de l’article 160 du règlement financier et celui de l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement no 966/2012, qui est applicable au litige au principal, seraient identiques.

37 C’est dans ce contexte que le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement 2018/1046 et l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement no 966/2012 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent également aux pouvoirs adjudicateurs des États membres de l’Union, lorsque les marchés publics qu’ils attribuent sont financés par les ressources des Fonds structurels et d’investissement européens ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non‑discrimination, visés à l’article 160, paragraphe 1, du règlement 2018/1046 et à l’article 102, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent une restriction totale de la concurrence dans le cadre de l’attribution d’un marché public au moyen d’une procédure négociée sans publication préalable lorsque l’objet du marché public ne présente pas de spécificités imposant objectivement qu’il soit exécuté exclusivement par l’opérateur invité ? En particulier, l’article 160, paragraphes 1 et 2, lu en combinaison avec l’article 164, paragraphe 1, sous d), du règlement 2018/1046, et l’article 102, paragraphes 1 et 2, lu en combinaison avec l’article 104, paragraphe 1, sous d), du règlement no 966/2012, doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans la procédure au principal, en vertu de laquelle, après la clôture d’une procédure d’attribution d’un marché public en raison du fait que l’unique offre soumise était inappropriée, le pouvoir adjudicateur peut adresser une invitation à participer à une procédure négociée sans publication préalable à un seul opérateur économique lorsque l’objet du marché public ne présente pas de spécificités imposant objectivement qu’il soit exécuté exclusivement par l’opérateur invité ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

38 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement financier et l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement no 966/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent aux procédures de passation de marchés organisées par les pouvoirs adjudicateurs des États membres, lorsque ces marchés sont financés par des ressources provenant des Fonds structurels et d’investissement européens.

39 Intitulé « Principes applicables aux marchés et champ d’application », l’article 160 du règlement financier dispose, à son paragraphe 1, que « [t]ous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination ». Le paragraphe 2 de cette disposition précise que « [t]ous les marchés font l’objet d’une mise en concurrence la plus large possible, sauf dans les cas de recours à la procédure visée à l’article 164, paragraphe 1, point d) », soit à la procédure négociée, y compris sans publication préalable.

40 Ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, cette première question repose sur la prémisse selon laquelle, bien qu’inapplicable aux pouvoirs adjudicateurs nationaux, le règlement financier pourrait néanmoins pallier l’inapplicabilité de la directive 2014/24 à un marché public dont la valeur n’atteint pas le seuil fixé par cette directive.

41 C’est à juste titre que la juridiction de renvoi relève que le règlement financier est inapplicable aux procédures de passation de marchés organisées par des pouvoirs adjudicateurs des États membres.

42 Il ressort, en effet, de l’article 2, point 51, du règlement financier qu’un « marché public », au sens de ce règlement, désigne « un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs au sens des articles 174 et 178, en vue d’obtenir, contre le paiement d’un prix en tout ou en partie à la charge du budget, la fourniture de biens mobiliers ou immobiliers, l’exécution de travaux ou la prestation de services [...] ».

43 Or, l’article 174 de ce règlement, qui est intitulé « Pouvoir adjudicateur », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, que « [l]es institutions de l’Union, les agences exécutives et les organismes de l’Union visés aux articles 70 et 71 sont considérés comme des pouvoirs adjudicateurs pour les marchés attribués pour leur propre compte, sauf lorsqu’ils réalisent leurs achats auprès d’une centrale d’achat ».

44 Ainsi que l’indique l’annexe II du règlement financier, le libellé de l’article 174 de ce règlement correspond à celui de l’article 117, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, lequel a été abrogé par le règlement financier avec effet au 2 août 2018.

45 Ainsi, la notion de « pouvoir adjudicateur » résultant du règlement no 966/2012 est restée inchangée dans sa substance après l’entrée en vigueur du règlement financier, si bien que cette notion doit être interprétée de la même manière dans le cadre de ces deux règlements.

46 Il ressort ainsi clairement de l’article 174 du règlement financier que la notion de « pouvoir adjudicateur », à laquelle se réfère l’article 2, point 51, de ce règlement, n’inclut, à l’instar de l’article 117 du règlement no 966/2012, que les institutions de l’Union, les agences exécutives et les organismes de l’Union visés aux articles 70 et 71 du règlement financier.

47 Il s’ensuit qu’aucun de ces règlements n’est applicable aux procédures de marchés publics passées par les pouvoirs adjudicateurs des États membres.

48 Par ailleurs, il découle de l’article 63, paragraphe 1, du règlement financier que, lorsque la Commission exécute le budget en gestion partagée, les tâches liées à l’exécution budgétaire sont déléguées aux États membres. Ceux-ci doivent, notamment, respecter les dispositions complémentaires prévues par la réglementation sectorielle. Partant, ainsi que l’a souligné la Commission dans ses observations écrites, l’article 63, paragraphe 1, de ce règlement impose aux États membres, même lorsqu’ils accomplissent des tâches d’exécution budgétaire par voie de marchés publics, financés par des ressources des Fonds structurels et d’investissement européens, d’appliquer non pas le règlement financier, mais leur législation nationale, y compris les dispositions transposant les directives sur la passation des marchés publics.

49 Il apparaît ainsi que, même lorsqu’un marché public est financé par des ressources provenant de Fonds structurels et d’investissement européens, l’obligation pour les pouvoirs adjudicateurs des États membres de respecter les principes fondamentaux de la passation des marchés, que sont les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de transparence et de proportionnalité, ne saurait découler de l’article 160 du règlement financier.

50 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement financier et l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement no 966/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas aux procédures de passation de marchés publics organisées par les pouvoirs adjudicateurs des États membres, même lorsque ces marchés sont financés par des ressources provenant des Fonds structurels et d’investissement européens.

 Sur la seconde question

51 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’une question préjudicielle doit être examinée à la lumière de toutes les dispositions des traités et du droit dérivé susceptibles d’avoir une pertinence par rapport au problème posé (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1985, Mutsch, 137/84, EU:C:1985:335, point 10). La circonstance que la juridiction de renvoi a formulé sa question en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait donc pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1990, SARPP, C‑241/89, EU:C:1990:459, point 8, et du 8 juin 2017, Medisanus, C‑296/15, EU:C:2017:431, point 55).

52 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi se réfère, respectivement, aux articles 160 et 164 du règlement financier ainsi qu’aux articles 102 et 104 du règlement no 966/2012. Or, il découle de la réponse apportée à la première question que ces dispositions sont inapplicables dans la présente affaire.

53 Cela étant, lesdites dispositions, qui énoncent les principes de la passation de marchés publics, ont un objet équivalent à celui de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, dont il résulte également une obligation de respecter les principes fondamentaux de la passation des marchés.

54 Bien que la valeur du marché en cause au principal n’atteigne pas le seuil d’applicabilité de la directive 2014/24 qui est fixé, par son article 4, sous c), à 209 000 euros pour les marchés de fournitures passés par les pouvoirs adjudicateurs sous-centraux, tels que la commune de Razlog, les dispositions de la directive 2014/24 ont été rendues applicables, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national à des situations qui, comme celle du marché en cause au principal, échappent normalement à son champ d’application. Il découle en effet de l’article 49, paragraphe 2, de la loi sur les Fonds structurels et d’investissement européens que la loi relative aux marchés publics, qui a transposé fidèlement dans l’ordre juridique bulgare la directive 2014/24, s’applique à toutes les procédures de passation de marchés publics subventionnés par des Fonds structurels et d’investissement européens, indépendamment de la valeur des marchés.

55 Or, lorsqu’une législation nationale se conforme, de manière directe et inconditionnelle, pour les solutions qu’elle apporte à des situations non couvertes par un acte du droit de l’Union, à celles retenues par cet acte, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que les dispositions reprises dudit acte reçoivent une interprétation uniforme. Cela permet en effet d’éviter des divergences d’interprétation futures et d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles relevant du champ d’application desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, points 36 et 37 ; du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, points 33 et 34, ainsi que du 31 mars 2022, Smetna palata na Republika Bulgaria, C‑195/21, EU:C:2022:239, point 43).

56 Par ailleurs, la seconde question portant sur une procédure négociée sans publication préalable pour des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, il y a lieu de relever que l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2014/24, qui énumère, sous ses points a) à c), « chacun des cas » dans lesquels il est autorisé de recourir à une telle procédure, est pertinent pour la réponse à cette seconde question. Cette énumération est d’ailleurs exhaustive puisque l’article 26, paragraphe 6, de cette directive précise que les États membres ne doivent pas autoriser l’application de la procédure négociée sans publication préalable d’un appel à la concurrence dans d’autres cas que ceux visés à l’article 32 de ladite directive (voir, par analogie, arrêts du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, points 56 et 57, ainsi que du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑275/08, non publié, EU:C:2009:632, point 54).

57 Dans ces conditions, l’article 32, paragraphe 2, sous a), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive, doit être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable, s’adresser à un seul opérateur économique lorsque cette procédure reprend, sans modifications substantielles, les conditions initiales du marché mentionnées dans une procédure ouverte antérieure qui a été close au motif que la seule offre présentée était inappropriée, quand bien même l’objet du marché en cause ne présente objectivement pas de spécificités justifiant de confier exclusivement son exécution à cet opérateur.

58 Aux termes de l’article 32, paragraphe 2, sous a), premier alinéa, de la directive 2014/24, le recours à cette procédure est notamment admis pour des marchés publics de fournitures lorsqu’aucune offre ou aucune offre appropriée n’a été déposée en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées et qu’un rapport soit communiqué à la Commission, à sa demande.

59 Il ressort ainsi clairement du libellé de cette disposition qu’un pouvoir adjudicateur peut recourir à une procédure négociée sans publication préalable dès lors que trois conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, il doit démontrer n’avoir reçu aucune offre ou, à tout le moins, aucune offre appropriée dans le cadre d’une procédure ouverte ou restreinte de marché antérieure qu’il a close pour ce motif. En deuxième lieu, la procédure négociée sans publication préalable subséquente ne doit pas substantiellement modifier les conditions initiales du marché, telles qu’elles apparaissaient dans l’avis de marché publié dans le cadre de la procédure ouverte ou restreinte antérieure. En troisième et dernier lieu, le pouvoir adjudicateur doit être en mesure de communiquer un rapport de situation à la Commission si cette dernière lui en fait la demande.

60 Cette dernière condition n’étant pas en cause dans la présente affaire, il convient de préciser le contenu des deux premières conditions d’application de l’article 32, paragraphe 2, sous a), premier alinéa, de la directive 2014/24.

61 En ce qui concerne la première condition, il ressort de l’article 32, paragraphe 2, sous a), second alinéa, de cette directive qu’une offre n’est pas considérée comme appropriée lorsqu’elle est sans rapport avec le marché parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modifications substantielles, de répondre aux besoins et aux exigences du pouvoir adjudicateur spécifiés dans les documents de marché.

62 Une offre doit en effet être considérée comme inappropriée lorsqu’elle est « inacceptable », au sens de l’article 26, paragraphe 4, sous b), deuxième alinéa, de ladite directive, lequel couvre notamment les procédures concurrentielles avec négociation. Aux termes de cette dernière disposition, sont notamment considérées comme inacceptables les offres présentées par des soumissionnaires dont le prix dépasse le budget du pouvoir adjudicateur tel qu’il a été déterminé et établi avant le lancement de la procédure de passation de marché.

63 Tel est manifestement le cas d’une offre qui, comme celle visée au point 25 du présent arrêt, avait proposé un montant plus de deux fois supérieur à la valeur estimée du marché retenue par le pouvoir adjudicateur.

64 En ce qui concerne la deuxième condition d’application de cette disposition, il semble découler de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de la procédure négociée en cause au principal, le pouvoir adjudicateur n’a pas substantiellement modifié les conditions initiales du marché, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

65 Par ailleurs, ni le considérant 50 ni l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 ne sauraient infirmer cette interprétation littérale de l’article 32, paragraphe 2, sous a), de cette directive.

66 En effet, ainsi qu’il découle de son économie générale, le considérant 50 de la directive 2014/24 vise des hypothèses d’utilisation d’une procédure négociée sans publication préalable qui ne correspondent pas à celle évoquée à l’article 32, paragraphe 2, sous a), de cette directive.

67 En outre, lorsqu’un pouvoir adjudicateur décide de s’adresser à un seul opérateur économique dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable, qui est organisée à la suite de l’échec d’une procédure ouverte ou restreinte et qui reprend, sans modifications substantielles, les conditions qui figuraient initialement dans l’avis de marché publié dans le cadre de la procédure ouverte ou restreinte antérieure, une telle attitude demeure compatible avec les principes de la passation des marchés énoncés à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/24, quand bien même l’objet du marché en cause n’impose pas, objectivement, de s’adresser à cet opérateur. Dans une telle configuration, la procédure ouverte ou restreinte antérieure, d’une part, et la procédure négociée sans publication préalable subséquente, d’autre part, forment en effet un ensemble indissociable, de sorte que la circonstance que les opérateurs économiques potentiellement intéressés par ce marché ont eu l’occasion de se manifester et de faire jouer la concurrence ne saurait être ignorée.

68 Dans ces conditions, les opérateurs économiques qui ont manqué de diligence en ne présentant pas une offre appropriée lors d’une procédure ouverte ou restreinte ne sauraient contraindre, dans le cadre de la procédure négociée sans publication préalable subséquente, le pouvoir adjudicateur à entrer en négociation avec eux. Il leur était en effet loisible de présenter une offre dans le cadre de la procédure ouverte ou restreinte antérieure et, partant, d’y bénéficier pleinement des principes d’égalité, de non-discrimination, de transparence et de proportionnalité.

69 Néanmoins, afin de pouvoir démontrer que le marché en cause n’a pas été conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la directive 2014/24 ou de limiter artificiellement la concurrence, ainsi que le requiert son article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, le pouvoir adjudicateur doit être en mesure de prouver que le prix sur lequel il s’est entendu avec l’adjudicataire correspond au prix du marché et qu’il n’excède pas la valeur estimée du marché, calculée conformément aux prescriptions de l’article 5 de cette directive. Ce faisant, le pouvoir adjudicateur se conforme au principe selon lequel c’est à celui qui entend se prévaloir d’une dérogation prévue à l’article 32 de ladite directive qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant cette dérogation existent effectivement (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 1987, Commission/Italie, 199/85, EU:C:1987:115, point 14, et du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, EU:C:2008:203, point 58).

70 En outre, en établissant que le prix du marché conclu à l’issue de la procédure négociée sans publication préalable correspond au prix du marché, le pouvoir adjudicateur démontre qu’il s’est livré à une utilisation optimale des fonds publics, ainsi que le prévoit le considérant 2 de la même directive, et, partant, qu’aucune irrégularité au sens de la réglementation de l’Union relative aux Fonds structurels et d’investissement européens n’a été commise (voir, par analogie, arrêts du 26 mai 2016, Județul Neamț et Județul Bacău, C‑260/14 et C‑261/14, EU:C:2016:360, point 46, ainsi que du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs, C‑743/18, EU:C:2020:767, point 51).

71 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 32, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable, s’adresser à un seul opérateur économique lorsque cette procédure reprend, sans modification substantielle, les conditions initiales du marché mentionnées dans une procédure ouverte antérieure qui a été close au motif que la seule offre présentée était inappropriée, quand bien même l’objet du marché en cause ne présente objectivement pas de spécificités justifiant de confier exclusivement son exécution à cet opérateur.

 Sur les dépens

72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1) L’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012, et l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas aux procédures de passation de marchés publics organisées par les pouvoirs adjudicateurs des États membres, même lorsque ces marchés sont financés par des ressources provenant des Fonds structurels et d’investissement européens.

2) L’article 32, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2015/2170 de la Commission, du 24 novembre 2015, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, telle que modifiée par le règlement délégué 2015/2170, doit être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable, s’adresser à un seul opérateur économique lorsque cette procédure reprend, sans modification substantielle, les conditions initiales du marché mentionnées dans une procédure ouverte antérieure qui a été close au motif que la seule offre présentée était inappropriée, quand bien même l’objet du marché en cause ne présente objectivement pas de spécificités justifiant de confier exclusivement son exécution à cet opérateur.