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Décisions

Cass. crim., 23 novembre 1995, n° 94-84.184

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Roman

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

SCP Boré et Xavier, SCP Delaporte et Briard

Rouen,ch. corr., du 27 juill. 1994

27 juillet 1994

Attendu qu'il résulte des pièces de procédure qu'Alfred X...- Y... s'est constitué partie civile auprès du juge d'instruction au nom de la société Y... et Z..., dont il est le directeur général, et que seule cette société a conclu devant le tribunal correctionnel et devant la cour d'appel ;

Attendu que, n'étant intervenu qu'en sa qualité de représentant légal de la société, Alfred X...- Y... n'était pas partie à l'instance et, dès lors, n'avait pas qualité pour se pourvoir en cassation à titre personnel ;

Qu'ainsi le pourvoi est irrecevable en ce qui le concerne ;

II. Sur le pourvoi, en ce qu'il est formé au nom de la société Y... et Z... :

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 147 à 150 du Code pénal, 441-1 du nouveau Code pénal, 593, 388 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Pierre A... des fins de la poursuite ;

" aux motifs que, en ajoutant lui-même sur le document qu'il avait signé avec Alfred X...- Y..., la mention du lieu et de la date, éléments non contestés par les parties, ainsi que celle du prix de 13 438 455 francs dont il vient d'être démontré qu'il était parfaitement admis jusqu'à une certaine date par Alfred X...- Y..., Pierre A... n'a pu penser qu'il inscrivait autre chose que ce qui avait été convenu avec la partie civile ; qu'en conséquence l'infraction d'abus de blanc-seing n'est pas constituée ;

" alors que, nul ne pouvant se constituer un titre à soi-même, la fabrication d'un document forgé pour servir de preuve constitue un faux matériel susceptible de porter préjudice à autrui ; qu'il résulte des faits de la prévention que Pierre A... a délibérément ajouté certaines mentions substantielles à une convention passée entre les parties et s'est servi de ce document ainsi " complété " en le produisant en justice dans le but de démontrer l'existence de son titre ; qu'en confirmant cependant la décision de relaxe, la Cour a violé les textes susvisés " ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 407, 147 du Code pénal, 441-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Pierre A... des fins de la poursuite ;

" aux motifs qu'il convient de constater que le document signé le 11 octobre 1989 par Pierre et Alfred A... et Alfred X...- Y... constitue un véritable échange de volonté ; que si le document d'origine ne comporte pas d'indication de prix, il n'en fait pas moins mention d'une manière explicite d'un " détail estimatif " et donne à la lecture le sentiment que le prix convenu peut être connu par la consultation de ce détail estimatif dont le document prévoit la possibilité d'une révision " au cas où le projet serait remanié " ; que par ailleurs il est difficile de dire que la chose, objet de cet échange de volonté, n'est pas connue puisqu'il est indiqué que la convention est signée dans le but d'optimiser les conditions de réalisation des couches de base et de roulement de l'aéroport de Rouen-Boos ; qu'il est difficile à la partie civile de soutenir qu'elle n'a pas eu connaissance du prix, alors que, dès le lendemain de la réunion du 11, M. B... faisait parvenir par télécopie à la société Y... et Z... l'ensemble du détail estimatif des prix, dont le total des postes concernés représente la somme de 13 438 455 francs ; que la preuve n'est pas rapportée que ce document ait suscité des observations ou des protestations de la part de la société Y... et Z... jusqu'au 1er octobre 1990 ; que, dans ces conditions, en ajoutant lui-même, sur le document qu'il avait signé avec Alfred X...- Y..., la mention du lieu et de la date, éléments non contestés par les parties, ainsi que celle du prix de 13 438 455 francs dont il vient d'être démontré qu'il était parfaitement admis jusqu'à une certaine date par Alfred X...- Y..., Pierre A... n'a pu penser qu'il inscrivait autre chose que ce qui avait été convenu avec la partie civile ;

" 1o) alors que, en constatant que le document d'origine ne comportait pas d'indication de prix, mais en estimant cependant que la lecture de ce document donnait le sentiment que le prix convenu pouvait être connu, tout en étant sujet à révision, la Cour a statué par des motifs hypothétiques et contradictoires entachant ainsi sa décision d'un défaut de motifs ;

" 2o) alors que, dans ses conclusions d'appel, la société Y... et Z... faisait valoir qu'un accord n'avait pu intervenir en octobre 1989, dès lors qu'en septembre 1990 la société A..., adressait plusieurs devis estimatifs faisant état de prix différents pour des prestations différentes ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la Cour a violé les textes susvisés " ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 313-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Pierre A... du chef d'escroquerie au jugement ;

" aux motifs qu'" il échet de constater qu'en ajoutant lui-même, sur le document qu'il avait signé avec Alfred X...- Y..., la mention du lieu et de la date, éléments non contestés par les parties, ainsi que celle du prix de 13 438 455 francs dont il vient d'être démontré qu'il était parfaitement admis jusqu'à une certaine date par Alfred Y..., Pierre A... n'a pu penser qu'il inscrivait autre chose que ce qui avait été convenu avec la partie civile " ; qu'en conséquence l'infraction d'abus de blanc-seing n'est pas constituée à l'égard de Pierre A... et que, par là même, celle de tentative d'escroquerie ne peut être retenue ;

" alors que constitue une tentative d'escroquerie le fait, pour une personne, de présenter en justice des documents mensongers, forgés par lui ou sous sa direction et qui, destinés à tromper la religion du juge, sont susceptibles, si la machination n'est pas déjouée, de faire condamner son adversaire à lui payer des sommes qui ne sont pas dues ; qu'il ressort des faits de la prévention que Pierre A... a produit en justice un document forgé par lui dans le but d'obtenir la condamnation de la société Y... et Z... ; qu'en relaxant cependant Pierre A... des fins de la poursuite la Cour a violé les textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt confirmatif attaqué que la société Y... et Z..., ayant adhéré à un groupement d'entreprises en vue de conclure un marché de travaux publics, a pris contact avec la société A... TP pour réaliser une partie des travaux ;

Que, le 11 octobre 1989, à l'issue d'une réunion entre Alfred X...- Y..., directeur général de la société Y... et Z..., et Pierre A..., président du conseil d'administration de la société A... TP, les parties ont signé un document en six exemplaires, non daté, ainsi libellé :

" Dans le but d'optimiser les conditions de réalisation des couches de base et de roulement de l'aéroport de Rouen-Boos, il est convenu ce qui suit : les prix faisant l'objet du détail estimatif pour un montant de... sont arrêtés d'un commun accord et serviront de base au marché définitif du groupement d'entreprises. Les travaux faisant l'objet de ce détail estimatif seront réalisés par l'entreprise A... Au cas où le projet serait remanié, le détail estimatif pourra être revu sur la base même des prix unitaires. Cette convention serait nulle et non avenue au cas où le groupement n'obtiendrait pas le marché " ;

Que, le lendemain, Pierre A... a transmis par télécopie à la société Y... et Z... le détail estimatif des prix, dont le montant total s'élevait à 13 438 455 francs ;

Qu'après attribution du marché à la société Y... et Z..., A... TP lui a adressé, sur sa demande, le 25 septembre 1990, un bordereau quantitatif estimatif comportant trois versions, puis a consenti sur le prix indiqué un rabais de 6 %.

Que, le 30 octobre 1990, Y... et Z... a confié l'exécution des mêmes travaux à une autre société ;

Que A... TP, ayant assigné en référé cette société et Y... et Z..., a produit devant le président du tribunal de commerce le document signé le 11 octobre 1989, complété par la date et par le prix global de 13 438 455 francs ; que Y... et Z... a porté plainte avec constitution de partie civile contre Pierre A... des chefs d'abus de blanc-seing et tentative d'escroquerie au jugement ;

Attendu que, pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt confirmatif attaqué se prononce par les motifs repris au moyen ;

Que les juges retiennent notamment que le document litigieux ne constituait pas une lettre d'intention, comme le soutient la partie civile, mais un contrat par lequel les deux sociétés constataient leur accord sur la chose et sur un prix qui, s'il n'était pas formellement exprimé, résultait du détail estimatif auquel la convention faisait référence ;

Que, dès lors, selon l'arrêt, Pierre A..., en complétant le document par l'indication de la date et du prix global, " n'a pu penser qu'il inscrivait autre chose que ce qui avait été convenu avec la partie civile " ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, notamment en ce qui concerne l'intention du prévenu, et d'où il se déduit que les faits poursuivis n'étaient pas susceptibles d'être qualifiés de faux et usage de faux, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, dès lors, les moyens ne peuvent être accueillis ;

Par ces motifs :

I. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé au nom d'Alfred X...- Y... :

Le déclare IRRECEVABLE ;

II. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé au nom de la société Y... et Z... :

Le REJETTE.