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Décisions

Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-11.692

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rouen, 2e ch. civ., du 9 déc. 1999

9 décembre 1999

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, (Rouen, 9 décembre 1999), que les époux B..., détenteurs de 2880 des 3000 parts composant le capital de la société Evreux Distribution, ont conclu entre janvier 1992 et 1993 avec les autres associés de cette société, MM. C..., D..., E... et F..., les sociétés de Distribution de Menneval, Elbeuf Distribution, L'Aigle Distribution et Caen Distribution, plusieurs conventions notamment, une convention de parrainage avec MM. D... et C..., un pacte de préférence avec la SCA Normande, présidée par M. D..., le 7 octobre 1993, un pacte d'actionnaires autorisant tout actionnaire cédant à proposer ses parts aux autres actionnaires à un prix à déterminer amiablement ou par expertise, un contrat de nantissement des parts détenues par les époux B... en garantie des cautionnements donnés par MM. D... et C... et la SCA Normande lors d'un emprunt contracté en 1993 par la société Evreux Distribution et enfin, le 11 février 1993, une promesse de cession de parts au profit des "parrains", MM. D..., C... et la SCA Normande ; que le 20 juillet 1995, les "parrains" et actionnaires de la société Evreux Distribution ont notifié par acte d'huissier aux futurs acquéreurs des parts des époux B... l'existence du pacte d'actionnaires du 7 octobre 1993 et leur intention de s'en prévaloir ; que le 16 août 1995, les époux B... ont conclu avec la société Ope Intermarché un protocole d'accord prévoyant la cession de leurs parts dans la société Evreux Distribution sous la condition suspensive du remboursement de l'emprunt souscrit par cette société en 1993, lequel remboursement était nécessaire à la mainlevée du nantissement consenti le 25 janvier 1993 ; que le transfert de parts s'est opéré le 4 septembre 1995 ; que sur les 2880 parts, 2870 ont été transférées à la société OPE Intermarché, le restant étant partagé entre MM. Emmanuel B..., X..., Z..., Y... et A... ; que par actes des 9, 12 et 15 janvier 1996, MM. D..., C..., F... et E..., agissant tant en leur nom personnel que pour le compte respectivement des sociétés Elbeuf Distribution, SDM, Caen Distribution et L'Aigle Distribution ont fait assigner en nullité des cessions de parts, la société OPE Intermarché, MM. X..., Y..., Z... et A... ainsi que les époux B... et leur fils Emmanuel ;

que le tribunal, puis la cour d'appel ont accueilli cette demande ;

Sur le premier moyen, des pourvois principal et incident rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement ayant déclaré nulles et de nul effet les cessions d'actions consenties par les époux B... au profit de la société Ope Intermarché, de MM. Emmanuel B..., X..., Y..., Z... et A... et d'avoir rejeté les autres demandes alors, selon le moyen, que l'assignation introductive d'instance avait été délivrée, non par MM. X..., Y..., Z..., A..., mais, notamment contre eux, par MM. D..., C..., F... et E... agissant tant en leur nom personnel que pour le compte, respectivement, des sociétés Elbeuf Distribution, SDM, Caen Distribution et L'Aigle Distribution, et que MM. X..., Y..., Z..., A..., loin de conclure en appel à la confirmation du jugement et de demander à la cour de dire nulles et de nul effet les cessions d'actions consenties à leur profit par les époux B..., concluaient à l'infirmation du jugement et demandaient à la Cour de dire valables ces cessions dont la nullité n'était poursuivie que par MM. D..., C..., F... et E... agissant tant en leur nom personnel que pour le compte, respectivement, des sociétés Elbeuf Distribution, SDM, Caen Distribution et L'Aigle Distribution ; que, dès lors, dénaturant ces actes de procédure, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 1134 du Code civil et 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt confirme le jugement du tribunal qui avait statué sur l'assignation introductive d'instance de MM. D..., F... et C... et des sociétés actionnaires de la société Evreux Distribution en nullité des cessions de parts consenties par les époux B... à la société Ope Intermarché et à MM. Emmanuel B..., X..., Z..., Y... et A... ; qu'il était donc loisible aux demandeurs au pourvoi de présenter la requête prévue à l'article 462 du nouveau Code de procédure civile pour faire rectifier cette simple erreur matérielle attribuant l'assignation introductive d'instance à d'autres personnes ; que le moyen est donc irrecevable ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal pris en ses deux branches et le troisième moyen du pourvoi incident pris en ses deuxième et troisième branches, rédigés en terme identique, sur le deuxième moyen, du pourvoi incident pris en sa deuxième branche et sur le troisième moyen du pourvoi incident pris en ses première et quatrième branches, réunis :

Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / qu'est nulle toute convention qui oblige un actionnaire désireux de céder ses parts à un tiers à faire une offre de vente aux autres actionnaires à un prix à déterminer sans ménager au cédant une faculté de rétractation ; que, dès lors, en déclarant valable le pacte d'actionnaires du 7 octobre 1993 qui oblige tout actionnaire cédant de la société Evreux Distribution à proposer ses parts aux autres actionnaires à un prix à déterminer amiablement ou par expertise sans l'autoriser à rétracter son offre de vente "avant l'acceptation ou le refus exprès ou tacite par le bénéficiaire ", la cour d'appel a violé les articles 1582 et 1583 du Code civil, ensemble les articles 274 et 275 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;

2 / que, contrairement au pacte d'actionnaires du 7 octobre 1993, l'article 12 des statuts de la société Evreux Distribution autorise l'actionnaire cédant à retirer son offre si son projet de cession à un tiers n'a pas été accepté et qu'il n'agrée pas les conditions de la vente à intervenir avec un ou plusieurs des autres actionnaires ; que, dès lors, en énonçant que ledit pacte d'actionnaires n'est pas contraire aux statuts sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

3 / qu'en vertu des articles 274 et 275 de la loi du 24 juillet 1966, sont nulles les clauses d'agrément ou de préemption qui portent une atteinte disproportionnée au principe de libre négociabilité des actions ; que tel est le cas d'une clause qui prévoit que l'actionnaire ne retrouvera sa liberté de céder qu'après un délai de 12 mois après avoir initialisé la procédure de préemption ; que, dès lors, en l'espèce, en ne recherchant pas comme elle y était invitée si la clause litigieuse ne portait pas une atteinte disproportionnée au principe de libre négociabilité des actions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

4 / qu'enfin, en annulant les cessions prétendument faites en violation d'un acte extra statutaire dont la nullité était demandée au motif que les époux B... contestant la validité de leur consentement, alors qu'ils avaient demandé reconventionnellement dans leurs conclusions, la nullité pour violence de cette convention, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

5 / qu'en tout état de cause, en annulant les cessions prétendument faites en violation d'une promesse dont la nullité était demandée, au motif que les époux B... n'avaient engagé aucune procédure contestant la validité de leur consentement, alors qu'ils avaient demandé reconventionnellement dans leurs conclusions, la nullité pour violence de cette convention, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que les conventions entre actionnaires sont valables lorsqu'elles ne sont pas contraires à une règle d'ordre public, à une stipulation impérative des statuts ou à l'intérêt social ; que l'objet du pacte du 7 octobre 1993 en cas de projet de cession à des tiers de l'un des actionnaires est d'instituer une procédure permettant d'accorder la préférence aux autres actionnaires sans porter préjudice à la libre négociabilité des actions à un prix, soit convenu conventionnellement entre les parties, soit, à défaut, déterminé à dire d'expert choisi sur une liste agréée par elles, et n'est pas contraire à une règle d'ordre public, ni aux dispositions statutaires auxquelles le pacte fait expressément référence, en particulier à la clause d'agrément et de préemption régie par l'article 12 des statuts, ni à l'intérêt social ;

qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel qui n'avait pas d'autres recherches à faire, a pu statuer comme elle a fait ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient qu'il n'est justifié d'aucune procédure contestant la validité du consentement des époux B... aux conventions critiquées ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal pris en ses première, deuxième et troisième branches et sur le quatrième moyen du pourvoi incident pris en sa deuxième, troisième et quatrième branches, rédigés en des termes identiques et sur la quatrième branche du troisième moyen du pourvoi principal et la première branche du quatrième moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que l'acte notifié le 19 juillet 1995 aux cocontractants des époux B... par différents actionnaires de la société Evreux Distribution ne contient aucune énonciation manifestant la volonté de ces derniers de faire usage de la procédure de préemption stipulée à leur bénéfice par le pacte d'actionnaires du 7 octobre 1993 ; qu'en considérant néanmoins que cette notification avait informé ses destinataires de l'intention des actionnaires de la société Evreux Distribution de se prévaloir du dit pacte, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

2 / que l'obligation qui, contractée sous condition suspensive, dépend d'un événement futur et incertain ne peut être exécutée qu'après la survenance de cet événement ; que le protocole d'accord du 16 août 1995 ayant été conclu sous condition suspensive du remboursement anticipé du prêt souscrit par la société Evreux Distribution auprès du CEPME, c'est à la date de ce remboursement, auquel était subordonnée la réalisation des cessions projetées, que devait être appréciée la bonne ou mauvaise foi des cocontractants ; qu'en déduisant leur mauvaise foi du fait que, le 16 août 1995, ils avaient signé un protocole d'accord en violation d'une promesse de vente consentie par les époux B..., la cour d'appel a violé l'article 1181 du Code civil ;

3 / qu'en faisant grief à la société Ope Intermarché ainsi qu'aux autres cessionnaires des titres détenus par les époux B... d'avoir méconnu un pacte de préférence conclu avec la SCA Normande, bien que cette société n'ait pas sollicité l'annulation des cessions litigieuses, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant qui prive sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 1142 du Code civil ;

4 / que la violation d'une obligation de faire est sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts et, le cas échéant, par l'annulation de la vente conclue à l'encontre des droits du bénéficiaire, cette annulation étant facultative ; que, dès lors, en considérant que la collusion frauduleuse qu'elle a imputée aux cocontractants du protocole d'accord du 16 août 1995 avait nécessairement pour sanction "la nullité des conventions en résultant", la cour d'appel a violé l'article 1142 du Code civil ;

5 / qu'en vertu de l'article 1142 du Code civil, toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts ;

qu'en l'espèce, ayant constaté que les époux B... avaient rétracté leur consentement à la promesse de cession d'actions et au pacte de préférence entre actionnaires, avant de consentir à la cession des dites actions à un tiers, la cour d'appel ne pouvait pas annuler ladite cession comme faite en violation d'actes qui n'étaient plus susceptibles que d'exécution par équivalent, du fait de la rétractation antérieure du promettant ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une exacte analyse des faits que la cour d'appel a pu décider que la notification faite par huissier aux futurs cessionnaires des parts de la société Evreux Distribution détenues par les époux B... caractérisait l'intention des actionnaires de la société Evreux et notamment celle de M. D..., qui exerçait entre autre les fonctions de président de la SCA Normande, de se prévaloir du pacte de préférence qui avait été conclu entre les actionnaires ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que les cédants et les cessionnaires ont également organisé la disparition des causes du pacte de préférence et de la promesse de cession d'actions nanties au bénéfice des actionnaires "parrains" du mouvement Leclerc, et se sont ensuite prévalus de la caducité des engagements de leur cocontractant sur le fondement de l'absence de cause ; qu'ainsi le remboursement de l'emprunt du CEPME permettant la mainlevée des cautionnements accordée par les "parrains" est stipulé comme condition suspensive de leur engagement d'acquérir, dont la réalisation avant le 31 août a permis à Ope Intermarché de qualifier comme n'ayant plus de cause, à la date de l'exploit introductif d'instance, la promesse de cession d'actions et leur nantissement : qu'à contrario, ils confirment tant la validité de la promesse de cession comme ayant une cause que leur connaissance du nantissement à la date de la signature du protocole et avant l'accomplissement de la condition suspensive, le protocole de cession ayant donc été signé en violation de ladite promesse ;

Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que les époux B... ont procédé à la vente du fonds de commerce appartenant à la société Evreux Distribution, nonobstant l'existence non contestée par eux d'un accord de préférence passé avec SCA Normande, au détriment de l'intérêt de la société, privée de cet actif d'exploitation, puis allégué qu'il n'y avait plus de cause aux différents engagements préférentiels puisqu'il n'y avait plus d'enseigne à exploiter et donc à protéger ;

Attendu, en quatrième lieu, que c'est par une juste appréciation des faits que la cour d'appel a décidé que si la violation des engagements résultant du pacte de préférence et de la promesse de cession d'actions par les époux B... au profit des cessionnaires a créé un préjudice aux bénéficiaires du pacte et de la promesse susceptible d'ouvrir droit à réparation, les faits de la cause établissent de plus une collusion frauduleuse entre les époux B... et les cessionnaires dont la sanction doit être la nullité des conventions en résultant ;

D'où il suit que la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, du pourvoi principal pris en ses deux branches et sur le cinquième moyen du pourvoi incident pris en ses deux branches, rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt, alors selon le moyen :

1 / que le protocole d'accord du 16 août 1995 prévoit la cession des parts détenues par les époux B... non seulement dans la société Evreux Distribution mais également dans la SCI Bonne Mare et la SCI Impasse Jacques Monod ; qu'en prononçant l'annulation de l'ensemble de ces cessions en la considération de conventions qui concernaient la seule société Evreux Distribution, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ;

2 / qu'en toute hypothèse, en ne motivant pas sa décision de prononcer l'annulation des cessions de parts de la SCI Bonne Mare et de la SCI Impasse Jacques Monod, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que les demandeurs au pourvoi aient soutenu devant la cour d'appel les prétentions qu'ils font valoir au soutien du moyen ; que celui-ci, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident pris en ses première et troisième branches :

Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que les époux B... ont demandé la nullité de la promesse de cession d'actions du 11 février 1993, conclue entre eux et MM. C..., D... et F... ; qu'ils se sont fondés notamment sur le vice de violence qui avait altéré leur consentement et sur l'indétermination du prix affectant la promesse de cession d'actions ; qu'en décidant que leur demande était irrecevable car concernant des parties non citées à l'instance, alors que les parties à la promesse dont la nullité était invoquée, étaient toutes parties à la présente instance, la cour d'appel a violé les articles 30 et 31 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en tout état de cause, en annulant les cessions prétendument faites en violation d'une promesse dont la nullité était demandée pour indétermination du prix sans justifier aucunement la validité de cet acte la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la promesse de cession du 12 février 1993 a été élaborée afin de couvrir les cautions données par les trois "parrains" dans le cadre de l'emprunt de 6 000 000 francs contracté par la société Evreux Distribution tandis que les époux B... ne justifient pas y avoir souscrit sous une menace ou seulement une forte pression et qu'aucune procédure contestant la validité de leur consentement n'a été engagée par eux à l'encontre d'aucune des dites conventions ; que l'arrêt retient encore, par motifs propres, que les époux B... reprochaient au groupe Leclerc un montage contractuel contraire à l'ordre public sans qu'aucune des structures du mouvement coopératif conceptrices ou parties aux rapports contractuels critiqués ne soit présente dans la cause, qu'il s'agisse de l'ACD LEC, de la SCA Normande ou du Galec ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.