Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-11.372
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Djikpa
Avocats :
SAS Hannotin Avocats, SCP Foussard et Froger, SCP Piwnica et Molinié, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 21-11.372 et n° A 21-11.676 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2021), de 2010 à 2013, M. [S] était associé majoritaire et gérant de la société civile immobilière et financière Saint-Germain (la SCI), laquelle a acquis le 22 juin 2010 plusieurs lots d'un immeuble en copropriété. En mars 2013, M. [S] a apporté ses parts dans la SCI à une autre société dont il détenait l'intégralité des parts, lesquelles ont ensuite été apportées à la société ING Life Luxembourg.
3. Le 31 décembre 2014, le comptable en charge du pôle du service de recouvrement spécialisé de [Localité 8] Sud-Ouest a mis en recouvrement la somme de 21 419 107,25 euros, due par M. [S] en suite d'un redressement au titre de son imposition sur les revenus des années 2004 à 2010.
4. Les 18 juin 2015 et 5 avril 2016, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] Sud-Ouest, aux droits duquel vient le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de la Direction nationale des vérifications de situation fiscale (DNVSF), a assigné M. [S] et la SCI aux fins de voir constater le caractère fictif de la propriété de la SCI sur les droits et biens immobiliers acquis le 22 juin 2010 et voir déclarer M. [S] véritable propriétaire de ces biens.
5. A l'invitation du tribunal, la société ING Life Luxembourg, devenue la société GB Life Luxembourg, a été assignée en déclaration de jugement commun.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de la SCI et sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi de M. [S]
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi de la SCI
Enoncé du moyen
7. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action du comptable public pour défaut de qualité et capacité à agir, alors :
« 1°/ qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; que tel est le cas lorsque la personne qui agit en justice est, soit elle-même dépourvue de personnalité juridique, soit représentée par une personne dépourvue de personnalité juridique ; que si l'article L. 252 du Livre des procédures fiscales et l'article 1er de l'arrêté du 10 décembre 2015 donnent qualité à agir au comptable chargé d'un pôle de recouvrement spécialisé pour engager ou poursuivre toute procédure visant au recouvrement des créances qu'il a prises en charge, ces textes ne régissent pas la capacité ou le pouvoir d'agir de ce comptable, qui restent soumis aux règles du code de procédure civile ; que dès lors que ce comptable ne peut justifier agir ni en qualité de représentant d'une personne morale ou physique identifiée et ayant la personnalité juridique, ni à titre personnel, ni en tant qu'entité autonome ayant elle-même la personnalité juridique, son action est irrecevable ; qu'en l'espèce, la procédure a été initialement engagée par le comptable responsable du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] Sud-Ouest, puis reprise, par conclusions signifiées le 8 juillet 2016, par la comptable responsable du pôle de recouvrement spécialisé DNVSF (Paris) ; qu'aucune autre indication ne figure sur les différents actes de procédure, ni s'agissant de l'identité de la personne éventuellement représentée par le comptable public, ni s'agissant le cas échéant de l'identité de ce dernier ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer recevable l'action en déclaration de simulation engagée par le comptable public, qu' « en vertu des dispositions des articles L. 252 du livre des procédures fiscales, des arrêtés du 23 juillet 2010 et des 4 avril 2011 et 10 décembre 2015, la personne compétente pour engager ou poursuivre toute procédure visant au recouvrement de l'ensemble des impositions, résultant de l'engagement par la Direction nationale des vérifications de situations fiscales d'une procédure de rectification ou d'une procédure d'imposition d'office, est désignée par l'expression ‘‘le comptable en charge du Pôle de recouvrement spécialisé?'' ou par l'expression ‘‘le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé?'' », et qu'en conséquence « la SCI Saint-Germain est donc mal fondée à prétendre que ces entités seraient dépourvues de la capacité juridique en l'absence de désignation de leur mandant ou de leur propre identité », cependant que ces textes, qui donnent certes au comptable public qualité à agir pour le recouvrement de certaines impositions, ne le dispensent pas de respecter les règles de représentation du code de procédure civile, la cour d'appel a violé lesdits textes, ensemble les articles 32 et 122 du code de procédure civile ;
2°/ que le comptable en charge du pôle de recouvrement spécialisé DNVSF n'a qualité que pour engager ou poursuivre les procédures visant au recouvrement des impositions résultant de l'engagement par la direction nationale des vérifications de situations fiscales d'une procédure de rectification ou d'une procédure d'imposition d'office ; que l'action en déclaration de simulation, qui a pour seul objet de déterminer le périmètre exact des patrimoines des parties concernées, ne peut être assimilée à une action en recouvrement de l'imposition ; qu'en retenant cependant que « l'action en déclaration de simulation exercée par la comptable publique, rentrant dans les compétences dévolues au comptable public chargé du recouvrement d'une créance fiscale, est donc recevable », la cour d'appel a violé les articles L. 252 du Livre des procédures fiscales et 1er de l'arrêt du 10 décembre 2015, ensemble les articles 32 et 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. D'une part, le comptable responsable du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] Sud-Ouest, puis le comptable responsable du pôle de recouvrement spécialisé DNVSF auquel sa compétence a été transférée, étant investis personnellement d'un mandat de représentation de l'Etat pour exercer les actions en justice relatives au recouvrement de l'impôt, en vertu des dispositions des articles L. 252 du livre des procédures fiscales et des arrêtés des 4 avril 2011 et 10 décembre 2015, la cour d'appel a écarté, à bon droit, la fin de non-recevoir tirée de leur défaut de capacité à agir.
9. D'autre part, le comptable public, qui, aux termes de l'article L. 252, alinéa 2, du livre des procédures fiscales, exerce les actions liées directement ou indirectement au recouvrement des créances fiscales, avait qualité pour exercer une action en déclaration de simulation qui tendait, indirectement, au recouvrement des impôts de M. [S].
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi de la SCI et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de M. [S], réunis
Enoncé des moyens
11. Par son troisième moyen, la SCI fait grief à l'arrêt de déclarer M. [S] véritable propriétaire des droits et biens immobiliers acquis par elle suivant acte authentique du 22 juin 2010 et d'ordonner leur réintégration dans le patrimoine de M. [S], alors « que le financement d'une acquisition immobilière par une société civile immobilière peut être réalisé en tout ou partie par des apports en comptes courants de ses associés, sans que cela établisse une quelconque opération de simulation et ce d'autant plus lorsqu'une partie des sommes ainsi apportées est rétrocédée à l'associé qui en a fait l'apport ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour accueillir l'action en déclaration de simulation engagée par le comptable public, a constaté que la SCI Saint Germain a bénéficié de deux prêts consentis par le CIC, et qu'elle a reçu en compte courant des apports de trésorerie de la part de M. [S] à hauteur de 2 921 003,14 euros dont 1 072 919 euros rétrocédés au profit de ce dernier ; qu'en se fondant sur ces éléments pour retenir l'existence d'une simulation, cependant qu'ils relevaient du fonctionnement normal d'une société civile immobilière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1321 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
12. Par son moyen, M. [S] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la simulation ne se présume pas ; qu'il appartient à celui qui invoque une simulation de la prouver ; que la circonstance que l'associé majoritaire d'une SCI ait, par ses apports en compte courant d'associé durant les premières années de la société, permis à la SCI d'acquérir et de rénover un bien immobilier en vue, conformément à son objet social, de le louer, n'est pas de nature à caractériser une simulation, partant la fictivité de la société ; qu'en se bornant à relever, pour dire que M. [S] s'avérait être le véritable propriétaire du bien acquis par la SCI Financière Saint-Germain le 22 juin 2010, que « la partie du prix d'acquisition versée comptant, les échéances du prêt immobilier et les dépenses occasionnées par les travaux d'intérieur, ont été réglées avec les deniers personnels de M. [S] », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser la simulation alléguée et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1321 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1321 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Selon ce texte, les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes et n'ont point d'effet contre les tiers.
14. Pour déclarer M. [S] véritable propriétaire des droits et biens immobiliers acquis par la SCI, l'arrêt retient que les sommes versées sur le compte de la SCI par M. [S] ont permis à celle-ci de régler la partie du prix d'acquisition versée comptant, les deux premières annuités des prêts immobiliers qu'elle avait souscrits pour financer cette acquisition ainsi que les travaux d'intérieur et que le volume des opérations constatées sur le compte de la SCI entre 2010 et 2015 est sans commune mesure avec une activité de location.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à établir que la SCI ne serait pas le véritable acquéreur des biens immobiliers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il : - confirme le jugement ayant déclaré M. [S] véritable propriétaire des droits et biens immobiliers acquis par la société civile immobilière et financière Saint-Germain suivant acte authentique reçu par Me [G] [H] [X] le 22 juin 2010, ordonné en conséquence la réintégration de ces biens et droits immobiliers dans le patrimoine de M. [S] et condamné M. [S] et la société civile immobilière et financière Saint-Germain au paiement à Mme le comptable du Trésor public de la somme de 8 000 euros, - rejette toutes les prétentions de la société civile immobilière et financière Saint-Germain et de M. [S], - condamne in solidum la Société civile immobilière et financière Saint-Germain et M. [S] à payer au comptable, responsable du pôle de recouvrement spécialisé DNVSF la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 11 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.