CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 juillet 2019, n° 18/04464
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
(L) (M)
Défendeur :
SA INFO NETWORK SYSTEMS, SA TELECOM DESIGN
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur David PEYRON
Conseillers :
Mme Isabelle DOUILLET, M. François THOMAS
Avocats :
SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, Me Jean-Marie T., Me Laurence T. B., SEP A. - G.
La Cour rappelle que le 1er août 2005, Laurent M., ingénieur de formation, a été recruté par la société ICARE DEVELOPPEMENT comme responsable de projets, de qualification employé non cadre, ' notamment chargé de développer, rentabiliser et faire évoluer tous les produits de la société ICARE DEVELOPPEMENT, de programmer et d'installer tous types de logiciels, d'en assurer la formation et la maintenance' ; que sa rémunération mensuelle brute était de 2 000 € ;
Qu'antérieurement, le 2 septembre 2004, Thierry B., dirigeant de la société ICARE DEVELOPPEMENT, avait déposé une demande de brevet français ayant pour objet un dispositif portable de détection de chute, permettant la détection, l'alerte et la transmission d'informations relativement à une personne physique qui chuterait, en particulier une personne âgée, qui sera publiée le 3 mars 2006 sous le numéro FR 2 847 727 (ci-après le brevet FR'727) ; que le 18 février 2008, Thierry B. cédera ce brevet FR'727 à la société ICARE DEVELOPPEMENT ;
Que le 15 novembre 2006, Laurent M. a été licencié par la société ICARE DEVELOPPEMENT pour motif économique ;
Qu'il indique avoir poursuivi ses efforts de développement d'un dispositif de détection de chute fiable, sur son temps libre et avec ses propres moyens, jusqu'à déposer, le 18 janvier 2008, une enveloppe Soleau à l'INPI ;
Que le 4 février 2008, il a été embauché par la société TELECOM DESIGN en qualité d'ingénieur développement collège cadre avec pour mission de poursuivre le développement d'un détecteur de chute en vue de son industrialisation ;
Qu'un jugement du 27 février 2008 a placé la société ICARE DEVELOPPEMENT en liquidation judiciaire ; que par ordonnance du 16 avril 2008 le juge commissaire a ordonné la vente de gré à gré des éléments incorporels dépendant de l'actif de cette liquidation judiciaire, comprenant le brevet FR'727, ainsi que les éléments afférents à l'exploitation dudit brevet, en ce compris les logiciels (code source, code binaire, documentations') ainsi que les designs électroniques, prototypes et carte de développement, à la société INFO NETWORK SYSTEMS (ci-après INS), société-mère de la société TELECOM DESIGN ;
Que le 12 janvier 2009, la société INS a déposé un brevet français intitulé 'procédé de détection de chute', publié le 16 juillet 2010 sous le numéro FR 09 50 127 (ci-après le brevet FR'127), désignant comme co-inventeurs Laurent M., ainsi que messieurs M. et M., dirigeants de la société INS, et indiquant la société INS comme titulaire des droits ;
Qu'estimant, d'une part, que ce brevet reprenait les revendications issues de ses travaux personnels, d'autre part, que messieurs M. et M. avaient été désignés co-inventeurs alors qu'ils n'étaient en rien intervenus dans l'invention, Laurent M. a, par acte du 2 mai 2011, fait assigner les sociétés TELECOM DESIGN et INS pour obtenir notamment le transfert à son profit du brevet litigieux ;
Qu'il sera ajouté :
Que les sociétés INS et TELECOM DESIGN ayant opposé qu'il s'agissait d'une invention de mission réalisée pendant que Laurent M. était salarié de la société ICARE DÉVELOPPEMENT, aux droits de laquelle venait la première, tandis que la seconde venait elle-même aux droits de la société INS, en qualité de cessionnaire dudit brevet, Laurent M. a demandé, subsidiairement, le paiement de la rémunération supplémentaire due à ce titre ;
Que les sociétés TELECOM DESIGN et INFO NETWORK SYSTEMS ont interjeté appel du jugement contradictoire rendu le 12 avril 2013 par le tribunal de grande instance de Paris qui a:
Que pour dire que Laurent M. était l'inventeur unique du brevet FR'127 et en ordonner le transfert à son profit, le tribunal a notamment retenu :
Que Laurent M. a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu le 30 juin 2015 par la cour d'appel de Paris qui a :
Que pour statuer ainsi, la cour d'appel a notamment considéré :
Que Laurent M. a saisi la cour d'appel de Paris le 27 février 2018 d'un renvoi après cassation partielle, suite à l'arrêt rendu le 31 janvier 2018 par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui a cassé et annulé l'arrêt mais seulement en ce qu'il a :
Que pour statuer ainsi, la Cour de cassation a notamment considéré :
Que dans leurs dernières conclusions du 12 mars 2019, les sociétés TELECOM DESIGN et INFO NETWORK SYSTEMS demandent à la Cour de :
Statuant sur renvoi de cassation partielle et dans les limites de la saisine,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
Subsidiairement,
A titre infiniment subsidiaire,
Le CONDAMNER aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant les dépens de l'arrêt cassé dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence T.-B. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Que dans ses dernières conclusions du 15 février 2019, Laurent M. demande à la Cour de :
Y ajoutant,
Avant dire-droit,
Sur la redevance indemnitaire, et la perte de chance,
Que l'ordonnance de clôture est du 19 mars 2019
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
I - Sur les limites de la cassation
Considérant, alors que la cassation est partielle, que l'arrêt rendu le 30 juin 2015 par la cour d'appel de Paris est définitif en ce qu'il a :
Qu'il n'y a dès lors plus lieu à statuer de ces chefs ;
Qu'il convient encore d'observer que, dans ses conclusions, Laurent M. ne présente plus de demande subsidiaire en paiement de la rémunération supplémentaire prévue par l'article L.611-7, 1 du code de la propriété intellectuelle ;
II - Sur les brevets faisant l'objet d'une action en revendication
Considérant que le 12 janvier 2009, la société INS a déposé un brevet français intitulé 'Procédé de détection de chute', publié le 16 juillet 2010 sous le numéro FR 09 50127, désignant comme co-inventeurs Laurent M., Éric M. et Philippe M., et indiquant la société INS comme titulaire des droits ;
Considérant que le brevet décrit que chez les personnes âgées, une personne sur trois présente des risques de chute, chaque chute étant susceptible d'engendrer des risques pour la personne et une perte supplémentaire d'autonomie ; qu'il s'agisse d'une personne âgée, handicapée, d'un patient se trouvant se trouvant dans un établissement de santé, en milieu médicalisé ou à domicile, ou d'une personne pouvant être amenée à travailler seule dans des conditions dangereuses, il est donc nécessaire que ladite personne puisse elle-même facilement alerter les secours lors d'un malaise ou d'un quelconque incident ;
Qu'on connaît des dispositifs de l'art antérieur sous forme de médailles, de bracelets ou de ceintures, permettant à leur utilisateur d'envoyer un appel par l'intermédiaire d'une décision volontaire, tel un appui sur un bouton poussoir, en cas de détresse ou de malaise ;
Qu'un inconvénient majeur de ces dispositifs est de nécessiter une action volontaire de l'utilisateur pour déclencher l'envoi du signal d'alerte ; qu'ont alors été développés des dispositifs portés par l'utilisateur, capables de surveiller le comportement d'un utilisateur et d'identifier un mouvement suspect correspondant à une chute pour déclencher automatiquement l'envoi d'un signal d'alerte ;
Que l'élaboration de ces dispositifs de détection de chute s'est heurtée à leur acceptation par leur utilisateur, ce dispositif devant être porté en permanence ; qu'ont ainsi été conçus des systèmes de bracelet se portant à la manière d'une montre ou d'un bijou ; que toutefois, la détection au niveau du poignet est plus difficile car on ne connaît pas la position du tronc de l'utilisateur ; que les dispositifs de l'art antérieur se sont heurtés à des difficultés majeures en positionnant un accéléromètre au niveau du poignet de l'utilisateur, de nombreux mouvements possibles du bras pouvant être interprétés comme une chute et l'inexistence de repère évident et fiable dans l'espace et par rapport au sol à la position du corps, causant des erreurs de détection et le déclenchement de fausses alertes ;
Que pour parer à ces erreurs, d'autres dispositifs antérieurs, tels que celui décrit dans le brevet français FR-2874727, comprennent en plus des moyens de mesure d'autres grandeurs physiques dans le but de chercher à corréler les mesures d'accélération avec d'autres indices tels que la fréquence cardiaque, la tension artérielle, la température corporelle ou même le niveau sonore ambiant ; que pourtant la multiplication des capteurs augmente l'encombrement du dispositif de détection et diminue l'autonomie électrique de ces dispositifs ;
Que l'invention se propose de remédier à ces problèmes en proposant un procédé de détection de chute d'un utilisateur limitant les erreurs de détection et la consommation électrique, des moyens de mesure et de calcul utilisés pour la réalisation d'un dispositif de détection portable en permanence, discret, peu encombrant, peu coûteux et étanche ;
Que pour parvenir à l'invention, le brevet propose un dispositif de détection comprenant un boîtier renfermant des moyens d'alimentation, des moyens de transmission d'un signal d'alerte, d'un accéléromètre et des moyens de traitement des mesures fournies par l'accéléromètre comprenant des moyens de calcul et des moyens de mémorisation, ce procédé étant caractérisé en ce qu'il consiste :
Que la demande décrit ensuite des modes de réalisation préférentiels ;
Considérant que le brevet se compose de 13 revendications :
1. Procédé de détection de chute d'un utilisateur, ledit utilisateur portant un dispositif de détection (10) comprenant un boîtier (12) renfermant des moyens d'alimentation (16), des moyens de transmission d'un signal d'alerte (18), un accéléromètre (20), et des moyens de traitement (22) des mesures fournies par l'accéléromètre comprenant des moyens de calcul (24) et des moyens de mémorisation (26), caractérisé en ce qu'il consiste à classifier le comportement de l'utilisateur à partir d'indicateurs de son activité issus des mesures d'accélération acquises par l'accéléromètre (20) et à différer le déclenchement d'un signal d'alerte afin d'éviter les fausses alertes.
2. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 1, caractérisé en ce qu'il prévoit la réalisation par les moyens de traitement (22) d'une chaîne de traitement des mesures acquises par l'accéléromètre (20) composée des étapes suivantes :
- normalisation des mesures d'accélération en données d'accélération,
- extraction de la composante gravité desdites données,
- transformation et agrégation desdites données en indicateurs, tant qualitatifs que quantitatifs, de l'activité de l'utilisateur,
- classification du comportement de l'utilisateur à l'aide desdits indicateurs,
- déclenchement d'un signal d'alerte en cas d'observation d'un comportement supposé anormal de l'utilisateur.
3. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 2, caractérisé en ce que l'étape d'extraction de la composante gravité desdites données utilise les trois critères suivants simultanément :
- critère de constance du vecteur g : la norme du vecteur g est de 1,
- critère de proximité de la direction de la gravité : le vecteur g à l'instant t+1 est très proche du vecteur g à l'instant t,
- critère de marginalité de l'accélération propre v : l'accélération propre v est transitoire et proche du vecteur nul en moyenne.
4. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 3, caractérisé en ce que l'estimation du vecteur gravité consiste à utiliser une sphère de rayon unitaire discrétisée en plusieurs sommets pour modéliser l'ensemble des directions possibles du vecteur g unitaire, et un calcul stochastique pour déterminer la probabilité portée par chaque somme que le vecteur g se trouve dans la direction indiquée par ce sommet.
5. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 4, caractérisé en ce que la sphère de rayon unitaire est discrétisée à l'aide d'un maillage uniforme ayant recours aux solides platoniciens.
6. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 5, caractérisé en ce que le solide platonicien utilisé est un cube.
7. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon l'une des revendications 4 à 6, caractérisé en ce que l'ensemble des sommets de la sphère discrétisée, ou du solide platonicien utilisé, représente les états d'une chaîne de Markov utilisée au sein d'un modèle de Markov caché, et en ce que les coefficients de la matrice de transition Tf sont fonction de la distance entre deux sommets et la fonction d'émission Em est fonction du vecteur d'accélération propre v déduit en soustrayant le vecteur g désigné par chaque sommet au vecteur accélérométrique observé w.
8. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 7, caractérisé en ce que l'utilisation de la chaîne de Markov fournit une estimation du vecteur gravité g, un indicateur du taux de confiance dans la direction de ce vecteur, et une estimation du vecteur d'accélération propre v.
9. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon l'une des revendications 2 à 8, caractérisé en ce que l'étape de normalisation consiste à appliquer aux mesures d'accélération brutes des offsets et des coefficients de mise à l'échelle afin d'obtenir une représentation desdites mesures sous forme d'un vecteur normalisé en trois dimensions, et en ce qu'un critère utilisé pour déterminer les paramètres de cette normalisation consiste à considérer qu'en l'absence d'accélération propre ou lorsqu'elle est très proche de zéro, et quelle que soit la position du dispositif de détection (10), la norme du vecteur mesuré w, qui est alors sensiblement égal à g, doit être le plus proche possible de un.
10. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon l'une des revendications 8 ou 9, caractérisé en ce que l'étape de transformation et d'agrégation des données d'accélération sur un intervalle de temps donné résulte au moins dans les trois indicateurs suivants :
- la confusion : cet indicateur étant calculé comme étant inversement proportionnel au minimum des taux de confiance dans la direction du vecteur g.
- la dispersion : cet indicateur étant calculé comme la moyenne de la norme des différences des vecteurs d'accélération propres v consécutifs.
- l'activité : cet indicateur est calculé comme la moyenne de la norme des vecteurs d'accélération propres v.
11. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 10, caractérisé en ce que l'étape de classification du comportement de l'utilisateur est implémenté dans les moyens de traitement (22) sous la forme d'un automate de Markov à états cachés dont la partie cachée représente l'état du porteur et la partie observable est fournie par lesdits indicateurs, et en ce qu'une version simplifiée des états, ou classes d'équivalence, possibles du comportement de l'utilisateur sont : un état repos (56), un état actif (58), un état chute (60) et un état d'inconscience (62), portant chacun la probabilité que l'utilisateur se trouve dans cet état.
12. Procédé de détection de chute d'un utilisateur selon la revendication 11, caractérisé en ce qu'il est prévu de déclencher l'envoi d'une alerte à l'aide des moyens de transmission (18) dès que la probabilité de l'état d'inconscience (62) franchit un seuil prédéterminé correspondant à un comportement supposé anormal de l'utilisateur.
13. Dispositif de détection (10) d'une chute d'un utilisateur comprenant un boîtier (12) renfermant des moyens d'alimentation (16), des moyens de transmission d'un signal d'alerte (18), un accéléromètre (20), et des moyens de traitement (22) des mesures fournies par l'accéléromètre comprenant des moyens de calcul (24) et des moyens de mémorisation (26), le procédé de détection de chute selon l'une des revendications précédentes étant implémenté dans lesdits moyens de traitement (22), caractérisé en ce que l'autonomie du dispositif de détection (10) est au moins supérieure à un an avec des moyens d'alimentation (16) fournissant au plus cinq centaines de milliampères-heure.
Considérant que le 11 janvier 2010, la société INS a déposé un brevet européen désignant la France, intitulé 'procédé et dispositif de détection de chute' sous priorité du brevet français FR'127 ; qu'il est définitivement jugé que ce brevet européen, qui a été délivré et publié le 19 octobre 2011 sous le numéro EP 2 207 154 , et qui porte exactement sur la même invention, s'est substitué le 19 juillet 2012 au brevet français FR'127 ;
Que le 9 novembre 2012, la SA INS a cédé ses droits sur ces brevets FR'127 et EP'154 à la SA TELECOM DESIGN, cession inscrite le 9 janvier 2013 au Registre national des brevets ;
Qu'il résulte de ce qui précède que l'invention des brevets FR'127 et EP'154 porte sur un procédé de détection de chute ; que l'art antérieur le plus proche est celui de la demande de brevet FR'727 déposée le 2 septembre 2004 par Thierry B. ; que remédiant aux problèmes rencontrés par cet art antérieur, la revendication principale 1 est caractérisée en ce qu'elle consiste à classifier le comportement de l'utilisateur à partir d'indicateurs de son activité issus des mesures d'accélération acquises par l'accéléromètre et à différer le déclenchement d'un signal d'alerte afin d'éviter les fausses alertes ; que ses revendication dépendantes décrivent des modes de réalisation préférentiels caractérisés ci-dessus ;
III - Sur l'action en revendication des brevets FR'127 et EP'154
Considérant que pour agir en revendication de ces deux brevets, dont il est définitivement jugé qu'il en est l'unique inventeur, Laurent M. soutient en substance, d'une part, qu'il s'agirait non d'une 'invention de salarié' mais d'une 'invention libre', particulièrement en ce que son développement serait postérieur à son licenciement par la société ICARE DEVELOPPEMENT, d'autre part, et en tout état de cause, que les sociétés INS et TELECOM DESIGN, qui n'auraient pas la qualité d'ayant droit de l'employeur, ne seraient pas fondées à lui opposer que l'invention serait une invention de mission leur appartenant au sens de l'article L. 611-7, 1, du code de la propriété intellectuelle ;
Que les sociétés INS et TELECOM DESIGN affirment au contraire que l'invention revendiquée par Laurent M. doit recevoir la qualification d'invention de mission comme ayant été exécutée alors que celui-ci était salarié de la société ICARE DEVELOPPEMENT ; que s'agissant d'un actif incorporel né directement dans le patrimoine de cette société, celle-ci avait la faculté de la céder à la société INS, aucune disposition législative n'interdisant ou ne restreignant une telle cession ;
*
Considérant, ceci étant exposé et au préalable, qu'il sera rappelé que l'arrêt rendu le 30 juin 2015 est définitif en ce qu'il a dit que Laurent M. était l'unique inventeur des brevets FR'127 et EP'154 et en ce qu'il a ordonné en conséquence le retrait des noms d'Éric M. et de Philippe M. en qualité de co-inventeurs ;
*
Considérant, ensuite, et contrairement à ce que soutient Laurent M., que celui-ci ne produit aucun élément de preuve suffisant permettant d'en déduire qu'il aurait développé l'invention revendiquée postérieurement à son licenciement le 15 novembre 2006 par la société ICARE DEVELOPPEMENT ; que l'attestation de ses parents, selon laquelle il a souvent travaillé jour et nuit, week-end compris, ne précise aucunement la date à laquelle ces travaux auraient été effectués, ce témoignage faisant au surplus état du travail sur ce projet chez ICARE DEVELOPPEMENT et chez TELECOM DESIGN mais non sur la période intermédiaire entre ces deux emplois ; que le témoignage de Farid B., chef d'entreprise dont les bureaux étaient mitoyens à ceux de la société ICARE DEVELOPPEMENT, s'il atteste de ce que Laurent M. n'aurait 'jamais cessé de travailler même après son licenciement d'ICARE DEVELOPPEMENT', ne procède que par simple affirmation d'ordre général sans l'étayer par aucun élément objectif précis ; qu'enfin, le dépôt le 18 janvier 2008 par Laurent M. d'une enveloppe Soleau à l'INPI, dont il n'est pas contesté qu'elle contient les caractéristiques des revendications des brevets FR'127 et EP'154, si elle permet de confirmer en tant que de besoin qu'il est l'auteur de cette invention, ne permet pas pour autant d'en déterminer la date ;
Considérant, en sens inverse, d'abord, qu'il ressort suffisamment des éléments de la cause que Laurent M. a été embauché à compter du 1er août 2005 par la société ICARE DEVELOPPEMENT et qu'il y est demeuré jusqu'à son licenciement le 15 novembre 2006 ; que recruté en qualité de 'responsable de projet, de qualification employé non cadre, et de groupe D, seuil 1", son contrat de travail précise qu''à ce titre, il sera notamment chargé de développer, rentabiliser et faire évoluer tous les produits de la société ICARE DEVELOPPEMENT, de programmer et d'installer tout type de logiciel, d'en assurer la formation et la maintenance', et que 'ces fonctions et attributions sont stipulées évolutives au cours de l'exécution du présent contrat' ; que peu après, le 29 septembre 2005, la société ICARE DEVELOPPEMENT a déposé auprès de l'OSEO Anvar Aquitaine une demande d'aide à l'innovation ayant pour objet le recrutement d'un ingénieur chargé de participer au développement du système de télé-assistance médical 'VITALBASE', marque déposée le 14 janvier 2005 par Thierry B. et sous le nom de laquelle celui-ci souhaitait commercialiser les produits issus du brevet FR'727 ; que par convention du 4 janvier 2006, visant expressément le contrat de travail de Laurent M. du 1er août 2005, l'OSEO Anvaraccordait à la société ICARE DEVELOPPEMENT une aide à l'innovation d'un montant de 16 000 € ayant pour objet le recrutement de Laurent M. pour effectuer des tâches de Recherche et Développement ; qu'il est ainsi suffisamment établi que la fonction conférée à Laurent M. ne se limitait pas à la commercialisation du dispositif portable de détection de chute issu du brevet FR'727, mais comportait aussi une composante d'innovation et de Recherche Développement, en d'autres termes une mission inventive ;
Qu'ensuite cet apport inventif de Laurent M., allant au-delà du brevet FR'727, est attesté par le rapport établi par Mikael L., lequel a effectué sous sa direction un stage dans la société ICARE DEVELOPPEMENT entre le mois de juin et le mois d'août 2006 ; qu'il résulte notamment de ce rapport :
- que ce stagiaire a eu pour mission de finaliser le développement d'un algorithme de chute, ainsi que sa validation ;
- que cet algorithme propose un diagnostic de chute à l'aide de capteurs accélérométriques 3 axes localisés au poignet ;
- qu'on cherche à ne détecter que les chutes suivies d'inconscience, pour lesquelles le porteur se trouve dans l'incapacité d'effectuer l'appel volontaire ;
- que par conséquent, l'alerte n'est donnée qu'au bout d'un certain temps après l'événement identifié comme étant une chute probable ;
- que la solution utilise les réseaux de neurones pour la reconnaissance de l'événement chute, ainsi que les chaînes de Markov pour la remise en contexte de la chute par analyse stochastique de l'activité du porteur, permettant ainsi d'éviter les fausses alarmes ;
- que le projet était déjà bien avancé lorsqu'il est arrivé ;
- que la fonction de détection de chute a énormément évolué au cours du stage ;
- qu'on a pu dégager une nouvelle façon de noter les événements observés et ainsi de bien faire la différence entre une chute réelle et des mouvements de la vie quotidienne ;
- que la société ICARE DEVELOPPEMENT, au moment où il a intégré le stage, était en phase finale de développement d'une solution de détection de chute ; que M. M. travaillait dessus depuis octobre 2005 soit 8 mois ;
- que la société ICARE DEVELOPPEMENT comportait trois employés, son gérant, Thierry B., sa comptable et Laurent M., ayant une mission de développeur de la solution de détection de chute ;
- qu'en juillet, 'on' a travaillé ensemble sur la validation finale du produit ;
- que l'extraction de la gravité est effectuée à partir d'un solide de Platon ;
- que ce système est 'breveté' par la société ICARE DEVELOPPEMENT ;
- que pour connaître la position de la gravité on réalise une addition de tous les vecteurs centre > sommet et on obtient la gravité probable, la somme des probabilités des sommets étant égale à 1 ;
- qu'il y a eu de nombreuses évolutions pour tester les différents solides de Platon ; que le dodécaèdre, qui donne des résultats d'une grande fiabilité, est trop gourmand en coût de calcul ; que le tétraèdre est trop imprécis ; que le cube offre des résultats très acceptables pour la précision recherchée ;
- que pour fiabiliser le système de détection de chute, on a décidé d'utiliser un automate mettant en oeuvre une chaîne de Markov cachée, processus stochastique dans lequel la prédiction du futur à partir du présent ne nécessite pas la connaissance du passé ; que cet automate comprend 4 états : repos, actif, chute et inconscient ;
Que la cour observe qu'il ressort notamment de ce rapport, de première part, qu'entre le mois de juin et le mois d'août 2006, Laurent M. a développé au sein de la société ICARE DEVELOPPEMENT une intense activité de recherche développement d'un procédé de bracelet détecteur de chute ; de deuxième part, que cette activité a permis de dégager les principales caractéristiques techniques que l'on retrouve dans les revendications des brevets litigieux : le déclenchement différé d'un signal d'alerte afin d'éviter les fausses alertes (R1), une extraction de la composante gravité consistant à utiliser une sphère de rayon unitaire discrétisée en plusieurs sommets et un calcul stochastique (R2, R3, R4), à l'aide d'un maillage uniforme ayant recours aux solides platoniciens (R5), préférentiellement un cube (R6), dans lesquels l'ensemble des sommets représente les états d'une chaîne de Markov utilisée au sein d'un modèle de Markov caché (R7, R8) où une version simplifiée des états sont un état repos, un état actif, un état chute et un état d'inconscience (R9, R10, R11) ;
Qu'il sera ajouté, d'une part, que la racine carrée retenue dans le jugement comme non mentionnée dans le rapport L. n'apparaît pas non plus dans les revendications du brevet ; d'autre part, que si l'autonomie caractérisant la revendication 13 n'apparaît pas non plus explicitement dans ce rapport, Laurent M. n'établit par aucune pièce que celle-ci aurait été développée postérieurement à son départ d'ICARE DEVELOPPEMENT ;
Qu'enfin, il ressort de ce rapport de stage que l'invention était en phase de validation finale au mois de juillet 2006 ; que si les deux attestations que Mikael L. a fournies à Laurent M., qui sont contradictoires entre elles, ne peuvent qu'être écartées faute de valeur probante dans un sens ou dans un autre, le caractère opérationnel de l'invention à la fin de l'année 2006 résulte notamment de l'attestation de Michel R., gérant de la société Les Études Électroniques, prestataire de services en rapport avec la société Icare Développement pour la réalisation du dispositif, selon lequel les premiers tests positifs permettaient de passer aux premières études d'industrialisation lesquelles n'ont pu intervenir du fait des difficultés financières rencontrées par la société ICARE DEVELOPPEMENT ;
Considérant, en définitive, que Laurent M. succombe à démontrer que l'invention faisant l'objet des brevets FR'127 et EP'154 serait une invention 'libre' dont le développement serait postérieur à son licenciement de la société ICARE DEVELOPPEMENT ; qu'il ressort au contraire de ce qui précède que cette invention a été faite par ce salarié dans l'exécution de son contrat de travail auprès de la société ICARE DEVELOPPEMENT comportant une mission inventive qui correspondait à ses fonctions effectives ;
*
Considérant que Laurent M. soutient ensuite qu'en tout état de cause les sociétés INS et TELECOM DESIGN, qui n'auraient pas la qualité d'ayant droit de l'employeur, ne seraient pas fondées à lui opposer que l'invention serait une invention de mission leur appartenant au sens de l'article L. 611-7, 1, du code de la propriété intellectuelle ;
Considérant cependant, et tout d'abord, alors qu'il a été examiné ci-dessus que cette invention a été faite par Laurent M. dans l'exécution de son contrat de travail comportant une mission inventive qui correspondait à ses fonctions effectives, qu'il découle des dispositions de l'article L. 611-7,1 du code de la propriété intellectuelle que l'invention appartient alors de plein droit à l'employeur, en l'espèce la société ICARE DEVELOPPEMENT et non au salarié inventeur ; que Laurent M. ne justifie pas par quel mécanisme juridique il serait ensuite venu aux droits de la société ICARE DEVELOPPEMENT ; que bien qu'il ne l'invoque pas, la cour ne peut qu'observer que le prononcé de la liquidation judiciaire de cette société et même de sa radiation pour clôture d'actif n'a pu avoir eu pour effet de transférer cet actif incorporel à un ancien salarié au préjudice de la masse des créanciers ; que Laurent M. ne justifie ainsi pas de sa qualité à agir en revendication ;
Considérant, ensuite, que cette invention, même n'ayant pas fait l'objet d'une demande de brevet, constituait un savoir-faire, actif incorporel appartenant à la société ICARE DEVELOPPEMENT ; qu'aucun texte ne l'interdisant ou la restreignant, cette société, ou les organes de la procédure s'y substituant en cas de la procédure collective, avaient la possibilité d'en effectuer la cession ; qu'en l'espèce, la société ICARE DEVELOPPEMENT ayant été placée en liquidation judiciaire, c'est conformément aux dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce, que, sur requête du mandataire liquidateur et par ordonnance du 16 avril 2008, le juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux a ordonné la vente de gré à gré des éléments incorporels dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de la Sarl ICARE DEVELOPPEMENT au profit de la société INS moyennant la somme de 10 000 € ; que ni la requête ni l'ordonnance ne comportant de formule restrictive, cette cession concernait nécessairement l'ensemble des éléments incorporels dépendant de l'actif de la liquidation de cette société, incluant ainsi toute invention même n'ayant pas fait l'objet d'une demande de brevet ; qu'il sera observé, à cet égard, qu'il résulte des courriels échangés courant décembre 2007 entre Philippe M. et Daniel M., antérieurement donc tant à l'embauche de ce dernier le 4 février 2008 par la société TELECOM DESIGN qu'au placement le 27 février 2008 de la société ICARE DEVELOPPEMENT sous liquidation judiciaire, qu'il entrait alors dans les prévisions de ces deux personnes que la société TELECOM DESIGN rachèterait les actions de 'la structure Icare' valorisée sur la base 'du premier et du second brevet (à déposer)', ce second brevet à déposer visant à l'évidence le résultat des travaux examinés ci-dessus effectués par Laurent M. dans la continuité du brevet FR'727 au sein de la société ICARE DEVELOPPEMENT ; qu'ainsi, alors que l'ordonnance du 16 avril 2018 ordonnait la vente de gré à gré des éléments comprenant le brevet FR'727 ainsi que les éléments afférents à l'exploitation dudit brevet, cette dernière formule, encore une fois non limitative, comprenait nécessairement l'invention litigieuse ;
Considérant qu'ayant ainsi acquis régulièrement cette invention de la société ICARE DEVELOPPEMENT, et alors qu'aucun texte n'en interdisait ou en limitait l'exploitation, c'est légitimement que la société INS a successivement déposé une demande de brevet français puis une demande de brevet européen visant la France sous priorité du précédent, lesquels sont devenus les brevets FR'127 et EP'154 ;
Qu'enfin, c'est tout aussi régulièrement que, par contrat du 9 novembre 2012, la société INS a cédé à la société TELECOM DESIGN un ensemble de marques et de brevets, comprenant le brevet FR'727, la demande de brevet FR'127 et le brevet EP'154 ; que le 9 janvier 2013, cette cession a été inscrite au Registre national des brevets ;
Qu'il en découle ainsi que la société TELECOM DESIGN, qui justifie d'une chaîne régulière de droits lui conférant les propriétés de la demande de brevet FR'127 et du brevet EP'154, peu important qu'elle ait ou non la qualité d'ayant droit de l'employeur, est fondée à opposer ces droits de propriété à Daniel M. pour faire échec à son action en revendication portant sur ces deux brevets ;
Que le jugement sera dès lors réformé et Daniel M. débouté de son action en revendication et de ses demandes accessoires de provision et d'expertise ;
IV - Sur les frais et dépens
Considérant que Daniel M. succombe à ce stade de la procédure ; que cependant, alors que la légitimité de son action initiale a été reconnue sur l'atteinte portée à son droit moral sur l'invention, la cour décidera que chacune des parties conservera la charge des dépens et frais irrépétibles afférents à la présente instance d'appel ;
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Statuant dans les limites de la cassation,
Constate que les dispositions de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 30 juin 2015 sont définitives en ce qu'elles ont :
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Déboute Laurent M. de ses demandes en revendication de brevets, de provision et d'expertise,
Dit que chacune des parties conservera ses dépens et frais irrépétibles afférents à la présente instance d'appel.