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Décisions

Cass. crim., 16 janvier 2019, n° 17-85.852

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

M. Valat

Avocat :

SCP Spinosi et Sureau

Bastia, du 20 sept. 2017

20 septembre 2017

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Paul X..., maire de la commune de [...] en Corse-du-Sud, a été poursuivi pour avoir, durant les années 2013 et 2014, frauduleusement altéré la vérité dans des arrêtés de recrutement aux fins de remplacement d'agents titulaires empêchés, documents constituant des écritures publiques, et pour avoir fait usage de ces faux ; que, par jugement du 9 décembre 2016, le tribunal correctionnel, après avoir rejeté la demande de renvoi formée par les avocats de M. X..., a déclaré celui-ci coupable des délits reprochés ; que M. X... a relevé appel principal de cette décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a dit n'y avoir lieu à annulation du jugement et a rejeté les exceptions de procédure ;

"aux motifs que, selon les dispositions de l'article 385, dernier alinéa, du code de procédure pénale, les exceptions de nullité, pour être recevables, doivent être présentées avant toute défense au fond ; qu'il résulte de ce principe, d'une part, que l'exception de nullité doit être présentée en première instance, avant que le prévenu ne s'engage dans sa défense au fond et, d'autre part, qu'une telle exception ne peut être utilement proposée pour la première fois en cause d'appel, après débat au fond devant le tribunal en présence dudit prévenu ou de son avocat ; qu'il est constant que le prévenu n'a pas comparu devant le tribunal correctionnel, que l'avocat qui l'assistait n'a soutenu que la demande de renvoi, et que, subséquemment, aucune exception de procédure n'a été soulevée ; que, le prévenu soutient et fait plaider que la procédure de jugement de première instance est irrégulière pour violation des droits de la défense, du principe du contradictoire et du droit au procès équitable ; qu'il sollicite l'annulation du jugement ; que M. Paul X... a été convoqué, le 9 septembre 2016, par officier de police judiciaire pour comparaître devant le tribunal correctionnel de Bastia à l'audience du 6 décembre 2016, où il n'a pas personnellement comparu, ayant remis un pouvoir de représentation à Maître A..., son avocat ; qu'il est acquis et non contesté, d'une part, que Maître A... a aussitôt reçu copie de la procédure, d'autre part, que Maître B..., second avocat du prévenu constitué le 30 novembre 2016, soit six jours avant l'audience, n'a pu recevoir du greffe copie de la procédure en temps utile, qu'enfin, à l'audience des débats du 6 décembre 2016, ni M. X... ni aucun de ses deux avocats n'étaient présents, ceux-ci étant substitués par Maître C... et Maître D..., alors que madame Paule X..., co-poursuivie, était elle-même représentée par son avocat, Maître E..., substituée par M. le bâtonnier F..., qui ne s'est pas opposé aux demandes de renvoi formées par les avocats de M. X... ; qu'il se déduit de cette chronologie que les délais de l'article 388-4 du code de procédure pénale pour la consultation du dossier et l'obtention d'une copie de la procédure par l'avocat du prévenu, et les dispositions de l'article 390-2 du code de procédure pénale sur le caractère obligatoire du renvoi dans le seul cas d'une convocation délivrée pour une audience située moins de deux mois après sa date, ont été respectés ; que pour les mêmes raisons, les dispositions de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ne peuvent être utilement invoquées ; qu'en effet, Maître A... a reçu copie de la procédure dès la délivrance de la convocation, plus de deux mois avant l'audience ; que le tribunal correctionnel, qui ne pouvait être lié par le choix tardif du prévenu d'un second défenseur, était, dès lors, souverain pour apprécier si le renvoi demandé devait être accordé, y compris au regard du certificat médical établi le 5 décembre 2016 par le médecin de l'un deux, attestant d'un rendez vous pris par l'avocat dans son cabinet, le jour même de l'audience ; que le prévenu et ses avocats, pourtant informés, avant l'audience, par le président de la juridiction que « l'affaire était susceptible d'être retenue», ont donc fait le choix de ne pas se déplacer, alors que le renvoi n'était pas acquis, et qu'il ne pouvait l'être avant l'audience, s'agissant d'une décision qui relève, en toute hypothèse, de la collégialité ; que le tribunal a, par ailleurs, régulièrement motivé le refus du renvoi auquel il a décidé de ne pas procéder ; que cette chronologie et ces éléments étant exclusifs de toute violation des droits de la défense, de toute violation du principe du contradictoire, de toute violation du droit au procès équitable, et de toute violation du droit au double degré de juridiction, la procédure est régulière ; qu'il n'y a donc pas lieu à annulation du jugement ; que les exceptions de nullité, soulevées, en conséquence, pour la première fois en cause d'appel, sont irrecevables ; que le jugement a, à bon droit, et par une juste appréciation des dispositions de l'article 410 du code de procédure pénale, été qualifié de contradictoire à signifier, malgré l'absence du prévenu et de défense au fond assurée par ses avocats ;

"alors que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'il est constant que l'avocat du prévenu, constitué six jours avant l'audience, n'a pas pu recevoir du greffe et en temps utile copie du dossier ; qu'en rejetant l'exception de nullité en relevant que le premier avocat du prévenu avait reçu la convocation plus de deux mois avant l'audience et que le tribunal correctionnel ne peut pas être lié par le choix tardif du prévenu d'un second défenseur, lorsque le principe de liberté de choix de l'avocat autorise le prévenu à changer d'avocat à tout moment et que la demande de renvoi formulée par son nouvel avocat était justifiée par l'absence de communication du dossier avant l'audience, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et le principe de la liberté de choix de l'avocat" ;

Attendu que, pour déclarer la procédure régulière et rejeter la demande d'annulation du jugement, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'il ressort de ses constatations que, d'une part, le tribunal, dont l'appréciation était souveraine, avait régulièrement motivé sa décision sur le rejet de la demande de renvoi présentée, d'autre part, le prévenu ayant été convoqué près de trois mois avant l'audience et son avocat, premier choisi, ayant reçu copie du dossier plus de deux mois avant l'audience, la défense pouvait être assurée, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître les textes légaux et conventionnels invoqués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 441-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré M. X... coupable de faux et usage ;

"aux motifs que pour le faux administratif il n'existe de faux commis dans un document administratif que si la pièce contrefaite ou altérée a pour objet (ou peut avoir pour effet), d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, et si elle est délivrée par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d'accorder une autorisation ; qu'il est établi, et il n'est pas discuté que des arrêtés municipaux de recrutement d‘agents contractuels, qui leur ouvrent le droit de travailler, et justifient leur rémunération, sont des documents délivrés par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d'accorder une autorisation ; que la fausseté des mentions contenues dans les 97 arrêtés pris et signés par le prévenu, en sa qualité de maire de la commune de [...], ne sont pas discutées dans leur matérialité ; que l'enquête a, en effet, démontré que les arrêtés de recrutement visaient non seulement des textes erronés (l'article 3 de la loi 84-53 du 26 janvier 1984, au lieu de l'article 3-1), mais aussi des motifs de remplacement (indisponibilité pour congés annuels ou congés maladie..) erronés, voire fictifs, les agents recrutés ayant, soit travaillé avec ceux qu'ils devaient remplacer, soit été affectés à d'autres tâches et services, la plupart d'entre eux ayant été recrutés, puis mensuellement reconduits, parfois sur plus d'un an, sans aucune corrélation avec quelque indisponibilité de l'agent visé en qualité de « remplacé », les conditions de l'embauche de G... étant, de ce point de vue, particulièrement parlantes à cet égard ; que M. X... a également admis qu'il n'existait dans sa commune, aucun système fiable de gestion de gestion des congés annuels et des congés maladie, précisant faire confiance à ses cadres, au recrutement desquels il a personnellement procédé, s'agissant, a minima, de la directrice des services et du directeur de cabinet) ; qu'il a reconnu malgré tout, signer les arrêtés « sans les lire », ce qu'il a confirmé devant la cour ; que les textes et motifs de remplacement erronés figurant sur les arrêtés à l'origine des recrutements litigieux de contractuels, constituent des dispositions substantielles des dits arrêtés, sans lesquels il ne pouvait procéder seul à l'embauche, seule l'indisponibilité, pour certaines causes et durées spécifiquement prévues lui permettant de le faire ; que s'agissant enfin du préjudice, qui peut être actuel ou éventuel, matériel ou moral, l'établissement, en l'espèce, d'arrêtés municipaux de recrutement de contractuels par le maire, sans réunir le conseil municipal, pour de faux motifs, est générateur d'un préjudice, autant par sa nature, en ce qu'il constitue une offense au sentiment général de confiance que les administrés doivent placer dans les actes établis par leur élu, qu'en pratique, puisqu'il induit une masse salariale qui pèse sur les finances de la commune ; qu'il en résulte que le moyen pris par la défense de l'utilité, selon elle avérée, des recrues auxquelles il a été ainsi procédé, est indifférent à la caractérisation du préjudice ; que par l'élément moral du délit : l'infraction de faux document administratif nécessite que soit non seulement établie une altération frauduleuse de la vérité dans un document délivré par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d'accorder une autorisation, mais aussi, que soit démontrée une intention coupable, qui, en la matière, consiste en la conscience de l'auteur de commettre un faux dans un document, susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques et de causer ainsi un préjudice ; que la seule existence de fausses mentions ou le seul manquement du prévenu à ses obligations professionnelles ne suffisent pas à caractériser son intention frauduleuse ; que le mobile est indifférent ; que le moyen pris d'une prétendue faute du centre de gestion, ayant favorisé l'infraction, à la supposer établie en considération du caractère général du rôle d'information que lui assigne la loi, en particulier aux articles 14, 23 et 25 de la loi 84-53 du 26 janvier 1984, et du rôle assumé par le prévenu de membre du conseil d'administration de ce centre, ne saurait être de nature à exonérer le prévenu de la responsabilité pénale personnelle encourue en cas d'établissement de faux ; qu'il se déduit de la signature, en quatorze mois, de 97 arrêtés de recrutement, pris pour de faux motifs, d'agents qui, pour certains, ont été mensuellement reconduits sur plus d'un an, dans une commune fortement endettée, dont le résultat de fonctionnement est négatif de façon récurrente, comptant sur la période, 3 363 habitants et 38 à 43 employés municipaux, de l'ancienneté de la mandature du prévenu, depuis 2008, du recrutement auquel il a personnellement procédé de ses cadres, notamment de son directeur de cabinet en 2008 et de sa directrice générale des services en 2012, de sa connaissance de l'absence de mise en place par ceux-ci d'un suivi sécurisé et fiable des congés annuels et maladie des employés municipaux, que M. X... ne peut utilement invoquer son ignorance de la fausseté des mentions que comportaient les arrêtés municipaux de recrutement qu'il signait, qu'il avait précisément pour mission de contrôler puisqu'il était, seul, à l'origine de ces recrutements et qu'il ne pouvait ignorer ni que les agents sensément remplacés étaient présents ou n'avaient pas besoin d'être remplacés, ni que les agents recrutés soit travaillaient avec eux, soit étaient affectés à d'autres tâches et services ; que dans ce contexte, et en procédant ainsi, à 97 reprises, à des embauches dérogatoires de contractuels, sur la base de faux motifs destinés à donner une apparence de légalité à des recrutements auxquels il ne pouvait procéder seul, M. X... ne peut utilement, ni se retrancher derrière un simple manquement à ses obligations professionnelles, ni invoquer l'inutilité du procédé en arguant d'une majorité acquise au sein du conseil municipal, pour tenter échapper à sa responsabilité pénale, puisqu'il est ainsi établi qu'il avait conscience de la fausseté des mentions figurant sur les arrêtés de recrutement qu'il signait ; 2/ l'usage de faux administratif ; qu'il est établi que les faux, constitués des 97 arrêtés litigieux de recrutement, signés du prévenu, revêtus de la mention « le maire certifie sous sa responsabilité le caractère exécutoire de cet arrêté, conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi 82-623 du 22 juillet 1982 », qui a pour effet de certifier la légalité et la conformité des arrêtés ont été, à la fois, remis au personnel recruté, et à la trésorerie en vue de leur rémunération ; qu'ils ont donc été « utilisés » par M. X..., après qu'il les ait fait établir et signés, au sens des dispositions des articles 441-1 alinéa 2 et 441-2 alinéa 2, cette distribution destinée à rendre effectif le recrutement irrégulier de personnel étant, comme le faux lui-même à l'origine d'un préjudice pour les administrés, dont la confiance a été trompée, et pour la commune, dont les finances ont été irrégulièrement engagées ; que la volonté de M. X... d'user de ces faux résulte de leur utilisation, et de leur diffusion aux personnels recrutés et à la trésorerie ; qu'à l'exclusion des recrutements et des arrêtés ci-dessus spécifiés non signés du prévenu, qui seront repris au dispositif, comme étant non signés du prévenu, le délit d'usage de faux administratifs est donc constitué à l'égard du prévenu ; que le jugement sera donc, dans cette mesure, confirmé sur la culpabilité de ce chef ;

"1°) alors qu'en matière de faux et usage de faux, l'intention coupable de l'agent résulte, quel que soit son mobile, de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; qu'en jugeant que le prévenu ne peut utilement invoquer son ignorance de la fausseté des mentions que comportaient les arrêtés municipaux de recrutement qu'il signait et qu'il avait pour mission de contrôler, lorsque le seul manquement du prévenu à ses obligations professionnelles ne suffit pas à caractériser son intention frauduleuse, la cour d'appel a méconnu l'article 441-1 du code pénal ;

"2°) alors que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, juger que le seul manquement du prévenu à ses obligations professionnelles ne suffit pas à caractériser son intention frauduleuse tout en relevant qu'il ne peut utilement invoquer son ignorance de la fausseté des mentions que comportaient les arrêtés municipaux de recrutement qu'il signait et qu'il avait pour mission de contrôler" ;

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable de faux en écritures publiques et usage, l'arrêt énonce, s'agissant de l'élément moral des délits, qu'il se déduit de la signature, en quatorze mois, de 97 arrêtés de recrutement, pris pour de faux motifs, d'agents qui, pour certains, ont été mensuellement reconduits sur plus d'un an, dans une commune fortement endettée, dont le résultat de fonctionnement est négatif de façon récurrente, comptant alors 3 363 habitants et 38 à 43 employés municipaux, de l'ancienneté de la mandature du prévenu, du recrutement auquel il a personnellement procédé de ses cadres, notamment de son directeur de cabinet en 2008 et de sa directrice générale des services en 2012, de sa connaissance de l'absence de mise en place par ceux-ci d'un suivi sécurisé et fiable des congés annuels et maladie des employés municipaux, que M. X... ne peut utilement invoquer son ignorance de la fausseté des mentions que comportaient les arrêtés municipaux de recrutement qu'il signait, et qu'il avait précisément pour mission de contrôler puisqu'il était, seul, à l'origine de ces recrutements et qu'il ne pouvait ignorer ni que les agents sensément remplacés étaient présents ou n'avaient pas besoin d'être remplacés, ni que les agents recrutés soit travaillaient avec eux, soit étaient affectés à d'autres tâches et services ; que les juges relèvent que, dans ce contexte, et en procédant ainsi, à 97 reprises, à des embauches dérogatoires de contractuels, sur la base de faux motifs destinés à donner une apparence de légalité à des recrutements auxquels il ne pouvait procéder seul, le prévenu ne peut ni se retrancher derrière un simple manquement à ses obligations professionnelles, ni invoquer l'inutilité du procédé en arguant d'une majorité acquise au sein du conseil municipal, pour tenter d'échapper à sa responsabilité pénale, puisqu'il est ainsi établi qu'il avait conscience de la fausseté des mentions figurant sur les arrêtés de recrutement qu'il signait ; que la cour retient que la volonté de M. X... d'user de ces faux résulte de leur utilisation et de leur diffusion aux personnels recrutés et à la trésorerie ;

Attendu qu'il ressort de ces énonciations que la cour d'appel, qui s'est expliquée sur les circonstances dont elle a pu déduire que le prévenu n'a pas agi par simple négligence, mais avait conscience de la fausseté des arrêtés qu'il signait, a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnels, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.