CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 27 février 1997, n° 95/01076
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Torrecillas (ès qual.)
Défendeur :
Lefèbvre (Sté), Malet (Sté), Liants & Produits Routiers (Sté), Chimique de la Route (Sté), Via France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
M. Loppez-Terres, M. Cousteaux
Avoués :
Me Chateau, SCP Sorel Dessart, SCP Boyer Lescat Merle, SCP Rives Podesta
Avocats :
SCP Couret-Delahaie-Dupuy, Me Barbieri, Me Ginestet Amigo, SCP Bugis Chabert, SCP Salesse Destrem
Le 31 décembre 1986, a été constituée la société en nom collectif LIANTS et PRODUITS ROUTIERS, dans laquelle Jean-Antoine TORRECILLAS détenait 900 parts et qui comprenait comme autres associés : l'entreprise MALET, la société VIA FRANCE, l'entreprise Jean LEFEBVRE ;
Le 6 juillet 1988, Jean-Antoine TORRECILLAS créait une société la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS dont il allait détenir avec son épouse la totalité des parts ; il faisait procéder à la cession des 900 parts de la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS détenues par lui au profit de la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS;
Aux termes d'un protocole d'accord du 17 juillet 1991, un nouvel associé entrait dans la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS : la Société Chimique de la Route, le capital étant porté à 25000 parts, 10000 parts étant attribuées au dernier associé et le nombre de parts de Jean-Antoine TORRECILLAS étant porte à 1500 ;
En l'absence d'accomplissement des formalités administratives, Jean-Antoine TORRECILLAS ne pouvant céder ses parts à la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS, il a fait assigner en référé la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS aux fins de voir constater la validité de la cession ; par ordonnance en date du 27 juin 1994, tribunal de commerce de CASTRES s’est déclaré incompétent eu égard à la contestation soulevée par la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS ;
Par jugement en date du 23 janvier 1995, la juridiction consulaire castraise a :
- déclaré nul I ‘acte de cession de parts date de 1988,
Jugé régulière la révocation de Jean-Antoine TORRECILLAS en sa qualité de gérant par l’assemble générale du 24 mai 1994,
- refusé le retrait de Jean-Antoine TORRECILLAS avec remboursement des droits sociaux,
- pris acte de la déclaration de la Société Chimique de la Route faite au cours des débats et précisant qu'elle refuserait de donner, sous aucun prétexte, son agrément à toute cession des parts que détient Jean-Antoine TORRECILLAS dans la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS,
- condamne Jean-Antoine TORRECILLAS à payer sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 3.000 francs à la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS, l'entreprise MALET, la société VIA FRANCE, l'entreprise Jean LEFEBVRE et la Société Chimique de la Route ;
Jean-Antoine TORRECILLAS a interjeté appel de cette décision dont il sollicite la reformation ainsi que la condamnation des cinq intimées à lui payer la somme de 200.000 francs pour le préjudice subi du fait de sa révocation et celle de 20.000 francs au titre des frais irrépétibles ;
L'appelant soutient d'une part que la cession de parts intervenue en 1988 a fait I ‘objet d'un enregistrement en mars 1994, a été enregistrée en comptabilité de la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS en 1993, a été notifiés à la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS avec remise d'attestation respectant les dispositions de l’article 20 de la loi du 24 juillet 1966, que l’agrément unanime a été donne par les associés ainsi que cela résulte de plusieurs mentions dans I ‘acte, que les statuts ont été modifiés par mention dans I’ acte de cession, qu’il appartenait à la société VIA FRANCE, gérante administrative, d’effectuer les modifications correspondantes au R.C.S., qu’au demeurant, la cession litigieuse a été reconnue implicitement, d’autre part que la décision de révocation a été prise sans juste motif au sens du droit des sociétés, que la divergence ne portant que sur les modalités d’approvisionnement est totalement secondaire et accessoire, qu'il convient de prononcer la nullité de la révocation abusivement prononcée par une assemblée irrégulièrement convoquée ainsi que de la résolution consécutive du remplacement de Jean-Antoine TORRECILLAS dans ses mandats de représentant permanent de la S.N. C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS au sein de deux sociétés;
La S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS conclut à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu'à la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS a lui payer la somme de 30.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile en faisant valoir que la convention même expresse des parties ne peut déroger au caractère d’un ordre public des articles 19 et 20 de la loi du 24 juillet 1966, qu' en particulier, l’absence de publicité au RCS rend la prétendue cession inopposable aux tiers dont la Société Chimique de la Route, que la cession est nulle pour vileté du prix indiqué en 1988 et pour sa fictivité, n’étant apparu dans la comptabilité de la société cessionnaire que cinq ans plus tard, que si une modification statuaire peut être décidés unanimement, encore faut-il pour qu'elle soit opposable qu'elle fasse I ‘objet d'une inscription modificative, que Jean-Antoine TORRECILLAS a été négligente en l’accomplissant pas les formalités qui n’intéressaient que lui, qu'il a renoncé à se prévaloir de l'agrément qui lui aurait été consent en 1988 notamment en continuant à exercer les fonctions de gérant-associe, à percevoir en son nom personnel les dividendes, en figurant personnellement dans le protocoles de 1991, que la révocation est justifiés par l'infidélité et la perte de confiance qu'engendre la promesse de cession de sa participation à un concurrent des coassociés, que l'assembles générale qui a procède à la révocation est régulière;
L'entreprise MALET conclut d la confirmation de la décision entreprise ainsi qu' à la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS a lui payer la somme de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en exposant que Jean-Antoine TORRECILLAS n’a jamais perdu sa qualité d'associé au sein de la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS et les droits y attaches, notamment la perception de dividendes annuels, que la cession doit être résolue en l'absence de preuve du paiement, que la nullité de la cession est également encourue en l'absence de transfert des droits sociaux par le cédant, que la cession est inopposable aux associés pour non-respect des formalités légales, que l'acte de 1988 est nul pour défaut d'agrément unanime des associés, que la révocation a été décidée régulièrement, que la révocation a été décidé pour de justes motifs, la gestion des approvisionnements étant vitale pour la S.N.C. et Jean-Antoine TORRECILLAS ayant tenté de faire une concurrence déloyale par société interposes,
L'entreprise Jean LEFEBVRE conclut à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu'à la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS a lui payer la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile que l'acte de cession dont Jean-Antoine TORRECILLAS détenait les originaux n'a pas été mis a exécution alors qu’il pouvait faire procéder à toutes les formalités d’enregistrement et de publicité, que l’intégration en 1991 d’un nouvel associé imposait l’obtention de son agrément à la dite cession pour pouvoir la formaliser et la mettre à exécution, que la révocation des fonctions de gérant n’est pas abusive en raison du désaccord avec la politique commerciale que les associes souhaitaient voir appliquée,
La société VIA FRANCE conclut à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu’à la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS à lui payer la somme de 10.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile en faisant valoir que la demande de Jean-Antoine TORRECILLAS est irrecevable en raison du défaut de la mise en oeuvre de la procédure préalable d’arbitrage, et parce que seule la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS pourrait revendiquer la qualité d'associé, que les motifs des premiers juges pour déclarer nuls la cession sont pertinents, que subsidiairement il ressort des volontés du cédant et du cessionnaire de ne donner comme prise d'effet à leur convention qu'au cours du premier trimestre 1994, qu'en 1988, la Société Chimique de la Route était un tiers, que la cession ne pouvait lui être opposable qu’après accomplissement de la formalité prévue par l’article 1690 du code civil, que la volonté de céder ses parts à l’un des plus gros concurrents de la S.N.C- LIANTS et PRODUTTS ROUTIERS s'est doubles d'une désaffection de Jean-Antoine TORRECILLAS pour son activité, que l'aveu même de Jean-Antoine TORRECILLAS sur les divergences de vue entre les associés suffit à justifier la révocation;
La Société Chimique de la Route conclut à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu'à la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS a lui payer la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en soutenant que I’ acte de cession n'a produit aucun effet, aucune preuve du paiement n’étant rapport, aucune publicité n'étant opérée, les bilans de la SARL ne portant pas mention des parts, Jean-Antoine TORRECILLAS continuant à percevoir les dividendes, les statuts n'étant pas modifies, qu'à la suite du protocoles du 17 juillet 1991, l’assemblée générale du 4 novembre 1991 attribuait 1500 parts si Jean-Antoine TORRECILLAS, que l'agrément de tons les associés n'a pas été obtenu postérieurement à l'entrée de la Société Chimique de la Route dans la S.. N.C., que la révocation est légitime des lors que l’intérêt de la société, ou celui des autres associes, est en cause, même en dehors de toute notion de faute, que le désaccord profond de nature commerciale existant a été retenu à juste titre par le tribunal ;
La Société Chimique de la Route demande également qu'il lui soit donne acte de ce qu’elle n'entend nullement prendre une position de principe de refus de toute offre de cession qui serait présentée par Jean-Antoine TORRECILLAS tout en se réservant toute liberté de décision sur les conditions de la cession envisages ;
Dans son deuxième jeu d'écritures, Jean-Antoine TORRECILLAS fait valoir que la clause d'arbitrage ne peut recevoir application, qu'un accord entre les parties a mis Jean-Antoine TORRECILLAS provisoirement entre parenthèses en lui retirant des parts restitues ultérieurement, que lors de la signature des l’accord du 17 juillet 1991, la Société Chimique de la Route connait l'existence de la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS et est mal fondée à prétendre qu'elle ne serait qu'un tiers à qui la cession ne serait pas opposable, que l'introduction de la société SACER dans la SNC ne serait pas de nature à ruiner l'affectio societatis, cette sociétés ayant conclu une entente avec les intimées pour un partage des tonnages pendant cinq années, que la feuille de présence de 1991 mentionne de faon dactylographiée la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS, que pour 1992 et 1993, quand la société VIA FRANCE lui a envoyé tardivement les feuilles à signer, il a mentionné à titre personnel et en tant que gérant de la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS, que si la cour reconnait l‘efficacité de l'acte litigieux, la société VIA FRANCE devra exécuter l'engagement pris par courrier du 9 juin 1994 de faire jouer le droit de préférence en rachetant les parts de la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS;
Sur quel, la Cour
Attendu qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, en l'absence d'unanimité sur le principe d'un règlement amiable, la clause d’arbitrage prévue par l'article 23 des statuts n'est pas applicable et la saisine du tribunal de commerce par Jean-Antoine TORRECILLAS est recevable ;
Attendu que l’appelant est recevable à agir en justice, ayant un intérêt à voir reconnaitre la validité de la cession litigieuse ;
Attendu d'une part que les premiers juges ont, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter, déclaré nuls la cession datée de 1988 ;
Qu'en effet, Jean-Antoine TORRECILLAS ne rapporte pas la preuve du paiement du prix par la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS, la mention au bilan de la société à partir de l'exercice 1993 étant insuffisante ;
Qu'en outre Jean-Antoine TORRECILLAS n'a pas transmis ses droits à la S.A.R.L., continuant de percevoir les dividendes qui auraient dû revenir à cette dernière ;
Qu'en sa qualité de gérant de la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS et de cédant détenteur d'un original de l'acte lui donnant le pouvoir d'agir, Jean-Antoine TORRECILLAS pouvait faire procéder aux formalités de publicité nécessaires pour rendre opposable la cession ;
Qu'en l'absence d'accomplissement des formalités légales de publicité, l'acte n'a pris date certaine qu'en mars 1994 lors de son enregistrement ;
Qu’à cette date, le nombre d'associés n'étant plus de quatre mais de cinq, l’agrément donné en 1988 est incomplet et ne respecte pas les dispositions d'ordre public de l'article 19 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Que pour ces trois raisons, la cession litigieuse est nulle ;
Attendu d’autre part que les premiers juges ont, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter, jugé régulière et légitime la révocation de Jean-Antoine TORRECILLAS ;
Qu'en effet, la tenue de l'assembles générale a été régulière, la S.A.R.L. Jean TORRECILLAS n’ayant pas à être convoquée ;
Que devaient être convoqués les cinq associés ;
Que la présence de sept signatures sur le procès-verbal s'explique par la participation de l'un des gérants en qualité de président de l’assemblée ainsi que de la personne qui a accepté de remplacer Jean-Antoine TORRECILLAS dans ses mandats de représentant permanent au sein de deux sociétés dans lesquelles la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS est gérante ;
Que le motif invoque pour décider la révocation de Jean-Antoine TORRECILLAS est légitime en raison du désaccord portant sur la politique d'achat des matières premières, désaccord qui s'est concrétisé par la demande de Jean-Antoine TORRECILLAS d'être déchargé de la gestion des approvisionnements en bitume, que ce conflit porte sur l'objet social même qui consiste en l’achat, la fabrication et la vente de liants routiers et toutes opérations se rattachant à cet objet ;
Que le remplacement de Jean-Antoine fonctions de gérant de la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS ;
Attendu en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement entrepris ;
Attendu par ailleurs que la partie qui succombe sera condamnée aux dépens ;
Attendu enfin que l'équité justifie la condamnation de Jean-Antoine TORRECILLAS à payer à chaque intimée la somme de 2.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs, La Cour
Confirme le jugement du tribunal de commerce de CASTRES en date du 23 janvier 1995,
Condamne Jean-Antoine TORRECILLAS aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit des S.C.P. Sorel-Dessart, Rives-Podesta et Boyer-Lescat, avoués sur leurs affirmations de droit,
Condamne Jean-Antoine TORRECILLAS à payer, sur le fondement de I1article 700 du nouveau code de procédure civile, a :
- la S.N.C. LIANTS et PRODUITS ROUTIERS la somme de 2.000 francs,
L’entreprise MALET la somme de 2.000 francs,
- I’entreprise Jean LEFEBVRE la somme de 2.000 francs,
- la société VIA FRANCE la somme de 2.000 francs,
- la Société Chimique de la Route la somme de 2.000 francs.