Cass. com., 24 mai 2005, n° 04-11.875
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 17 décembre 2003), que la société Les Bois de l'Allier (la société), dirigée par M. X..., a été mise en redressement judiciaire le 15 février 1994, puis en liquidation judiciaire le 22 novembre 1994, M. Y... étant désigné liquidateur ;
que, par jugement du 6 mars 1998, M. Z..., préposé du Crédit lyonnais (la banque), a été déclaré coupable de complicité du délit de banqueroute commis par M. X... pour avoir abusivement soutenu la société ; que le liquidateur a assigné la banque et M. Z... pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement des dettes sociales ;
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1 / que le complice du débiteur déclaré coupable de banqueroute doit réparer le préjudice intégral découlant de ses fautes ;
que la cour d'appel, ayant constaté que les fautes de la banque et de son préposé, M. Z..., avaient causé un dommage de 951 993,10 francs, soit 145 122,18 euros, tandis que M. X..., ancien dirigeant de la société, avait lui-même commis des fautes générant un passif de 779 922,15 francs, soit 118 898,36 euros, n'a pu décider que, même à tenir pour acquis le préjudice causé par la banque ramené à l'estimation retenue par l'arrêt, celui-ci était inexistant ; qu'en l'état de ses constatations selon lesquelles ledit préjudice dépassait, de toutes façons, celui résultant des fautes de l'ancien dirigeant de la société objet de la procédure collective, la cour d'appel, qui a refusé de mettre à la charge de la banque et de son préposé le reliquat du préjudice, n'a pas satisfait à l'exigence de la réparation intégrale du préjudice et a, par suite, violé l'article 1382 du Code civil ;
2 / que chaque cas de banqueroute génère un dommage spécial dont la réparation est à la charge du débiteur coupable de banqueroute et, le cas échéant, de son complice ; que l'arrêt attaqué, ayant rappelé que le délit de banqueroute avait été commis par M. X... avec la complicité de M. Z... par l'usage de moyens ruineux pour se procurer des fonds et retarder l'ouverture de la procédure collective, et par l'augmentation frauduleuse du passif, d'où il se déduisait que le préjudice spécial issu de l'infraction était l'augmentation du passif à la date du délit, ne pouvait limiter la réparation due par la banque et son agent, M. Z..., à la seule insuffisance de l'actif de la société ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué, faute d'avoir réparé le préjudice en relation étroite avec les fautes dont avait été déclaré coupable M. Z..., soit en l'occurrence une complicité pour banqueroute par emploi de moyens ruineux et augmentation frauduleuse du passif, a violé les articles 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 626-2 et L. 626-3 du Code de commerce ;
3 / que la cour d'appel ne pouvait non plus, afin de décider que M. Z... et la banque ne devaient aucune réparation, retenir que le préjudice consistait pour les créanciers de la liquidation judiciaire de la société dans l'aggravation de leur sort lors de la répartition des sommes pouvant leur revenir ; qu'en statuant ainsi, en fonction des actifs au jour du partage, et en ne recherchant pas l'étendue du préjudice subi par lesdits créanciers en lien direct avec les infractions commises, l'arrêt attaqué a violé les articles 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 626-2 et L. 626-3 du Code de commerce ;
4 / que la décision correctionnelle qui constate un préjudice a l'autorité de la chose jugée interdisant au juge civil d'apprécier le dommage autrement que le juge pénal ; que par jugement du tribunal correctionnel de Cusset du 6 mars 1998, il a été irrévocablement constaté que c'est sous le contrôle de M. Z... que M. X... a constitué "l'intégralité du passif que lui réclament aujourd'hui les victimes" ; que la juridiction correctionnelle ayant définitivement constaté que le préjudice issu du délit de banqueroute était constitué par le passif accumulé lors du contrôle exercé par M. Z..., en sa qualité de directeur des affaires spéciales du Crédit lyonnais, la cour d'appel n'a pu fixer l'étendue du préjudice aux créanciers sur d'autres bases, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée du pénal au civil, violant ainsi ensemble les articles 1351 du Code civil et 2 du Code de procédure pénale ;
5 / que l'abandon de sa créance, c'est-à-dire un droit personnel, par le créancier complice de banqueroute ne répare pas le dommage causé par le délit auquel il a participé ; que, dès lors, la cour d'appel, en tenant compte du fait que la banque avait renoncé à la créance qu'elle avait déclarée et qui fut admise au passif de la société pour réduire d'autant le préjudice indemnisable, a violé les articles 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 626-2 et L. 626-3 du Code de commerce ;
Mais attendu que la banque qui, par sa faute, a retardé l'ouverture de la procédure collective de son client, n'est tenue de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'elle a ainsi contribué à créer ;
Attendu qu'ayant constaté, sur le fondement du rapport de l'expert judiciaire, qu'avant la commission des faits reprochés à M. Z... l'insuffisance d'actif de la société s'élevait à 1 490 876 francs et qu'en octobre 1993 elle se réduisait à la somme de 1 088 111 francs, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée au pénal, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, justifié sa décision retenant l'absence de preuve d'un préjudice ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.