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Décisions

Cass. crim., 4 mai 2011, n° 10-85.381

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Sassoust

Avocat :

SCP Monod et Colin

Paris, du 2 juin 2010

2 juin 2010

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 433-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt a déclaré M. C...coupable du délit de trafic d'influence passif et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis simple et au paiement d'une amende de 50 000 euros ;

" aux motifs propres qu'il sera rappelé que, le 22 juin 2005, le parquet de Nanterre a adressé au procureur de la République de Paris, pour compétence au titre de la juridiction interrégionale spécialisée, les procès-verbaux d'audition de M. X..., président-directeur général de la SA Thales engineering et consulting, dénommée THEC, qui dénonçait, s'agissant des faits dont la cour est saisie, les conditions dans lesquelles la société THEC avait obtenu, au mois de mars 2003, un marché public attribué par la délégation générale pour l'armement concernant la construction dans l'Est de la France d'une usine de destruction de munitions chimiques de la première guerre mondiale ; que l'intéressé expliquait que le groupe Thales avait conclu un contrat d'intermédiaire avec la société Sidef, animée par M. C..., pour exercer une activité de lobbying à son profit auprès de la DGA précisant qu'il s'agissait, selon la terminologie interne au groupe, d'un « service provider », c'est-à-dire d'un « intermédiaire pour gagner des affaires et verser des commissions » ; qu'il indiquait que M. C...était proche de certains responsables de la DGA et, notamment, de M. Y..., adjoint au délégué général pour l'armement, avec lequel il avait des liens maçonniques ; que la société THEC avait gagné le marché précité, dénommé Secoia, grâce à M. C..., déclarant « avec M. C..., on savait en permanence comment évoluait l'appel d'offres et notamment on connaissait toutes nos faiblesse par rapport à nos concurrents. Il nous disait que ces informations provenaient de responsables de la DGA … il nous citait avec précisions ses sources » ; que M. X...ajoutait que M. C...devait percevoir 1, 35 % du montant de l'affaire Secoia ; que les investigations menées à la suite de ces révélations ont confirmé qu'un contrat de consultant, faisant notamment référence à l'affaire Secoia, avait été conclu le 15 mars 2001, entre la société Sidef, représentée par M. C..., et la société THEC, représentée par M. E...; que ce contrat d'une durée de deux ans tacitement reconductible, qui a été résilié d'un commun accord entre les parties, le 15 mars 2005, prévoyait, s'agissant de la rémunération de la société Sidef, une partie fixe et une partie variable ; que la société Sidef a émis au titre de son exécution plusieurs factures d'honoraires et de commissions sur vente entre le mois d'avril 2001 et le mois de mars 2005 pour un montant total de 227 679, 03 euros ; qu'une de ces factures a été établie, le 15 avril 2003, avec la mention « commission sur affaire Secoia » pour un montant de 167 282, 50 euros TTC, soit 139 868, 31 euros HT, représentant 1 % de la somme de 13 986 831 euros HT devant être perçue par la société THEC pour la première tranche ferme et exécutoire du marché Secoia ; qu'il est établi que la société Sidef, présidée par M. C..., a été constituée sous la forme d'une société par actions simplifiées ; que son objet social était la promotion et la commercialisation sous toutes ses formes de tout matériel ou tous produits utilisables en milieu commercial agricole ou industriel et toutes opérations se rattachant directement ou indirectement à cet objet ; qu'elle a pour salariés d'anciens militaires, hauts gradés de différents corps d'armée, qui étaient chargés d'apporter aux industriels de la défense et des télécommunications un éclairage opérationnel leur permettant de répondre de manière adaptée aux appels d'offre et aux consultations lancés par la DGA ; que cette activité, telle que décrite par les salariés de la société, a été confirmée par les responsables du groupe Thales ; qu'ainsi, M. Z..., directeur d'activités chez Thales international, a déclaré que la société Sidef avait beaucoup d'anciens militaires qui les aidaient à analyser les besoins du client ; que M. D..., président directeur général de la SA Thales international, a donné la même définition de l'activité de la société Sidef indiquant qu'elle faisait « des études et aidait des sociétés à répondre à des appels d'offres en les conseillant, en participant aux relectures des réponses aux appels d'offres, en détachant du personnel pour les aider à le faire » ; que M. A..., cadre dirigeant chez Thales international, a justifié en des termes similaires le recours à la société Sidef expliquant qu'elle apportait « une expertise pour aider ses équipes à faire des offres mieux adaptées au besoin du client », qu'elle avait « des gens qui connaissaient bien le domaine militaire et les aidaient à corriger leurs offres pour qu'elles soient mieux perçues par le client » ; que, pour l'affaire Secoia, il résulte des investigations qu'à la différence des prestations habituellement fournies par la société Sidef, aucun des salariés de la société n'est intervenu pour fournir un éclairage opérationnel et une aide technique dans le cadre de la consultation des candidats à l'attribution du marché concerné ; que M. B..., responsable commercial chargé de faire de la prospection pour le compte de la société THEC, a déclaré que M. C...avait été le seul à suivre le dossier Secoia au sein de la société Sidef précisant n'avoir été « en relation qu'avec lui » pour ce dossier ; que, sur la mission confiée à M. C..., il a indiqué que la société THEC avait fait passer un certain nombre de messages par son intermédiaire aux autorités étatiques, que l'intéressé connaissait au ministère de la défense et à la DGA des gens qui avaient des pouvoirs de décision, précisant : « il était nécessaire d'avoir M. C...car il nous apportait son carnet d'adresse et ses introductions auprès du ministère » ; que ses déclarations sont corroborées par celles de M. E..., président-directeur général de la société THEC qui, affirmant ne rien savoir de la société Sidef et « surtout avoir connu l'homme », a déclaré que M. C...avait une bonne connaissance de la DGA où il avait des interlocuteurs et noué des relations, ce qui avait permis à la société THEC d'avoir des éléments d'information concernant l'avancement du dossier et sa situation vis-à-vis de ses concurrents ; qu'il a indiqué, s'agissant de la clause du contrat de consultant relative « au caractère intuitu personae des services personnels » de M. C..., que « si M. C...disparaissait, il n'y aurait plus eu de contrat car c'est lui qui avait les relations » ; que les mails échangés les 25 juin 2001 et le 5 novembre 2001 entre M. C...et M. B..., qui ont été découverts lors de la perquisition diligentée au cours de l'instruction, attestent également du contenu relationnel de la mission confiée à M. C...; que la pièce jointe au mail du 25 juin 2001, intitulée « bid no bid » fait état, au nombre des arguments identifiés en faveur de la participation de la société THEC à la consultation, d'un lobbying possible à la DGA « à tous les niveaux » ; que celle figurant en annexe du mail du 5 novembre 2001, intitulée Secoia-plan de lobbying, est un organigramme mentionnant « les acteurs identifiés » au titre desquels figurent les noms de personnes en poste notamment à Matignon, au ministère de l'intérieur, au ministère de la défense et à la DGA qui ont pu être rencontrées par les responsables de la société THEC grâce à l'intervention de M. C...; qu'en effet, M. B...a reconnu avoir obtenu par l'entremise de M. C..., entre fin 2001 et début 2002, des rendez-vous auprès de M. Y..., adjoint au délégué général pour l'armement, de M. F..., conseiller au cabinet du ministère de la défense, de M. G..., conseiller pour la défense au cabinet du premier ministre ; qu'il a précisé « sans M. C..., nous aurions eu des rendez-vous beaucoup plus tardivement voire pas » ; que M. F..., inspecteur général des armées et conseiller au cabinet du ministre de la défense, cité parmi les « acteurs identifiés » du plan de lobbying, a confirmé avoir « été approché » par M. C...qui était un ami ; qu'il a indiqué que l'intéressé lui avait parlé de Thales « en tant que solution pour l'ingénierie sur le dossier Secoia », lui demandant, s'agissant du mariage des offres de Thales et de la SNPE, de faire passer le message auprès de personnes influentes faisant partie de ses nombreuses connaissances ; que M. Y..., également cité parmi les « acteurs identifiés » du plan de lobbying, a admis que M. X..., dirigeant de la société THEC, était venu le voir peu après son arrivée au poste d'adjoint au délégué général pour l'armement en 2001, accompagné de M. C..., pour lui renouveler le " grand intérêt " que la société THEC portait au marché Secoia, c'est-à-dire « pour gagner cette compétition » ; que M. C...qui admet que la société Sidef a perçu une commission d'un montant de 139 868, 31 euros HT au titre du marché Secoia et qu'aucun des militaires, salariés de la société, n'est intervenu dans le cadre de ce marché, conteste avoir monnayé son réseau d'influence et un carnet d'adresse ; qu'il explique « avoir exercé une fonction de consultant auprès de la société THEC d'une part, afin de l'assister dans la préparation et la présentation de son offre pour remporter le marché Secoia et, d'autre part, afin d'intervenir auprès des différentes autorités pour assurer une présentation de THEC de façon plus générale » ; mais que le prévenu, qui a varié dans ses déclarations affirmant dans un premier temps, contre toute vraisemblance, que la société THEC avait fait appel à ses compétences techniques personnelles, ce qu'il ne soutient plus devant la cour, ne justifie pas que son assistance ait eu un contenu autre que l'influence dont il disposait auprès des autorités administratives et politiques ou qui lui a été prêtée par les dirigeants de la société THEC pour favoriser l'obtention du marché public, tel que cela résulte des éléments figurant à la procédure et notamment des témoignages et mails précités ; que peu importe que cette influence ait été réelle ou supposée, qu'elle ait été déterminant ou pas de l'attribution du marché Secoia à la société THEC ;

" 1) alors que le délit de trafic d'influence passif suppose de céder à la sollicitation d'offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques ou de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques à une personne, pour elle-même ou pour autrui, afin qu'elle abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ; que la mise en relation ou le recueil de renseignement en vue de remporter un marché public ne constitue pas en soi l'exercice d'une influence coupable ; qu'en se bornant à constater qu'en exécution d'un contrat de consulting, M. C...avait exercé du lobbying auprès de pouvoirs publics déterminés en vue de faire remporter le marché Secoia par la société THEC, sans jamais expliquer en quoi les mises en relations auraient été illicites, la cour d'appel a n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

" 2) alors que le fait de se charger du conseil en stratégie sur la compétitivité d'une société dans le cadre d'un marché public relatif à l'armement, de même alors qu'on ne disposerait pas de compétence particulière en matière d'armement mais seulement de compétences en matière de stratégie et de lobbying, ne constitue pas le délit de trafic d'influence passif ; qu'en se fondant sur l'absence de compétences techniques particulières pour retenir la culpabilité de M. C..., qui exerçait une activité de lobbying qui n'en nécessitait pas nécessairement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

" 3) alors que dans ses conclusions d'appel, M. C...faisait valoir que la plus-value de ses connaissances pour l'obtention du marché Secoia était effective, notamment au regard de ses conseils stratégiques de nature à rendre l'offre de la société THEC compétitive ; qu'en retenant que le prévenu ne soutenait plus devant la cour que son assistance avait eu un contenu autre que l ‘ influence dont il disposait auprès des autorités administratives et politiques, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du prévenu et n'a donc pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

" 4) alors que l'élément intentionnel du délit de trafic d'influence passif doit être caractérisé ; qu'en se bornant à relever que M. C...aurait varié dans ses déclarations en affirmant d'abord avoir été contacté par la société THEC en raison de ses compétences techniques particulières, puis n'avoir plus soutenu que disposer d'influence auprès des autorités administratives ou politiques, la cour d'appel n'a pas caractériser l'intention coupable d'user abusivement de son influence et n'a, en conséquence, pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que M. C...est poursuivi pour avoir courant 2001, 2002 et 2003, perçu un montant de 139 868 euros, hors taxes, versé par la société Thales Enginnering & Consulting (THEC) à la société Sidef dont il était le président, en règlement d'une facture émise le 15 avril 2003, en application d'un contrat conclu le 15 mars 2001, ayant pour objet réel de faire obtenir à la société THEC, par des interventions en direction de diverses autorités civiles et militaires, un marché public relatif à la conception, la construction et à l'exploitation d'une usine de destruction de munitions chimiques anciennes, dit marché Secoia, de la Délégation générale pour l'armement (DGA) ; 

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de trafic d'influence passif, les juges énoncent que la mission confiée par la société THEC à la société Sidec était particulièrement imprécise, que le prévenu a été le seul au sein de cette dernière société à travailler sur le contrat, alors qu'il a reconnu qu'il n'avait pas de compétence en matière d'armes et de munitions, qu'aucun document justifiant les prestations n'a été établi, que des rendez-vous ont été obtenus aux ministères de la Défense, de l'intérieur et à la DGA mais que la rémunération était excessive au regard d'un simple rôle de mise en relation ou de recueil de renseignements ; qu'ils en déduisent que le prévenu a monnayé un réseau d'influence et un carnet d'adresses, en vue de faire obtenir à la société THEC, par des interventions auprès de diverses autorités civiles et militaires, le marché Secoia ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui n'établissent pas une simple activité de conseil en stratégie dans le cadre d'un contrat public relatif à l'armement mais qui caractérisent les éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, du délit de trafic d'influence passif dont le prévenu a été reconnu coupable, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;