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Décisions

Cass. crim., 15 mars 2000, n° 99-81.084

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Cotte

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, MM. Choucroy, Cossa

Lyon, du 16 déc. 1998

16 décembre 1998

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'au cours des années 1988 et 1989, les dirigeants de la société Urbatechnic, constituée le 17 décembre 1973 en vue de contribuer au financement des activités du parti socialiste et de ses fédérations, ont usé de leur influence dans le processus d'attribution des marchés publics auprès des entreprises candidates, dont les dirigeants s'engageaient, en contrepartie d'une mission d'assistance commerciale et administrative, à leur verser des honoraires représentant de 1 à 5 % du marché ;

Que c'est ainsi, notamment, que Christian X..., Philippe C..., Jacques E..., Jacques B..., Jean-Pierre A..., Jean-Pierre Y..., Pierre Z... et Léo D..., respectivement dirigeants des sociétés Borie-SAE, C... SA, Mistral Travaux, Phocéenne de Travaux, Sogea et Les Travaux du Midi ont cédé aux sollicitations directes ou indirectes des représentants de la société Urbatechnic pour que celle-ci use de son influence en vue de leur faire obtenir des marchés de certaines autorités publiques ou organismes placés sous le contrôle de la puissance publique ;

Attendu que, par arrêt du 17 février 1995, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon a renvoyé les susnommés devant la juridiction correctionnelle pour trafic d'influence actif ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Léo D... et pris de la violation des articles 2. 5°, de la loi d'amnistie n° 88-828 du 20 juillet 1988, 433-2, alinéa 2, du Code pénal, 178 et 179 anciens du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'amnistie tirée de l'article 2. 5°, de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988, pour déclarer Léo D... coupable de délit de trafic d'influence actif ;

" aux motifs qu'en donnant à son subordonné, Bernard F..., qui n'a été en la circonstance qu'un simple exécutant, l'ordre de régler le 20 septembre 1988 la facture de 59 300 francs toutes taxes comprises adressée par la société Urbatechnic en exécution de la convention qu'il avait signée le 18 novembre 1986, et ce alors que, de son propre aveu, la société Les Travaux du Midi avait refusé de payer une facture de 84 000 francs du 18 juillet 1988 relative au marché dit " 4e chaîne Pro-Perf " parce qu'à l'époque ses dirigeants avaient pris conscience qu'elle finançait à travers Urbatechnic le parti socialiste, Léo D... s'est, par cet acte postérieur au 11 mars 1988, rendu coupable, en tant qu'auteur principal, de l'infraction de trafic d'influence ; qu'en effet, ce délit, consommé par le versement des dons ou présents par la personne qui a cédé aux sollicitations de qui lui a proposé de trafiquer de son influence, reste punissable même si l'acceptation par le premier des sollicitations du second est antérieure à la date fixée par la loi pour le bénéfice de l'amnistie ;

" alors que la loi d'amnistie dépouille les faits antérieurs à la date qu'elle fixe de leur caractère délictueux, cet effet s'étendant à tous agissements, même postérieurs à cette date, dès lors qu'ils sont indivisiblement liés à des faits amnistiés ; qu'il s'ensuit qu'en l'espèce, la convention d'assistance conclue avec la société Urbatechnic le 18 novembre 1986, serait-elle constitutive d'un pacte de trafic d'influence dont la rémunération a pu servir au financement du parti socialiste, se trouve dépouillée de tout caractère délictueux par application de l'article 2. 5°, de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie des délits en relation directe ou indirecte avec le financement des partis politiques, commis avant le 11 mars 1988 ; que, pour décider néanmoins que le délit de trafic d'influence incriminé échappait aux dispositions de ladite loi d'amnistie, dès lors qu'il avait en réalité été consommé à la date du 20 septembre 1988, où était intervenu le règlement de la facture émise par la société Urbatechnic au titre de la convention précitée, mais rémunérant selon l'arrêt l'intercession frauduleuse de cette société aux fins d'attribution du marché de l'OPHLM du Percy à la société Les Travaux du Midi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ce que ce paiement ne constituait en toute hypothèse que l'exécution d'un engagement préalable dépouillé de tout caractère frauduleux par l'effet de la loi d'amnistie et se trouvait du même coup lui-même dépouillé de toute coloration délictueuse ; que, ce faisant, elle a violé l'article 2. 5° de ladite loi ainsi que l'ensemble des textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Léo D..., directeur-général adjoint de la société Les Travaux du Midi (LTM), était responsable d'une agence de cette société à Marseille, lorsqu'il a signé, le 18 novembre 1986, une lettre de mission aux termes de laquelle la société LTM confiait à la société Urbatechnic, dans le cadre de l'opération de construction " Le Percy-Marseille ", une mission d'assistance commerciale et administrative, en contrepartie d'honoraires d'un montant forfaitaire de 50 000 francs, à payer dans le cas où la société LTM serait déclarée adjudicataire de ce marché ;

Que cette société ayant obtenu le marché, Bernard F..., ingénieur en chef, a réglé le 20 septembre 1988, sur les ordres de Léo D..., la facture que lui avait adressée la société Urbatechnic ;

Attendu que, pour écarter l'application de l'article 2. 5° de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 et déclarer le prévenu coupable de trafic d'influence, la juridiction du second degré énonce qu'en donnant à son subordonné, Bernard F..., qui n'a été en la circonstance qu'un simple exécutant, l'ordre de régler, le 20 septembre 1988, la facture de 59 300 francs toutes taxes comprises, adressée par la société Urbatechnic en exécution de la convention qu'il avait signée le 18 novembre 1986, Léo D... s'est, par cet acte postérieur au 11 mars 1988, rendu coupable en tant qu'auteur principal du délit de trafic d'influence ; qu'elle ajoute que ce délit, consommé par le versement des dons ou présents par la personne qui a cédé aux sollicitations de celle qui lui a proposé de trafiquer de son influence, reste punissable même si l'acceptation par la première des sollicitations de la seconde est antérieure à la date fixée par la loi pour bénéficier de l'amnistie ;

Qu'en cet état, et dès lors qu'il n'y a pas d'indivisibilité entre le versement des dons ou présents et le pacte illicite en exécution duquel celui-ci est intervenu, mais délits successifs se renouvelant aussi longtemps qu'a existé le concert frauduleux, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Christian X... et pris de la violation des articles 121-1, 433-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt a déclaré Christian X... coupable de trafic d'influence et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs que, si la convention entre Christian X... et Jean-Luc G... a pu être signée le 26 janvier 1989 soit après l'attribution du marché relatif à la construction du tunnel Prado-Carenage par le jury à la date du 20 décembre 1988, il apparaît, d'après les notes de Bruno H..., établies le 11 avril 1988, qu'un accord de principe était intervenu à cette époque concernant l'attribution de ce marché, de sorte que la preuve que les relations entre les dirigeants de la société Borie-SAE et la société Urbatechnic sont bien antérieures à la fin de l'année 1988, est établie ;

" alors que le délit de trafic d'influence suppose, pour être constitué, l'antériorité de l'offre par rapport à l'acte à l'abstention sollicitée ; qu'en déduisant l'antériorité d'un accord, du seul fait que le prévenu a eu des contacts avec des dirigeants de la société dont l'influence a été monnayée au cours du mois d'avril 1988 ne saurait suffire à caractériser l'antériorité du pacte, exigée par l'article 433-2 du Code pénal et constitue l'infraction reprochée " ;

Attendu que, pour déclarer Christian X... coupable de trafic d'influence à l'occasion de l'attribution par la ville de Marseille à la société Borie-SAE, dont il était le dirigeant, du marché relatif au tunnel Prado-Carenage, la juridiction du second degré relève que des contacts ont eu lieu au sujet de cette opération entre le prévenu et les représentants de la société Urbatechnic, avant la décision prise par le jury, le 20 décembre 1988, de retenir la proposition présentée par le groupement d'entreprises dont la société Borie-SAE était mandataire ;

Que les juges retiennent que la signature d'une convention avait été évoquée dès le 27 avril 1988 et que le modèle de cette convention avait même été choisi à cette date ; qu'ils ajoutent que le protocole d'accord daté du 2 décembre 1988, qui, selon les éléments du dossier, a pu être signé le 26 janvier 1989 par Christian X..., " n'a donc fait qu'entériner un accord intervenu quant à son principe dès avril 1988, bien avant la décision du jury et la délibération du conseil municipal " ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a, sans insuffisance, caractérisé l'antériorité de la sollicitation ou de l'agrément par rapport à l'acte à accomplir ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Philippe C... et pris de la violation des articles 433-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré que la cour d'appel était compétente pour statuer sur les faits concernant le marché de la 3e chaîne Provence-Performance reprochés à Philippe C... ;

" aux motifs que, d'après les notes de Bruno H... et les cahiers de Joseph I..., Philippe C... avait versé des fonds pour obtenir des marchés favorisés par la société Urbatechnic dont notamment celui de la 3e chaîne Provence-Performance, les honoraires prévus ayant été réduits de moitié du fait qu'il n'avait obtenu que trois des six chantiers que comportait à l'origine ce marché ; qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a considéré que le tribunal était incompétent pour statuer sur ces faits ;

" alors que, pour infirmer le jugement entrepris ayant déclaré son incompétence, faute de saisine, au regard des faits concernant le marché de la 3e chaîne Provence-Performance, en raison du caractère privé du marché mettant en cause l'OPAC, maître d'ouvrage, la cour d'appel s'est bornée à affirmer sa compétence par les motifs susvisés sans aucune énonciation relative au caractère public ou privé du marché litigieux, de sorte qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu que, pour réformer le jugement en ce qu'il avait déclaré le tribunal incompétent pour statuer sur les faits de trafic d'influence reprochés à Philippe C..., concernant le marché dit de " la 3e chaîne Provence-Performance ", portant sur la construction de 350 logements dont l'OPAC des Bouches-du-Rhône était maître d'ouvrage, en raison du caractère privé de ce marché, la juridiction du second degré se prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;

Qu'en cet état, et dès lors qu'il n'importe que le marché litigieux, qui nécessitait l'agrément de l'autorité publique, ait eu un caractère privé, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Jacques B... et Jean-Pierre A... et pris de la violation des articles 433-2, 121-3 du Code pénal, du principe de la présomption d'innocence, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Jacques B... et Jean-Pierre A... coupables de trafic d'influence actif et les a condamnés de ce chef ;

" aux motifs que trois factures ont été émises le 22 février 1989 en exécution des lettres de mission portant sur les trois autres marchés ; que ces trois factures d'un montant hors taxe de 27 360 francs (Les Iris), de 29 600 francs (Maternelle Saint-Just) et de 3 408 francs (Place Marceau) n'avaient pas été réglées à la date de la perquisition au siège de la délégation d'Urbatechnic ; que Jean-Pierre A... a produit la liste des paiements effectués par traites entre le 30 mars 1989 et le 30 janvier 1990 pour un montant total de 137 641, 41 francs hors taxes par la société STP à la société Urbatechnic qui a donc poursuivi ses facturations après les perquisitions opérées au siège de sa délégation départementale ; que, si les trois conventions d'assistance signées les 26 septembre et 6 décembre 1988 pour les opérations HLM Les Iris, HLM Place Marceau et Ecole Saint-Just, ont été mises en place après l'attribution régulière de ces trois marchés, soit après la signature des actes d'engagement, plusieurs éléments du dossier établissent qu'en réalité, la société STP a accepté les sollicitations de dons ou présents de la part de la société Urbatechnic pour que cette dernière abuse de son influence réelle ou supposée en vue de lui faire obtenir d'administrations publiques les quatre marchés considérés qui n'avaient pas fait l'objet d'une attribution définitive à la date du pacte intervenu entre les deux sociétés dans le cadre de leurs négociations orales, les conventions signées ultérieurement n'ayant fait que matérialiser les accords préexistants ;

" alors que le délit de trafic d'influence pris sous sa forme active est une infraction intentionnelle qui exige que le tiers ait accepté, en connaissance de cause, la sollicitation effectuée par la personne investie de l'influence ou supposée l'être, qui entend en tirer parti moyennant remise de dons ; qu'en l'espèce, il est relevé que les accords frauduleux censés avoir été conclus entre les dirigeants de la société STP et ceux de la société Urbatechnic, avant l'obtention des marchés et concrétisés par des conventions datées des 26 septembre et 6 décembre 1988 ont fait l'objet de trois facturations émises le 22 février 1989 et non encore réglées lorsqu'a eu lieu la perquisition et les saisies dans les bureaux de la société Urbatechnic en date du 17 avril 1989 ; que, dès lors où les règlements ont été réalisés postérieurement à cette perquisition, par les dirigeants de la société STP, en réponse aux facturations susvisées, l'arrêt attaqué a constaté l'ignorance de Jacques B... et Jean-Pierre A... quant au caractère frauduleux des sommes versées, lesquelles étaient, selon eux, censées financer un parti politique indépendamment de l'attribution de marché, de sorte que l'arrêt attaqué n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s'imposaient " ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Léo D... et pris de la violation des articles 433-2, alinéa 2, du Code pénal, 178 et 179 anciens du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Léo D... coupable de délit de trafic d'influence actif et, en répression, l'a condamné à la peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis et de 80 000 francs d'amende ;

" aux motifs que Léo D... a signé une lettre de mission datée du 18 novembre 1986, aux termes de laquelle la société Les Travaux du Midi confiait à la société Urbatechnic, dans le cadre de l'opération de construction Le Percy-Marseille, une mission d'assistance commerciale et administrative destinée à la bonne fin du dossier considéré, en contrepartie d'honoraires se montant à une somme forfaitaire de 50 000 francs hors taxes à régler dans l'hypothèse où la société Les Travaux du Midi serait retenue pour la réalisation de ce marché ; que la société Les Travaux du Midi, qui a été attributaire de ce marché (acte d'engagement du 8 février 1988) a payé par chèque du 20 septembre 1988 une facture de 50 000 francs hors taxes que lui avait adressée le 8 septembre 1988 la société Urbatechnic en règlement de ses honoraires pour sa mission d'assistance dans cette opération Le Percy-Marseille ; qu'à ce sujet, Léo D... a déclaré qu'il assumait la responsabilité de ce paiement effectué par Bernard F... puisqu'il était à l'époque son supérieur hiérarchique ; (...) que Léo D... a déclaré ne pas être en mesure de donner le détail de la prestation qu'a pu fournir la société Urbatechnic et qu'il convenait d'interroger à ce sujet " l'ingénieur en chef de l'époque, Bernard F... " ; que celui-ci a exposé qu'il avait été chargé du programme Le Percy, de la préparation du marché jusqu'à la livraison des travaux, qu'il n'avait jamais traité avec la société Urbatechnic, n'avait jamais eu de relation avec elle et n'avait pas entendu parler d'une intervention de sa part à l'époque du concours ; qu'à son retour de vacances en 1988, il avait reçu, en tant que responsable du chantier Le Percy, une note d'honoraires de 50 000 francs hors taxes ; qu'il avait vérifié auprès de Léo D... le bien-fondé de cette facture et que ce dernier lui avait dit qu'il pouvait la régler car elle correspondait aux " accords " qu'il avait passés avec Urbatechnic ; que Bernard F... a ajouté que Léo D..., à une date qu'il ne pouvait préciser, lui avait dit avoir signé " un accord commercial " avec une société Urbatechnic qui pouvait leur " apporter des renseignements sur les marchés ouverts par les collectivités avant leur parution dans les journaux d'annonces légales, le niveau de la concurrence, leurs chances de récupérer le marché sur lequel ils postulaient " ; (...) qu'en donnant à son subordonné, Bernard F..., qui n'a été en la circonstance qu'un simple exécutant, l'ordre de régler le 20 septembre 1988 la facture de 59 300 francs toutes taxes comprises adressée par la société Urbatechnic en exécution de la convention qu'il avait signée le 18 novembre 1986, et ce alors que, de son propre aveu, la société Travaux du Midi avait refusé de payer une facture de 84 000 francs du 18 juillet 1988 relative au marché dit 4e chaîne Pro-Perf parce qu'à l'époque, ses dirigeants avaient pris conscience qu'elle finançait à travers Urbatechnic le parti socialiste, Léo D... s'est, par cet acte postérieur au 11 mars 1988, rendu coupable, en tant qu'auteur principal, de l'infraction de trafic d'influence ; qu'en effet, ce délit, consommé par le versement des dons ou présents par la personne qui a cédé aux sollicitations de qui lui a proposé de trafiquer de son influence, reste punissable même si l'acceptation par le premier des sollicitations du second est antérieure à la date fixée par la loi pour le bénéfice de l'amnistie ;

" alors, d'une part, que, pour retenir la responsabilité de Léo D... en qualité d'auteur du délit de trafic d'influence incriminé, la cour d'appel a relevé qu'il aurait donné l'ordre à son subordonné, Bernard F..., de procéder au paiement de la facture émise par la société Urbatechnic, correspondant selon elle à la rémunération illicite de l'entremise de ladite société dans l'attribution du marché de l'OPHLM du Percy à la société Les Travaux du Midi ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que Bernard F... soutenait seulement que Léo D... s'était borné à lui dire qu'il pouvait régler la facture litigieuse, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;

" alors, d'autre part, que, en fondant la culpabilité de Léo D... sur la déclaration de Bernard F... qui, ayant matériellement effectué le paiement incriminé, soutenait que Léo D... lui avait dit qu'il pouvait régler la facture litigieuse, ce qui ne suffisait pas à établir l'instruction formelle fondant, d'après l'arrêt, la responsabilité personnelle de ce dernier dans la commission du délit, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Pierre Z... et Jean-Pierre Y... et pris de la violation des articles 1350 du Code Civil, 388, 593 et 595 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les moyens de Pierre Z... et Jean-Pierre Y... tirés de la limitation par le réquisitoire introductif de la saisine de la Cour ;

" aux motifs qu'il y a nullité au sens de l'article 171 du Code de procédure pénale lorsqu'une juridiction d'instruction instruit sur des faits étrangers à l'acte de saisine ;

" qu'aux termes de l'article 595 dudit Code, lorsque la chambre d'accusation statue sur le règlement d'une procédure, tous moyens pris de nullité de l'information doivent lui être proposés, faute de quoi les parties ne sont plus recevables à en faire état, sauf le cas où elles n'auraient pu les connaître et sans préjudice du droit qui appartient à la Cour de Cassation de relever tous moyens d'office ;

" que les moyens des prévenus tirés de la limitation de la saisine de la Cour par le réquisitoire introductif leur étant connus, à l'époque, ceux-ci étaient en mesure de les proposer à la chambre d'accusation et sont donc irrecevables à en faire état devant la chambre des appels correctionnels ; que cette dernière est donc saisie par le renvoi ordonné par la chambre d'accusation qui a déterminé les faits déférés à la juridiction de jugement et fixé ainsi l'étendue de sa saisine, dans son arrêt du 17 février 1995 devenu définitif après l'arrêt rendu le 29 avril 1996 par la Cour de Cassation qui a rejeté les pourvois formés notamment par Pierre Z... et Jean-Pierre Y... sans relever d'office les moyens qu'ils ne sont plus recevables à présenter devant la Cour ;

" alors que Pierre Z... et Jean-Pierre Y... ayant, dans leurs conclusions d'appel, fait valoir qu'il résultait des termes mêmes de l'arrêt de renvoi rendu le 17 février 1995 par la chambre d'accusation et passé en force de chose jugée, que les poursuites exercées en vertu du réquisitoire introductif devaient être limitées aux faits concernant des marchés publics municipaux ou para-municipaux de Marseille comptabilisés ou susceptibles d'être comptabilisés aux comptes codés portant les trois noms de Prado ou Carenage ou Saint-Charles, alors que les opérations dites Pôle Tertiaire de la Porte d'Aix et Tunnel Prado-Carenage qui, pour la première, était constituée par un concours de charges foncières non assimilable à un marché public municipal ou para-municipal n'ayant fait l'objet d'aucune comptabilisation sous les intitulés précités et pour la seconde, résultait d'un concours de concession non assimilable à un marché municipal ou para-municipal, n'entraient pas davantage dans le champ de la prévention, la Cour, qui s'est totalement abstenue de s'expliquer sur ce moyen péremptoire de défense tiré des limites tracées à la prévention par l'arrêt de renvoi et a condamné les prévenus pour les opérations susvisées en se bornant à invoquer les dispositions de l'article 595 du Code de procédure pénale, a ainsi privé sa décision de motifs et violé l'article 388 du Code de procédure pénale " ;

Attendu que, pour écarter les conclusions de Pierre Z... et Jean-Pierre Y... qui soutenaient que les opérations dites " Pôle tertiaire de la porte d'Aix " et " Tunnel Prado-Carenage " n'entraient pas dans le champ de la prévention, limitée par le réquisitoire introductif du 27 septembre 1991, aux faits concernant les marchés publics de la ville de Marseille comptabilisés aux comptes codés Prado, Carenage ou Saint-Charles, les juges d'appel, après avoir relevé que ces moyens de nullité de l'information n'avaient pas été proposés devant la chambre d'accusation statuant sur le règlement de la procédure, alors qu'ils étaient connus des prévenus, énoncent que ceux-ci sont irrecevables à en faire état devant la chambre des appels correctionnels ;

Qu'en cet état et dès lors que l'arrêt de renvoi visait ces faits, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 595 du Code de procédure pénale ;

Qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Pierre Z... et Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 177, 178, 179 anciens du Code pénal en vigueur à la date des faits, 112-1 et 433-2 du Code pénal, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre Y... et Pierre Z... coupables de trafic d'influence actif ;

" aux motifs, sur les faits reprochés à Jean-Pierre Y... concernant la salle omnisports Teisseire :

" que ce marché a été attribué à la société Sobea, devenue par la suite Sogea par une délibération du conseil municipal de Marseille du 19 décembre 1986, après que M. J...ait signé une lettre du 14 mars 1986 par laquelle la Sobea s'engageait à payer à la société Urbatechnic une commission représentant 2 % du montant hors taxes des travaux ;

" qu'en exécution de cette convention, Jean-Pierre Y..., directeur régional de la Sogea après le 11 mars 1988, a ordonné le paiement de trois factures de 198 896, 94 francs hors taxes chacune adressée par la société Urbatechnic ;

" qu'il résulte des propres déclarations de Jean-Pierre Y... qu'il a poursuivi en toute connaissance de cause le paiement de ces factures ; qu'il a en effet reconnu que la société Urbatechnic n'avait effectué aucune prestation et qu'il savait qu'elle avait pour objet d'assurer le financement du parti socialiste ;

" que Jean-Pierre Y... ne pouvait ignorer que les fonds versés par la Sogea à la société Urbatechnic l'avaient été pour obtenir de cette dernière qu'elle use de son influence en vue de lui faire obtenir le marché de la salle omnisports Teisseire " ;

" sur les faits reprochés à Pierre Z... et Jean-Pierre Y... Pôle Tertiaire de la Porte d'Aix :

" que la candidature unique d'un groupement d'entreprises ayant désigné comme mandataire la société Sogea a, par une décision du 5 janvier 1989, été retenue par la société Marseillaise Mixte Communale d'Aménagement et d'Equipement dite Somica ;

" qu'ont été saisis dans les locaux d'Urbatechnic un télex émis le 5 janvier 1989 par Jean-Pierre Y... confirmant un entretien du 3 janvier 1989 et prévoyant le versement d'honoraires de 5 100 000 francs hors taxes échelonnés par tiers, ainsi qu'une facture de 1 700 000 francs hors taxes délivrée par cette société à Sogea Provence conformément à une convention du 27 septembre 1988 ;

" que Jean-Pierre Y... a indiqué que, le 3 janvier 1989, une réunion avait eu lieu au siège d'Urbatechnic au cours de laquelle Pierre Z... et lui-même s'étaient mis d'accord pour financer le parti socialiste à hauteur de 5 100 000 francs payables en trois versements sans qu'Urbatechnic ne fournisse aucune prestation, la convention antidatée du 27 septembre 1988 ayant été signée en janvier ou février 1989 pour " habiller " l'opération ;

" que Pierre Z... a précisé qu'il n'y avait aucune relation entre ce financement et l'obtention du marché qui, à l'époque, était acquis à Sogea Provence depuis l'automne 1988 puisqu'elle était la seule à avoir participé au concours d'architecture ;

" que plusieurs éléments établissent qu'en réalité la Sogea Provence a bien accepté les sollicitations de la société Urbatechnic pour se faire attribuer le marché ;

" que les accords entre ces deux sociétés sont bien antérieurs, leur objet véritable, résultant notamment des notes écrites par Bruno H... représentant d'Urbatechnic le 12 décembre 1986 et d'un projet de convention établi par M. K..., alors directeur de Sogea Provence en 1987 ;

" que, même en janvier 1989 et nonobstant l'unicité de sa candidature, la Sogea était loin d'avoir obtenu la réalisation du marché puisqu'il n'était pas certain que l'opération serait menée à son terme, la commune pouvant toujours renoncer à la réaliser, le fractionnement des honoraires en trois versements et l'échelonnement de leurs règlements en fonction de l'état d'avancement du projet étant bien de nature à susciter l'intervention de la société Urbatechnic pour que l'opération soit menée à son terme ;

" qu'il résulte des termes mêmes de cet accord du 3 janvier 1989 que la Sogea entendait bien obtenir que lui soit confiée la réalisation des travaux ; que les prévenus ne sauraient donc arguer du fait que cette opération, qui n'a pas abouti, était un concours de charges foncières non assimilable à un marché public municipal ou para-municipal ;

" qu'il importe peu que l'opération du Pôle Tertiaire de la Porte d'Aix n'ait consisté qu'en un concours de charges foncières, dès lors que l'article 433-2 du Code pénal actuellement en vigueur, comme les articles 178 et 179 anciens du Code Pénal, visent non seulement " l'obtention des marchés " mais aussi " toute autre décision favorable " ; " tunnel Prado-Carenage " :

" que, le 20 décembre 1988, le jury du concours de concession lancé pour la réhabilitation du tunnel Prado-Carenage et la réalisation d'une autoroute urbaine à péage a décidé de proposer au conseil municipal de retenir la proposition présentée par un groupement d'entreprises constitué le 31 mai 1988 par les sociétés Sogea, L... Bernard et Borie-SAE, cette dernière étant désignée comme mandataire ;

" que, par délibération du 6 février 1989, le conseil municipal a décidé la réalisation du tunnel et désigné ce groupement comme concessionnaire ;

" que l'examen des dossiers a révélé l'existence d'une convention datée du 12 avril 1988 signée par Jean-Pierre Y... et Urbatechnic confiant à cette dernière une mission d'assistance et de conseil rémunérée par des honoraires de 556 000 francs hors taxes dans l'hypothèse où le projet auquel collaborait la Sogea serait déclaré lauréat, d'un protocole d'accord daté du 2 décembre 1988 ayant été conclu entre la société Borie-SAE et Urbatechnic aux termes duquel la première convenait du paiement des honoraires de 5, 7 millions de francs hors taxes à la seconde, en trois versements de 1, 9 million de francs hors taxes et de deux doubles de factures dont l'une a été adressée à Sogea Provence, d'un montant de 556 000 francs hors taxes et l'autre à Borie-SAE ;

" que le représentant de L... Bernard a remis, au cours d'une confrontation, une convention datée du 14 décembre 1987 confiant à Urbatechnic une mission d'assistance en vue de l'obtention du métro de Toulouse en contrepartie d'honoraires de 550 000 francs hors taxes et une facture d'un même montant se référant à cette opération délivrée le 16 mai 1989 ;

" qu'il résulte des divers éléments de preuve que les relations entre Borie-SAE et Urbatechnic sont bien antérieures à la fin de l'année 1988 ;

" que Pierre Z... a eu connaissance, au cours du premier semestre de l'année 1988, de l'accord passé sur le principe d'une convention entre Borie-SAE et Urbatechnic et qu'il a demandé au mois de février 1989 à Jean-Pierre Y... si Sogea Provence pouvait verser 556 000 francs au parti socialiste en habillant l'opération par la signature d'une convention antidatée du 12 avril 1988 ;

" que, si le délit de trafic d'influence est une infraction instantanée consommée dès la conclusion du pacte entre le solliciteur et celui qui accepte, ce délit se renouvelle à chaque acte d'exécution ; que Pierre Z... et Jean-Pierre Y..., en acceptant tous deux le versement à la société Urbatechnic de la somme de 556 000 francs hors taxes, ont, en pleine connaissance de cause, exécuté le protocole d'accord du 2 décembre 1988 ;

" que la convention passée entre Sogea Provence et Urbatechnic est intervenue à une époque où certes le conseil municipal avait approuvé le choix du jury, mais où plusieurs autres décisions favorables étaient attendues de la ville de Marseille (modification du plan d'occupation des sols, achat des terrains à la SNCF) ;

" qu'il convient de déclarer les prévenus coupables de trafic d'influence ;

" alors que, d'une part, le délit de trafic d'influence actif prévu par l'article 433-2, alinéa 2, du Code pénal, étant constitué par le fait de proposer des offres, des promesses, des dons ou des avantages à une personne pour que celle-ci abuse de son influence en vue de faire obtenir une décision favorable d'une autorité ou d'une administration publique, la Cour a violé le texte précité en en faisant application en l'espèce pour déclarer Jean-Pierre Y... et Pierre Z... coupables de cette infraction commise à l'occasion des opérations dites salle omnisports Teisseire et tunnel Prado-Carenage sous prétexte que ces prévenus avaient, après l'obtention de ces opérations, effectué des versements de commissions indues promises par le prédécesseur de Jean-Pierre Y... et par le représentant de l'entreprise mandataire du groupement auquel appartenait leur société, de tels versements ne pouvant constituer le délit de trafic d'influence actif ;

" alors que, d'autre part, les prévenus ayant toujours expliqué que les commissions qu'ils avaient acceptées de verser à la société Urbatechnic étaient seulement destinées à éviter que leurs entreprises ne soient systématiquement écartées des marchés qu'elles étaient susceptibles d'obtenir, mais étaient sans relation avec les opérations auxquelles ces commissions avaient été affectées par des conventions antidatées en réalité conclues après que les décisions favorables aient été acquises, ces conventions ne constituant qu'un habillage juridique, la Cour, qui a elle-même constaté que les conventions prévoyant les versements de commissions avaient été antidatées et n'a pu démentir que les opérations auxquelles elles se référaient étaient déjà acquises au profit de l'entreprise des demandeurs quand elles avaient été conclues par eux, a violé l'article 433-2 du Code pénal en invoquant, pour entrer en voie de condamnation, la volonté de Pierre Z... et Jean-Pierre Y... d'obtenir dans l'avenir d'éventuelles décisions favorables pour leur entreprise, le délit prévu par le texte précité n'étant pas constitué par le versement de commissions indues effectué dans le seul souci de ménager de bonnes relations avec un parti politique, mais devant être motivé par la volonté d'obtenir un avantage précis en contrepartie " ;

Attendu que, pour déclarer Pierre Z... et Jean-Pierre Y... coupables de trafic d'influence à l'occasion des opérations dites " salle omnisports Teisseire ", " tunnel Prado-Carenage " et " pôle tertiaire de la porte d'Aix ", la juridiction du second degré se prononce par les motifs repris au moyen ;

Qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, et dès lors que le délit de trafic d'influence, reproché aux prévenus, s'est renouvelé au moment de l'exécution par ceux-ci, en connaissance de cause, du pacte illicite conclu antérieurement par des tiers entre les sociétés Sogea, Borie-SAE et Urbatechnic, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.