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Décisions

Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-18.704

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Les Jeunes pousses (Sté), Bumble Bees (Sté), Butterflies (Sté), Ladybirds (Sté)

Défendeur :

Pim Pam Pomme Bourguébus (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

M. Blanc

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Didier et Pinet

T. com. Cean, du 15 mai 2019, n° 2017007…

15 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 17 juin 2021), reprochant aux sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds une concurrence déloyale née de l'exploitation de micro-crèches en méconnaissance de la réglementation applicable à ces établissements, la société Pim Pam Pomme Bourguébus (la société Pim Pam Pomme), qui exploite une crèche d'entreprise, les a assignées en réparation du préjudice pris de la perte de clientèle, notamment celle de la société Sofi Ifs.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font grief à l'arrêt de les condamner à  payer à la société Pim Pam Pomme la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale générateur d'un trouble commercial réparable l'activité économique exercée dans des conditions conformes à la réglementation en vigueur ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, d'une part, que la société Les Jeunes pousses avait reçu l'autorisation par l'administration d'ouvrir trois structures gérées par une seule personne et situées à proximité les unes des autres,  sous le régime de la micro-crèche et, d'autre part, que ces micro-crèches "fonctionnent conformément aux dispositions du code de la santé publique" ; que pour retenir pourtant que la société Les Jeunes pousses et ses filiales exerçaient une concurrence déloyale à l'égard de la crèche exploitée par la société Pim Pam Pomme dans la ville voisine, la cour d'appel énonce qu'elle "a scindé artificiellement son activité alors qu'elle exploite en réalité un établissement d'accueil de 30 enfants", que "les trois micro-crèches sont exploitées dans les mêmes locaux avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, un numéro de téléphone et une adresse uniques et qu'elles fonctionnent de façon identique s'agissant des horaires et des tarifs" de sorte qu'elle a "ainsi éludé l'application des dispositions du code de la santé publique applicable aux établissements accueillant plus de dix enfants" ; qu'en se prononçant ainsi, sans préciser si les conditions ainsi relevées dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées n'étaient pas conformes aux autorisations que la société Les Jeunes Pousses avaient reçues pour l'exploitation applicable à ce type d'établissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240, ancien article 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

3. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

4. Pour condamner les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds à payer à la société Pim Pam Pomme une certaine somme à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient d'abord que les micro-crèches ont reçu l'ensemble des autorisations administratives nécessaires et que l'implantation de plusieurs micro-crèches gérées par un même gestionnaire à proximité les unes des autres a été validée par le conseil général. Il retient ensuite, toutefois, qu'en ouvrant trois établissements de dix places, la société Les Jeunes pousses a scindé artificiellement son activité cependant qu'elle exploite en réalité un établissement d'accueil de trente enfants, dans la mesure où les trois micro-crèches sont exploitées dans les mêmes locaux, avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, avec un numéro de téléphone et une adresse uniques, et selon un fonctionnement identique s'agissant des horaires et des tarifs. Il en déduit qu'en ouvrant trois micro-crèches dans un bâtiment unique, la société Les Jeunes pousses a éludé l'application des dispositions du code de la santé publique applicables aux établissements accueillant plus de dix enfants, ce qui a conduit à réduire son coût de fonctionnement s'agissant notamment du nombre et de la qualification du personnel.

5. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les conditions dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées étaient fautives en dépit des autorisations administratives qui leur avaient été délivrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font le même grief à l'arrêt, alors « que le juge est tenu de respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; que, pour évaluer le montant des dommages-intérêts, l'arrêt retient que le préjudice de la société Pim Pam Pomme en conséquence de l'avantage concurrentiel indu qu'elle imputait à la société Les Jeunes pousses et ses filiales s'analyserait en une perte de chance de poursuivre les relations commerciales avec la société Sofi Ifs, quand il n'était pas soutenu que le préjudice subi consistait en une perte de chance, la cour d'appel qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

7. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

8. Pour statuer comme il fait, après avoir retenu qu'en exploitant trois micro-crèches en contournant la réglementation applicable, les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds avaient commis des actes de concurrence déloyale et que la perte par la société Pim Pam Pomme d'un de ses clients, la société Sofi Ifs, était directement liée à ces agissements, l'arrêt retient encore que le préjudice en résultant consiste en la perte d'une chance pour la société Pim Pam Pomme de poursuivre ses relations commerciales avec ce client.

9. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, tiré de ce que le préjudice subi par la société Pim Pam Pomme s'analysait en la perte d'une chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'en affirmant enfin que la société Sofi Ifs se serait "nécessairement" vu offrir par la société Les Jeunes pousses des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme, ce qui n'était ni allégué ni établi, la cour d'appel a statué par un motif purement affirmatif et violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

12. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que la société Sofi Ifs s'est nécessairement vu offrir par les sociétés exploitant les micro-crèches des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme.

13. En statuant ainsi, par une simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Pim Pam Pomme Bourguébus aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pim Pam Pomme Bourguébus et la condamne à payer aux sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.