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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 28 octobre 2022, n° 19/04698

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Agricow SRL (Sté)

Défendeur :

Gaec des Landes (Sté), GFA des Etangs (Sté), Animat Inc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

M. Pothier, Mme Barthe-Nari

Avocats :

Me Garnier, Me Gaslini, Me Dubreil, Me Bommelaer, Me de la Taste

CA Rennes n° 19/04698

27 octobre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 5 juillet 2007, le Groupement foncier agricole des Etangs (ci-après GFA des Etangs) a passé commande d'équipements destinés à une stabulation pour vaches laitières à la société Agricow International SRL, désormais la société Agricow SRL après fusion- absorption (ci-après la société Agricow). Les marchandises ont été livrées le 23 novembre 2007 au siège du GFA des Etangs à [Localité 3]. Les tapis et caillebotis ont été installés dans un bâtiment neuf, d'une surface de 2 200 m², spécialement aménagé à usage de stabulation, qui a été loué, par bail du 15 décembre 2007, au GAEC des Landes par le GFA des Etangs.

Prétendant que les tapis s'étaient rapidement dégradés et que cette usure prématurée avait perturbé le bétail et occasionné une perte de production laitière, le GFA des Etangs et le GAEC des Landes ont assigné en référé, par acte d'huissier en date du 16 juin 2011, la société Agricow aux fins d'expertise judiciaire. Par ordonnance en date du 19 juillet 2011, le juge des référés a désigné M. [H] [Z], aux fins notamment de vérifier l'existence et l'origine des désordres allégués, et [F] [Y] aux fins d'estimer le préjudice subi au cas où le rapport d'expertise de M. [Z] conclurait à l'imputation des désordres constatés à la société Agricow International. Deux ordonnances des 19 juin et 24 juillet 2012 ont étendu les opérations d'expertise à la société Animat en sa qualité de fabricant des tapis litigieux et à M. [A] [K], importateur de la marque Agricow, auprès duquel les marchandises avaient été commandées.

Par ordonnance du 8 décembre 2014, M. [Y] a été remplacé par M. [X] [J].

M [Z] a déposé son rapport définitif le 28 décembre 2015 aux termes duquel il a chiffré le montant total des réparations de l'exploitation à la somme de 214 000 euros HT. M [J] a rendu le sien le 2 février 2016, évaluant le montant total des préjudices subis par le GAEC des Landes à 625 564,83 euros.

Par actes des 4 octobre et 10 novembre 2016, le GFA des Etangs et le GAEC des Landes ont assigné la société Agricow et la société Animat devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 10 janvier 2019, le tribunal a :

- dit le GFA des Etangs et le GAEC des Landes irrecevables en leurs demandes formées contre la société Animat,

- condamné la société Agricow à verser au GFA des Etangs la somme de 211 000 euros HT outre TVA applicable au jour du paiement,

- condamné la société Agricow à verser au GAEC des Landes la somme de 277 721,92 euros HT outre TVA applicable au jour du paiement,

- débouté le GFA des Etangs et le GAEC des Landes de leurs plus amples demandes,

- condamné la société Agricow aux dépens en ce compris les frais d'expertise, avec distraction au profit de la SCP

Ouest avocats conseils,

- débouté le GFA des Etangs et le GAEC des Landes au titre d'autres frais à inclure dans les dépens,

- condamné la société Agricow à verser au GFA des Etangs et au GAEC des Landes la somme de 4 000 euros en tout au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la décision est assortie de l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées à chaque demandeur.

Par déclaration en date du 11 juillet 2019, la société Agricow a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 4 mai 2022, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en ce qu'il a dit le GFA des Étangs et le GAEC des Landes irrecevables en leurs demandes formées contre la société Animat, condamné la société Agricow à verser au GFA des Étangs la somme de 211.000 euros HT outre TVA applicable au jour du paiement,

condamné la société Agricow à verser au GAEC des Landes la somme de 277.721,92 euros HT outre TVA applicable au jour du paiement,

condamné la société Agricow aux dépens,

condamné la société Agricow à verser au GFA des Étangs et au GAEC des Landes la somme de 4.000 euros en tout au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en ce qu'il a :

débouté le GFA des Etangs et l'EARL des Landes de leurs demandes formées contre Agricow sur le fondement de la responsabilité pour produits défectueux,

Subsidiairement, si par extraordinaire, la Cour devait condamner Agricow sur le fondement de la responsabilité pour produits défectueux : exclure du montant des condamnations tous les postes d'indemnisation relatifs à la dépose, à l'évacuation des tapis non conformes et au remplacement des tapis non conformes pour un montant total de 59.065,00 euros, débouté le GFA des Etangs de ses demandes formées contre Agricow sur le fondement de la garantie contractuelle, débouté le GFA des Etangs et l'EARL des Landes au titre d'autres frais à inclure dans les dépens,

Statuant à nouveau,

À titre principal,

- dire le GFA des Etangs irrecevable en ses demandes formées contre Agricow au titre de la garantie des vices cachés car prescrites,

Subsidiairement,

- débouter le GFA des Etangs de ses demandes formées contre Agricow au titre de la garantie des vices cachés,

- débouter l'EARL des Landes de ses demandes formées contre Agricow au titre de sa responsabilité délictuelle,

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à retenir la responsabilité d'Agricow à l'égard du GFA des

Etangs et de l'EARL des Landes,

- réduire le montant des dommages à la charge de Agricow proportionnellement aux manquements des intimés,

- réévaluer les préjudices demandés par le GFA des Etangs et l'Earl des Landes à Agricow à de plus justes proportions : réduire la condamnation de Agricow à l'encontre du GFA des Etangs à une somme maximale de 105.879 euros ou, subsidiairement, à une somme maximale de 131.879 euros si par extraordinaire la Cour devait condamner Agricow à verser également une somme au titre de restitution du prix de vente/remplacement de tapis même si l'activité de production laitière de l'Earl des Landes a arrêté en 2013, réduire le préjudice allégué par l'Earl des Landes à une somme maximale de 84.107 euros au titre de pertes directes et débouter l'Earl des landes de sa demande d'indemnisation relative aux pertes indirectes de son exploitation,

En tout état de cause

- condamner le GFA des Etangs, l'Earl des Landes et Animat solidairement au paiement d'une somme de 25.000 euros au titre de l'art. 700 du code de procédure civile,

- condamner le GFA des Etangs, l'Earl des Landes et Animat solidairement aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 13 avril 2022, l'Earl des Landes et le GFA des Etangs demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du 10 janvier 2019 en ce qu'il a :

déclaré irrecevable leur action à l'égard de la société Animat,

débouté le GFA des Etangs et le GAEC des Landes de leurs demandes au titre de la responsabilité des produits défectueux et de la garantie contractuelle,

limité le préjudice d'exploitation du GAEC des Landes à 18 mois seulement,

- confirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

- débouter Animat et Agricow de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- constater que la société Agricow était bien constituée en référé et en première instance,

- déclarer recevable et bien fondée l'action du GFA des Etangs et du G.A.E.C. des Landes à l'encontre des sociétés Animat et Agricow,

À titre principal,

- constater la qualité de producteur de la société Animat au sens de l'article 1386-1 du code civil,

-constater la qualité d'assimilé à un producteur de la société Agricow au sens de l'article 1386-6 du code civil,

- dire et juger que les sociétés Animat et Agricow sont responsables des entiers préjudices résultant de la dégradation des produits vendus et subis par le GFA des Etangs et par le G.A.E.C. des Landes,

À titre subsidiaire,

- dire et juger la société Agricow responsable des entiers préjudices subis par le GFA des Etangs au titre de la garantie décennale conventionnelle,

- dire et juger l'action directe du GFA des Etangs à l'égard de la société Animat recevable et bien fondée,

En conséquence,

- dire et juger la société Animat pareillement responsable des entiers préjudices subis par le GFA des Etangs,

- constater le manquement par la société Animat et par la société Agricow à leurs obligations contractuelles,

- dire et juger que les préjudices de l'Earl des Landes sont directement liés à ces manquements,

En conséquence,

- dire et juger la société Animat et la société Agricow responsables des entiers préjudices subis par l'E.A.R.L. des Landes au titre de ces manquements,

À titre infiniment subsidiaire,

- constater que les matelas et les tapis vendus étaient affectés d'un vice caché,

En conséquence,

- dire et juger les sociétés Animat et Agricow responsables de l'entier préjudice du GFA des Etangs au titre de la garantie légale des vices cachés,

- constater le manquement des sociétés Animat et Agricow à leurs obligations légales au titre de la garantie des vices cachés,

En conséquence,

- dire et juger les sociétés Animat et Agricow responsables de l'entier préjudice de l'Earl des Landes à ce titre,

En toute hypothèse,

- condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre la société Animat et la société Agricow à verser au GFA des Etangs la somme de 214.000,00 € HT outre la TVA applicable au jour du règlement, avec intérêts de retard au taux légal à compter de mars 2013, en indemnisation de son préjudice matériel,

- condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre la société Animat et la société Agricow à verser à l'Earl des Landes la somme de 625.564,83 € HT outre la TVA applicable au jour du règlement, avec intérêts de retard au taux légal à compter de mars 2013, en indemnisation du préjudice d'exploitation,

- condamner solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, la société Animat et la société Agricow à verser 6.000,00 € au GFA des Etangs et à l'Earl des Landes chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise, les frais de sapiteurs et les frais de vétérinaires exposés.

Par ses dernières conclusions signifiées le 1er avril 2022, la société Animat demande à la cour de :

Vu l'article 2224 du code civil,

Vu l'article 1386-1 ancien et suivants du code civil,

Vu les articles 1641 et suivants du code civil,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- déclarer irrecevables comme prescrites ou forcloses les demandes du GFA des Etangs et du GAEC des Landes à son encontre,

Y ajoutant,

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevables comme nouvelles, et subsidiairement prescrites, les prétentions de la société Agricow International dirigées contre la société Animat,

Subsidiairement,

- constater la responsabilité de la société Agricow dans le préjudice économique subi par le GAEC des Landes,

- ramener à de plus justes proportions les prétentions indemnitaires du GFA des Etangs et du GAEC des Landes,

- condamner la société Agricow à payer à la société Animat la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur saisine de la société Agricow, par ordonnance de référé du 17 mars 2020, l'exécution provisoire dont était assorti le jugement a été arrêtée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Agricow le 4 mai 2022 et pour l'EARL des Landes et le GFA des Etangs le 13 avril 2022, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 12 mai 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur la responsabilité des produits défectueux :

Le GFA des Etangs et le GAEC des Landes, devenu en 2018 l'Earl des Landes, ont, par actes d'huissier en date des 4 octobre et 10 novembre 2016, assigné en responsabilité, la société Agricow et la société Animat sur le fondement, à titre principal, de l'article 1386-1 du code civil devenu l'article 1245.

Le GFA des Etangs et l'Earl des Landes reprochent au tribunal d'une part, d'avoir jugé leur action à l'encontre de la société Animat, sur ce fondement, irrecevable au motif que l'assignation en référé n'avait pu interrompre la prescription à son égard et d'autre part, de les avoir déboutés de leurs demandes à l'encontre de la société Agricow au motif qu'ils connaissaient à la date de l'assignation l'identité du vendeur et ne pouvaient donc rechercher la responsabilité subsidiaire du vendeur.

En appel le GFA des Etangs et l'Earl des Landes ne recherchent plus la responsabilité de la société Agricow en tant que vendeur mais en tant que producteur assimilé en application de l'article 1245-5 alinéa 2 2° du code civil, pour avoir importé les tapis litigieux en vue de leur vente dans la communauté européenne l'action en responsabilité du fait des produits défectueux à l'égard de la société Animat :

Il sera rappelé qu'aux termes de l'article 1386-17 devenu l'article 1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur les dispositions relatives au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

S'agissant du point de départ de la prescription de leur action à l'égard de la société Animat, le GFA des Etangs et le GAEC des Landes rejoignent l'appréciation du tribunal. Ils font valoir que la détérioration des tapis n'a été constatée qu'au cours des opérations d'expertise amiable, le 11 mai 2010, et que c'est à cette date qu'il est apparu que les tapis comportaient un vice inhérent à leur fabrication. Contrairement au premier juge toutefois, ils considèrent que l'assignation en référé aux fins d'expertise judiciaire, signifiée le 16 juin 2011, est venue interrompre le délai de prescription et qu'un nouveau délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter du dépôt des rapports d'expertise soit le 30 décembre 2015 et le 2 février 2016, qui a été, à nouveau, interrompu par les assignations au fond le 4 octobre et le 10 novembre 2016. Prétendant que jusqu'aux opérations d'expertise de M. [Z], ils ignoraient l'existence de la société Animat, le GFA des Etangs et l'Earl des Landes soutiennent que leur action à l'égard de la société Animat n'est pas prescrite.

La société Animat considère, quant à elle, que les intimés sont irrecevables à agir à son encontre sur le fondement de l'article 1386-1 devenu l'article 1245 du code civil, leur action étant prescrite au moment de l'assignation en date du 10 novembre 2016. Ainsi, selon elle, ils ont toujours eu connaissance de l'identité du fabricant, la marque Animat étant gravée dans les tapis.

De surcroît, elle soutient que ni la connaissance du lien de causalité entre défaut et dommage ni celle de la connaissance intégrale du défaut ou du dommage ne sont exigées pour faire courir le délai de prescription ou de forclusion et qu'en conséquence, la date du 22 février 2010 du courrier par lequel le GFA des Etangs a sollicité auprès de la société Agricow, le remplacement de la totalité des tapis et l'indemnisation du préjudice subi par le cheptel, doit être prise comme point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux. Soulignant que les premières demandes formées à son encontre par le GFA des Etangs et le GAEC des Landes l'ont été à l'occasion de l'assignation délivrée le 10 novembre 2016 et que seule la société Agricow a sollicité l'extension des opérations d'expertise à son égard par exploit d'huissier en date du 28 juin 2012, la société Animat conclut à la confirmation de la décision du premier juge sur l'acquisition de la prescription de l'action engagée à son encontre par le GFA des Etangs et l'Earl des Landes.

Par courrier adressé à la société Agricow, en date du 26 février 2010, et non du 22 février, comme indiqué par erreur par la société Animat, le GFA des Etangs a effectivement fait état des dommages causés à l'exploitation laitière par la détérioration des tapis, réclamant le changement total des tapis et le paiement d'une indemnité de 110 000 euros. Dans ce courrier, il a mentionné avoir indiqué à son assureur avoir acheté des tapis Agricow et se retrouver avec des tapis canadiens qui ne pouvaient être vendus en France.

Il apparaît donc qu'à la date de ce courrier, le GFA des Etangs savait que la société Agricow n'était pas le fabricant des tapis. Compte tenu de ce que la marque Animat était gravée sur les tapis et du fait que le GFA des Etangs savait que les tapis litigieux étaient en fait canadiens, ce n'est donc pas à la date des opérations d'expertise du 27 septembre 2011, comme l'a relevé le tribunal, que l'existence de la société Animat en tant que producteur a été révélée au GFA des Etangs et au GAEC des Landes. L'expert, M. [Z], a d'ailleurs noté dans son rapport : 'il résulte des déclarations non contredites des demandeurs que la société Agricow aurait honoré la commande passée par le GFA des Etangs en lui livrant des tapis, non pas de marque Agricow mais de marque Animat'. Les opérations d'expertise judiciaire n'ont fait que confirmer l'identité du fabricant des tapis achetés au GFA des Etangs et au GAEC des Landes qu'ils connaissaient déjà.

Pour autant la date du 26 février 2010 ne peut être retenue comme point de départ du délai de prescription, aucun élément sur le défaut des tapis n'étant explicitement évoqué dans ce courrier. Ce n'est qu'à la date de l'expertise amiable, diligentée par la compagnie Groupama, le 11 mai 2010, que le GFA des Etangs a eu connaissance de l'ampleur des désordres affectant les tapis et des conséquences sur l'exploitation laitière du GAEC des Landes. Il résulte en effet, du courrier adressé par la compagnie Groupama à la société Agricow le 9 juin 2010 que celle-ci a constaté, lors de cette expertise à laquelle M. [K], intermédiaire de la société Agricow en France ne s'est pas présenté, que 'les tapis en gomme caoutchoutée acquis [chez vous] en novembre 2007 et mis en oeuvre sur des caillebotis en béton sont dans un état de dégradation avancée et généralisée qui d'une part les rendent impropres à leur destination et d'autre part occasionnent des préjudices consécutifs en matière de production laitière et vétérinaire'.

A la date du 11 mai 2010, comme ils le reconnaissent, le GFA des Etangs et l'Earl des Landes disposaient donc de tous les éléments pour exercer leur action en responsabilité sur le fondement de l'article 1245-6 du code civil à l'encontre de la société Animat. Ils se devaient donc d'agir avant le 11 mai 2014.

L'article 2241 du code civil énonce que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Toutefois, pour être interruptive de prescription, l'assignation doit être adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire.

Or, il est constant que l'assignation en référé en date du 16 juin 2011 diligentée par le GFA des Etangs et le GAEC des Landes a été faite à l'égard de la seule société Agricow. L'assignation par acte d'huissier du 2 avril 2012 de la société Animat aux fins de lui rendre opposables les opérations d'expertise a été effectuée à la demande de la société Agricow.

Le GFA des Etangs et l'Earl des Landes ne pouvant se prévaloir de l'effet interruptif de l'assignation de la société Animat devant le juge des référés par la société Agricow, il s'en déduit que leur action en responsabilité du fait des produits défectueux était effectivement prescrite au moment de l'assignation délivrée au fond, à l'encontre de celle-ci, le 10 novembre 2016. l'action en responsabilité du fait des produits défectueux à l'égard de la société Agricow :

La prescription de l'action en responsabilité du GFA des Etangs et de l'Earl des Landes à l'égard de la société Agricow qui a commencé à courir à compter du 11 mai 2010, s'est trouvée valablement interrompue par l'assignation en référé expertise le 16 juin 2011. De surcroît, en application de l'article 2239 du code civil, les mesures d'instruction ordonnées ont eu pour effet de suspendre le délai de prescription jusqu'au dépôt des rapports d'expertise pour recommencer à courir six mois après le dernier rapport d'expertise déposé le 2 février 2016, ainsi que le premier juge l'a retenu.

Le tribunal a donc justement considéré que cette action en responsabilité n'était pas prescrite à la date de l'assignation en référé et que l'assignation ayant été délivrée courant 2016, la prescription n'était pas encourue par le GFA des Etangs et l'Earl des Landes pour leur action en responsabilité du fait des produits défectueux à l'égard de la société Agricow.

Après avoir recherché la responsabilité subsidiaire de la société Agricow en sa qualité de vendeur en première instance, les intimés fondent leur action en appel sur l'article 1245-5 alinéa 2 2° du code civil en sa qualité d'importateur.

Il est acquis aux débats que les tapis litigieux sont de marque Animat et que celle-ci commercialise ses produits en

Europe par le biais de deux distributeurs exclusifs, la société [M] pour la France et la société Agricow pour l'Italie. Il n'est pas davantage contesté qu'en vendant les tapis de marque Animat par l'intermédiaire de M. [K] au GFA des Etangs, situé en France, la société Agricow a enfreint la règle d'exclusivité dont bénéficiait la société [M]. Il apparaît néanmoins qu'elle a acquis les tapis litigieux auprès de la société Animat, société basée au Canada, pour les vendre dans la communauté européenne au GFA des Etangs. Elle a donc la qualité d'importateur et de ce fait peut être assimilée au producteur au sens de l'article 1245-5 alinéa 2 2° du code civil. Sa responsabilité peut donc être recherchée à ce titre.

Aux termes de l'article 1245-3 du code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Il est de principe que pour engager la responsabilité du producteur, la défectuosité du produit doit consister en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

Il sera rappelé que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage. Enfin, il convient de rappeler que pour l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

L'expert mandaté par l'assureur du GFA des Etangs a constaté en mai 2010 un état de dégradation avancée et généralisée des tapis livrés en novembre 2007 engendrant des préjudices en matière laitière et vétérinaire.

L'expert judiciaire, M. [H] [Z], a conclu à la dégradation anormale des tapis, soulignant que les désordres en découlant étaient réels et non contestables. Il a constaté que les tapis détériorés, déposés et entreposés à l'extérieur du bâtiment de stabulation se coupaient aisément avec un couteau de poche malgré une épaisseur de près de 2 cm. Il a souligné dans son rapport que cette facilité de découpe, alors qu'il s'agissait de caoutchouc, était ' absolument anormale'.

Les essais de vieillissement qu'il a pratiqués sur des échantillons prélevés lors de son accédit du 27 septembre

2011 ont montré deux sortes de phénomènes :

- une fatigue mécanique se traduisant par un matériau devenu friable et se réduisant en miettes ou en poussière selon sa superficie,

- une érosion chimique rapide en milieu acide.

M. [Z] a indiqué qu'outre les maladies et un taux de mortalité anormalement élevé dans le cheptel, les tapis défectueux avaient occasionné également un désordre collatéral inattendu en raison de la chute des débris de tapis dans la fosse à lisier, d'une profondeur de 2 mètres, bloquant les aspirateurs et obligeant à effectuer la vidange de la fosse à la main. Il a préconisé la dépose et l'évacuation des tapis non conformes et leur remplacement par des tapis conformes et plusieurs opérations pour nettoyer la fosse. Il a estimé les travaux de remise en état de l'exploitation agricole à la somme totale de 214 000 euros hors taxes.

Par ailleurs, pour appuyer les constations de l'expert, le GFA des Etangs et l'Earl des Landes versent aux débats un tableau de relevés de production laitière établi par le GAEC des Landes du 9 avril 2008 au 20 février 2012, avec mention de l'apparition de problèmes sur les pieds des vaches à partir d'août 2010, l'indication que le nombre de cellules est passé de 171 en janvier 2011 à 283 en mai 2011 puis à 400 à partir de juillet 2011 à cause des infections, des attestations établies par M. [N], chargé de la taille des pieds de vaches, mentionnant avoir constaté des lésions sur les animaux lors des tailles effectuées le 13 janvier 2011, le 8 août 2011 et en mars 2012 ainsi qu'un compte rendu vétérinaire en date du 8 août 2011 constatant la maladie du béton sur près de 80 vaches et un taureau.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les tapis livrés par la société Agricow au GFA des Etangs étaient affectés d'un défaut de fabrication au moment de leur mise en circulation, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la société Animat, fabricant des tapis. Ce défaut a entraîné une usure anormale des équipements acquis. Ceux-ci ne pouvaient donc offrir la sécurité à laquelle le GFA des Etangs et le Gaec des Landes pouvaient légitimement s'attendre compte tenu de l'usage qui devait en être fait. En effet, alors que les tapis avaient été achetés pour assurer le confort nécessaire à la circulation des animaux en stabulation libre, leur érosion prématurée a occasionné des blessures aux pieds des vaches par l'émergence des chevilles de fixation des tapis consécutive à leur dégradation, perturbé l'aplomb des animaux et obligé le Gaec des Landes à retirer les tapis qui se désintégraient pour laisser les animaux sur les clayettes en béton au préjudice de leur santé. De surcroît, les débris de tapis sont venus obstruer la fosse à lisier et poser un problème technique pour les opérations de vidange de la fosse en entraînant une dégradation des appareils d'épandage à lisier.

Contrairement à ce que soutient la société Agricow, les dommages causés par l'usure anormale des tapis sont établis par les constatations de l'expert judiciaire et les éléments produits par le GFA des Etangs et le Gaec des Landes. Il sera souligné qu'en raison des investissements réalisés par cet élevage axé sur la productivité, l'exploitation bénéficiait d'un suivi sanitaire strict. Or, comme le relève M. [J], ni le vétérinaire ayant examiné les animaux en août 2011 ni le Docteur [B], sapiteur consulté en 2013 par M. [Y], n'ont décelé d'autres problématiques sanitaires pouvant expliquer une perte de production autre que la problématique de détérioration des tapis et leurs conséquences sur la santé des vaches.

La société Agricow soutient cependant, au visa de l'article 1245-12 du code civil, que le GFA des Etangs et l'Earl des Landes ont une part importante de responsabilité dans les dommages qu'ils allèguent en raison de l'installation inadéquate des tapis, du non-remplacement des tapis dans un délai raisonnable, des changements d'activité conséquents et pour avoir entreposé les tapis contre un mur à la merci des intempéries.

Ainsi, l'appelante affirme que le GFA des Etangs a fait procéder à l'installation des tapis par des intervenants tiers.

L'expert, M. [Z], a indiqué que la marchandise avait été installée conjointement par les associés du GAEC des

Landes et des salariés de la société Agricow mais cette dernière a fait préciser par son conseil, dans un dire à l'expert, que les tapis n'avaient pas été installés par ses préposés mais par un collaborateur de M. [K]. Ce dernier n'ayant pas daigné venir aux opérations d'expertise bien que convoqué, n'a pu confirmer cette version des faits.

Mais, outre le fait que l'article 1245- 13 du code civil dispose que la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage, il convient de souligner que la société Agricow ne produit aucun élément de nature à démontrer une installation non conforme des tapis ni que celle-ci soit la cause de la dégradation anormale des tapis. La société Animat, fabricant du produit, n'a, pour sa part, nullement invoqué une installation inadéquate pour contester le défaut de fabrication des tapis. L'entreprise [M], importateur des tapis Animat en France, a indiqué à l'expert qu'un lot de production des tapis Animat avait subi une anomalie de fabrication. Informée des problèmes rencontrés par le GFA des Etangs et le Gaec des Landes, la société Animat a d'ailleurs procédé au remplacement d'une partie des tapis défectueux en 2011.

Par ailleurs, il ne peut être reproché au GFA des Etangs de n'avoir pas procédé au remplacement des tapis dans un délai raisonnable alors que, victime de dommages occasionnés par leur mauvaise qualité, il ne lui revenait pas de faire procéder à leur remplacement. Il y a lieu de rappeler de surcroît que le GFA des Etangs a pris attache avec la société Agricow dès février 2009 pour lui signaler les problèmes d'usure des tapis jusqu'à l'envoi d'un courrier le 26 février 2010 puis d'un courrier de son assureur en juin 2010 sans que celle-ci ne lui propose de solution ou ne prenne attache avec le fabricant. La société Animat met d'ailleurs l'absence de réaction de la société Agricow sur le compte de la violation du contrat d'exclusivité de la distribution des tapis en France. De surcroît, le GFA des Etangs et l'Earl des Landes soulignent, à juste titre, qu'en choisissant de ne procéder qu'au remplacement partiel des tapis, la société Animat a pris le risque que les tapis restant continuent de se désagréger.

S'agissant de l'impact des changements d'activité et de la cessation de la production laitière en mars 2013, rien ne permet d'affirmer comme le fait la société Agricow, qu'ils aient participé à la survenance des dommages. L'expert judiciaire, M. [J] a relevé que le GAEC des Landes s'était équipé des meilleurs équipements existant sur le marché (tapis, matelas logettes et robots de traites très performants) et avait acquis un cheptel de vaches laitières à haute performance la race 'Prim Holstein'. L'expert sapiteur consulté par M. [Y] au début des opérations d'expertise, le

Docteur [B], a d'ailleurs souligné que l'exploitation agricole s'était dotée d'outils de très haute technologie dans tous les niveaux permettant d'atteindre des résultats techniques et économiques de très haut niveau. Par ailleurs, le GAEC des Landes était une exploitation agricole de polyculture-élevage. Elle avait également investi dans des outils de culture performants pour son activité céréalière. Or, la société Agricow procède par affirmation sans aucune preuve lorsqu'elle prétend que le changement d'activité a engendré de nombreux désordres dans l'exploitation et une déstabilisation du bétail et qu'elle conclut que l'achat de robots de traite a entraîné une réduction du temps passé à s'occuper de l'élevage, à nettoyer et entretenir de manière moins fréquente les installations laitières.

Enfin, l'entreposage des tapis à l'extérieur du bâtiment de stabulation n'a été effectué qu'après leur retrait de la stabulation à la suite de l'usure anormale et débris tombant dans la fosse à lisier de sorte qu'il ne peut avoir jouer de rôle dans la survenance du dommage.

L'entière responsabilité de la société Agricow, en sa qualité d'importateur assimilé au producteur, dans la survenance des dommages subis par le GFA des Etangs et le Gaec des Landes, à raison des produits défectueux qu'elle leur a vendus, est donc caractérisée.

Sur la réparation des préjudices subis : les préjudices subis par le GFA des Etangs :

M. [Z] a préconisé la dépose et l'évacuation des tapis non conformes et leur remplacement par des tapis conformes et plusieurs opérations pour nettoyer la fosse.

Le GFA des Etangs sollicite la somme de 214 000 euros hors taxes, somme arrondie et retenue par l'expert pour la réparation des dommages matériels causés aux installations agricoles et se décomposant comme suit :

-location de matériels et d'engins pour le démontage des caillebotttis et le nettoyage de la fosse :.................................................94 500, 00 euros

- main d'oeuvre estimée :

salaires : .................................................................36 363,00 euros

charges :..................................................................18 182,00 euros

- estimation de remplacement des éléments cassés : ..............................................................................................4 000,00 euros

- remplacement des tapis :...................................................57 000,00 euros

- évaluation et destruction des déchets non fermentescibles :..3 850,00 euros

Il convient de rappeler que seuls les tapis de caillebottis, acquis pour la somme de 36 000 euros ont été endommagés et sont à l'origine des perturbations et du stress des animaux. La société Animat affirme, qu'informée en 2010 par l'entreprise [M] des défauts des tapis livrés au GFA des Etangs, elle a fourni des tapis en remplacement de ceux défectueux. Elle ne précise toutefois pas la surface de tapis remplacés ni ne produit aucun élément quant à la fourniture de ces tapis de remplacement. L'expert judiciaire a noté le remplacement partiel des tapis Animat par l'intermédiaire de M. [M], importateur en France de la marque canadienne sans plus de précisions sur ce point. Si la société Agricow parle du remplacement du tiers des tapis par la société Animat, le GFA des Etangs et l'Earl des Landes mentionnent de leur côté, que la société Animat a procédé au remplacement de la moitié des tapis.

Compte tenu de ces éléments, la valeur de remplacement des tapis ne sera retenue que pour la moitié de la somme de 36 000 euros, soit 18 000 euros. Contrairement à la décision du tribunal, l'abandon de l'activité de production laitière par l'Earl des Landes ne saurait diminuer l'indemnisation de la valeur des tapis acquis par le GFA des Etangs pour équiper le local aux fins de sa location en stabulation pour vaches laitières alors qu'il s'agit d'un investissement qu'il aurait pu conserver nonobstant la décision de l'Earl des Landes.

S'agissant des autres postes de préjudices contestés par la société Agricow qui souligne qu'il s'agit d'une simple estimation de l'expert, M. [Z], sans que soit établie la facture acquittée de ces frais, il sera souligné que le GFA des Etangs a dû procéder à des travaux de dépollution et de nettoyage de la fosse dès avril 2013. Contrairement à ce que soutient la société Agricow, il n'y a pas lieu de diminuer le montant des travaux de remise en état du fait du remplacement partiel des tapis qui n'a pas eu pour effet de réduire les dégâts engendrés par la détérioration des tapis initialement posés sur le matériel de vidange de la fosse. En conséquence, la société Agricow sera condamnée à payer au GFA des Etangs la somme de 174 895 euros le préjudice d'exploitation de l'Earl des Landes :

L'Earl des Landes sollicite la réparation de son préjudice d'exploitation tel qu'évalué par l'expert à la somme de 625 564,83 euros hors taxes.

L'expert chargé de l'évaluation économique du préjudice, M. [J] a noté que le GAEC des Landes avait totalement cessé son exploitation laitière le 30 mars 2013 pour se reconvertir en totalité dans l'activité céréalière et a estimé les préjudices d'exploitation imputables aux désordres consécutifs au 'comportement anormal des tapis de circulation', au cours des trois exercices sociaux de 2009 à 2012, correspondant à la période de dégradation des tapis et de l'activité de production laitière à la somme de 625 565 euros, dont 601 132,78 euros de préjudices directs.

Pour aboutir à ce montant, l'expert a pris en compte la perte mensuelle de production du troupeau, la perte mensuelle due au manque de production des vaches mortes, la perte mensuelle pour manque à gagner sur la non-revente des animaux anormalement morts, et le surcoût moyen de frais sanitaires ainsi que les pertes indirectes dues à la dépréciation du cheptel des vaches laitières de 2009 à 2012 inclus. Pour dégager au préalable la perte de productivité par an par vache, M. [J] a d'abord noté d'une part que le GAEC des Landes est une exploitation agricole de polyculture 'regroupant une exploitation laitière de 140 vaches laitières environ ayant connu de graves difficultés et une exploitation céréalière sur 325 hectares ayant une bonne marche économique' de sorte que ses comptes annuels regroupent des données d'origine différentes. Les préjudices en termes de production laitière étaient difficilement appréhendable par une seule analyse comptable et financière globale du GAEC des Landes.

Les opérations d'expertise ont permis également de pointer que le GAEC fait partie d'un groupe d'entreprises ayant des échanges permanents diluant les résultats de chaque entité juridique. L'expert a souligné que les difficultés financières du GAEC, essentiellement structurelles, même si la dégradation sanitaire du troupeau et de sa production laitière liée à la perte d'aplomb des animaux à la suite de l'usure anormale des tapis avait aggravé notablement les résultats économiques, étaient masquées par des transferts partiels de capitaux et de coût atténuant la réalité économique de la structure, sans compter les achats de lait à d'autres producteurs. Pour ces raisons, l'expert a préféré ne pas retenir le critère de la perte de marge brute sur la perte de production laitière. Il a également exclu les intérêts et pénalités bancaires dites 'pénalités triskali' au motif que ces frais étaient liés à des impayés antérieurs aux dommages causés par les tapis litigieux. Il a relevé que les robots de traites n'avaient pas été vendus à perte compte tenu de l'amortissement partiel de ce matériel avant sa vente. Il a estimé que le rallongement du crédit-bail de ce matériel était lié à des difficultés financières du GAEC antérieures au problème des tapis vendus par la société Agricow.

Partant des études réalisées sur la perte de production de lait sur des cheptels à boiterie d'usage et soulignant la particularité de la sévérité du dossier à partir des données du docteur [L] le 8 août 2011, M. [J] a dégagé un taux moyen de perte de production par vache, avant et après la traite, par an, puis un déficit de production annuel en considération de la production attendue du fait de l'investissement dans un matériel performant de traite et de la capacité de production de la race de vaches laitières choisie dans des conditions normales d'élevage, qu'il a multiplié par le prix du lait au litre et le nombre moyen de vaches présentes dans l'élevage pour aboutir à une perte mensuelle de production de 13 659,93 euros, soit avec la perte mensuelle due au manque de production des vaches mortes, le surcoût mensuel des pertes liée à l'excès de mortalité des vaches et le surcoût des frais sanitaires, un préjudice direct de 16 246,83 euros par mois subi sur 37 mois.

La société Agricow considère que cette estimation est complètement disproportionnée et s'appuie sur la note critique effectuée par le cabinet Equad mandaté par l'assureur de la société Animat, pour souligner des inexactitudes de l'approche de l'expert, notamment le fait que la production laitière théorique retenue par l'expert dépasse le seuil des quotas laitiers octroyés entre 2009 et 2012 de 27 à 38 %, encore en vigueur à cette période, précisant que la tolérance de dépassement ne peut être admise dans de telles proportions. Elle critique également le potentiel de productivité pris en compte par l'expert très supérieur à la productivité de moyenne nationale et rappelle que le cabinet Equad a conclu à un référentiel de 8 555 litres par vache par an et non à un potentiel de production de 11 198,20 litres par vache par an comme retenu par M. [J].

L'Earl des Landes considère que les contestations du cabinet Equad faites cinq ans après la dégradation des tapis sont tardives et dilatoires. Il souligne que ce cabinet a estimé que le GAEC des Landes était responsable de l'aggravation des dommages pour ne pas avoir réalisé des changements de tapis plus tôt.

M. [J] a de son côté souligné d'une part que les quotas laitiers appliqués de 2009 à 2012 ne visaient que les Etats dépassant leur quota annuel et que la taxe fiscale affectée n'était pas systématiquement appliquée ni forcément répercutée sur les collecteurs et les producteurs et d'autre part, que les références statistiques utilisées par le cabinet Equad, notamment en termes de productivité, étaient anciennes et concernaient la France entière sans tenir compte des disparités régionales et des systèmes d'exploitation propres à chaque type d'exploitation. Il a estimé également que les références du cabinet Equad en matière de prix du lait étaient erronées et qu'il y avait pu avoir une confusion entre prix au litre et prix au kilogramme.

Sans remettre en compte les évaluations de l'expert, le tribunal a calculé le préjudice d'exploitation à la somme de 277 721,92 euros hors taxes sur une période de 18 mois en retenant que les désordres étaient apparus en 2010 et que les tapis défectueux avaient été retirés le 30 juin 2011, estimant que les préjudices apparus après cette date ne résultaient pas des tapis litigieux mais du fait que les bovins avaient été laissés sur le béton brut.

Outre le fait que le retrait des tapis litigieux et le fait de laisser les vaches circuler sur du béton brut sont des conséquences directes de la défectuosité des tapis, il sera constaté que le tribunal n'a pas tenu compte du remplacement des tapis pour moitié.

Par ailleurs, le potentiel de productivité pris en compte par l'expert se situe effectivement dans une fourchette haute, et même s'il l'a été en considération de l'investissement dans un matériel et un système d'exploitation très sophistiqué et du choix d'une race de vaches laitières Prim'Holstein, il apparaît très optimiste.

Or, il ressort des données fournies par M. [V], expert agricole du Cabinet Cristalis mandaté par l'assureur Groupama du GFA et du GAEC, une moyenne de production de 7 686,53 litres par vache par an sur la période allant de 2008 à 2012. Cette donnée a été corrigée par l'expert à 7566 litres par an et par vache en moyenne en déduisant les 60 000 litres de lait acheté à d'autres producteurs pour l'année 2011/2012.

Le Cabinet Equad a retenu de son côté une moyenne de productivité annuelle de 8555 litres par vache et par an pour la race Prim Holstein depuis 2003. L'évolution de la production laitière communiquée par ce cabinet montre cependant une production moyenne pour la race Prim Holstein au-dessus de 9 000 litres pour les années 2009 à 2013. Il sera donc retenu une productivité moyenne annuelle de 9 300 litres par vache pour la race Prim'Holstein soit un potentiel de production pour l'Earl des Landes arrondi à 10 495 litres par vache et par an, après ajout du volume perdu avant la traite à cause des boiteries (1195 litres selon l'expert) et du volume perdu pour défaut de qualité après la traite ( 1734 litres sur la base d'une production annuelle moyenne de 9 300 litres ) à la moyenne de la production annuelle réellement vendue par vache pour la période de 2009 à 2012.

En conséquence, le total des pertes directes dues aux désordres des tapis s'évalue de la façon suivante :

- une perte mensuelle de production du troupeau de 11 036 euros par mois,

- une perte mensuelle due au manque de production correspondant aux vaches mortes de 1 385,34 euros par mois,

- une perte mensuelle pour manque à gagner sur la non-revente des animaux de 826,91 euros par mois,

- un surcoût de frais sanitaires de 281,83 euros par mois

soit un total de 13 530,08 euros par mois.

Il sera rappelé que les problèmes d'usure des tapis sont apparus en février 2009 et qu'en juin 2011, la moitié des tapis selon le GFA des Etangs et le Gaec des Landes a été remplacée par la société Animat. Dans la pièce n°67 du bordereau des pièces que les intimés communiquent, intitulée ' Soldes intermédiaires de gestion du GAEC des Landes', il est fait état du changement d'une partie des tapis en 2011et de la remontée de la production laitière et de la constatation en 2012 d'une rechute pour beaucoup d'animaux qui se trouvaient dans un couloir qui n'a pas été rénové en tapis.

Il s'en déduit que si la perte de production a été particulièrement importante pour l'année 2010 et la moitié de l'année 2011 du fait de la dégradation très avancée des tapis constatée par l'expertise amiable en mai 2010, il ne peut en être de même pour l'année 2009 l'état de délabrement n'ayant pu être identique au début du processus de dégradation, ni pour la fin de l'année 2011 et l'année 2012 compte tenu du remplacement de la moitié des tapis en juin 2011, qui n'a pas été pris en compte par M. [J].

Au regard de l'ensemble de ces éléments et compte tenu de l'évaluation de la perte mensuelle de production et des surcoûts à partir d'une moyenne production de 9 300 litres par vache et par an, la cour considère que la réparation complète du préjudice subi par l'Earl des Landes sur la période de 37 mois concernée par la dégradation des tapis jusqu'à la cessation d'activité doit être évaluée à la somme de 410 000 euros hors taxes.

Le jugement déféré sera donc infirmé partiellement en ce sens et la société Agricow condamnée à verser ce montant à l'Earl des Landes au titre de son préjudice d'exploitation.

Sur les demandes accessoires :

La société Agricow supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Animat les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposés à l'occasion de l'instance d'appel. La société Agricow sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait également inéquitable de laisser à la charge du GFA des Etangs et de l'Earl des Landes les frais irrépétibles entraînés par l'instance d'appel. La société Agricow sera condamnée à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme partiellement le jugement rendu le 10 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire,

Statuant à nouveau sur l'entier litige :

Déclare irrecevables le GFA des Etangs et le GAEC des Landes en leurs demandes formées contre la société Animat,

Condamne la société Agricow à payer au GFA des Etangs la somme de 174 895 euros hors taxes, au titre de son préjudice matériel,

Condamne la société Agricow à payer à l'Earl des Landes la somme de 410 000 euros hors taxes en réparation de son préjudice d'exploitation,

Condamne la société Agricow à payer à la société Animat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Agricow à payer au GFA des Etangs et à l'Earl des Landes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Agricow aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Rejette toute demande plus ou contraire aux présentes dispositions.