Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-20.427
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Avanti Invest (Sté), Avanti Logifroid (Sté)
Défendeur :
Franprix Leader Price (Sté), Effel (Sté), Franprix Leader Price Holding (FPLP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Comte
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Delamarre et Jehannin
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 février 2021), à compter de 1999, par contrats successifs, les sociétés Effel et Sofidis, franchisées de l'enseigne Leader Price, ont confié à la société Fourchet Frigo la livraison de produits surgelés pour les magasins Leader Price. Les titres des sociétés Fourchet Frigo et Fourchet Logistique, celles-ci ayant pour activité le stockage et la préparation de commandes de fruits et légumes, étaient détenus par la société Avanti Logistique. M. [Z], leur président, ainsi que la société Avanti Invest, étaient associés au sein de la société Avanti Logifroid. La société Franprix Leader Price Holding est la société holding du groupe Franprix Leader Price spécialisé dans la vente au détail de produits alimentaires et non alimentaires.
2. La société Avanti Logifroid ainsi les sociétés Fourchet Frigo et Fourchet Logistique ont été mises en liquidation judiciaire respectivement par jugements des 26 janvier et 31 mars 2010. La société [V] a été désignée d'abord comme mandataire liquidateur puis comme mandataire ad hoc de la société Fourchet Frigo, à la suite de la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d'actifs le 14 décembre 2016, et comme mandataire liquidateur des sociétés Fourchet Logistique et Avanti Logifroid.
3. Leur reprochant d'avoir créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce issu de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, la société [V], agissant en qualité de mandataire liquidateur des sociétés Fourchet Frigo, Fourchet Logistique et Avanti Logifroid, a assigné les sociétés Sofidis, Effel et Franprix Leaderprice Holding en responsabilité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [Z], la société Avanti Invest et la société [V], prise en la personne de M. [V], agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société Fourchet Frigo et de mandataire liquidateur des sociétés Fourchet Logistique et Avanti Logifroid, font grief à l'arrêt d'ordonner le retrait des débats des pièces n° 36 et 37 produites par la société [V], ès qualités, ainsi que des pièces n° 10-1 à 10-4 et 11 produites par la société Avanti Invest et par M. [Z], de déclarer recevable mais non fondée l'action de la société [V], représentée par M. [V], ès qualités, de déclarer recevable, mais non fondée, l'intervention volontaire de M. [Z] en ses demandes en réparation des chefs de préjudice subis en sa qualité de caution personnelle, de sa perte de rémunération en tant que dirigeant des sociétés Fourchet Frigo, Fourchet Logistique et Avanti Logifroid ainsi que la décote appliquée sur ses retraites mensuelles et de les en avoir déboutés, alors :
« 1°/ que le secret des correspondances avocat-client est une règle déontologique qui ne s'impose qu'à l'avocat lui-même et qui n'est donc pas opposable à son client ; qu'en l'espèce, M. [Z] et la société Avanti Invest, ainsi que M. [V], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Fourchet Frigo, Fourchet Logistique et Avanti Logifroid, avaient produit aux débats un document établi par M. [Z], présentant des observations pour la révision des contrats initiaux préalablement à la réunion du 11 mars 2019 et quatre projets de contrats en mode "comparaison", échangés par les conseils des parties préalablement à cette même réunion ; que M. [Z] et la société Avanti Invest faisaient valoir que le secret professionnel dont se prévalaient les sociétés du groupe Franprix Leader-Price ne leur était pas opposable puisqu'ils n'étaient pas avocats ; qu'en jugeant toutefois que ces pièces devaient être écartées des débats car elles étaient couvertes par le secret professionnel de l'avocat, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires et l'article 3.1 du règlement intérieur national relatif à la profession d'avocat ;
2°/ que le secret des correspondances avocat-client est une règle déontologique qui ne s'impose qu'à l'avocat lui-même et qui n'est donc pas opposable à son client ; qu'en l'espèce, M. [Z] et la société Avanti Invest faisaient valoir que le secret professionnel dont se prévalaient les société du groupe Leader-Price Franprix ne leur était pas opposable puisqu'ils n'étaient pas avocats ; qu'en écartant cependant ce moyen aux motifs que "les parties qui ne sont pas avocats n'ont été destinataires des projets de contrats par l'entremise de leurs conseils, que pour les besoins de la négociation menée par ces derniers, et non à titre personnel pour leur propre usage" et que "M. [Z] n'a participé aux négociations qu'en sa qualité de représentant légal des sociétés Fourchet Frigo et Frigo Logistique et non à titre personnel", tandis que leur qualité des parties dans le cadre des négociations était indifférente, du moment qu'elles étaient des clients ou des tiers, et non des avocats, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires et l'article 3.1 du règlement intérieur national relatif à la profession d'avocat. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir rappelé que tous échanges entre avocats, quel qu'en soit le support, sont par nature confidentiels, l'arrêt relève que la pièce n° 36, document reproduisant les commentaires de M. [Z] insérés dans des projets de contrats échangés entre le conseil des sociétés Effel et Sofidis d'une part, et le conseil du groupe Fourchet d'autre part, comme la pièce n° 37, qui correspond à quatre projets de contrats confidentiels, dans leur version « comparaison », objet des discussions menées par l'entremise des conseils et en présence des parties, revêtent un caractère confidentiel, les projets de contrats, ainsi que les commentaires de M. [Z] s'y rapportant, ayant été adressés entre conseils, les parties qui ne sont pas avocats n'ayant été destinataires des projets que par l'entremise de leurs conseils et pour les besoins de la négociation menée par ces derniers, et non à titre personnel pour leur propre usage.
6. En l'état de ces énonciations et constatations, faisant ressortir que, les projets de contrats et annotations ayant été échangés par l'intermédiaire des avocats des parties, ces documents étaient couverts par le secret des correspondances entre avocats et entre avocats et leurs clients et que, ne portant pas la mention « lettre officielle », seul un accord de l'ensemble des parties pouvait lever ce secret, c'est à bon droit que la cour d'appel les a écartés des débats.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. [Z], la société Avanti Invest et la société [V], prise en la personne de M. [V], agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société Fourchet Frigo et de mandataire liquidateur des sociétés Fourchet Logistique et Avanti Logifroid, font grief à l'arrêt de déclarer recevables mais non fondées les actions, d'une part, de la société [V], représentée par M. [V], ès qualités, et, d'autre part, de M. [Z] et de les en avoir déboutés, alors :
« 1°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant ou industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des conditions créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, M. [V], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés du groupe Fourchet, faisait valoir que ces sociétés avaient été dans l'incapacité de négocier effectivement les termes des contrats les liant aux sociétés du groupe Franprix Leader-Price et versaient aux débats des pièces démontrant que les sociétés du groupe Franprix Leader-Price avaient tiré profit de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvaient les sociétés du groupe Fourchet pour n'accéder à aucune de leurs demandes lors de la renégociation des contrats initiaux, ce qui permettait d'établir qu'il s'agissait seulement d'une "négociation" d'apparence ; qu'en se bornant à énoncer que "des négociations ont eu lieu entre les parties" et que "l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission ne saurait résulter du refus allégué d'accéder aux hausses de tarifs qu'elles ont sollicitées", tandis que la soumission ne pouvait être écartée du seul fait que des discussion avaient eu lieu entre les parties aux contrats, mais qu'elle devait rechercher, comme il lui était demandé, si une négociation effective des clauses des contrats avait été, en pratique, possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 446-2, I du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au litige ;
2°/ que le déséquilibre significatif peut être caractérisé lorsqu'est établie l'existence d'un rapport de force entre deux cocontractants, ne permettant pas à l'un d'eux de négocier effectivement les clauses d'un contrat ; que M. [V], ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés du groupe Fourchet, faisait valoir que le pouvoir de négociation de ces sociétés vis-à-vis des sociétés du groupe Franprix Leader-Price était fragilisé du fait d'une situation de dépendance économique extrêmement importante, dans la mesure où le chiffre d'affaires issu de cette relation commerciale représentait 75 à 80 % du chiffre d'affaires total de la société Fourchet Frigo ; qu'en se contentant d'énoncer de manière très générale que "s'agissant de la soumission, si la structure du marché de la grande distribution peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré, ce seul élément ne peut suffire et doit être complété par d'autres indices établissant l'absence de négociation effective", sans procéder à l'analyse de l'ampleur de la dépendance économique au regard de laquelle devaient être appréciés les autres indices de l'absence de négociation effective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 446-2, I du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
9. Après avoir rappelé que l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission ne saurait résulter du refus allégué d'accéder aux hausses de tarifs qu'elles ont sollicitées et considéré que des négociations avaient eu lieu entre les parties, au cours desquelles les sociétés Fourchet Frigo et Fourchet Logistique avaient pu faire valoir leur point de vue, qu'il avait été demandé à la société Fourchet Frigo de formuler des propositions tarifaires et décidé de surseoir à l'entrée en vigueur des nouveaux contrats dans l'attente d'une meilleure visibilité, à la suite de l'ouverture de la procédure collective de ces sociétés, l'arrêt relève que des hausses de prix étaient intervenues le 1er janvier 2008 et le 1er septembre 2008, s'agissant tant du contrat Effel que du contrat Sofidis, et que la société Fourchet Frigo avait donné son accord pour appliquer les derniers tarifs à compter du 1er janvier 2009, compte tenu de la démarche de révision des contrats.
10. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que les négociations entre les parties, dont elle a examiné les conditions annuelles d'exercice et les résultats, étaient réelles, c'est sans avoir à faire la recherche invoquée à la seconde branche, que ses appréciations sur l'effectivité des négociations rendaient inopérante, que la cour d'appel en a déduit que la preuve de la soumission ou tentative de soumission des sociétés Fourchet Frigo et Fourchet Logistique à des conditions créant un déséquilibre significatif entre les parties n'était pas établie, justifiant légalement sa décision.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi