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Décisions

Cass. com., 16 novembre 2022, n° 20-21.113

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Pacific Auto Service (SARL)

Défendeur :

Mape Nui (SC), Océanie Pneus Auto Service (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

Cass. com. n° 20-21.113

16 novembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 13 février 2020), M. [P] était l'unique associé et dirigeant des sociétés Océanie pneus auto service (la société Océanie), Moorea auto service (la société Moorea) et Taravao auto service (la société Taravao) ayant pour activité la vente de pneus d'automobile.

2. Par un acte du 7 mars 2006, M. [P] a cédé la totalité de ses actions de la société Océanie à MM. [E] et [V], sous la condition suspensive de l'obtention, par ceux-ci, d'un prêt au plus tard le 31 mai 2006 à minuit.

3. Cet acte comportait une clause de non-concurrence par laquelle le cédant s'interdisait, pendant une durée de cinq ans, de créer, diriger, s'intéresser ou « faire valoir » aucun établissement commercial de la nature de celui exploité par la société Océanie, dans l'étendue géographique couverte par celle-ci à la date de la cession.

4. Le 2 juin 2006, les parties ont conclu un acte intitulé « avenant à la convention de cession d'actions » stipulant que, du fait du retard dans l'obtention des prêts bancaires et de l'absence de M. [P] du territoire jusqu'au 29 juillet 2006, la cession définitive des actions était reportée au 15 août 2006 et que M. [P] resterait président de la société Océanie jusqu'à cette date.

5. Les parties sont en outre convenues que la cession était, dans un premier temps, limitée à 86 % du capital. M. [P] promettait de céder les 14 % restant à MM. [E] et [V], lesquels s'engageaient à les acquérir au plus tard le 31 décembre 2008 et à en payer le prix par versements mensuels anticipés.

6. Les acquéreurs ont réglé l'intégralité du prix au mois d'octobre 2008. Ils ont ensuite transmis leurs droits à la société Mape Nui.

7. En mars 2010, la société Moorea a créé, avec M. [O], la société Pacific auto service (la société Pacific) pour exercer une activité de vente d'équipements automobiles.

8. Par un jugement du 16 juillet 2010, M. [P] a été condamné à payer des dommages et intérêts à la société Mape Nui pour avoir refusé, durant plusieurs mois, de signer le transfert de propriété d'une partie des actions cédées.

9. Invoquant la violation de la clause de non-concurrence stipulée dans l'acte de cession du 7 mars 2006, la société Mape Nui et la société Océanie ont assigné M. [P] et la société Pacific en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur les premier et cinquième moyens, ci-après annexés

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

11. M. [P] et la société Pacific font grief à l'arrêt de constater que M. [P] a violé la clause de non-concurrence l'unissant à la société Mape Nui, de le condamner à payer à cette société, à titre de dommages et intérêts, la somme de 50 000 000 FCP, de constater que la société Pacific s'est rendue complice de cette violation et a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Océanie, de la condamner à lui payer 10 000 000 FCP à titre de dommages et intérêts et d'ordonner la publication du dispositif de la décision dans le journal La Dépêche de Tahiti aux frais de M. [P], alors :

« 1°/ qu'en écartant la nullité de la clause de non-concurrence, après avoir constaté que cette clause définit son périmètre comme étant l'étendue géographique actuellement couverte par la société Océanie, et qu'aux termes de ses statuts, cette société a pour objet la commercialisation de pneus et accessoires automobiles et les activités connexes "tant en Polynésie, en France, qu'à l'étranger "ce dont il résulte que la clause litigieuse, qui ne stipulait aucune limite expresse dans l'espace, était nulle, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'entreprendre ;

2°/ qu'en se fondant pour exclure la nullité de la clause de non-concurrence sur la circonstance que l'étendue géographique de cette clause qui vise sans précision l'étendue géographique actuellement couverte par la société Océanie, correspondrait au territoire de la Polynésie française en considération de l'attribution à cette société dans cette même zone d'un monopole de vente des produits de la marque Hankook, quand cette interprétation de la clause comme s'appliquant à tout le territoire de la Polynésie française ne permet pas de lui conférer pour autant un caractère limité dans l'espace exigé pour sa validité, la cour d'appel a encore violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'entreprendre ;

3°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée si la clause litigieuse dont elle considère qu'elle s'appliquait à tout le territoire de la Polynésie française n'était pas dès lors géographiquement disproportionnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et du principe de la liberté d'entreprendre ;

4°/ que, comme le précise le jugement déféré, M. [P] faisait valoir dans ses conclusions devant le tribunal qu'à défaut de délimitation de la zone géographique de la clause de non-concurrence, la zone de protection ne saurait excéder deux kilomètres autour de l'atelier de la société Océanie ; qu'en énonçant que M. [P] aurait plaidé en premier ressort que la zone de protection géographique n'aurait pas excédé 2 kms autour de l'atelier de la société, et qu'il ne pourrait sans contradiction soutenir en cause d'appel qu'il n'aurait existé aucun périmètre géographique d'application de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a dénaturé les écritures de M. [P] en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

5°/ que la clause de non-concurrence énonce seulement qu'elle doit s'appliquer pendant une durée de cinq années "à compter des ordres de mouvement" sans préciser qu'il s'agit du transfert de toutes les actions et sans que l'on sache s'il s'agit des ordres de mouvement en date du 2 juin 2006 portant sur la cession des 86 % du capital social, ou des ordres de mouvement en date du 21 juillet 2009 portant sur les 14 % restant du capital social ; qu'en énonçant que la clause de non-concurrence serait claire et précise quant à sa durée, qu'elle ferait partir son délai d'application à compter de l'exécution de la vente par le transfert "de toutes les actions", pour en déduire que son point de départ serait fixé au 29 juillet 2009, date de l'ordre de virement des 14 % restant du capital social, la cour d'appel a dénaturé cette clause et violé le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

6°/ que la clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps ; qu'est frappée de nullité, la clause de non[1]concurrence dont les mentions ne permettent pas de connaître avec certitude le point de départ du délai d'application de la clause qui est stipulé ; qu'en validant la clause de non-concurrence litigieuse qui stipule une durée de cinq années "à compter des ordres de mouvement" et ne permet pas de savoir si ce point de départ doit être fixé à la date des premiers ordres de mouvement du 2 juin 2006 portant sur la cession des 86 % du capital social, ou à la date des ordres de mouvements du 21 juillet 2009 portant sur les 14 % restant du capital social, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'entreprendre ;

7°/ que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a fait l'objet du jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en se fondant pour dire que M. [P] discuterait en vain la date du 29 juillet 2009 comme constituant le point de départ de l'exécution de la clause de non-concurrence, sur la circonstance que cette date aurait été fixée dans le jugement du 16 juillet 2010 qui est définitif, quand ce jugement ne tranche pas la question du point de départ de l'exécution de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1351 devenu 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. En premier lieu, après avoir relevé que la clause de non-concurrence stipulée dans l'acte de cession du 7 mars 2006 fixait son champ d'application à l'étendue géographique actuellement couverte par la société Océanie, l'arrêt retient que cette étendue correspondait au territoire de la Polynésie française, en considération de l'attribution à cette société, dans cette même zone, d'une exclusivité de vente des produits de la marque Hankook qui constituait un élément essentiel du fonds de commerce et de son évaluation. L'arrêt constate, ensuite, que la clause de non[1]concurrence autorisait M. [P] à poursuivre l'exploitation des sociétés Moorea et Taravao, dont il était le gérant et l'associé unique, dans le même secteur d'activité que la société Océanie, et en conclut que cette clause n'était pas disproportionnée au regard de l'intérêt légitime des cessionnaires quant à la pérennité du fonds de commerce de la société Océanie, dont les établissements se trouvaient dans l'agglomération de [Localité 4], de l'importance du prix de cession et de l'âge de M. [P] correspondant à celui de la retraite.

13. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'activité effective de la société Océanie s'exerçait sur le territoire de la Polynésie française, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la troisième branche, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, a pu retenir que la clause de non-concurrence était limitée dans l'espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

14. En second lieu, ayant relevé que la clause de non-concurrence prévoyait une durée d'application de cinq années à compter de la signature des ordres de mouvement des actions cédées, et constaté que M. [P] avait été condamné par un jugement du 16 juillet 2010 pour avoir abusivement retardé la signature du transfert de propriété d'une partie des actions, cependant que l'intégralité du prix de cession lui avait été versée à la fin du mois d'octobre 2008, c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes de la clause litigieuse, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que le point de départ de la clause de non-concurrence devait être fixé au 29 juillet 2009, date de signature des derniers ordres de transfert de propriété des actions.

15. En troisième lieu, ayant, par des motifs vainement critiqués par la cinquième branche, décidé que le point de départ de la clause de non-concurrence était suffisamment précis et que son entrée en vigueur avait été repoussée du fait du report d'un commun accord des parties du transfert de propriété des actions cédées et du comportement fautif de M. [P], la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la septième branche, a pu retenir que la durée d'application de la clause de non-concurrence, limitée dans le temps, n'était pas excessive.

16. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. M. [P] et la société Pacific font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la clause de non-concurrence litigieuse exclut expressément de son champ d'application la société Moorea ; qu'ainsi, ni la prise de participation majoritaire dans le capital de la société Pacific par M. [P] en sa qualité de dirigeant de la société Moorea, ni les actes de concurrence accomplis par M. [P] en sa qualité de dirigeant de la société Moorea, associée majoritaire au sein de la société Pacific, ne sont de nature à caractériser une violation de la clause de non-concurrence et partant une complicité de la société Pacific dans la violation de cette clause ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'entreprendre ;

2°/ qu'en se bornant, pour dire que M. [P] et la société Pacific ne seraient pas bien fondés à tirer argument de ce que la société Pacific a été créée par la société Moreea qui n'était pas liée par la clause de non-concurrence, à affirmer qu'il serait établi que M. [P] était dirigeant de fait de la société Pacific, sans relever l'existence d'actes de nature à caractériser l'exercice par M. [P], en toute indépendance, d'une activité positive de direction dans la société Pacific, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et du principe de la liberté d'entreprendre. »

Réponse de la Cour

18. Ayant constaté que M. [P] avait, en sa qualité de gérant et associé unique de la société Moorea, créé, en mars 2010, la société Pacific pour exercer une activité directement concurrente de celle de la société Océanie, et relevé que, dès le mois de juillet 2010, il avait pris personnellement contact avec des clients de la société Océanie pour leur annoncer la reprise de son activité via la société Pacific et pour leur proposer de renouer à son profit des relations commerciales, cependant que la clause de non-concurrence lui faisait interdiction de s'intéresser, directement ou indirectement, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, à un établissement commercial de la nature de celui qui était exploité par la société Océanie ou susceptible de lui faire concurrence, sous les réserves prévues à l'acte pour les sociétés Moorea et Taravao, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, en a exactement déduit que M. [P] avait violé son obligation de non-concurrence.

19. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

20. M. [P] et la société Pacific font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en se fondant pour évaluer le préjudice résultant pour la société Mape Nui de la prétendue violation de la clause de non-concurrence par M. [P] et le préjudice résultant pour la société Océanie, de la prétendue complicité dans la violation de cette clause, sur les actions de démarchage et de publicité réalisées par M. [P] à travers la société Pacific "entre 2006 et 2011", après avoir pourtant fixé le point de départ du délai d'application de la clause de non-concurrence à la date de la signature le 22 juillet 2009 des derniers ordres de mouvement des actions, ce dont il résulte que les actes accomplis avant le 22 juillet 2009 ne pouvaient être pris en considération pour fixer l'étendue du préjudice allégué, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la liberté d'entreprendre. »

Réponse de la Cour

21. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'après avoir retenu l'existence, postérieurement à l'entrée en vigueur de la clause de non-concurrence, d'actes accomplis par M. [P] en violation de cette clause, la cour d'appel, se fondant sur l'évolution du total de la balance clients dans les comptes de la société Océanie entre 2005 et 2014, dont il résultait une accentuation de la baisse de l'activité de cette société à compter de l'exercice 2011, et sur les informations produites par M. [P] et la société Pacific au sujet de la crise conjoncturelle du secteur économique concerné en Polynésie durant cette période, ainsi que sur les actions de démarchage et de publicité réalisées par M. [P] depuis 2006, qui apportaient un éclairage sur l'impact des actes illicites accomplis à compter de 2010, a évalué le préjudice subi par la société Mape Nui.

22. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.