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Décisions

Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-42.570

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

Mme Manes-Roussel

Avocat général :

M. Duplat

Cass. soc. n° 05-42.570

18 juin 2007

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Rouen, 22 mars 2005), que le groupe Aspocomp a racheté, en novembre 1998, au groupe Philips, la société Philips circuits imprimés, qui employait cinq cent cinquante personnes sur le site d'Evreux et qui est devenue la société Aspocomp SAS, filiale à 99 % du groupe Aspocomp dont la société de droit finlandais Aspocomp Group OYJ était la holding ; qu'un plan de réduction des effectifs a été présenté au comité d'entreprise de la société Aspocomp, le 18 octobre 2001 ; que cent vingt-deux salariés ont été compris dans un premier plan de licenciement ; que le 18 janvier 2002, un accord d'entreprise sur les mesures d'accompagnement du plan de restructuration a été signé par la société Aspocomp et des syndicats représentatifs ; que les salariés qui ont opté pour un départ volontaire, ont été licenciés pour motif économique le 24 janvier 2002 ; que le 4 février 2002, le commissaire aux comptes de la société Aspocomp a déclenché une procédure d'alerte ; que le 21 février 2002, la société Aspocomp Groupe OYJ a décidé de ne plus financer sa filiale Aspocomp, ce qui a entraîné le dépôt de bilan de celle-ci, sa mise en redressement judiciaire le 7 mars 2002 et sa liquidation judiciaire le 26 juin 2002 ; que le 28 juin 2002, le mandataire-liquidateur de la société Aspocomp a licencié le personnel restant ; que, contestant le bien-fondé de leur licenciement, certains de ces salariés ont saisi la juridiction prud'homale d'Evreux de demandes dirigées contre la société Aspocomp SAS et la société Aspocomp Group OYJ ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Aspocomp Group OYJ fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Aspocomp Group OYJ, alors, selon le moyen :

1 / que les règles de droit interne ne sont pas applicables pour la détermination de la compétence internationale du juge saisi d'un litige d'ordre international intracommunautaire, soumis aux dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du 20 décembre 2000 ; que le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne attrait devant une juridiction d'un autre Etat membre est donc fondé à revendiquer l'application des seules règles de compétence édictées par le règlement n° 44/2001 précité à l'exclusion de toute disposition du droit interne ; que dès lors, en statuant par les motifs précités et en confirmant le jugement ayant retenu la compétence du conseil de prud'hommes d'Evreux en application des articles L. 511-1 et R. 517-1 du code du travail, ainsi que des articles 14 et 15 du code civil, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement CE n° 44/2001 ;

2 / que le conseil de prud'hommes du lieu d'exécution du travail n'a de compétence, interne ou internationale, pour connaître d'une demande contre un défendeur domicilié hors du ressort, que pour autant que ce défendeur puisse être qualifié d'employeur et soit lié avec le demandeur par un contrat de travail, caractérisé par un lien de subordination, ce qui s'entend d'un travail accompli sous les ordres et selon les directives de l'employeur qui a le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements éventuels ; qu'en statuant par les motifs précités qui ne font pas ressortir que les salariés demandeurs accomplissaient en fait leur travail dans de telles conditions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 19 du règlement CE n° 44/2001, L. 511-1 et R. 517-1 du code du travail ;

3 / que ni le contrôle d'une société sur sa filiale, exercé dans le respect des droits et obligations attachés au contrat de société et des prérogatives des organes sociaux, ni son refus de continuer à financer l'activité déficitaire de sa filiale, ni un accord donné ponctuellement à un engagement financier de la filiale, ni l'identité de la personne physique dirigeante dès lors que celle-ci prend soin de préciser dans chaque cas en quelle qualité elle agit, ne peuvent caractériser une confusion d'intérêts, d'activités et de direction et permettre de tenir comme employeur la société mère aux lieu et place de la filiale ou conjointement avec elle ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 19 du règlement CE n° 44/2001, L. 511-1 et R. 517-1 du code du travail ;

4 / que les règles de compétence édictées par le règlement CE n° 44/2001 doivent être appliquées sur la base de critères uniformes qu'il incombe à la Cour de justice des Communautés européennes de définir, en se fondant sur le système et les objectifs dudit règlement ; que la question de savoir si et à quelles conditions le salarié lié par son contrat de travail à une société filiale qui exécute son travail dans un Etat membre de la Communauté sous la subordination de celle-ci peut, en application de l'article 19 du règlement CE précité, attraire devant la juridiction prud'homale du lieu d'exécution de son travail la société mère établie dans un autre Etat membre, pose une question d'interprétation dudit règlement ; qu'il appartient par conséquent à la Cour de cassation de demander à la Cour de justice des Communautés européennes de statuer sur cette question en application de l'article 68 du Traité instituant la Communauté européenne ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 19 du règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 que l'employeur ayant son domicile dans le territoire d'un Etat membre peut être attrait dans un autre Etat membre, notamment devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ; que selon l'interprétation faite par la Cour de justice des Communautés européennes des dispositions de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, qui est transposable pour l'application de l'article 19 du règlement n° 44/2001, l'employeur est défini comme la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération ;

qu'ainsi, et sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle, l'arrêt qui, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la première branche, après avoir constaté que les salariés avaient accompli leur travail sous la direction et au profit des sociétés Aspocomp et Aspocomp Group OYJ, dont les intérêts, les activités et la direction étaient confondues, a décidé que la juridiction saisie était compétente, n'encourt pas les griefs du moyen ;

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis :

Attendu que la société Aspocomp Group OYJ fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux salariés, alors, selon le moyen :

1 / que selon les conclusions des salariés, visées par la cour d'appel et développés à l'audience, les lettres de licenciement notifiées le 24 janvier 2002 par la société Aspocomp aux salariés concernés par le premier plan étaient ainsi rédigées : "Nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints de vous licencier pour motif économique, cette mesure se place dans le cadre d'un licenciement collectif dont les causes économiques, qui ont été exposées au comité d'entreprise à l'occasion des différentes réunions, la dernière s'étant tenue le 12 janvier 2002, sont les suivantes : suppressions des postes liées aux difficultés économiques graves rencontrées par la société dont les pertes cumulées étaient à fin septembre 2002, de plus de 86 000 000 de francs" ; que cette citation était partiellement reprise dans les mêmes termes par les conclusions de la société OYJ également développées à l'audience ; que dès lors, en déclarant que les lettres de licenciement dans leur quasi totalité invoquent des difficultés économiques graves et "un plan de restructuration conduisant à la suppression d'un nombre important de postes pour des raisons économiques pour en déduire que ces lettres ne précisent pas que les postes supprimés sont ceux des salariés licenciés et ne satisfont pas aux exigences de motivation des articles L. 122-14-2 et L. 321-1 du code du travail, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;

2 / que la réalité du motif économique doit être appréciée au regard du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise qui licencie, et au moment du licenciement ; que dans ses conclusions écrites développées oralement à l'audience, la société Aspocomp Group OYJ avait fait valoir, sans être démentie, que si les résultats de la société Aspocomp et ceux du groupe dans son ensemble, avaient été satisfaisants en 2000, la société Aspocomp avait connu des difficultés en 2001, avec un chiffre d'affaires passant de 73 000 000 d'euros en 2000 à 41 000 000 d'euros en 2001, cette diminution entraînant une perte de 26 300 000 euros pour cette même année 2000 ; qu'il était soutenu également, sans contestation des parties adverses que le chiffre d'affaires consolidé du Groupe Aspocomp avait reculé de 7,5 % à 221 800 000 euros en 2001 par rapport à 2000, de sorte que le groupe Aspocomp affichait pour l'exercice 2001 une perte consolidée de 29 000 000 d'euros ; que dès lors en se bornant, pour dénier la réalité des difficultés économiques, à relever la progression du chiffre d'affaires et des bénéfices réalisés par le groupe en 2000, sans rechercher, comme elle y était invités, si le groupe n'avait pas subi pour l'année 2001, à la veille des licenciements prononcés en janvier 2002, un recul de son chiffre d'affaires et un résultat déficitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du code du travail ;

3 / que la cause d'un licenciement s'appréciant à la date où celui-ci est prononcé, l'inexécution après le licenciement d'un engagement pris à l'occasion de celui-ci ne peut caractériser l'absence de cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant le comportement déloyal et la légèreté blâmable de la société Aspocomp Group OYJ par le motif que sa filiale, la société Aspocomp, n'avait pas payés les indemnités prévues par l'accord d'entreprise du 18 janvier 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 du code du travail ;

4 / que si l'employeur doit rechercher le reclassement du salarié dans l'entreprise, ou à l'intérieur du groupe auquel elle appartient, le groupe de reclassement comprend les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; que dans ses conclusions la société Aspocomp Group OYJ avait fait valoir qu'à la demande faite pour le compte du liquidateur, elle avait répondu qu'elle était en mesure de reclasser M. X... dans une autre filiale, Aspocomp OYJ, mais qu'elle ne pouvait présenter d'autres offres de reclassement dans ses filiales ;

que la société Aspocomp Group OYJ présentait à l'appui un tableau des mouvements du personnel pour les années 2001 et 2002, certifié par le commissaire aux comptes du groupe et reproduit dans les conclusions, dont il résultait que si ses filiales chinoise (ACP Electronics) et thaïlandaise (PCB Center) avaient vu leurs effectifs augmenter en 2002, sa filiale finlandaise, la seule ayant une activité opérationnelle en Europe, avait vu ses effectifs diminuer de cent soixante dix-neuf salariés en 2002 par rapport à 2001 et que ces cent soixante dix-neuf suppressions d'emplois sur l'année 2002 faisaient suite à soixante-seize autres suppressions au cours de l'exercice 2001 ; qu'en déclarant que le group Aspocomp n'établissait pas l'existence de recherches sérieuses de reclassement, sans expliquer comment la filiale finlandaise, qui procédait simultanément à des réductions importantes d'effectifs, aurait pu reclasser des salariés de la société Aspocomp, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du code du travail ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a souverainement estimé que la société Aspocomp Group OYJ ne démontrait pas avoir procédé à une recherche sérieuse de reclassement ni avoir envisagé toutes les solutions alternatives aux licenciements économiques ; que, par ce seul motif, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes visés, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.