Livv
Décisions

Cass. crim., 1 juin 2016, n° 15-80.230

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

M. Mondon

Avocats :

Me Blondel, SCP Rousseau et Tapie, SCP Waquet, Farge et Hazan

Bordeaux, du 25 nov. 2014

25 novembre 2014

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 313-1, 313-7 et 313-8 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d'escroquerie au jugement au préjudice de M. et Mme Y..., l'a condamné pénalement et s'est prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs propres que c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a déclaré M. X... coupable d'escroquerie au jugement, il sera seulement ajouté que c'est sur la base d'un faux document établi par le prévenu que le juge des référés a condamné à paiement de sommes M. et Mme Y... ;

" aux motifs adoptés que M. et Mme Y... sont des particuliers ayant commandé une maison sur pilotis à la société Home & Terrace, selon devis accepté, en date du 5 août 2008, moyennant une somme totale de 94 907, 36 euros ; qu'ils ont payé 35 % d'acompte à la commande soit 33 217, 57 euros, le 6 août 2008, ont réglé le second à la société Home & Terrace sur présentation du document du transporteur appelé « ETD navire » émis par la société Transmarit Despachos Ltda pour une facture de 33 217, 54 euros toutes taxes comprises ; que pour ce faire, ils ont adressé au gérant de la société Home & Terrace, M. X... ainsi qu'à l'agent commercial M. Z... une demande de précision sur l'existence du bois sur le quai du port ; que la société Home & Terrace a demandé à M. et Mme Y... de payer à la société SGS, une certification d'embarquement ; que devant le refus de ces derniers de payer une somme supplémentaire et de délivrer le second acompte, M. X... les a attraits devant le tribunal de Périgueux ; qu'en définitive, Mme et Mme Y... qui avaient sur la commande de leur maison payé 33 217, 57 euros d'acompte soit 35 % du montant de la commande, n'ont pas vu leur livraison arriver ; qu'ils ont été condamnés à régler le second acompte de 33 217, 57 euros suivant une ordonnance de référé du tribunal de Périgueux, en date du 12 décembre 2008, trompé par la production par M. X... d'un titre de transport international falsifié, et feront l'objet de poursuites sur leurs biens par ce dernier en vertu de cette ordonnance jusqu'à ce qu'un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, le 27 septembre 2010, mette un terme à la procédure au motif de l'emploi frauduleux de documents falsifiés ; que M. X... a reconnu que M. et Mme Y... avaient bien été victimes de la production de ce faux (D523) mais s'est défendu en prétendant ignorer que le document produit ait été un faux et en a rejeté la responsabilité sur M. Guillaume A... ; que, cependant, les originaux des fausses attestations se trouvent dans l'ordinateur personnel de M. X... (D252, D125/ 5) qui ne peut donner d'explications sur ce point ; qu'il est donc retenu dans les liens de la prévention ;

" 1°) alors que dans le cas d'une escroquerie au jugement, les juges doivent justifier que la pièce produite a eu ou était susceptible d'avoir une influence déterminante sur la solution du litige ; qu'en l'espèce, les juges se sont bornés à relever que M. et Mme Y... ont été condamnés à régler le second acompte de 33 217, 57 euros suivant une ordonnance de référé du tribunal de Périgueux, en date du 12 décembre 2008, sur la base d'un faux document établi par le prévenu, mais sans constater que cette pièce avait une influence déterminante sur la solution du litige ; que ce faisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

" 2°) alors que la partie civile ne peut obtenir réparation que des préjudices qui découlent des faits objets de la poursuite lorsqu'elle a personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, M. X... a été poursuivi pour avoir le 12 décembre 2008 et le 2 juin 2009, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en falsifiant un ETD Navire, au nom d'une société fictive, Transmarit Despachos LTDA, et en falsifiant une confirmation de réservation au nom de la société Tir. Rena Transportes Internacionais LTD, trompé le tribunal de Périgueux pour le déterminer à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, en l'espèce une ordonnance de référé condamnant M. et Mme Y... à lui payer la somme de 33 217, 57 euros outre la somme de 500 euros ; que, dès lors, en condamnant M. X... à payer à M. et Mme Y... la somme de 49 183, 57 euros, sans expliquer le montant de cette somme supérieure à celle qui était mentionnée dans la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'escroquerie au jugement dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 441-1, 441-10, 441-11 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Rémi X... coupable de faux et usage de faux au préjudice de MM. Marc B..., Pascal C... et la société Homexot, l'a condamné pénalement et s'est prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs propres que c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a dit que M. X... avait falsifié une attestation de transporteur et en avait fait usage ;

" aux motifs adoptés que M. X... a produit une fausse attestation d'un transporteur Human & Taconet au préjudice de M. B..., de la société Homexot et de M. C..., M. B... et la société Homexot lui ayant remis des fonds sur la foi de ce document ; qu'en effet, les informations contenues sur cette fausse attestation étaient de nature à établir un fait ayant des conséquences juridiques à savoir le départ d'une marchandise et l'imminence d'une livraison ; qu'il n'est pas contesté que le document est un faux car il présente une contradiction manifeste entre le tampon de la société visant la succursale Human & Taconet située à Bruges et le lieu de rédaction du document, Bordeaux le 24 juin 2008 ; qu'il n'est pas contesté que les informations factuelles contenues sur le document soient également fausses ; qu'il est démontré par la procédure l'usage du faux par M. X... lequel a produit ce document auprès de M. C... pour attester du départ de la marchandise et déclencher le second paiement du client, M. B... ; que M. B... a payé le second acompte à la société Homexot, son intermédiaire, laquelle a versé les fonds à M. X... en prélevant sa commission ; que M. X... est retenu dans les liens de la prévention ;

" alors que, selon l'article 441-1 du code pénal, constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que lorsqu'une personne est poursuivie de ce chef, elle ne peut être déclarée coupable de faux que si elle en est personnellement l'auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui s'est bornée à relever que M. X... avait fait usage du faux, sans constater qu'il en était l'auteur, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de faux, l'arrêt attaqué retient, par motifs adoptés, que le prévenu a produit une fausse attestation d'un transporteur établissant le départ d'une marchandise et l'imminence d'une livraison, qu'il n'est pas contesté que ce document soit un faux et contienne des informations également fausses et qu'il a provoqué un paiement du client ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le prévenu était l'auteur du faux, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19, 132-19-1, 132-24, 132-25 à 132-28 du code pénal, 509, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe de l'effet dévolutif ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à une peine de trois ans d'emprisonnement dont un an ferme ;

" aux motifs que la cour confirme la peine prononcée qui est adaptée à la gravité des délits et notamment de l'escroquerie au jugement étant rappelé, d'une part, que M. X... qui s'est fait représenter par son avocat à l'audience n'a fourni à la cour aucun élément actualisé sur sa situation, d'autre part, qu'une partie de la peine ferme a d'ores et déjà été exécutée ;

" 1°) alors qu'en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en prononçant à l'encontre de M. X... une peine de trois ans d'emprisonnement dont un an ferme, sans préciser en quoi la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendaient cette peine nécessaire en dernier recours, ni en quoi toute autre sanction aurait été manifestement inadéquate, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

" 2°) alors que lorsqu'une peine d'emprisonnement sans sursis est prononcée en matière correctionnelle, cette peine doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 et suivants du code pénal ; qu'en prononçant à l'encontre de M. X... une peine de trois années d'emprisonnement dont un an ferme, sans justifier l'absence d'aménagement autrement que par l'absence d'élément actualisé sur sa situation et le fait que la peine a été en partie exécutée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 3°) alors que lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 et suivants du code pénal, il doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en l'espèce, en prononçant une peine ferme, en bornant à relever que les pièces sur la situation de M. X... n'était pas actualisée ou encore qu'il aurait déjà exécuté une partie de sa peine, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ainsi que le principe de l'effet dévolutif de l'appel " ;

Vu l'article 132-19 du code pénal ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que, dans le cas où la peine n'est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, s'il décide de ne pas l'aménager, doit en outre motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ;

Attendu que, pour condamner M. X... à la peine d'emprisonnement de trois ans dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve, l'arrêt attaqué énonce que cette peine est adaptée à la gravité des délits et notamment de l'escroquerie au jugement, que le prévenu, représenté à l'audience par son conseil, n'a fourni à la cour aucun élément actualisé sur sa situation et qu'une partie de la peine ferme a d'ores et déjà été exécutée ;

Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction et n'a pas prononcé sur l'aménagement de la peine sans sursis, a méconnu le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Sur la demande de M. et Mme Y... fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale :

Attendu que le moyen du demandeur portant sur l'escroquerie au jugement ayant été rejeté, la demande, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, des époux Y..., victime de cette seule infraction, est justifiée ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef de faux et relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 25 novembre 2014, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 000 euros la somme que M. X... devra payer à M. et Mme Y... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de la société Spirit Wood Concept ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.