Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-27.150
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocats :
SCP Buk Lament-Robillot, SCP Gouz-Fitoussi, SCP Jean-Philippe Caston
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que Mme P... I... épouse A... (Mme A...), associée de la société Laon primeurs, devenue le 11 juillet 2011, la société Ginkgo investissement (la société Ginkgo), s'estimant victime d'un abus de majorité commis par M. G... N..., Mme Q... I..., épouse N... (Mme Q... N...), Mme X... N..., M. K... N..., et Mme D... N..., épouse B... (Mme B...), autres associés de cette société, les a assignés, ainsi que celle-ci, en annulation de délibérations adoptées entre 2010 et 2011, ainsi qu'en annulation d'actes conclus avec une société Laon primeurs, également assignée, constituée le 27 mai 2011 entre la société Ginkgo, M. G... N..., Mme X... N... et M. H... C... ; qu'en cause d'appel, Mme A... a en outre demandé des dommages-intérêts aux associés de la société Ginkgo ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que constitue un abus de majorité la résolution d'une assemblée d'associés prise contrairement à l'intérêt social dans le seul dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment des membres de la minorité ; que dès lors, en se bornant à relever, pour débouter Mme A... de sa demande en nullité de la résolution de l'assemblée générale du 11 mars 2010 relative à la vente d'un local à usage commercial à Laon au profit de la SCI Joinville dont M. G... N... et Mme X... N... étaient associés, que cette vente n'était pas conclue pour un prix inférieur au prix réel du marché et qu'elle n'avait pas pour effet de vider de son seul actif la société Laon primeurs (ancienne) qui avait pour objet social le négoce de fruits et légumes et non une activité immobilière, sans rechercher si le fait d'adopter une telle résolution un an avant de modifier l'objet social de la société et de céder l'intégralité des fonds de commerce qu'elle exploitait au profit d'une société dont Mme X... N... et M. G... N... étaient associés, associés majoritaires, pour la transformer, de fait, en société immobilière, ne constituait pas un abus de majorité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, devenu 1240, et 1833 du code civil ;
2°/ qu'en se bornant également à relever, pour débouter Mme A... de sa demande en nullité de la résolution de l'assemblée générale du 10 juin 2010 relative à l'augmentation du capital de la société, que la décision d'augmenter le capital social visait à augmenter et consolider les fonds propres de la société et ne saurait donc être considérée contraire à l'intérêt social et que Mme P... A... aurait pu en toute hypothèse y participer, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette décision n'était pas en réalité destinée à permettre à M. G... N... d'augmenter son nombre de parts sociales pour qu'il puisse ensuite en céder une partie à son fils et que ce dernier détienne un nombre de parts suffisant pour atteindre la majorité des voix lors de l'adoption de la résolution à venir lors de l'assemblée générale du 11 juillet 2011 ayant pour objet la cession de l'intégralité des fonds de commerce exploités par la société au profit de la société Laon primeurs dont M. G... N... et Mme X... N... sont associés, à laquelle ces derniers ne pouvait participer, tout comme Mme Q... N..., en qualité de cogérante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, devenu 1240, et 1833 du code civil ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, Mme A... faisait valoir que depuis que la société Gingko investissement avait cédé ses fonds de commerce à la société Laon primeurs (nouvelle) dont M. G... N... et Mme X... N... étaient associés, son résultat était dix fois inférieur à celui précédemment réalisé ; que dès lors, en énonçant, pour débouter Mme P... I..., épouse A... de sa demande en nullité de la résolution de l'assemblée générale du 11 juillet 2011 ayant autorisé ces cessions, que Mme P... I..., épouse A... ne déniait pas que les résultats réalisés par la société Gingko investissement postérieurement à ces cessions étaient bons, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en retenant encore, pour juger que la résolution de l'assemblée du 11 juillet 2011 ayant autorisé les cessions des fonds de commerce de la société Gingko investissement au profit de la société Laon primeurs (nouvelle) dont M. G... N... et Mme X... N... étaient associés n'était pas contraire à l'intérêt de la société et débouter en conséquence Mme A... de sa demande en nullité, que cette dernière ne déniait pas que les résultats réalisés par la société Gingko investissement postérieurement à ces cessions avaient permis de distribuer des dividendes, sans rechercher si ces dividendes n'étaient pas dix fois inférieurs à ceux distribués auparavant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, devenu 1240, et 1833 du code civil ;
5°/ qu'en affirmant, pour juger que l'adoption de la résolution de l'assemblée générale du 26 septembre 2011 ayant autorisé la société Gingko Investissement à faire un prêt d'un montant de 160 000 euros à un taux de 2 % à la société JDTJ, dont Mme X... N... est associée, n'était pas constitutive d'un abus de majorité, que Mme X... N... n'était pas une associée majoritaire de la société Gingko investissement, sans rechercher si elle n'était pas membre de la majorité des associés, indépendamment du nombre de parts sociales qu'elle détenait dans la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, devenu 1240, et 1833 du code civil ;
6°/ qu'en se contentant enfin d'énoncer, pour juger que l'adoption de la résolution de l'assemblée générale du 26 septembre 2011 ayant autorisé la société Gingko investissement à faire un prêt d'un montant de 160 000 euros à un taux de 2 % à la société JDTJ détenue à 50 % par Mme X... N... et à 50 % par la société Gingko investissement n'était pas contraire à l'intérêt social de cette dernière, que ce prêt avait vocation à financer l'acquisition d'un terrain destiné à la construction d'un site d'exploitation à Reims pour un prix de 322 290 euros, payé également pour partie par des fonds appartenant à Mme X... N..., sans rechercher si le taux du prêt consenti n'était pas anormalement bas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, devenu 1240, et 1833 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, s'agissant de la résolution du 11 mars 2010, l'arrêt constate que le prix de vente du bien cédé appartenant à la société Laon primeurs a été fixé par référence à la valeur suggérée par un notaire, supérieure à la base d'évaluation des notaires pour ce type de local, et estime qu'il n'est pas démontré que le prix fixé était inférieur au prix du marché ; que la cour d'appel, qui en a déduit qu'il n'était pas établi que cette décision avait été prise au détriment de l'intérêt social, a, par ces seuls motifs, et sans avoir à effectuer la recherche, inopérante, invoquée par la deuxième branche, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que, s'agissant de l'augmentation de capital de la société Laon primeurs décidée le 10 juin 2010, l'arrêt retient que le grief tenant à la volonté supposée des majoritaires de diluer les parts sociales de Mme A... était sans emport, dès lors qu'étant, avant cette augmentation, titulaire de cinquante parts sociales, représentant 2,44 % du capital, Mme A..., qui n'avait pas été évincée de cette décision, aurait pu souscrire quatre parts nouvelles pour maintenir sa participation à cette quote-part après l'augmentation ; que l'arrêt retient ensuite que cette augmentation du capital était destinée à consolider les fonds propres de la société ; qu'en l'état de ces appréciations, la cour d'appel, qui en a déduit que cette décision n'était pas contraire à l'intérêt de la société, a, sans avoir à procéder à la recherche, inopérante, invoquée par la troisième branche du moyen, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que les décisions prises lors de l'assemblée générale du 11 juillet 2011, et notamment la cession des fonds de commerce de la société Ginkgo à une nouvelle société Laon primeurs, ainsi que la conclusion de baux commerciaux avec cette société, ont tenu compte de l'impossibilité, pour Mme Q... N..., de continuer d'exercer son activité, et ont été prises également dans un contexte local de baisse de l'activité de négoce de fruits et de légumes frais et de l'implantation programmée de deux sites d'une enseigne concurrente ; qu'il ajoute que l'allégation de cession à vil prix des fonds repose sur une comparaison non pertinente car portant sur des fonds situés en Haute-Normandie et en région parisienne ; qu'il constate que les baux afférents aux fonds de commerce sont effectifs et qu'il n'est pas allégué qu'ils aient été conclus à des prix inférieurs au marché ; qu'il relève encore que la société Ginkgo était l'associée de la nouvelle société Laon primeurs, cessionnaire des fonds et titulaire des baux litigieux ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants, critiqués par la quatrième branche, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche, inopérante, invoquée par la cinquième branche, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, enfin, que, s'agissant de la délibération du 26 septembre 2011, l'arrêt constate qu'il ressort des statuts de la société JDTJ que la moitié du capital de cette société est détenue par la société Ginkgo, les autres parts étant détenues par Mme X... N..., et que la société JDTJ a fait l'acquisition le 9 septembre 2010 d'un terrain destiné à la construction d'un site d'exploitation à Reims, payé à l'aide du prêt consenti par la société mère Ginkgo mais également par des fonds appartenant à Mme X... N... ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui en a déduit que cette avance de fonds ne pouvait être considérée comme contraire à l'intérêt social de la société Ginkgo a, sans avoir à effectuer les recherches, inopérantes, invoquées par les sixième et septième branches, légalement justifié sa décision ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action dirigée contre Mme X... N..., M. K... N... et Mme B... et de l'avoir déboutée de ses demandes à leur encontre alors, selon le moyen, que tout associé, membre de la majorité des associés, est tenu des conséquences d'un éventuel abus de la majorité à laquelle il appartient, quel que soit le nombre de parts qu'il détient individuellement ; qu'en se fondant, pour qualifier d'associés minoritaires Mme X... N..., M. K... N... et Mme B... et déclarer irrecevable à leur encontre la demande de Mme A... fondée sur un abus de majorité, sur la seule circonstance que ces derniers détenaient respectivement 41, 24 et 28 parts sociales, sans rechercher s'ils n'étaient pas membres de la majorité des associés formée avec M. G... N... et Mme Q... N..., codéfendeurs à l'action de Mme A..., et ne devaient donc pas être qualifiés d'associés majoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile.
Mais attendu que l'abus de majorité allégué par Mme A... contre tous les autres porteurs de parts de la société Ginkgo ayant été jugé inexistant par des motifs vainement critiqués par le deuxième moyen, le premier moyen, qui suppose constitué l'abus de majorité, est inopérant ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme nouvelles ses demandes de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que la demande de réparation du préjudice résultant de l'adoption irrégulière d'une résolution d'assemblée d'associés constitue le complément de la demande d'annulation de ladite résolution ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande de réparation de Mme A... à l'encontre de M. G... N..., en qualité de gérant de la société Gingko Investissement, fondée sur la méconnaissance par ce dernier lors de l'assemblée générale du 11 mars 2010 des règles relatives aux conventions réglementées et des statuts de la société, qu'elle n'était pas de même nature que la demande qu'elle avait formée en première instance qui tendait à obtenir l'annulation des résolutions adoptées lors de cette assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en retenant, pour déclarer également irrecevable la demande de réparation de Mme A... à l'encontre de M. G... N..., de Mme Q... N..., de Mme B... et de M. K... N..., en qualité d'associés, à raison du caractère abusif des résolutions litigieuses, qu'elle avait un objet différent de la demande en nullité de ces résolutions formée en première instance, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant jugé, par des motifs vainement critiqués par le deuxième moyen, que les délibérations en cause n'étaient pas nulles, le moyen, qui suppose, en ses deux branches, la réalisation d'un dommage résultant de la nullité de ces délibérations, est inopérant ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
Attendu que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond ;
Attendu que la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré irrecevables les demandes de Mme A... contre Mme X... N..., M. K... N..., Mme B... et la société Laon primeurs et, statuant au fond, rejeté toutes ses demandes ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a consacré l'excès de pouvoir commis par les premiers juges et violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, dont l'application a été proposée par la défense ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il déboute Mme P... I..., épouse A... de son action formée contre Mme X... N..., M. K... N..., Mme B... et la société Laon primeurs, l'arrêt rendu le 15 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.