Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-24.541
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Leprieur
Rapporteur :
M. Barincou
Avocats :
SCP Boulloche, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 septembre 2019), Mme U... a été engagée le 11 mars 2013, en qualité de collaboratrice, par M. M..., mandataire judiciaire.
2. La salariée a été destinataire d'une lettre de rappel à l'ordre du 28 septembre 2015.
3. Elle a été licenciée pour faute grave le 16 novembre 2015.
4. Elle a saisi la juridiction prud'homale pour faire constater des faits de harcèlement moral dont elle aurait été victime et contester son licenciement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et, en conséquence, de l'intégralité de ses prétentions au titre de la rupture du contrat de travail, dont sa demande de nullité du licenciement et les demandes afférentes, alors :
« 1°/ que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge pour l'employeur, le cas échéant, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que, pour débouter la salariée de ses demandes au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a énoncé - après constaté que la salariée invoquait une absence de travail fourni à son retour d'arrêt de travail - que, « si la salariée justifie par son annexe 49 « document chronologique » du listing des documents établis dans des dossiers dont elle était titulaire pour faire remarquer que du 14 septembre au 29 septembre, date d'édition de ce document, elle a cessé de travailler sur ces dossiers, il convient de constater, d'une part, que l'on ne sait pas ce qu'il en est des autres dossiers que ceux mentionnés, soit 2 dossiers parmi d'autres, d'autre part, que l'on ne connaît pas les raisons exactes qui ont empêché la salariée de travailler sur ces dossiers, qu'enfin, elle ne soutient nullement avoir été empêchée de travailler » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait à l'employeur de justifier objectivement avoir donné à la salariée un travail à exécuter à son retour d'arrêt de travail, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant l'article L. 1154-1 du code du travail ;
2°/ subsidiairement, que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les prétentions des parties sans analyser l'ensemble des pièces produites à l'appui de ces prétentions ; qu'en l'espèce, la salariée - qui faisait valoir et offrait de prouver qu'à son retour d'arrêt de travail, l'employeur ne lui avait confié aucun travail à exécuter, et ce, pendant plusieurs jours - versait notamment aux débats un courriel du 14 septembre 2015 qu'elle avait adressé à son employeur selon lequel « G... O..., je suis de retour ce matin, N... n'étant pas là, merci de m'indiquer quels sont les dossiers qui m'ont été attribués et sur lesquels je dois travailler » et auquel l'intéressé avait répondu « les dossiers de la semaine dernière ont été répartis entre N... et moi, nous verrons mercredi » ; qu'en s'abstenant d'examiner cette pièce dont il résultait que la salariée avait été effectivement privée de travail dans l'attente du retour de l'employeur, soit du lundi 14 septembre 2015 au mercredi suivant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l'existence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral que la justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement pour faute grave est justifié et, en conséquence, de la débouter de l'intégralité de ses prétentions au titre de la rupture du contrat de travail, alors :
« 1°/ que nul ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits ; que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir et offrait de prouver que l'employeur, avant de prononcer son licenciement pour motif disciplinaire, lui avait reproché, par un courrier du 28 septembre 2015 valant avertissement, les mêmes manquements que ceux invoqués dans la lettre de licenciement, de sorte que son congédiement contrevenait au principe non bis in idem ; que le courrier du 28 septembre 2015 énonce notamment qu'« il m'a été permis d'apprendre par avocats et débiteurs gersois que dans un certain nombre de procédures, votre comportement agressif et brutal vis-à-vis de dirigeants de sociétés ou débiteurs a fortement choqué ceux-ci, ce qui de même est en opposition totale avec la façon de travailler qui vous a été imposée et crée là encore un énorme préjudice à mon étude auscitaine en termes d'image » ; que pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter la salariée de ses demandes, la cour d'appel a énoncé que, « concernant le courrier daté du 28 septembre 2015 (annexe 38 de la salariée) adressé par l'employeur à propos duquel les parties s'opposent sur le point de savoir s'il y a pour objet de notifier ou non une sanction disciplinaire empêchant de nouvelles poursuites pour des faits identiques (application du principe non bis in idem), il convient de relever que la tentative de corruption ne fait pas partie des agissements reprochés à la salariée dans le courrier précité de sorte que cette discussion est sans emport sur le litige » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, au-delà des termes employés dans la lettre du 28 septembre 2015, la tentative de corruption imputée à la salariée n'était pas comprise dans le grief tiré d'un prétendu « comportement agressif et brutal de la salariée vis-à-vis de dirigeants de société ou débiteurs », dont l'employeur avait eu connaissance par « avocats et débiteurs gersois », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code travail, ensemble les textes susvisés et le principe non bis in idem ;
2°/ subsidiairement, que l'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la lettre du 28 septembre 2015 ne constituait pas une sanction et, le cas échéant, si, à la date de cet avertissement, l'employeur n'avait pas connaissance des faits de tentative de corruption visés par la lettre de licenciement dont elle a estimé qu'ils étaient établis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail en leur rédaction applicable au litige ;
3°/ plus subsidiairement, que ne constitue pas une tentative de corruption, le fait de préciser à un tiers que, dans l'éventualité d'une faute de gestion de sa part, un règlement à l'amiable pourrait être envisagé ; qu'en retenant que le grief tiré d'une tentative de corruption était établi et qu'il présentait un degré de gravité justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, cependant qu'elle constatait que la salariée, sans solliciter la remise effective de fonds à son bénéfice ou au bénéfice d'un tiers, avait indiqué à Mme D... que si jamais elle venait à commettre une faute de gestion au cours de la procédure collective, elle encourrait une sanction, mais que dans cette hypothèse, « avec 10 000 euros, tout pouvait s'arranger », la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une tentative avérée de corruption, violant les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail en leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles 445-1 et 445-2 du code pénal ;
4°/ très subsidiairement, que la faute grave est celle qui, au vu de la personnalité du salarié et des circonstances de fait dans lesquelles sont survenus les manquements qui lui sont imputés à faute, rend impossible son maintien dans l'entreprise ; qu'il s'ensuit qu'une tentative de corruption ne constitue pas nécessairement une faute grave ; qu'en affirmant dès lors péremptoirement que « la preuve d'une tentative de corruption est suffisamment rapportée de sorte que le licenciement pour faute grave de la salariée est justifié, la faute commise présentant un degré de gravité suffisant pour justifier la rupture immédiate des relations de travail », sans faire ressortir concrètement en quoi ce manquement isolé et ancien rendait effectivement impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise, au regard notamment de ses qualités professionnelles, reconnues expressément par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail en leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles 445-1 et 445-2 du code pénal. »
Réponse de la Cour
9. D'abord, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de faits et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a, d'une part, estimé qu'il était établi que la salariée avait commis une tentative de corruption, sans avoir pour cela à caractériser la réunion des éléments constitutifs de l'une des infractions prévues par les articles 445-1 et 445-2 du code pénal, et, d'autre part, retenu que cette faute n'avait pas été déjà sanctionnée par un précédent courrier de l'employeur.
10. Ensuite, la cour d'appel a pu en déduire que cette faute rendait impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise et constituait une faute grave.
11. Le moyen, contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond et partant irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.