Cass. com., 12 mars 1996, n° 93-20.218
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Huglo
Avocat général :
M. Mourier
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Delaporte et Briard
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, par acte du 29 mars 1989, la société Bacchus a cédé à M. X..., pour le prix de 10 000 francs, les éléments incorporels d'un fonds de commerce de cave à vin; que, par une convention du 13 février 1989, la société Bakanal avait fourni à M. X... une "installation de cave clé en mains", correspondant aux éléments corporels du même fonds de commerce, moyennant la somme de 498 262 francs; que la facture relative à cette dernière cession a été établie, en date du 7 avril 1989, par la société Bacchus; que M. X... ayant été mis en liquidation judiciaire, son liquidateur a assigné la société Bacchus en nullité de la convention du 13 février 1989;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Bacchus reproche à l'arrêt d'avoir, pour accueillir cette demande, jugé qu'elle-même était le cocontractant de M. X..., alors, selon le pourvoi, que les juges du fond ne pouvaient laisser sans réponse ses conclusions faisant valoir que le prix de la convention du 13 février 1989 avait été facturé par erreur sur une en-tête de la société Bacchus; qu'ainsi, en jugeant qu'il résulte de la facture du 7 avril 1989 que le cocontractant de M. X... est la société Bacchus, sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à un simple argument dénué de preuve; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Bacchus reproche encore à l'arrêt d'avoir, pour statuer comme il a fait, qualifié de contre-lettre la convention du 13 février 1989, alors, selon le pourvoi, que la contre-lettre est un acte juridique secret, non révélé aux tiers, qui a pour objet de déroger en tout ou en partie aux composantes ou aux effets d'un acte juridique apparent; que le caractère secret de l'acte constitue un élément essentiel de la contre-lettre; qu'en conséquence, en assimilant le contrat de cession des éléments corporels du fonds en cause à une contre-lettre sans relever le caractère secret de l'acte du 13 février 1989, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1321 du Code civil et 1840 du Code général des impôts;
Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat du 13 février 1989 était stipulé pour un prix qui n'était pas justifié et avait permis la dissimulation de la valeur réelle du fonds de commerce cédé, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 1840 du Code général des impôts en qualifiant une telle convention de contre-lettre, dont le caractère secret à l'égard de l'administration fiscale résulte des dispositions mêmes de la loi ;
que le moyen est sans fondement;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1840 du Code général des impôts, ensemble l'article 1234 du code civil;
Attendu qu'en cas d'annulation d'un contrat, les parties doivent être remises dans le même état que si elles n'avaient jamais contracté; que, s'il s'agit d'une vente, le vendeur est tenu de rembourser le prix, tandis que l'acquéreur doit restituer la chose vendue, en nature ou, à défaut, en valeur;
Attendu que, pour condamner la société Bacchus à verser à M. X... la somme de 498 262 francs, en conséquence de l'annulation de la convention du 13 février 1989, après avoir rejeté les prétentions de cette société s'opposant au remboursement "pur et simple" de la facture du 7 avril 1989, l'arrêt retient que la société Bacchus n'est pas fondée à invoquer l'impossibilité pour M. X... de lui rendre, à titre réciproque, les biens cédés, la restitution de la somme précitée étant indépendante de la vente des biens composant le fonds;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des propres énonciations de l'arrêt que, même si le prix en avait été surévalué, la société Bacchus avait livré des éléments d'installation et fourni des prestations à M. X... en exécution de la convention du 13 février 1989, ce dont il résultait qu'elle disposait à ce titre, en raison de l'annulation de celle-ci, d'une créance de restitution à l'égard de son cocontractant, qui devait venir en déduction de la somme litigieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à 498 262 francs le montant de la condamnation de la société Bacchus au profit de M. X..., l'arrêt rendu le 16 septembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.