CA Colmar, 1re ch. civ. A, 2 novembre 2010, n° 08/02966
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Koro (SARL)
Défendeur :
Ekkia (SAS), Ykk France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
M. Cuenot, M. Allard
Avocats :
Selarl Arthus Conseil, Me Crovisier, SCP Cahn & Associés
Le 18 juillet 1995, une SARL KORO MARKETING ultérieurement devenue SARL KORO a déposé un brevet français n° 95 08920, délivré le 21 août 1998, ayant pour objet un bracelet de marquage des vaches et comportant l'unique revendication suivante : 'bracelet pour repérer et discriminer des individus dans un troupeau, et placé autour du membre inférieur postérieur de l'animal, caractérisé en ce qu'il est constitué d'une partie feutrine et d'une partie formée par de petits crochets, disposées sur la même face de la bande formant le bracelet, la partie crochet étant destinée à passer dans une boucle solidaire de la bande et à revenir s'agripper sur la partie feutrine de la bande'.
La SARL KORO commercialise de tels bracelets sous la marque SECURIT'LAIT, selon une gamme de plusieurs couleurs et en associant chacune des couleurs à un cas de marquage (par exemple vache sous antibiotiques), afin que l'on puisse distinguer aisément la bête concernée du reste du troupeau.
Elle se fournissait auprès d'une SARL YKK FRANCE.
Par courrier du 9 septembre 2004, estimant d'une part que la SAS UKAL proposait et offrait à la vente dans son catalogue 2005 des bracelets de marquage des vaches mettant en oeuvre la revendication unique du brevet français n° 95 08920, d'autre part qu'elle les commercialisait dans la même gamme de coloris que ceux mis à la vente par elle sous la marque SECURIT'LAIT, la SARL KORO l'a mise en demeure de retirer les bracelets en cause de la vente et de procéder à une rectification de son catalogue.
Face au refus opposé par la SAS UKAL, la SARL KORO a fait procéder le 7 juillet 2005 à une saisie-contrefaçon, autorisée par ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg du 23 juin 2005.
Selon un acte introductif d'instance signifié le 20 juillet 2005, la SARL KORO a fait assigner la SAS UKAL devant la Chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, d'une part en contrefaçon de brevet d'autre part en concurrence déloyale et parasitaire.
Selon un acte signifié le 7 juin 2006, la SAS UKAL a fait assigner en intervention forcée la SARL YKK FRANCE, qui était également son fournisseur.
Les deux procédures ont été jointes.
Dans ses dernières écritures, la SARL KORO a pris des conclusions tendant à la condamnation in solidum de la SAS UKAL et de la SARL YKK FRANCE.
La SAS EKKIA, qui est venue en cours d'instance aux droits de la SAS UKAL, a formé un appel en garantie à l'encontre de la SARL YKK FRANCE.
Par un jugement du 7 avril 2008, la juridiction saisie :
-a déclaré la SARL KORO irrecevable à agir en contrefaçon du brevet français n° 95 08920 comme n'en étant pas titulaire ;
-a prononcé la nullité de la saisie-contrefaçon effectuée le 7 juillet 2005 en exécution de l'ordonnance du 23 juin 2005 ;
-a débouté la SARL KORO de son action en concurrence déloyale et parasitaire exercée à l'encontre de la SAS EKKIA et de la SARL YKK France ;
-a déclaré en conséquence sans objet l'appel en garantie formé par la SAS EKKIA à l'encontre de la SARL YKK FRANCE ;
-a débouté la SAS EKKIA de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
-a condamné la SARL KORO à payer à chacune des sociétés EKKIA et YKK FRANCE la somme de 6000 Euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
-l'a condamnée aux entiers frais et dépens ;
-a rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires.
Selon une déclaration enregistrée au greffe le 11 juin 2008, la SARL KORO a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions déposées le 9 juillet 2009, elle demande à la Cour de :
-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a
+déclaré la SARL KORO irrecevable à agir en contrefaçon du brevet français n° 95 08920 comme n'en étant pas titulaire,
+prononcé la nullité de la saisie-contrefaçon effectuée le 7 juillet 2005 en exécution de l'ordonnance du 23 juin 2005,
+débouté la SARL KORO de son action en concurrence déloyale et parasitaire exercée à l'encontre des sociétés EKKIA et YKK FRANCE,
+condamné la SARL KORO à payer à chacune des sociétés EKKIA et YKK FRANCE la somme de 6000 Euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
+condamné la SARL KORO aux entiers dépens ;
Et statuant à nouveau,
-dire et juger la SARL KORO recevable en son action en contrefaçon du brevet français n° 95 08920 ;
-dire et juger que les sociétés EKKIA et YKK FRANCE se sont rendues coupables de contrefaçon de la revendication unique du brevet français n° 95 08920 dont la SARL KORO est titulaire ;
-dire et juger que les sociétés EKKIA et YKK FRANCE se sont également rendues coupables de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la SARL KORO ;
-faire interdiction aux sociétés EKKIA et YKK FRANCE, sous peine d'astreinte, de diffuser tous documents, prospectus, catalogues, tant sur support papier que par tout autre moyen, présentant des bracelets de marquage des vaches constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la concluante, d'importer et de fabriquer de tels produits, de les présenter et de les exposer, de les offrir à la vente et de les commercialiser, à l'exception, pour ce qui concerne la SARL YKK FRANCE, des importations et fabrications faites en vue de la vente de ces produits à la concluante et des ventes correspondantes ;
- ordonner la remise des produits en stock ainsi que le retrait du marché et la destruction, sous le contrôle de la concluante et aux frais des sociétés EKKIA et YKK FRANCE tenues in solidum, de tous les bracelets de marquage des vaches constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la concluante se trouvant entre leurs mains, ainsi qu'en tous autres lieux, à l'exception, pour ce qui concerne la SARL YKK FRANCE, de ceux destinés à la concluante, et ce sous peine d'astreinte ;
-dire que la Cour se réservera la liquidation des astreintes ;
-condamner in solidum les sociétés EKKIA et YKK FRANCE à verser à la SARL KORO la somme de 50.000 Euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits privatifs sur le brevet français n° 95 08920 et de leur dévalorisation consécutive ;
-enjoindre aux sociétés EKKIA et YKK FRANCE, sous peine d'astreinte, de produire un état certifié par leur commissaire aux comptes :
+pour la SAS EKKIA, de toutes ses factures d'achat et de toutes ses factures de vente des bracelets désignés sous la dénomination 'Bracelet agrippant pour vaches, fluo
+ passant', 'Bracelet velcro pour vaches, fluo
+ passant', 'Bracelet velcro fluo avec passant' ou 'BRAC.AGRIPP FLUO
+ PASS', en provenance de la SARL YKK FRANCE ou de tout autre fournisseur et sous quelque référence que ce soit, depuis 2003, ainsi que de l'état de ses stocks au jour de la saisie-contrefaçon et au jour de l'arrêt à intervenir ;
+pour la SARL YKK FRANCE, de toutes ses factures de vente desdits bracelets à toute autre personne que la SARL KORO depuis 2003 ;
-dire que la Cour statuera ultérieurement sur la marge effectivement perdue par la SARL KORO du chef de la contrefaçon au vu des éléments qui seront produits par les sociétés EKKIA et YKK FRANCE ;
-condamner in solidum les sociétés EKKIA et YKK FRANCE à verser à la SARL KORO la somme de 22.000 Euros à titre de dommages-intérêts provisionnels en réparation de la marge perdue du chef de la contrefaçon ;
-les condamner in solidum à payer à la SARL KORO la somme de 50.000 Euros des chefs de concurrence déloyale et parasitaire, sauf à parfaire au vu des documents dont la production est sollicitée ;
-autoriser la publication de la décision à intervenir ou par extraits dans trois journaux ou périodiques, au choix de la SARL KORO et aux frais des sociétés EKKIA et YKK FRANCE tenues in solidum ;
-déclarer les sociétés EKKIA et YKK FRANCE irrecevables et mal fondées en toutes leurs demandes, fins et prétentions, et les en débouter ;
-condamner in solidum les sociétés EKKIA et YKK FRANCE à verser à la SARL KORO la somme de 30.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
-les condamner in solidum aux entiers frais et dépens des deux instances.
Par ses dernières conclusions déposées le 13 novembre 2009, la SAS EKKIA ancienneté dénommée UKAL demande à la Cour de :
Vu les dispositions de l'article L. 210-6 du Code de Commerce,
Vu les dispositions de l'article 32 des statuts de la SARL KORO MARKETING,
Vu les dispositions de l'article L. 611-1 du Code de la Propriété Intellectuelle,
A titre principal,
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a
+déclaré la SARL KORO irrecevable à agir en contrefaçon du brevet français n° 95 08920 comme n'en étant pas titulaire,
+prononcé la nullité de la saisie-contrefaçon effectuée le 7 juillet 2005,
+débouté la SARL KORO de son action en concurrence déloyale et parasitaire exercée à l'encontre de la concluante ;
Et statuant à nouveau,
Vu les dispositions des articles L. 611-10, L. 611-11 et suivants, L. 613-25 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle,
-constater l'absence de nouveauté de la revendication unique du brevet français n° 95 08920 ;
-constater l'absence d'activité inventive de la revendication unique du brevet ;
En conséquence,
-prononcer la nullité de la revendication unique et du brevet correspondant ;
-dire que la décision à intervenir sera inscrite sur le registre national des brevets à l'INPI, le tout sur réquisition du greffier ;
En tout état de cause,
-dire et juger que la SAS EKKIA ne s'est pas rendue coupable de contrefaçon de la revendication unique du brevet ;
-dire et juger que la SARL KORO ne justifie pas de la réalité de son prétendu préjudice ;
A titre reconventionnel,
-condamner la SARL KORO à 50.000 Euros de dommages-intérêts au profit de la SAS EKKIA, en raison de son attitude à l'égard des clients de la concluante en cours de procédure, et du fait de l'introduction abusive de la présente procédure ;
-la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel, outre une somme de 15.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Sur appel en garantie à l'encontre de la SARL YKK FRANCE, en cas de condamnation de la SAS EKKIA au profit de la SARL KORO,
-dire et juger l'appel en intervention forcée et en garantie de la SARL YKK FRANCE par la SAS EKKIA recevable et bien fondée ;
-condamner la SARL YKK FRANCE à tenir la SAS EKKIA quitte et indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;
-condamner la SARL YKK FRANCE aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, principal et incident, outre un montant de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ses dernières conclusions déposées le 17 mars 2009, la SARL YKK FRANCE demande à la Cour de :
-recevoir l'appel ;
-infirmer la décision entreprise ;
-dire la SARL KORO irrecevable en son action ;
-dire le brevet n° 95 08920 nul et de nul effet compte tenu du défaut de personnalité juridique du requérant en délivrance du brevet ;
-dire la SARL KORO irrecevable à revendiquer ledit brevet 12 ans après son dépôt ;
-dire le brevet n° 95 08920 nul et de nul effet compte tenu de l'absence de nouveauté de la revendication et de l'absence d'activité inventive de la revendication ;
-dire que la décision à intervenir sera inscrite au registre national des brevets ;
En tout état de cause,
-débouter la SARL KORO de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la SARL YKK France ;
-dire n'y avoir lieu à garantie de la SARL YKK FRANCE à l'égard de la SAS EKKIA ;
-condamner in solidum la SAS EKKIA et la SARL KORO à verser à la SARL YKK FRANCE la somme de 15.000 Euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
-les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;
Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon de brevet exercée par la SARL KORO :
Attendu que, pour s'opposer à l'action en contrefaçon, les sociétés EKKIA et YKK FRANCE ont préalablement fait valoir qu'à la date de dépôt de la demande de brevet, soit le 18 juillet 1995, la société demanderesse, qui s'appelait alors KORO MARKETING, ne disposait pas encore de la personnalité morale, puisque n'ayant été immatriculée au RCS que le 1er août 1995, de sorte qu'elle ne saurait se prétendre titulaire dudit brevet déposé à son nom et se prévaloir d'un droit de protection sur celui-ci ;
Attendu que la SARL KORO a estimé en retour que ce moyen n'était ni recevable ni bien fondé ;
Attendu qu'elle a d'abord fait valoir qu'en application de l'article L. 611-8 du Code de la Propriété Intellectuelle, les défenderesses n'avaient pas qualité pour contester la titularité du brevet ;
Attendu que le tribunal a rejeté cette argumentation en retenant qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une action en revendication d'un brevet, mais d'une condition de recevabilité de la demande, les défenderesses étant toujours en droit de discuter de la qualité et de l'intérêt à agir de la personne qui les assigne ;
Attendu qu'au soutien de son appel, la SARL KORO fait valoir que la Cour ne pourra pas entériner cette motivation, dans la mesure où toute argumentation tendant à contester le droit au brevet ne peut émaner que des personnes que l'article L. 611-8 du Code de la Propriété Intellectuelle a pour objet de protéger, et que dès lors le défendeur à une action en contrefaçon, étranger aux relations entre l'inventeur et le breveté, est irrecevable à contester ce droit ; qu'il en résulte que les sociétés EKKIA et YKK FRANCE sont irrecevables en leur contestation de la titularité du brevet dont se prévaut la SARL KORO ;
Attendu cependant que, ainsi que les premiers juges l'ont relevé à bon droit, les dispositions de l'article L. 611-8 concernent exclusivement l'action en revendication d'un brevet dans le cas où une invention a été soustraite à son inventeur ou lorsqu'un titre a été demandé en violation d'une obligation légale ou conventionnelle ; que tel n'est pas le cas dans la présente procédure, aucune des défenderesses ne revendiquant la titularité du brevet litigieux ; que par contre, les sociétés défenderesses sont en droit de contester la qualité et l'intérêt à agir de la personne qui les assigne ; que plus précisément, elles sont parfaitement recevables à vouloir démontrer que la SARL KORO n'est pas en droit de se prévaloir du brevet litigieux ;
Attendu ensuite que le tribunal a accueilli le moyen d'irrecevabilité opposé par les défenderesses aux motifs :
-que la SARL KORO MARKETING avait déposé le brevet litigieux à l'INPI le 18 juillet 1995 ;
-que cette société avait été immatriculée au RCS le 1er août 1995, et acquis la personnalité morale à cette date, soit postérieurement au dépôt du brevet ;
-que les statuts de la société, enregistrés le 11 juillet 1995, soit antérieurement au dépôt, ne faisaient pas apparaître que Monsieur C, inventeur, avait reçu mandat des associés de la société en formation pour déposer un brevet au nom de celle-ci, et donc pouvoir agir en son nom et la représenter ;
-qu'il en résulte que le dépôt du brevet n'avait pu créer aucun droit au bénéfice de la SARL KORO MARKETING ;
-que par ailleurs, seuls pouvaient être repris par la société une fois immatriculée les actes accomplis pour son compte ;
-que le déposant n'ayant pas été mandaté pour déposer le brevet au nom de la SARL KORO MARKETING et n'ayant donc pu remplir cette formalité pour le compte de celle-ci, la SARL KORO n'avait pu valablement reprendre la demande de dépôt de brevet à son compte par décision du 4 décembre 2007 ;
-que la SARL KORO devait donc être déclarée irrecevable en son action en contrefaçon du brevet français n° 95 08920, comme n'en étant pas titulaire et, partant, comme ne pouvant se prévaloir d'un droit de protection sur celui-ci ;
Attendu qu'au soutien de son appel, la SARL KORO fait valoir :
-que le brevet français n° 95 08920 a été délivré par l'autorité publique le 21 août 1998, date à laquelle la SARL KORO était depuis longtemps immatriculée au RCS et jouissait de la personnalité morale ; que cette délivrance a régularisé la situation litigieuse, résultant des circonstances dans lesquelles le dépôt du brevet est intervenu ; que le moyen d'irrecevabilité doit donc être écarté en application de l'article 126 du Code de Procédure Civile ;
-qu'ensuite, s'agissant des actes accomplis pendant la période de formation d'une société, l'article L. 210-6 du Code de Commerce vise précisément le cas où un acte accompli avant l'acquisition de la personnalité morale par la société en formation n'a été ni mentionné comme déjà accompli dans un état annexé aux statuts, ni été accompli par l'un ou l'autre des associés en vertu d'une clause expresse des statuts ; que la société au nom de laquelle un tel acte a été accompli dispose encore, une fois immatriculée, de la possibilité de reprendre cet acte ; qu'ainsi, par une décision du 4 décembre 2007, l'associé unique de la SARL KORO a expressément confirmé et, en tant que de besoin, décidé de la reprise par la société du dépôt de la demande de brevet intervenu le 18 juillet 1995 ; qu'en suite de cette reprise, le dépôt du brevet est réputé avoir été effectué dès l'origine par la SARL KORO ;
-qu'aucun texte ne prévoit de délai pour la reprise des actes accomplis pour le compte d'une société en formation ; qu'aucun délai de prescription ne saurait être opposé à la concluante ;
-qu'en tout état de cause, la SARL KORO s'est toujours présentée et a toujours été désignée comme titulaire du brevet ;
-qu'il ne saurait être prétendu que la reprise serait intervenue plusieurs années après la disparition de la SARL KORO MARKETING, radiée du RCS en date du 21 juillet 1998, alors que seule est intervenu un changement de dénomination sociale et d'adresse, sans naissance d'une nouvelle personne morale ;
Attendu qu'il est constant que la demande de brevet français déposée le 18 juillet 1995 mentionnait comme demandeur une 'SARL KORO MARKETING' ;
Attendu que la SARL KORO, qui justifie avoir simplement changé de dénomination sociale à l'occasion d'une assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 1997, avec transfert de son siège dans un autre département, ce qui a justifié la radiation de l'inscription à son ancienne adresse et une réinscription à la nouvelle adresse, ne conteste évidemment pas n'avoir pu, le18 juillet 1995, procéder au dépôt en son nom propre d'une demande de brevet français auprès de l'INPI, alors qu'elle n'était pas encore inscrite au RCS et qu'elle ne devait obtenir la personnalité morale qu'à compter du 1er août 1995 ;
Attendu qu'elle invoque par contre la régularisation provenant de la délivrance ultérieure du titre et, subsidiairement, celle résultant d'une reprise de l'engagement initial votée par l'associé unique en 2007 ;
Attendu cependant que la délivrance du brevet en date du 21 août 1998 ne pouvait couvrir le vice initial ;
Attendu en effet que la société, qui n'existait pas encore à la date de dépôt de la demande de brevet, ne pouvait figurer comme demandeur au brevet ni sur l'acte de dépôt initial ni sur le brevet lui-même, délivré ultérieurement ;
Attendu en outre que, dans les statuts enregistrés dès le 11 juillet 1995, soit avant le dépôt de la demande de brevet, il n'était pas mentionné qu'une telle formalité devait être effectuée par l'un ou l'autre des futurs associés (C Alan, inventeur, ou son frère C Roperzh, futur gérant) pour le compte de la société en cours de formation, et ce dans l'attente de l'immatriculation de la société ; qu'il était au contraire énuméré un certain nombre d'actes à accomplir par le futur gérant, parmi lesquels ne figurait toutefois pas le dépôt de la demande de brevet ;
Attendu en tout état de cause que ni la demande de brevet ni le brevet ne révèlent le nom d'une personne physique qui aurait déposé le brevet pour le compte de la société en voie de constitution, ce qui aurait permis, après immatriculation et acquisition de la personnalité morale, la reprise des engagements souscrits ;
Attendu dans ces conditions que sont inapplicables les dispositions de l'article L. 210-6 du Code de Commerce, qui prévoient que les personnes ayant agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits (qui sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société) ;
Attendu que se trouve également dénuée de tout effet la prétendue 'reprise' votée par l'associé unique lors d'une assemblée générale extraordinaire du 4 décembre 2007 (consécutivement à une cession de parts intervenue au profit de Monsieur C Alan) ;
Attendu ainsi que ni la délivrance du brevet en 1998, ni la 'reprise' votée par l'associé unique en 2007 n'ont permis de couvrir l'irrégularité qui frappait le dépôt de la demande de brevet du 18 juillet 1995 ;
Attendu en définitive que, le dépôt ayant été effectué par une société qui ne disposait pas de la personnalité morale, et les conditions pour une reprise conforme aux dispositions de l'article L. 210-6 du Code Civil n'étant pas remplies, la SARL KORO (anciennement KORO MARKETING) ne pouvait pas se prévaloir de la titularité du brevet français n° 95 08920 et par conséquent d'un droit de protection sur celui-ci ;
Attendu que cela suffit pour constater le défaut de qualité et d'intérêt de la SARL KORO à exercer une action en contrefaçon sur le fondement d'un brevet dont elle ne peut pas invoquer la titularité, et donc pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la demande irrecevable à cet égard ;
Attendu que le surplus de l'argumentation développée par les intimées, notamment en ce qui concerne la nullité du brevet, ne présente plus d'intérêt ; qu'en effet, comme l'a retenu le tribunal, l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon du brevet rend sans objet la demande reconventionnelle des sociétés EKKIA et YKK FRANCE tendant à obtenir l'annulation du brevet ; qu'au demeurant, la SAS EKKIA ne reprend sa demande reconventionnelle qu'à titre subsidiaire (page 13 de ses conclusions) ;
Attendu de même que l'annulation corrélative de la saisie-contrefaçon du 7 juillet 2005 devra être confirmée pour les mêmes motifs que ceux retenus plus haut ;
Sur l'action en concurrence déloyale et parasitaire :
Attendu qu'au soutien de son appel, la SARL KORO fait d'abord valoir qu'en commercialisant à partir de 2005 des bracelets de marquage ayant exactement les mêmes dimensions, déclinés dans la même gamme de couleurs fluo, et ce alors que la concluante avait de son côté développé un système d'association desdites couleurs à différents cas de marquage des vaches (rose pour les vaches traitées par antibiotiques, vert pour les vaches taries, jaune pour les vaches en période de colostrum, orange pour les vaches à surveiller) et qu'elle commercialisait un tableau d'affichage à poser dans la salle de traite, reprenant ces codes couleurs et permettant au vacher d'y reporter toutes informations utiles concernant les vaches marquées au regard de la couleur de leur bracelet, la SAS EKKIA avait pour objectif de susciter une confusion et de détourner la clientèle ; qu'elle souligne notamment que les clients ayant acquis un lot de bracelets SECURIT'LAIT et le tableau à afficher dans la salle de traite peuvent ensuite, sans avoir à changer quoi que ce soit à leurs méthodes de travail, acquérir les bracelets litigieux en complément ou en remplacement des bracelets SECURIT'LAIT ; que les agissements de la SAS EKKIA, qui vendait auparavant des bracelets velcro de forme standard, de dimensions et de coloris différents (rouge, bleu, vert et jaune) et qui a entrepris de commercialiser la gamme de bracelets litigieux, a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
Attendu cependant qu'il n'est pas suffisamment établi que le comportement de la SAS EKKIA aurait eu pour eu pour effet de créer une confusion, avec pour effet un détournement de la clientèle ;
Attendu en effet que, si les bracelets commercialisés par la SAS EKKIA étaient exactement les mêmes que ceux mis en vente par la SARL KORO, comme provenant d'ailleurs du même fournisseur YKK FRANCE, couvrant notamment une palette identique de quatre couleurs (rose fluo, vert fluo, jaune fluo, orange fluo), leur examen montre qu'il s'agit de bracelets d'une banalité évidente, s'agissant de simples lanières en polyuréthane munies de boucles dont la fermeture était assurée par un dispositif Velcro, dont l'usage s'était déjà répandu dans divers domaines d'activités, et dont les couleurs, qui figurent parmi celles généralement utilisées, ne peuvent évidemment pas faire l'objet d'appropriation, y compris en leur aspect fluorescent ;
Attendu au surplus que la société appelante ne soutient pas que la SAS EKKIA distribuait ses bracelets en les réunissant dans la gamme de couleurs adoptée par la SARL KORO ; qu'au contraire, il ressort des pièces versées aux débats que les bracelets EKKIA étaient mis en vente dans des sachets individuels, sous plastique transparent, par couleur unique, et non dans la gamme de couleurs adoptée par la SARL KORO ; qu'en outre, le nombre de bracelets empaquetés était différent (six bracelets dans un sachet chez l'un, cinq chez l'autre) ; qu'ensuite et surtout, la SAS EKKIA avait pris la précaution d'identifier clairement l'origine des produits qu'elle commercialisait, en mentionnant sa marque UKAL sur un support cartonné rattaché à chaque sachet plastique contenant une série de bracelets de la même couleur ;
Attendu dans ces conditions qu'aucune confusion n'était possible avec les produits vendus par la SARL KORO, même si celle-ci offrait également à la vente des bracelets par couleur sous sachets plastiques ;
Attendu qu'il importe peu à cet égard que la SAS EKKIA vendait ses produits moins chers ; qu'il s'agit là des conséquences du jeu de la libre concurrence, les deux sociétés ayant toute latitude pour négocier leurs prix auprès de leur fournisseur commun, la SARL YKK FRANCE, et de réaliser les marges en corrélation ;
Attendu que la société appelante n'établit pas davantage une concurrence parasitaire, qui consiste, pour un agent économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts, de ses investissements, de son savoir faire et de sa notoriété ;
Attendu en effet que, comme cela a déjà été relevé plus haut, les produits litigieux sont d'une banalité évidente ; qu'il est constant que la SAS EKKIA commercialisait déjà auparavant des bracelets en polyuréthane de type Velcro de couleurs variées ; que l'ajout d'un boucle métallique, destinée à renforcer le système de fermeture, comme cela se faisait déjà largement dans le domaine général des fermetures, n'exigeait aucun effort de recherche et résultait tout simplement de l'usage généralisé de ce type de fermeture ; qu'à cet égard, la SARL KORO ne démontre évidemment en rien qu'elle aurait engagé des frais d'études pour mettre au point ce produit, et donc que la SAS EKKIA aurait bénéficié des résultats de ces études techniques sans rien débourser ;
Attendu certes qu'un réel savoir-faire et une certaine notoriété de la SARL KORO se sont révélés, ainsi qu'elle l'expose, à travers l'idée qu'elle a eue d'associer des couleurs à des cas précis de marquage des vaches (par exemple l'usage du rose pour les vaches traitées par antibiotiques) ; que rien ne permet de penser, contrairement à ce que soutient la SAS EKKIA, qu'il existait déjà, à cette époque, un usage dans la profession relativement à l'association de couleurs précises à des cas déterminés de marquage de vaches ; qu'en outre, la SARL KORO a imaginé de commercialiser également un kit complet comprenant toute la gamme des bracelets sous les quatre couleurs, accompagné d'un tableau d'affichage à poser dans la salle de traite, reprenant ces codes couleurs et permettant au vacher d'y reporter toutes informations utiles concernant les vaches marquées au regard de la couleur de leur bracelet (le tableau à poser dans la salle de traite pouvant en outre être acquis séparément) ;
Attendu cependant qu'en l'occurrence il n'est ni justifié ni même soutenu que la SAS EKKIA aurait commercialisé ses bracelets de marquage en proposant une quelconque association entre la couleur de ses produits et les cas précis de marquage retenus par la SARL KORO ; qu'il n'est pas davantage prétendu qu'elle aurait commercialisé un tableau identique ou similaire à celui mis en oeuvre par la SARL KORO ;
Attendu dès lors qu'il n'est pas davantage établi que la SAS EKKIA aurait tenté de s'immiscer dans le sillage de la société concurrente ;
Attendu que sera également écartée toute action fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la Société YKK FRANCE, fournisseur tant de la SARL KORO que de la SAS EKKIA ; qu'en effet, cette société s'est contentée de vendre des bracelets d'une grande banalité, puisque s'agissait de simples lanières en polyuréthane munies de boucles dont la fermeture était assurée par un dispositif Velcro, dont l'application était usuelle à la date de diffusion du nouveau catalogue EKKIA, tout particulièrement pour la société YKK FRANCE amenée à commercialiser des systèmes de fermeture tout usage ;
Attendu au surplus et très subsidiairement que la SARL KORO se contente de réclamer le paiement d'un montant forfaitaire et ne démontre pas avoir subi le moindre préjudice en raison des actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle impute aux société intimées ; qu'en particulier, elle n'établit en rien qu'elle aurait subi une perte de marge ;
Attendu en définitive qu'il convient de rejeter entièrement l'appel principal ;
Sur la demande de dommages-intérêts formée par la SAS EKKIA :
Attendu que, dans le cadre d'un appel incident implicite, la SAS EKKIA reprend sa demande en paiement de la somme de 50.000 Euros à titre de dommages-intérêts en raison de l'attitude de la SARL KORO à l'égard de ses clients en cours de procédure et du caractère abusif de la présente procédure ;
Appelant cependant que, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, d'une part l'exercice d'un droit en justice constitue un droit et ne dégénère en abus de nature à donner naissance à une dette de dommages-intérêts que lorsque le titulaire de ce droit en fait, à dessein, un usage préjudiciable à autrui ; que tel n'est pas le cas, la SARL KORO ayant pu en l'occurrence se méprendre de bonne foi sur l'existence, la nature ou l'étendue de ses droits; que d'autre part, les pièces versées aux débats ne permettent pas de caractériser l'existence d'une faute commise par la SARL KORO à l'encontre de la SAS EKKIA, les griefs formulés par cette dernière et les documents communiqués à cet égard n'étant pas constitutifs d'une faute de par leur nature et ampleur ;
Attendu que l'appel incident implicite de la SAS EKKIA sera par conséquent également rejeté ;
Attendu en définitive que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Sur les demandes annexes :
Attendu que le rejet de l'appel principal rend sans objet l'appel en garantie subsidiaire formée par la SAS EKKIA à l'encontre de la SARL YKK FRANCE ;
Attendu que l'équité justifie qu'une somme complémentaire de 2000 Euros soit mise à la charge de la SARL KORO et au profit de chaque intimée, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, pour l'instance d'appel ;
Attendu qu'en dépit du rejet de l'appel implicite formé par la SAS EKKIA, il convient de laisser à la SARL KORO l'entière charge des dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Reçoit l'appel, régulier en la forme ;
Le déclare cependant non fondé et confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne la SARL KORO à payer à chacune des sociétés intimées une somme de 2000 Euros (deux mille euros) au titre des frais d'appel relevant de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Rejette toutes autres prétentions des parties ;
Condamne la SARL KORO aux entiers dépens d'appel.