CA Paris, 4e ch., 24 mai 1994
PARIS
Arrêt
Infirmation
Faits et procédure
Dans des circonstances suffisamment exposées par les premiers juges, M. X, propriétaire du brevet n° 88 07653, se plaignant de la contrefaçon dudit brevet qui aurait été commise par la société Carrosserie Nouvelle, avait attrait l’administrateur judiciaire et le représentant des créanciers de cette société en redressement judiciaire, devant le tribunal de grande instance de Paris, afin d’obtenir la cessation de la contrefaçon alléguée et la réparation du préjudice qui en serait résulté. Le redressement judiciaire ayant été converti en liquidation judiciaire, l’administrateur avait conclu à sa mise hors de cause, et le liquidateur judiciaire s’était opposé à la demande principale et avait formé une demande reconventionnelle en revendication du brevet, restitution des redevances indûment perçues, publication du jugement et paiement des indemnités.
Par son jugement du 25 février 1993 (…), le tribunal, rejetant la demande en revendication et admettant la contrefaçon, a interdit à la société représentée par son liquidateur, sous astreinte de 2 000 F par infraction, de poursuivre la contrefaçon, prononcé la confiscation des dispositifs contrefaisants, condamné la défenderesse à payer à M. X une indemnité de 80 000 F, une somme de 8 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et les dépens. Me X. administrateur judiciaire était mis hors de cause.
Le liquidateur a relevé appel (…) et conclu à la réformation du jugement, à ce que soit admise sa demande en revendication de la propriété du brevet, au débouté de l’intimé et à sa condamnation à restituer toutes les redevances de licence et à payer une indemnité de 100 000 F, une somme de 20 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et tous dépens.
Subsidiairement, il est demandé que soit constatée la nullité de la résiliation du contrat de licence entre le breveté et la société Carrosserie Nouvelle et qu’il soit en outre constaté que M. X n’a pas déclaré sa créance.
(…)
L’appelant fait essentiellement valoir que la société Carrosserie Nouvelle a été placée sous le régime du redressement judiciaire, par jugement du 22 juin 1987, et que M. X a été agréé comme repreneur, un jugement du 18 janvier 1988 ayant homologué un plan de continuation avec apurement du passif en 19 semestrialités à compter du 15 décembre 1988. Mme X a été désignée comme PDG, M. X étant directeur général.
Le 8 juin 1988, M. X a fait déposer, en son seul nom, un brevet pour un dispositif à sièges escamotables de véhicule et il a conclu, le 1er septembre 1989, un contrat de licence simple pour la fabrication et la vente des objets brevetés contre une redevance de 8% HT sur les facturations aux clients.
Le 21 juin 1991, un jugement a prononcé la résolution du plan et, par lettre recommandée du 23 juillet 1991, M. X a résilié la concession de licence, pour cause de redressement judiciaire.
M. X, mettant à profit ses fonctions, aurait non seulement détourné à son profit le brevet, mais commis des abus de biens sociaux et créé un passif privilégié et chirographaire. Le coût de mise au point de l’invention, les réalisations de prototypes et les obtentions d’agrément auraient été à la charge de la société, et la conception même du brevet aurait incombé à M. Y, directeur technique, et aux autres salariés de l’entreprise. M. X ne serait pas intervenu dans cette invention et n’aurait versé aucune pièce. Il s’agirait d’une invention de mission. Il aurait abusé de sa fonction de directeur général pour détourner à son profit la propriété du brevet.
Discussion
- Sur la demande en revendication du brevet :
Considérant que cette chambre de la cour n’est pas saisie de l’existence d’éventuels abus de biens sociaux commis par M. X et par son épouse en utilisant deux sociétés écrans ; qu’il est donc inutile de rechercher et décrire les faits qui relèvent de cette seule qualification.
Considérant qu’à juste titre, le tribunal a estimé que M. X, en tant que demandeur du brevet et inventeur déclaré dans la demande, était présumé être propriétaire dudit brevet et qu’il appartenait au demandeur en revendication de démontrer qu’il s’agissait soit d’une invention soustraite au véritable inventeur, soit d’une demande déposée en violation d’une obligation légale ou conventionnelle.
Sur la qualité d’inventeur, la cour déclare :
Considérant que par des motifs pertinents que le cour ne peut qu’adopter, le tribunal, qui a examiné tous les documents tendant à prouver que l’invention avait été effectuée par des salariés de l’entreprise, a estimé que même réunis, ces documents étaient insuffisants pour renverser la présomption légale de propriété du brevet et qu’en particulier, les diligences des salariés, telles qu’elles apparaissaient au vu de ces pièces, relevaient d’une mise au point technique et non de la conception même de l’invention ; que si, devant la cour, est produite une pièce nouvelle constituée par une attestation de M. Z postérieure au jugement, puisqu’elle est du 20 juillet 1993, cette attestation, qui se borne à affirmer, sans autre précision, que « l’élaboration, l’invention, la mise au point du prototype de la cabine approfondie est l’œuvre des employés de Carrosserie Nouvelle y compris dans la phase de réflexion et non celle de M. F.C. A », n’apporte aucun élément de preuve nouveau et susceptible de modifier la décision ; qu’il importe peu que M. A n’ait pas fourni la preuve positive de ses travaux inventifs, son droit étant présumé.
Sur l’éventuelle invention de mission, il est dit :
Considérant que la SCP D E, qui a la charge de la preuve, ne démontre pas que M. A, directeur général, ait été investi d’une mission inventive contractuelle, ou qu’il ait agi en vertu d’une mission inventive explicite qui lui aurait été confiée par la société.
Que sa demande ne peut donc aboutir de ce chef.
Qu’il soit remarqué, en outre, que l’application de l’article L. 611-7-2 du code de propriété intellectuelle n’est pas demandée, cette option impliquant le paiement du juste prix de l’invention par l’employeur au salarié.
- Sur la résiliation du contrat de licence
Considérant que l’article 14 du contrat de licence stipulant qu’en cas « de mise en règlement judiciaire ou de toute autre forme de liquidation de la licenciée… le cédant de la licence… pourra résilier de plein droit les présentes… sans autre formalité que l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception » ; qu’en se référant à cet article et au « règlement judiciaire » en date du 21 juin 1991, M. X a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 juillet 1991, résilié la concession de licence.
Mais considérant qu’à juste titre, la SCP D et E relève qu’une telle clause est nulle comme contraire à l’article 37 avant dernier alinéa de la loi du 25 janvier 1985 ; que le plan ayant été résolu par le jugement du 21 juin 1991 et le redressement judiciaire ayant été converti en liquidation judiciaire, M. X n’était pas, pour ce seul fait, en droit de résilier la concession de licence, la liquidation judiciaire étant assimilable au redressement pour l’application de l’article 37 de la loi.
Qu’il s’ensuive que le contrat de licence s’est poursuivi faute de dénonciation et que c’est à tort que le tribunal a pu juger que la Société Carrosserie Nouvelle, par ses fabrications et ventes portant sur l’objet du brevet, avait contrefait ce brevet alors qu’elle disposait d’un titre l’autorisant à exploiter.
En conséquence, la cour décide :
Que M. X doive être débouté de ses demandes basées sur la contrefaçon ; qu’il est dès lors inutile de rechercher s’il a déclaré sa créance.
Considérant que la demande d’indemnité de la SCP D et E, basée sur un détournement, non prouvé, de la propriété du brevet, ne peut aboutir ; qu’en revanche, en équité, il convient de mettre à la charge de M. X, qui succombe en sa demande en contrefaçon les frais non taxables exposés devant deux degrés de juridiction, comme indiqué au dispositif.
Par ces motifs, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la demande en revendication de la propriété du brevet.
Le réformant dans ses autres dispositions et statuant à nouveau, la cour dit que la résiliation du contrat de licence, par lettre recommandée du 23 juillet 1991, est de nul effet. La cour rejette la demande en contrefaçon formée par M. X et déboute la société D et E de sa demande tendant à voir juger que l’invention est une invention de mission et appartient en conséquence à l’employeur, ainsi que de sa demande d’indemnité.
M. X est condamné à verser à la société D et E, ès qualité, la somme de 20 000 F au titre de l’article 700 NCPC.