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Décisions

Cass. crim., 20 mars 1995, n° 94-84.265

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gondre

Rapporteur :

M. Larosiere

Avocat général :

M. Galant

Avocat :

Me Bouthors

Montpellier, ch. corr., du 25 mai 1994

25 mai 1994

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6 3, d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427, 435, 485, 512, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué du 12 janvier 1994 a refusé d'ordonner l'audition du témoin C..., cité par Y... ;

"alors que le prévenu tenant de l'article 6 3, d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le droit de faire interroger les témoins à décharge, le juge qui s'y oppose doit indiquer concrètement en quoi l'audition sollicitée serait impossible ou inutile ;

"qu'en l'espèce, il résulte du registre d'audience que la cour d'appel, saisie de la demande d'audition présentée par le demandeur, s'est bornée à énoncer qu'elle se retirait pour délibérer sur ce point, avant de rejeter cette demande, sans motif, tout en donnant acte au prévenu que cette délibération n'a été précédée d'aucun débat contradictoire de nature à permettre à l'intéressé de présenter utilement ses observations à cet égard ;

"qu'ainsi, la décision entreprise a méconnu le principe selon lequel tout "accusé" a droit à un procès équitable" ;

Attendu que le moyen, qui critique non un arrêt de la cour d'appel, mais une simple mesure de jonction d'incident au fond ayant le caractère d'un acte d'administration judiciaire, est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 3, d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427, 435, 485, 512, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué du 25 mai 1994 a refusé d'ordonner l'audition du témoin C..., cité par Y... ;

"aux motifs que les juges d'appel ne sont pas tenus d'entendre à nouveau un témoin cité par un prévenu, dès lors qu'il avait déjà déposé en première instance en sa présence ;

qu'il n'est pas contesté en l'espèce que Rémi C..., cité par Mathieu Y... devant la Cour, après avoir adressé au Parquet une attestation reçue le 21 décembre 1992 précisant les conditions dans lesquelles Mathieu Y... avait dicté à René Z... le procès-verbal incriminé du 9 août 1991, et remis les actes de cessions de parts le même jour à Jean-Charles X..., en a confirmé les termes le 27 janvier 1993 lors de son audition par la brigade de gendarmerie d'Elne, pour enfin les réitérer le 14 mai 1993 devant le tribunal correctionnel en présence de Mathieu Y... ;

"qu'ainsi il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'audition de Rémi C..., qui à la date des faits incriminés, était au service de l'un des prévenus Jean-Charles X... (arrêt p. 14 in fine, p. 15 alinéas 1 et 2) ;

"1 ) alors que si l'audition d'un témoin par la cour d'appel est facultative, le refus de faire droit à une demande d'audition contradictoire d'un témoin à décharge doit être motivé ;

"que, dès lors, en se déterminant par la circonstance qu'interrogé par les gendarmes et entendu par le tribunal, le témoin C... avait précisé les conditions dans lesquelles le demandeur avait dicté les actes litigieux et les avait remis à X..., sans préciser la teneur exacte de ce témoignage ni indiquer concrètement en quoi l'audition sollicitée serait impossible ou inutile, la cour d'appel qui méconnaît le principe selon lequel tout "accusé" a droit à un procès équitable, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2 ) alors que dans ses conclusions sur incident, le demandeur a expressément fait valoir que l'ordonnance de renvoi de Y... devant le tribunal correctionnel a été rendue avant que l'audition du témoin C... ait pu être communiquée au magistrat instructeur, qui n'en a pas tenu compte, et qu'en première instance, ledit témoin n'a été entendu qu'à titre de simple renseignement, ses déclarations n'étant pas même mentionnées par le jugement, ce qui justifiait l'audition de l'intéressé en appel dans le cadre d'un débat contradictoire ;

"que, dès lors, en se bornant à énoncer que le témoin C... avait déjà été entendu par la brigade de gendarmerie d'Elne, dans le cadre de l'enquête préliminaire, puis par le tribunal correctionnel en présence du demandeur, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions du demandeur, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"3 ) alors qu'il résulte des articles 445 et 448 du Code de procédure pénale, que les témoins qui, sur la demande du président, déclarent être ou avoir été au service du prévenu, peuvent toutefois être entendus sous serment ;

"que, dès lors, en énonçant que le témoin M. C... était, au moment des faits, au service du prévenu X..., pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande d'audition présentée par le demandeur, la cour d'appel qui se détermine par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 513 du Code de procédure pénale" ;

Attendu que, pour refuser de faire droit à la demande de Mathieu Y... qui sollicitait l'audition de Rémi D... en qualité de témoin, la cour d'appel relève qu'elle n'est pas tenue d'entendre ce dernier qui avait été entendu au cours d'une enquête préliminaire et qui avait réitéré ses déclarations devant le tribunal correctionnel ;

Attendu qu'en cet état, le demandeur, qui n'a pas contesté devant la cour d'appel la régularité de l'audition du témoin par le tribunal correctionnel, ne saurait reprocher à la juridiction du second degré d'avoir refusé d'y procéder à nouveau ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 121-6, 121-7 et 441-1 du nouveau Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, du 25 mai 1994, a déclaré Y... coupable de complicité de faux en écriture privée, l'a condamné, sur l'action publique, à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis et, sur l'action civile, à régler à Blanc la somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs qu'il est acquis que le 9 août 1991 les prévenus se sont réunis en assemblée générale et ont établi un procès-verbal dans lequel la présence de tous les associés détenteurs de la totalité du capital social est mentionnée, malgré l'absence de Blanc cessionnaire depuis le 4 juillet 1991 de 20 % des parts de Techniplast, agréé comme associé et nommé gérant par tous les associés le 6 juillet 1991, et la reconnaissance par Blanc qu'il n'est pas propriétaire d'aucune part sociale dans la société et qu'il n'a pu verser la somme de 500 000 francs à son compte courant, cela malgré son absence, comme renonçant au bénéfice des résolutions d'assemblées générales précédentes annulées, avec la mention terminale : "la séance est levée à 18 heures. De tout ce que dessus il a été dressé procès-verbal par tous les associés et par X... et Blanc intervenant après lecture" ;

"qu'au cours de cette assemblée générale du 9 août 1991, X..., président-directeur général de la société repreneuse et son conseil juridique, Y..., étaient présents, le premier ayant signé le procès-verbal avec tous les associés, et le second l'ayant conçu et dicté ;

"que cette délibération a été ensuite utilisée dans le but qu'elle tendait à atteindre :

évincer Blanc pour permettre à X... d'acquérir 60 % du capital que lui vendaient les associés, et d'être ainsi nommé gérant à ses lieu et place, tandis que Maurel cogérant démissionnait ;

"que le faux intellectuel portant sur la répartition du capital social et des parts sociales dont Blanc reconnaît suivant le procès-verbal qu'il n'est pas propriétaire constitue ainsi pour Z... un titre et la preuve qu'il est propriétaire de 40 % du capital et des parts, alors que Y... et X... ont eu connaissance, avant que ne soit dicté le procès-verbal, de la qualité d'associé et de gérant de Blanc ;

"que Y... qui a dicté à Z... le procès-verbal incriminé du 9 août 1991 ne saurait exciper de sa bonne foi au motif qu'X... ne devait pas faire usage des actes de cessions qu'il avait fait établir et signer à son profit, alors que le 16 septembre 1991, comme il l'a reconnu devant la Cour, Y... a rétrocédé à X... les parts sociales qu'il avait acquises le 9 août 1991, acte enregistré en août 1991, sans davantage à cette date du 16 septembre 1991 s'assurer de la signature de Blanc, dont il avait déclaré lors de son audition du 15 décembre 1992 qu'elle était un préalable à la signature des cessions, et ce alors que rédacteur de cet acte du 16 septembre 1991 enregistré le 30 septembre 1991, il y fait expressément référence à l'augmentation du capital social le 9 août 1991 et qu'il indique que la société Techniplast est gérée par X... (arrêt p. 17 à 19) ;

"1 ) alors que le faux n'est pas constitué sans altération de la vérité ;

"qu'il apparaît, à la lecture de l'acte argué de faux, que loin de dissimuler la répartition du capital social et la qualité de gérant de Blanc, issues des assemblées des 4 juin et 6 juillet 1991, le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 9 août 1991 précise au contraire que le non-respect, par Blanc, des engagements auxquels la mise en oeuvre de ces résolutions était subordonnée prive celui-ci des droits qu'il devait acquérir, ce que l'intéressé n'a jamais contesté, la renonciation de celui-ci à ses droits ne devant -en tout état de cause- devenir définitive qu'après lecture et signature de l'acte de Blanc ;

"que, dès lors, en estimant que le procès-verbal du 9 août 1991 constituait un faux intellectuel portant sur la répartition du capital social et la qualité d'associé et de gérant de Blanc, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

"2 ) alors que, dans ses écritures d'appel régulièrement déposées le 29 mars 1994, Y... a fait valoir que Blanc, par ailleurs poursuivi du chef d'abus de biens sociaux, a -au cours de ses interrogatoires et auditions- admis que faute d'avoir réuni les fonds nécessaires à la cession d'une partie du capital social opérée le 4 juin 1991, il n'avait jamais acquis la double qualité de gérant et d'associé de la société Techniplast, nonobstant les mentions des procès-verbaux des 4 juin et 6 juillet 1991 ;

"qu'ainsi, en estimant que le procès-verbal du 9 août 1991, rédigé sous la dictée de Y..., constituait un faux intellectuel portant sur la répartition du capital social et la qualité d'associé et de gérant de Blanc, sans répondre à ce chef péremtoire des conclusions du demandeur, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"3 ) alors, subsidiairement, qu'aux termes de l'article 441-1 du nouveau Code pénal, ne constitue pas le délit de faux l'altération frauduleuse de la vérité dans un écrit insusceptible d'avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ;

"qu'en l'espèce, il est constant que l'acte litigieux qui ne mentionne pas la présence, lors de l'assemblée générale du 9 août 1991, de Blanc, ne comporte pas la signature de ce dernier ;

"que, dès lors, en s'abstenant de rechercher , comme elle y était invitée par les conclusions d'appel du demandeur, si, nonobstant sa publication au registre du commerce et des sociétés, le documents litigieux n'était pas, en cet état, inopposable à Blanc et, comme tel, dépourvu de toutes conséquences juridiques à son égard, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ;

"4 ) alors, subsidiairement, que, dans ses conclusions d'appel, le demandeur a fait valoir que Blanc qui, lui-même poursuivi et condamné du chef de complicité d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Techniplast, a attendu sa comparution devant le tribunal correctionnel pour se constituer partie civile à l'audience du 14 mai 1993, et réclamer des dommages et intérêts, ne pouvait valablement prétendre avoir subi un préjudice du fait de sa prétendue éviction consécutive à l'assemblée générale du 9 août 1991 ;

"qu'en estimant au contraire que l'acte litigieux avait causé un préjudice à Blanc, sans répondre à cette argumentation essentielle, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"5 ) alors, subsidiairement, qu'en matière de complicité, l'intention coupable qui suppose d'une part la participation volontaire à l'acte principal, d'autre part la conscience de l'aide ainsi apportée à l'infraction, doit exister au moment où l'aide a été fournie ;

"qu'ainsi, en se bornant à relever, pour écarter la bonne foi du demandeur, que le 16 septembre 1991, lors d'une rétrocession de parts sociales à X..., Y... ne s'était pas assuré de la signature de Blanc sur l'acte litigieux du 9 août 1991, enregistré le 13 août suivant, sans rechercher si, le 9 août, au moment où il confiait l'acte à X..., à charge pour lui de le faire enregistrer, le demandeur savait que l'accord et la signature de Blanc ne seraient pas sollicités avant l'enregistrement de l'acte, et qu'ainsi, ce dernier caractériserait une altération de la vérité, la cour d'appel qui se détermine par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-6 et 121-7 du nouveau Code pénal" ;

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 121-6, 121-7 et 441-1 du nouveau Code pénal, 2, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué du 25 mai 1994 a, sur l'action civile, condamné Y... à régler à Blanc une somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs qu'en l'espèce, outre le préjudice moral, Blanc a subi un préjudice matériel certain, puisque après avoir acquis de son ami Z... 20 % du capital, s'être fait agréer en qualité d'associé et nommer gérant par tous les associés, il a apporté, comme l'a relaté le mandataire liquidateur de Techniplast dans son rapport, de nombreuses commandes à la société, donné sa caution personnelle à concurrence de 1 500 000 francs au plus gros créancier de Techniplast qui a d'ailleurs obtenu sa condamnation au paiement de cette somme par jugement du tribunal de commerce de Carcassonne le 15 avril 1993, et encore donné en location à Techniplast les locaux de la SCI Pontus de la Gardie dont il détient 75 % du capital, sans obtenir le paiement d'un seul des loyers (arrêt, page 20 alinéa 3) ;

"que le montant des dommages et intérêts alloués à la partie civile a été justement arbitré au vu des éléments du dossier (par les premiers juges) (arrêt p. 21, alinéa 6) ;

"alors que, dans ses conclusions d'appel, le demandeur a fait valoir que si, en l'état des assemblées générales des 4 juin et 6 juillet 1991, Blanc, qui y apparaît en qualité d'associé et de gérant de la société Techniplast, s'est porté caution de cette dernière et lui a donné en location les locaux de la SCI Pontus de La Gardie, dont il détenait 75 % du capital, le préjudice subi par l'intéressé, en raison de la défaillance de la société n'était pas lié à sa prétendue éviction par la délibération du 9 août 1991 mais par l'état de cessation des paiements de la SARL Techniplast, depuis le 5 août 1990, ainsi qu'il résulte d'une décision du tribunal de commerce de Carcassonne, aujourd'hui définitive ;

"qu'ainsi, en se bornant à relever que la somme de 700 000 francs, allouée à titre de dommages-intérêts à la partie civile, a été justement arbitrée par les premiers juges au vu des éléments du dossier, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel du demandeur, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits de faux en écriture et usage mis à la charge de Jean-Charles X..., et la complicité de ces infractions dont elle a déclaré Mathieu Y... coupable, et ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de ces infractions ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.