CJUE, 8e ch., 1 décembre 2022, n° C-595/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
LSI – Germany GmbH
Défendeur :
Freistaat Bayern
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
N. Piçarra (rapporteur)
Juges :
N. Jääskinen, M. Gavalec
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
Avocat :
G. Weyland
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17 et de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission (JO 2011, L 304, p. 18).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LSI – Germany GmbH (ci-après « LSI ») au Freistaat Bayern (Land de Bavière, Allemagne) au sujet d’une décision d’interdire à LSI de mettre sur le marché des denrées alimentaires qu’elle produit sans indication de certains composants ou ingrédients à proximité immédiate de la dénomination de ces denrées dans le champ visuel principal.
Le cadre juridique
Le règlement no 1169/2011
3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1169/2011, intitulé « Objet et champ d’application », ce règlement « contient les dispositions de base permettant d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d’information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception desdits consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur ».
4 Sous l’intitulé « Définitions », l’article 2 dudit règlement dispose :
« 1. Aux fins du présent règlement, les définitions suivantes s’appliquent :
a) [...] “denrée alimentaire” [...] figurant à l’article 2 [...] du règlement (CE) no 178/2002 [du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1)] ;
[...]
2. Les définitions suivantes s’appliquent également :
[...]
l) “champ visuel principal” : le champ visuel d’un emballage le plus susceptible d’être vu au premier coup d’œil par les consommateurs lors de l’achat et permettant à ces derniers d’identifier immédiatement un produit en fonction de ses caractéristiques et de sa nature et, le cas échant, de sa marque commerciale ; si un emballage comporte plusieurs champs visuels identiques, le champ visuel principal est celui choisi par l’exploitant du secteur alimentaire ;
[...]
n) “dénomination légale” : la dénomination d’une denrée alimentaire prescrite par les dispositions de l’Union qui lui sont applicables ou, en l’absence de telles dispositions, la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l’État membre dans lequel la denrée alimentaire est vendue au consommateur final ou aux collectivités ;
o) “nom usuel” : le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l’État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires ;
p) “nom descriptif” : un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue ;
[...] »
5 L’article 3 du même règlement, intitulé « Objectifs généraux », énonce, à son paragraphe 1 :
« L’information sur les denrées alimentaires tend à un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs en fournissant au consommateur final les bases à partir desquelles il peut décider en toute connaissance de cause et utiliser les denrées alimentaires en toute sécurité, dans le respect, notamment, de considérations sanitaires, économiques, écologiques, sociales et éthiques. »
6 L’article 7 du règlement no 1169/2011, intitulé « Pratiques loyales en matière d’information », est ainsi libellé :
« 1. Les informations sur les denrées alimentaires n’induisent pas en erreur, notamment :
a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire [...]
[...]
d) en suggérant au consommateur, au moyen de l’apparence, de la description ou d’une représentation graphique, la présence d’une denrée ou d’un ingrédient déterminé alors qu’il s’agit en fait d’une denrée dans laquelle un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent.
2. Les informations sur les denrées alimentaires sont précises, claires et aisément compréhensibles par les consommateurs.
[...] »
7 Intitulé « Liste des mentions obligatoires », l’article 9 de ce règlement prévoit, à son paragraphe 1 :
« Conformément aux articles 10 à 35, et sous réserve des exceptions prévues dans le présent chapitre, les mentions suivantes sont obligatoires :
a) la dénomination de la denrée alimentaire ;
b) la liste des ingrédients ;
[...] »
8 L’article 17 dudit règlement, intitulé « Dénomination de la denrée alimentaire », est libellé comme suit :
« 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l’absence d’une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d’un tel nom ou si celui-ci n’est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer.
[...]
4. Une dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle, une marque de commerce ou une dénomination de fantaisie ne peut se substituer à la dénomination de la denrée alimentaire.
5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l’annexe VI. »
9 L’annexe VI du même règlement porte le titre « Dénomination de la denrée alimentaire et mentions particulières dont elle est assortie » et se subdivise en trois parties. La partie A, intitulée « Mentions obligatoires dont la dénomination de la denrée alimentaire est assortie », dispose, à son point 4 :
« Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s’attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l’étiquetage porte – outre la liste des ingrédients – une indication précise du composant ou de l’ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale :
a) à proximité immédiate du nom du produit ; et
b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l’article 13, paragraphe 2, du présent règlement. »
Le règlement no 178/2002
10 L’article 2 du règlement no 178/2002 définit la notion de « denrée alimentaire » comme « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 LSI fabrique un mini-salami de volaille contenant, en remplacement de la graisse animale, de la graisse de palme et de l’huile de colza, qu’elle met sur le marché sous la forme d’une denrée alimentaire préemballée vendue au détail et portant la dénomination « BiFi The Original Turkey » (ci-après la « denrée alimentaire en cause »). « BiFi The Original » est, en droit allemand, une marque à la fois verbale et figurative et, en droit de l’Union, une marque figurative.
12 Par décision du 7 janvier 2019, l’autorité de contrôle compétente a interdit à LSI de mettre sur le marché la denrée alimentaire en cause sans indication des ingrédients de substitution en question, à proximité immédiate de la dénomination commerciale « BiFi The Original Turkey », qui figure sur la face avant de l’emballage, au moyen d’un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de cette dénomination et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1169/2011.
13 Cette exigence d’étiquetage serait imposée par les dispositions combinées de l’article 17, paragraphe 5, et de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, plus précisément, par l’expression « nom du produit » figurant à cette dernière disposition, qui ne serait pas synonyme de « dénomination de la denrée alimentaire ». La première expression engloberait aussi notamment les notions de « marque de commerce » ou de « dénomination de fantaisie », mentionnées à l’article 17, paragraphe 4, de ce règlement et exigerait, en l’occurrence, que l’indication de la dénomination commerciale « BiFi The Original Turkey », figurant sur le devant de l’emballage de la denrée en cause et se trouvant dans le champ visuel principal de cet emballage, soit assortie de la mention « avec graisse de palme et huile de colza », conformément aux prescriptions de l’annexe VI, partie A, point 4, dudit règlement.
14 LSI a saisi le Bayerisches Verwaltungsgericht Ansbach (tribunal administratif bavarois d’Ansbach, Allemagne), la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’annulation de cette décision. LSI fait valoir que, l’expression « nom du produit » étant synonyme de celle de « dénomination de la denrée alimentaire », elle a pleinement respecté les exigences d’étiquetage imposées par les dispositions combinées de l’article 17, paragraphe 5, et de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, dans la mesure où, au dos de l’emballage de la denrée alimentaire en cause, figure la mention « mini-salami de volaille avec graisse de palme et huile de colza ». Ces dispositions n’exigeraient donc pas de compléter la face avant de cet emballage, où figure la dénomination commerciale « BiFi The Original Turkey », par la mention « avec graisse de palme et huile de colza ».
15 La juridiction de renvoi relève, à titre liminaire, que la façon dont l’étiquetage de la denrée alimentaire en cause devra concrètement se présenter dépend de l’interprétation de l’expression « nom du produit », figurant à l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, dont la définition n’est pas fournie par ce règlement, ni par aucune disposition de la législation alimentaire de l’Union et dont le contenu exact ne saurait être déterminé à partir du texte ni de l’économie dudit règlement. Cette juridiction relève aussi que les dispositions combinées de l’article 17, paragraphe 5, et de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, dont l’objectif est, selon elle, d’assurer l’information générale du consommateur, ne permettent pas de déduire qu’elles visent à protéger les consommateurs de la tromperie, à la différence d’autres dispositions de ce règlement, telles que son article 7.
16 Ladite juridiction fait, par ailleurs, observer que l’emploi, par les exploitants du secteur alimentaire, d’une dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle, d’une marque de commerce ou d’une dénomination de fantaisie, au sens de l’article 17, paragraphe 4, du règlement no 1169/2011, est susceptible de détourner l’attention du consommateur de la dénomination de la denrée alimentaire, visée au paragraphe 1 de cet article. Elle rappelle que, en l’occurrence, cette dénomination figure sur l’emballage de la denrée alimentaire en cause dans une taille nettement inférieure à celle de la marque de commerce de cette denrée et « est donc aussi nettement moins voyante ».
17 La juridiction de renvoi part du principe que l’annexe VI, partie A, point 4, de ce règlement a pour objectif d’assurer la transparence et l’information du consommateur, en garantissant, à tout le moins dans les cas y visés, que des informations relatives aux composants ou aux ingrédients de remplacement présents dans la denrée alimentaire figurent sur l’emballage de celle-ci, à proximité immédiate des dénominations visées à l’article 17, paragraphe 4, dudit règlement, en caractères d’une taille comparable à ceux utilisés pour la dénomination concernée. L’expression « nom du produit », au sens de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, ne serait pas synonyme de « dénomination de la denrée alimentaire », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement et aurait un sens plus large que cette dernière expression, dans la mesure où elle concernerait également la « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », la « marque de commerce » ou la « dénomination de fantaisie » figurant à cet article 17, paragraphe 4. La même juridiction fait observer que, si cette interprétation est confirmée par la Cour, le recours de LSI contre la décision du 7 janvier 2019, mentionnée au point 12 du présent arrêt, devra être rejeté comme non fondé, un étiquetage de la denrée alimentaire en cause tel que celui ordonné par cette décision pouvant être valablement exigé.
18 C’est dans ces conditions que le Bayerisches Verwaltungsgericht Ansbach (tribunal administratif bavarois d’Ansbach) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter les termes “nom du produit” figurant à l’annexe VI, partie A, point 4, du [règlement no 1169/2011] en ce sens qu’ils sont synonymes de “dénomination de la denrée alimentaire”, au sens de l’article 17, paragraphes 1 à 3, de ce même règlement ?
2) En cas de réponse négative à première question :
Le “nom du produit” est-il la dénomination sous laquelle la denrée alimentaire est proposée dans le commerce et dans la publicité et sous laquelle elle est généralement connue des consommateurs, même s’il s’agit non pas de la dénomination de la denrée alimentaire mais d’une dénomination protégée, d’une marque de commerce ou d’une dénomination de fantaisie au sens de l’article 17, paragraphe 4, du [règlement no 1169/2011] ?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :
Le “nom du produit” peut-il également se composer de deux éléments, dont l’un est un nom de genre ou un hyperonyme protégé par un droit de marque qui ne se réfère pas à la denrée alimentaire précise et qui est assorti, pour chaque denrée alimentaire, d’un complément (le deuxième élément du nom du produit) l’identifiant de façon plus précise ?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question :
Lequel des deux éléments composant le nom du produit est à prendre en considération, à titre d’indication complémentaire, aux fins de l’annexe VI, partie A, point 4, sous b), du [règlement no 1169/2011] lorsque la taille d’impression des deux éléments sur l’emballage diffère ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
19 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées de l’article 17, paragraphes 1, 4 et 5, ainsi que de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011 doivent être interprétées en ce sens que l’expression « nom du produit », figurant à cette annexe VI, partie A, point 4, revêt une signification autonome, différente de celle de l’expression « dénomination de la denrée alimentaire », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, et peut dès lors couvrir non seulement une dénomination légale, un nom usuel ou un nom descriptif, mais aussi une « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », une « marque de commerce » ou une « dénomination de fantaisie », visées à l’article 17, paragraphe 4, dudit règlement.
20 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1169/2011, la « dénomination de la denrée alimentaire » est sa « dénomination légale » ou, en l’absence d’une telle dénomination, son « nom usuel » ou encore, à défaut d’un tel nom ou si celui-ci n’est pas utilisé, un « nom descriptif », ces trois notions étant définies à l’article 2, paragraphe 2, respectivement sous n), o) et p), de ce règlement. L’article 17, paragraphe 4, dudit règlement précise qu’une « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », une « marque de commerce » ou une « dénomination de fantaisie » ne peuvent se substituer à la « dénomination de la denrée alimentaire », au sens du paragraphe 1 de cet article.
21 En deuxième lieu, en vertu de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, lorsqu’un composant ou un ingrédient que les consommateurs s’attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent dans une denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l’étiquetage doit porter – outre la liste des ingrédients – une indication précise du composant ou de l’ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale, et ce à proximité immédiate du « nom du produit » [point a)], en un corps de caractère tel que la hauteur de la lettre « x » soit au moins égale à 75 % de celle des lettres composant le « nom du produit » [point b)].
22 En troisième lieu, l’expression « nom du produit », qui est employée à la seule annexe VI, partie A, point 4, sous a) et b), du règlement no 1169/2011, n’est pas définie par celui-ci. Dans certaines versions linguistiques, telles que les versions en langue allemande (« Produktname ») ou française (« nom du produit »), cette expression s’écarte davantage de celle figurant à l’article 17 du règlement no 1169/2011, à savoir, respectivement, « Bezeichnung des Lebensmittels » et « dénomination de la denrée alimentaire » que dans d’autres versions linguistiques, comme les versions en langues espagnole (« denominación del producto » et « denominación del alimento »), tchèque (« název produktu » et « název potraviny »), anglaise (« name of the product » et « name of the food »), croate (« naziv proizvoda » et « naziv hrane »), italienne (« denominazione del prodotto » et « denominazione dell’alimento »), néerlandaise (« benaming van het product » et « benaming van het levensmiddel »), polonaise (« nazwa produktu » et « nazwa środka spożywczego »), portugaise (« denominação do produto » et « denominação do género alimentício »), roumaine (« denumirea produsului » et « denumirea produsului alimentar »), slovaque (« názov výrobku » et « názov potraviny »), slovène (« ime proizvoda » et « ime živila »), finnoise (« tuotteen nimi » et « elintarvikkeen nimi ») et suédoise (« produktens beteckning » et « livsmedlets beteckning »).
23 Ainsi, à supposer même que les versions en langue allemande et en langue française, en raison de l’utilisation de termes moins proches, permettent d’interpréter les deux expressions en cause en ce sens qu’elles ne revêtent pas la même signification, une telle interprétation n’est pas confirmée par les autres versions linguistiques citées au point précédent. Or, selon une jurisprudence constante, les termes utilisés dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition, ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, EU:C:1977:172, point 14, et du 25 février 2021, Bartosch Airport Supply Services, C 772/19, EU:C:2021:141, point 26).
24 En tout état de cause, la définition de « denrée alimentaire » comme « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain », donnée par l’article 2 du règlement no 178/2002, auquel renvoie l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1169/2011, suffit pour en déduire que la différence entre l’expression « dénomination de la denrée alimentaire », visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce dernier règlement, et l’expression « nom du produit », visée à l’annexe VI, partie A, point 4, du même règlement est de nature purement terminologique. En effet, à la lumière de cette définition de la « denrée alimentaire », le « nom du produit » auquel se réfère cette annexe VI, partie A, point 4, ne peut que signifier le « nom de la denrée alimentaire ».
25 Il résulte de qui précède que les deux expressions en cause, nonobstant leurs variations en fonction des différentes versions linguistiques, doivent être considérées comme ayant le même contenu, sans que l’expression « nom du produit » puisse être considérée comme ayant un sens plus large que celle de « dénomination de la denrée alimentaire ».
26 Cette interprétation est corroborée, d’une part, par le contexte dans lequel s’inscrit l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011.
27 À cet égard, il importe de relever, premièrement, que cette annexe s’intitule « Dénomination de la denrée alimentaire et mentions particulières dont elle est assortie » et sa partie A porte le titre « Mentions obligatoires dont la dénomination de la denrée alimentaire est assortie ». Elles comprennent des dispositions spécifiques en matière d’étiquetage dans ce domaine.
28 Deuxièmement, l’article 17 de ce règlement, intitulé « Dénomination de la denrée alimentaire », précise, à son paragraphe 5, que « [l]es dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l’annexe VI ». Or, le terme « celle-ci » se rapporte manifestement à la dénomination de la denrée alimentaire, rien n’indiquant que ces dispositions puissent s’étendre également aux autres notions énumérées au paragraphe 4 de cet article, à savoir la « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », la « marque de commerce » ou la « dénomination de fantaisie ».
29 D’autre part, s’agissant des objectifs poursuivis par le règlement no 1169/2011, il importe de rappeler que celui-ci, ainsi qu’il découle de la lecture combinée de son article 1er, paragraphe 1, et de son article 3, paragraphe 1, vise notamment à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d’information sur les denrées alimentaires, dans le respect de leurs différences de perception, en leur fournissant les bases à partir desquelles ils peuvent se décider en toute connaissance de cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Upfield Hungary, C 533/20, EU:C:2022:211, point 45 et jurisprudence citée). Conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, la « dénomination de la denrée alimentaire » est au nombre des mentions qui doivent obligatoirement figurer sur l’étiquetage des denrées alimentaires.
30 En outre, en lien étroit avec cet objectif de garantir un niveau élevé de protection des consommateurs s’agissant de leur droit à l’information, le règlement no 1169/2011 vise également à empêcher que ces consommateurs soient induits en erreur par les informations relatives aux denrées alimentaires. À cette fin, son article 7, paragraphe 1, sous d), interdit de suggérer au consommateur, au moyen de l’apparence, de la description ou d’une représentation graphique, la présence d’une denrée ou d’un ingrédient déterminé à chaque fois qu’un composant ou un ingrédient différent remplace un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire.
31 Bien que, comme le fait observer la juridiction de renvoi, l’article 7 du règlement no 1169/2011, à la différence de l’article 17, paragraphe 5, de ce règlement, ne renvoie pas expressément aux dispositions de l’annexe VI, partie A, point 4, dudit règlement, il n’en reste pas moins que ces dernières dispositions, lues à la lumière notamment de l’article 7, paragraphe 1, sous d), du même règlement, visent, en substance, à compléter celles de cet article 7 par des prescriptions spéciales en matière d’étiquetage, afin de protéger le consommateur contre les tromperies causées par des indications inexactes.
32 Toutefois, contrairement à ce que soutient le Land de Bavière, l’objectif de protection du consommateur qui sous-tend l’interdiction d’induire en erreur le consommateur, prévue à l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011, peut être atteint sans qu’il soit besoin d’attirer tout particulièrement l’attention de ce consommateur sur la différence entre la composition réelle d’une denrée alimentaire par rapport à celle à laquelle il devrait en principe s’attendre, au moyen de mentions positionnées dans le champ visuel principal de l’emballage de cette denrée, qui se trouve normalement sur la face avant de cet emballage. Pour atteindre cet objectif, il suffit, en effet, que la dénomination de ladite denrée, au sens de l’article 17, paragraphes 1 et 5, dudit règlement, ainsi que la liste des ingrédients qui la composent, figurent sur la face arrière d’un tel emballage, en termes précis, clairs et aisément compréhensibles, ainsi que l’impose l’article 7, paragraphe 2, du même règlement.
33 En effet, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, lorsque sa décision d’acheter est déterminée par la composition de la denrée alimentaire en cause, lit d’abord la liste des ingrédients de celle-ci, dont la mention est obligatoire, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1169/2011 (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C 210/96, EU:C:1998:369, point 31, et du 4 juin 2015, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände, C 195/14, EU:C:2015:361, point 37).
34 Dans ces conditions, ainsi que le relève la Commission, une interprétation des prescriptions spéciales en matière d’étiquetage prévues à l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011 qui reviendrait à exiger que les composants ou ingrédients de remplacement soient indiqués sur l’emballage de la denrée alimentaire en cause à proximité immédiate de la « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », de la « marque de commerce », ou de la « dénomination de fantaisie » de cette denrée, visées à l’article 17, paragraphe 4, de ce règlement – et non uniquement à proximité immédiate de la « dénomination de la denrée alimentaire », au sens de l’article 17, paragraphe 1 dudit règlement, à laquelle ces dénominations et marque ne peuvent se substituer – irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre la finalité de ces prescriptions spéciales, telle que précisée au point 31 du présent arrêt.
35 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les dispositions combinées de l’article 17, paragraphes 1, 4 et 5, ainsi que de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement no 1169/2011 doivent être interprétées en ce sens que l’expression « nom du produit », figurant à cette annexe VI, partie A, point 4, ne revêt pas une signification autonome, différente de celle de l’expression « dénomination de la denrée alimentaire », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, si bien que les prescriptions spéciales en matière d’étiquetage prévues par ladite annexe VI, partie A, point 4, ne s’appliquent pas à la « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », à la « marque de commerce » ou à la « dénomination de fantaisie », visées à l’article 17, paragraphe 4, dudit règlement.
Sur les deuxième à quatrième questions
36 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions.
Sur les dépens
37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
Les dispositions combinées de l’article 17, paragraphes 1, 4 et 5, ainsi que de l’annexe VI, partie A, point 4, du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission,
doivent être interprétées en ce sens que :
l’expression « nom du produit », figurant à cette annexe VI, partie A, point 4, ne revêt pas une signification autonome, différente de celle de l’expression « dénomination de la denrée alimentaire », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, si bien que les prescriptions spéciales en matière d’étiquetage prévues par ladite annexe VI, partie A, point 4, ne s’appliquent pas à la « dénomination protégée dans le cadre de la propriété intellectuelle », à la « marque de commerce » ou à la « dénomination de fantaisie », visées à l’article 17, paragraphe 4, dudit règlement.