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Décisions

Cass. crim., 3 mai 1995, n° 94-83.785

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Roman

Avocat général :

M. Amiel

Avocats :

SCP Rouvière et Boutet, Me Choucroy

Orléans, ch. corr., du 28 juin 1994

28 juin 1994

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation proposé en faveur de Félix X... et de Josiane Z..., épouse X..., et pris de la violation des articles 4, 150 et 151 du Code pénal, 9 à 13 de la loi du 2 janvier 1970, 112-1, 131-27, 441-1, 441-10 du nouveau Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Félix X... et Josiane X... coupables de faux en écriture privée et usage de faux, et les a, en répression, condamnés chacun à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 francs d'amende et interdiction d'exercer l'activité professionnelle d'agent immobilier durant cinq ans, outre des sanctions civiles ;

"aux motifs qu'au cours de l'instance engagée par Mme veuve Y..., devant le tribunal de grande instance de Tours, aux fins d'obtenir la résiliation du bail de Bruno X..., pour défaut d'exploitation du fonds, celui-ci a produit des photocopies de mandats de vente dans le but de prouver son activité commerciale ; qu'il résulte du procès-verbal d'enquête qu'un grand nombre de ces documents avaient été obtenus après superposition de plusieurs dossiers ;

qu'il s'agissait en fait de faux résultant d'un montage réalisé par photocopies, lesquelles ont été produites en justice par Bruno X... et ses parents ;

que la comparaison de l'ensemble des photocopies des mandats versés aux débats dans le cadre de la procédure, avec les mandats de vente transmis ultérieurement par Bruno X..., a amené les gendarmes à émettre un doute sur l'authenticité de ces photocopies et à procéder à des vérifications portant sur 56 mandats de vente ;

qu'une lettre a donc été envoyée à 56 personnes qui semblaient avoir mandaté l'agence immobilière Saint-Denis mais que plusieurs d'entre elles ayant déménagé, n'ont pu être jointes ;

que cependant 17 personnes ont répondu aux services de gendarmerie en leur adressant une copie du mandat de vente qui avait été établi à l'agence Saint-Denis ;

que l'examen comparatif de ces documents avec les photocopies produites par Bruno X... devant le tribunal de grande instance a fait apparaître qu'il y avait eu en réalité falsification par modification du numéro du mandat, substitution du cachet de l'agence immobilière Saint-Denis par celui de l'agence de Bruno X... et que la signature de Josiane X... avait été remplacée par celle de son fils ;

que 19 autres personnes n'ayant pas conservé copie de l'original du mandat de vente ont indiqué n'avoir jamais eu recours à l'agence Bruno X... mais que les mandats versés aux débats par celui-ci portent le cachet de son agence et sa signature ;

que lorsqu'il a été entendu Bruno X... a mis en cause sa mère ;

que Félix X... a reconnu ne pas avoir eu l'intention de nuire à autrui mais voulait simplement utiliser ce moyen pour constituer un fichier des affaires mises en vente dans l'agence de sa femme et qui serait facile à exploiter dans l'agence de leur fils ;

que Josiane X..., dont l'agence est totalement indépendante de celle de son fils, a fait authentifier par un huissier de justice, avant de les remettre à son conseil, les photocopies qui lui avaient été remises par son mari ;

que le faux matériel est caractérisé ;

qu'il convient également de retenir le faux intellectuel dans la mesure où la photocopie des mandats de vente qui ont fait l'objet d'une contrefaçon avaient été établies puis produites dans le cadre d'une instance civile et pour tenter d'apporter la preuve d'une activité commerciale importante ;

que les pièces contrefaites, étaient susceptibles d'occasionner à Mme Y... un préjudice éventuel ;

que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu la culpabilité des trois prévenus ;

"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait estimer les délits de faux en écriture privée et usage, caractérisés à l'encontre des prévenus, dès lors, que les montages par photocopie réalisés par Félix X... n'avaient, lors de leur réalisation, pour seul but que de constituer un fichier au bénéfice de l'agence immobilière de leur fils ;

que dès lors, et comme le soutenaient les prévenus, il n'existait aucune intention coupable, aucune altération frauduleuse au sens des textes nouveaux, ce qui excluait que la culpabilité des prévenus puisse être retenue ;

qu'en tout état de cause la cour d'appel avait l'obligation de spécifier la date à laquelle les mandats litigieux avaient été transformés, ce qu'elle n'a pas fait ;

que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"alors, d'autre part, que, par voie de conséquence, l'absence d'intention frauduleuse lors du montage des mandats excluait également l'existence d'une altération frauduleuse lors de la production des documents litigieux dans le cadre de la procédure civile ;

qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié ;

"alors, encore, que la cour d'appel ne pouvait retenir la culpabilité des époux X... sans répondre à leurs conclusions spécifiant que les faits retenus à leur encontre constituaient une pratique courante et parfaitement légale comme l'avait indiqué le président de la chambre syndicale des agents immobiliers, que les montages reprochés n'avaient pas été réalisés par intention frauduleuse et qu'il n'y avait pas eu volonté de tromper la juridiction civile dès lors que les autres éléments versés aux débats étaient de nature à établir la réalité de l'activité professionnelle de Bruno X... ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'un défaut de réponse à conclusions patent ;

"alors, enfin, que, les dispositions nouvelles du Code pénal étant plus favorables, la cour d'appel ne pouvait, sans les violer, condamner les prévenus à la peine maximum de 5 ans d'interdiction d'exercice de l'activité professionnelle d'agent immobilier" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Bruno X... et pris de la violation des articles 150 et 151 de l'ancien Code pénal, 441-1 et 441-10 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que Bruno X... a été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés (faux et usage de faux) et condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, à cinq mille francs d'amende, ainsi qu'à une interdiction d'exercer pendant cinq ans l'activité professionnelle d'agent immobilier ;

"aux motifs qu'en cours de l'instance l'opposant à la propriétaire des locaux commerciaux dans lesquels il exerçait son activité d'agent immobilier, Bruno X... a produit des photocopies de mandats de vente dans le but de prouver son activité commerciale ; qu'un grand nombre de ces documents constituaient des faux résultant d'un montage réalisé par photocopies ;

que Félix X... qui était comptable à l'agence Saint-Denis a reconnu avoir réalisé le montage des photocopies ; qu'il a affirmé avoir utilisé ce moyen pour constituer un fichier des affaires mises en vente dans l'agence de sa femme et qui serait facile à exploiter dans l'agence de leur fils ;

que Josiane Z..., épouse X..., a fait authentifier par un huissier de justice avant de les remettre à son conseil, les photocopies qui lui avaient été remises par son mari ;

que le faux matériel est caractérisé ;

qu'il convient également de retenir un faux intellectuel dans la mesure où les photocopies de mandats de vente qui ont fait l'objet d'une contrefaçon avaient été établies puis produites dans le cadre d'une instance civile et pour tenter d'apporter la preuve d'une activité commerciale importante ;

que les pièces contrefaites étaient susceptibles d'occasionner à Germaine Verdier un préjudice éventuel ;

"1 ) alors qu'il ne ressort pas des constatations de l'arrêt attaqué que Bruno X... ait participé à la constitution des faux litigieux ;

qu'en le déclarant néanmoins coupable de faux, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"2 ) alors que la cour d'appel relève expressément que c'est Josiane X... qui a fait authentifier par un huissier de justice les documents litigieux et les a remis à son conseil ;

qu'en énonçant pourtant que ces documents avaient été produits en justice, non seulement à l'initiative de Josiane X..., mais également de Bruno X..., la cour d'appel s'est contredite et n'a quoi qu'il en soit pas justifié à l'encontre de ce dernier un usage de faux de nature à occasionner un préjudice éventuel à la partie civile ;

"3 ) alors que Bruno X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel ne pas avoir été en mesure d'apprécier les conséquences de la manipulation des documents imaginée par ses parents ;

qu'en s'abstenant dès lors de caractériser l'intention frauduleuse qui aurait animé celui-ci, la cour d'appel n'a, en toute hypothèse pas donné de base légale à sa décision" ;

Sur le second moyen de cassation proposé en faveur de Bruno X... et pris de la violation des articles 150 et 151 de l'ancien Code pénal, 42 du même Code, 441-1 et 441-10 du nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ;

"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre du prévenu l'interdiction d'exercer pendant cinq ans l'activité professionnelle d'agent immobilier en application des dispositions de l'article 441-10 du nouveau Code pénal ;

"alors qu'une loi nouvelle portant aggravation des peines prévues par la loi antérieure n'est applicable qu'à des faits accomplis après son entrée en vigueur ; qu'en l'espèce l'interdiction prononcée par la Cour n'entre pas dans les prévisions de l'article 42 ancien du Code pénal applicable en la cause, modifié par l'article 441-10 du nouveau Code pénal entré en vigueur postérieurement à la date de l'infraction" ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le moyen unique de cassation des époux Félix X..., pris en ses trois premières branches, et le premier moyen de cassation de Bruno X... :

Attendu que, pour déclarer Félix X... coupable de faux, son épouse Josiane Z... et leur fils Bruno X... coupables de faux et d'usage de faux, l'arrêt attaqué retient que, courant 1988 à 1990, Josiane Z..., agent immobilier, a fait établir par Félix X... des photocopies de plusieurs mandats de vente délivrés par ses clients, où notamment sa signature et le cachet de son agence ont été occultés et remplacés par la signature et le cachet de (l'agence de) son fils, exerçant la même profession, qu'elle a fait authentifier ces pièces par un huissier de justice, et que Bruno X... les a produites dans une instance civile pour prouver la réalité de son activité professionnelle ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations exemptes d'insuffisance et de contradiction et répondant aux articulations essentielles des conclusions déposées par le seul Bruno X..., et dès lors qu'en matière de faux et d'usage de faux, l'intention coupable de l'agent résulte, quel que soit son mobile, de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, la cour d'appel a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les infractions reprochées ;

Qu'ainsi les griefs allégués ne sont pas fondés ;

Sur le moyen unique de cassation des époux Félix X..., pris en sa quatrième branche, et le second moyen de cassation de Bruno X... :

Attendu que les demandeurs ne sauraient faire grief à l'arrêt attaqué de leur avoir interdit l'activité professionnelle d'agent immobilier pendant 5 ans, dès lors que la mesure ainsi prononcée entre à la fois dans les prévisions des articles 9 et 13, non abrogés, de la loi du 2 janvier 1970, applicables à la date des faits, et des articles 441-10 et 131-27 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.