Cass. crim., 20 juin 1996, n° 95-82.997
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culié
Rapporteur :
M. Roman
Avocat général :
M. Le Foyer de Costil
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I. Sur le pourvoi de Y... Rigobert :
Attendu qu'aucun moyen de cassation n'est produit ;
II. Sur le pourvoi de X... Henri :
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 441-1 du Code pénal (147 et 150 du Code pénal ancien), 111-1, 112-4 § 2, 312-1 du Code pénal, 388 du Code de procédure pénale et 6, § 3. a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense, 6 et 593 du Code de procédure pénale, défauts de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, requalifiant les faits poursuivis, a dit qu'ils constituent le délit de faux ;
" aux motifs que " les faits poursuivis sous la qualification d'abus de blanc-seing doivent être requalifiés en faux... ; que X... et Y... ont obtenu par surprise la signature de Mesdames Z..., A..., B... et de Messieurs C..., D..., E... et F... en leur faisant croire que l'écrit litigieux était une pétition destinée à leur permettre d'obtenir une indemnisation des dommages causés par le cyclone Hugo alors qu'il s'agissait d'une plainte contre personnes dénommées pour détournement de fonds publics ; qu'il y a donc bien eu de leur part altération frauduleuse de la vérité " ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 6, § 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout prévenu a droit a être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; que cette règle essentielle aux droits de la défense interdit au juge correctionnel de requalifier les faits qui lui sont déférés sans avoir au préalable invité le prévenu à s'expliquer sur les faits au regard de cette nouvelle qualification ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué, qui a requalifié les faits, sans avoir invité la défense à s'expliquer sur la qualification de faux qui avait été expressément écartée par l'ordonnance de renvoi, a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense ;
" alors, d'autre part, que le délit de faux en écriture privée suppose l'existence soit d'un faux matériel (fausse signature, altération ou contrefaçon d'écriture...), soit d'un faux intellectuel qui consiste en une altération de la vérité dans un document faisant titre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a relevé ni altération matérielle de l'écrit, ni la circonstance que l'écrit ait en quoi que ce soit comporté des constatations objectivement fausses et s'est bornée, en réalité, à constater que certains des signataires auraient été trompés sur le contenu du texte qu'ils signaient ; que cet élément, qui n'affecte pas la sincérité objective de l'écrit lui-même, et n'est relatif qu'aux conditions extérieures à l'acte qui ont permis d'obtenir la signature de certains plaignants, ne saurait constituer une altération frauduleuse de l'écrit, constitutive d'un faux en écriture privée ;
" alors qu'en toute hypothèse, il ne peut y avoir faux que si l'altération de la vérité a consisté en la fabrication de conventions, obligations, dispositions, décharges dans un écrit ayant valeur probatoire ; que tel n'était pas le cas du document adressé au procureur de la République du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, qui, s'il pouvait valoir plainte à l'encontre des personnes qui y étaient désignées, ne constituait pas pour autant un titre de nature à établir la preuve d'un droit ou d'un fait, mais seulement la simple relation d'une version de faits aisément vérifiables et, par hypothèse, soumis à l'appréciation du procureur de la République quant à la suite à y donner ; qu'en cet état, à supposer que les signatures aient été obtenues par surprise, l'écrit dont s'agit ne pouvait être argué de faux ;
" alors, enfin, que l'article 407 de l'ancien Code pénal réprimant le délit d'abus de blanc-seing a été abrogé sans que les dispositions en soient reprises par le nouveau Code pénal ; que, par ailleurs, l'extorsion de signature, définie par l'article 312-1 du nouveau Code pénal, ne peut être caractérisée que par la violence, la menace ou la contrainte, à l'exclusion de la surprise ; que, dès lors, en fondant la condamnation prononcée sur le seul fait d'avoir obtenu " par surprise " les signatures, l'arrêt attaqué a privé sa décision de tout fondement légal et a refusé de faire bénéficier le prévenu de la nouvelle loi pénale plus douce, en violation des articles 6 du Code de procédure pénale, 112-1, 312-1 du Code pénal " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement entrepris qu'à la suite d'une pétition adressée au procureur de la République, accusant le maire d'une commune et les responsables d'une association d'aide aux sinistrés d'avoir détourné les secours destinés aux victimes d'un cyclone, l'information a révélé que les auteurs de cette plainte collective avaient apposé leurs signatures sur une feuille blanche qui leur avait été présentée par X... Henri, ou par son homme de confiance Y... Rigobert, afin que X... Henri rédige pour eux une demande d'indemnisation ;
Que X... Henri et Y... Rigobert, mis en examen tant pour abus de blanc-seing que pour faux, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la seule prévention d'abus de blanc-seing et condamnés de ce chef par les premiers juges ;
Attendu que, pour déclarer X... Henri coupable de faux, les juges du second degré relèvent qu'il a obtenu " par surprise " les signatures de plusieurs personnes " en leur faisant croire que l'écrit litigieux, dont elles ignoraient la nature et le contenu, était une pétition destinée à leur permettre d'obtenir une indemnisation des dommages causés par le cyclone, alors qu'il s'agissait d'une plainte contre personnes dénommées pour détournement de fonds publics " ;
Que l'arrêt ajoute " qu'il y a bien eu, de sa part, altération de la vérité, de nature à causer un préjudice, l'écrit incriminé étant susceptible d'avoir des conséquences juridiques pour les signataires, notamment par le dépôt d'une plainte en diffamation ou pour dénonciation calomnieuse " ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, ni violé le principe du débat contradictoire, dès lors que le ministère public avait requis à l'audience la requalification, en faux, des faits poursuivis, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.