Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-14.611
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Cohen-Branche
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Laugier et Caston, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation (Chambre commerciale financière et économique, 20 octobre 1998, pourvoi n° 95-21.898), que par acte reçu le 20 juillet 1989 par M. X..., notaire à Paris, la société de droit belge, Caisse hypothécaire Anversoise ANHYP, aux droits de laquelle est venue la société Axa bank (la caisse) a consenti à MM. Lucien, Denis et Roland Y... (les consorts Y...), à la société civile La Brenta (la SCI), et à la société Eldeer, en qualité de co-emprunteurs solidaires, une ouverture de crédit s'élevant à 80 625 000 francs belges soit une contre-valeur de 12 900 000 francs français ; qu'à la suite de la défaillance des emprunteurs dans le remboursement des échéances, la caisse a fait pratiquer entre les mains de la SCI, mise ultérieurement en liquidation judiciaire, la saisie-arrêt des parts dont les consorts Y... étaient propriétaires, sur le fondement de l'acte de prêt notarié, et les a fait assigner en validité de cette saisie et en vente des parts saisies ; que la Cour de cassation, par arrêt du 20 octobre 1998, a censuré l'arrêt au motif que la caisse n'avait pas obtenu d'agrément ; que devant la cour d'appel de renvoi, les consorts Y... ont invoqué plusieurs moyens de nullité de l'acte de prêt ; que la cour d'appel de renvoi a validé la saisie arrêt des parts en considérant qu'à supposer nul le contrat de prêt, l'obligation de restitution inhérente au contrat de prêt demeurait valable, les sommes restant dues en capital excédant la valeur des parts de la SCI en liquidation judiciaire ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande de sursis à statuer et d'avoir validé la procédure de saisie-arrêt , alors, selon le moyen :
1 / que le juge civil a l'obligation de surseoir à statuer dès lors que l'action publique est de nature à influer sur la solution de l'instance civile ; que les consorts Y... avaient fait valoir qu'une action publique avec constitution de partie civile avait été exercée par eux en Belgique contre l'ANHYP et M. de Z..., dirigeant de ladite banque, des chefs de faux en écritures de commerce et en écritures privées, faux en écriture de commerce et escroquerie et que ladite procédure régulièrement instruite avait fait l'objet d'une décision de dessaisissement au profit des autorités judiciaires françaises par un arrêt du 27 décembre 2001 de la Chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles ; qu'en outre, les consorts Y... avaient soutenu qu'une autre procédure pénale, cette fois-ci en France, avec constitution de partie civile avait été dirigée contre Maître X..., notaire rédacteur de l'acte de prêt, du chef de faux en écritures publiques, et que si l'acte authentique constatant que ce prêt est jugé faux, la saisie-arrêt pratiquée en vertu de ce prêt serait nécessairement nulle ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, en se bornant à affirmer que les éléments de la cause ne justifiaient pas que l'action publique puisse influer sur le sort de l'instance pendant devant la juridiction civile quand la constatation des infractions poursuivies était de nature à entraîner l'annulation du contrat de prêt litigieux et celle subséquente de la saisie-arrêt litigieuse, l'arrêt attaqué a violé l'article 4 du code de procédure pénale ;
2 / que l'arrêt attaqué, qui a confirmé l'insuffisance des éléments produits par les consorts Y... au soutien de leur demande de sursis à statuer sans procéder à une analyse sommaire de ces pièces n'a pas justifié le rejet de cette demande de sursis à statuer et a, partant, violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que les dispositions de l'article 4 du code de procédure pénale ne s'appliquent pas aux procédures d'exécution ; que par ce seul motif, substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve justifié ; que le moyen, non fondé dans sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième et sixième branche :
Attendu que les consorts Y... font encore grief à l'arrêt d'avoir validé la procédure de saisie-arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu'aucune obligation de restitution ne saurait résulter de l'annulation d'un contrat de prêt d'argent conclu en réalisant une fraude à la loi et aux intérêts des emprunteurs, que dès lors, l'arrêt attaqué, qui a retenu que, à supposer nul ce contrat de prêt, chacune des parties serait tenue de restituer ce qu'elle a reçu de l'autre et que les consorts Y... sont à tout le moins débiteurs envers la Caisse d'une créance certaine dans son existence à hauteur d'un montant au moins égal à 1 931 892,21 euros, que ce contrat soit nul, comme le soutiennent les appelants, ou qu'il soit valide, conformément à la clause de résiliation acquise pour défaut de paiement, et qui a validé la saisie-arrêt pratiquée entre les mains de la SCI à concurrence de cette somme, sans rechercher, dans la ligne des conclusions soutenues par les consorts Y..., si l'annulation du contrat de prêt en vertu de l'adage fraus omnia corrumpit et des infractions pénales commises ne privaient pas la Caisse de tout droit à restitution, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 6 du code civil ;
2 / qu'aucune obligation de restitution n'existe même en cas d'annulation d'un prêt d'argent, lorsque celle-ci est paralysée par l'exception d'indignité en vertu de la règle nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans, que dès lors les consorts Y... ayant soutenu que la Caisse était mal venue à invoquer une règle morale quand elle avait violé délibérément les lois belges et françaises dans le seul but de s'enrichir et avait tout aussi délibérément trompé les contractants, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'exception ainsi invoquée devait recevoir application en la cause, n'a pas justifié l'existence de l'obligation de restitution à la charge des consorts Y... et n'a, partant, pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article 6 du code civil et de l'adage précité ;
3 / que l'annulation d'un contrat entraîne l'anéantissement de la stipulation de solidarité passive entre plusieurs débiteurs, de sorte qu'en exécution de l'obligation de restitution réciproque, chaque partie doit seulement restituer ce qui lui a été effectivement donné, l'obligation de restitution étant nécessairement conjointe, que les consorts Y... soutenaient dans leurs écritures que seule une fraction du prêt leur avait été personnellement destinée, le solde ayant été versé aux sociétés civiles immobilières pour payer leurs dettes, ce montage ayant été élaboré sur le fondement des produits financiers de la Caisse et sur les conseils du Cabinet Luce ; qu'en cas d'annulation du contrat de prêt, l'obligation de restitution devenait conjointe du fait de l'annulation de la stipulation de solidarité passive entre les consorts Y... et les sociétés civiles immobilières de sorte que les consorts Y... ayant restitué les sommes qui leur avaient été versées dans le cadre du remboursement du prêt, la saisie-arrêt visant au paiement du solde du prêt et portant sur les parts qu'ils détenaient dans le capital desdites sociétés civiles immobilières n'avaient plus d'objet ; qu'en affirmant que les consorts Y... devaient de toute manière restituer le capital emprunté, ce qui rendait sans intérêt la recherche de la nullité du prêt, la cour d'appel a violé les articles 1234 et 1202 du code civil ;
4 / que la personnalité morale des sociétés se distingue de celle de leurs associés, que la cour d'appel, ayant relevé qu'il ressortait de l'économie générale du prêt litigieux qu'il était destiné à payer les dettes des deux sociétés civiles immobilières mais qu'il s'en déduisait que les fonds avaient été utilisés au profit de leurs associés, les consorts Y..., a méconnu le principe de la distinction précitée, et a, partant, violé l'article 1842 du code civil ;
5 / que la société prend fin par l'effet d'un jugement ordonnant la liquidation judiciaire de la société et que seule subsiste sa personnalité morale pour les besoins de sa liquidation, que, dès lors, l'arrêt attaqué n'a pas pu valider la saisie-arrêt des parts sociales d'une société civile immobilière dès lors qu'il constatait que celle-ci avait pris fin par l'effet d'un jugement de liquidation judiciaire, qu'en retenant qu'une telle saisie-arrêt était encore réalisable en raison de l'existence et de l'autonomie patrimoniale d'une société en liquidation judiciaire, l'arrêt attaqué a violé les articles 1844-7, 7 et 1844-8, alinéa 3, du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que les consorts Y... n'ont pas établi ni même allégué que le contrat litigieux aurait dû être annulé pour une cause immorale, et que la cause illicite d'une obligation ne fait pas obstacle à l'action en répétition résultant de la nullité d'un acte de prêt qui a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale ;
qu'il s'ensuit que la cour d'appel, sans avoir à procéder à la recherche qui ne lui était pas demandée, a justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que tant que les parties n'ont pas été remises en l'état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l'obligation de restitution inhérente au contrat de prêt demeure valable ; qu'il en résulte que la solidarité passive stipulée entre les consorts Y..., la SCI et la société Eldeer au profit de la caisse, conservait ses effets pour garantir les éventuelles restitutions consécutives à l'annulation du contrat ; qu'ainsi, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, qui a décidé que les demandes en nullité du prêt étaient sans incidence sur l'obligation solidaire des consorts Y... de restituer le capital emprunté, a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, en troisième lieu, que la personnalité morale d'une société subsistant pour les besoins de sa liquidation, les parts ou actions des associés conservent, jusqu'à la clôture de celle-ci, leur caractère mobilier, et peuvent être cédées, c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé que la saisie-arrêt des parts de la SCI en cours de liquidation judiciaire était encore réalisable ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en première, deuxième, quatrième et sa sixième branche, ne peut être accueilli en sa cinquième branche ;
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 557 du code de procédure civil, alors applicable ;
Attendu que pour valider la saisie-arrêt pratiquée à l'initiative de la caisse entre les mains de la SCI des parts dont étaient propriétaires les consorts Y..., la cour d'appel retient qu'à supposer nul le contrat de prêt, chacune des parties serait tenue de restituer ce qu'elle a reçue de l'autre, et que tant que les parties n'ont pas été remises dans l'état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l'obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, en se fondant sur l'obligation de restituer inhérente au contrat de prêt, sans examiner la validité de l'acte exécutoire sur le fondement exclusif duquel avait été mis en oeuvre la saisie-arrêt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a validé la procédure de saisie-arrêt engagée à l'initiative de la société Axa bank entre les mains de la société civile La Brenta des parts dont sont propriétaires les consorts Y... dans la mesure de la créance mentionnée dans l'arrêt, l'arrêt rendu le 3 mars 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.