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Décisions

Cass. com., 23 novembre 2022, n° 21-15.710

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vaissette

Rapporteur :

Mme Barbot

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Piwnica et Molinié

TGI Lyon, du 12 juin 2018, n° 16/06604

12 juin 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 25 février 2021), en 2014 et 2015, la société Rauber location (la société Rauber) a conclu plusieurs contrats avec la société ADA, qui exerce une activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme, et ses deux filiales, les sociétés ADA services et EDA (les sociétés du groupe ADA).

2. Le 9 juin 2015, la société Rauber a été mise en redressement judiciaire, un jugement du 1er septembre 2015 désignant la société AJ partenaires, représentée par M. [I], en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance.

3. Par une lettre du 3 septembre 2015, les sociétés du groupe ADA ont résilié les contrats conclus avec la société Rauber pour non-paiement des sommes dues au titre des contrats poursuivis.

4. Par une lettre du 9 septembre 2015, les sociétés du groupe ADA ont, à la demande de M. [I], accepté de suspendre les effets de cette résiliation, à condition d'obtenir le paiement des sommes dues.

5. Le 12 novembre 2015, M. [I] a proposé aux sociétés du groupe ADA de nouveaux délais de paiement, qui ont été acceptés.

6. Le 2 décembre 2015, la procédure de redressement judiciaire de la société Rauber a été convertie en liquidation judiciaire.

7. Reprochant à M. [I] d'être responsable du non-paiement des échéances prévues aux contrats poursuivis, les sociétés du groupe ADA l'ont assigné en responsabilité civile personnelle.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. M. [I] fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute au préjudice des sociétés du groupe ADA et, en conséquence, de le condamner à leur payer des dommages et intérêts, alors « que la faute de la victime qui n'a pas exercé les prérogatives que la loi lui confère pour défendre ses intérêts est de nature à exonérer l'administrateur judiciaire de sa responsabilité ; qu'en écartant la responsabilité des sociétés du groupe ADA dans la poursuite des relations contractuelles avec la société Rauber Location entre les mois de septembre et décembre 2015 aux motifs inopérants que "le fait que les sociétés du groupe ADA aient accepté les échéanciers qui (avaient) été soumis à deux d'entre elles ne p(ouvait) leur être imputé à faute et ce d'autant que M. [I] leur a(vait) indiqué le 7 septembre 2015 qu'il rendrait un avis négatif au juge-commissaire sur la résiliation des contrats", dès lors que le fait que M. [I] avait opté pour la poursuite des contrats litigieux conclu avec les sociétés du groupe ADA, leur avait proposé un moratoire et leur avait indiqué qu'il rendrait un avis négatif au juge-commissaire sur la résiliation des contrats, ne faisait pas obstacle à ce que les sociétés du groupe ADA refusent le moratoire proposé, refusent la poursuite, et sollicitent la résiliation des contrats pour défaut de paiement devant le juge-commissaire qui n'était pas tenu par l'avis de l'administrateur judiciaire, et sans rechercher, comme elle y était ainsi invitée, si les sociétés du groupe ADA n'avaient pas commis de faute à l'origine du dommage qu'elles invoquaient en acceptant, en connaissance de cause, le moratoire proposé et la poursuite des contrats et en ne sollicitant pas leur résiliation pour défaut de paiement, prenant ainsi sciemment le risque de poursuivre leurs relations avec la société Rauber Location, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

10. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

11. Pour dire que M. [I] a commis une faute au préjudice des sociétés du groupe ADA, l'arrêt relève, d'abord, qu'après le jugement du 9 juin 2015 ouvrant le redressement judiciaire et la désignation de M. [I] en qualité d'administrateur judiciaire le 1er septembre suivant, ces sociétés ont mis en demeure ce dernier de prendre position sur la poursuite des contrats en cause et que le 3 septembre 2015, elles ont résilié le contrat de franchise et le contrat-cadre en raison d'impayés. L'arrêt relève, ensuite, que par une lettre du même jour, M. [I] a invité la société ADA, notamment, à poursuivre ses relations avec la société débitrice, qu'à cette même date, le conseil des sociétés du groupe ADA lui a adressé les lettres de résiliation, en l'informant de la saisine du juge-commissaire aux fins de constat de la résiliation des contrats, que le 7 septembre 2015, M. [I] a répondu qu'il était défavorable à cette demande, ce à quoi le conseil des sociétés ADA a répliqué, le 9 septembre suivant, en indiquant que ses clientes acceptaient de suspendre les effets de la résiliation jusqu'au 15 septembre, sous réserve d'obtenir le paiement des sommes de 17 412,44 et 60 772,56 euros, et que le 14 septembre 2015, M. [I] a indiqué que, le paiement de l'intégralité des sommes dues ne pouvant être assuré au vu de la trésorerie de la société débitrice, le dirigeant proposait un échéancier, lequel a été accepté par les sociétés du groupe ADA le 18 septembre 2015.

12. L'arrêt relève encore qu'il ressort du compte-rendu d'une réunion organisée entre les parties le 21 octobre 2015 que ce moratoire n'était pas respecté, qu'à la suite d'une réunion du 4 novembre 2015, M. [I] a proposé de nouveaux délais de paiement qui ont été acceptés par les sociétés du groupe ADA, que le 26 novembre 2015, M. [I] a informé le conseil de ces sociétés de ce qu'il demanderait la conversion de la procédure en liquidation judiciaire lors de l'audience du 2 décembre suivant.

13. L'arrêt en déduit que, quand bien même les contrats litigieux étaient nécessaires à la poursuite de l'activité de la débitrice, M. [I] a commis une faute en imposant aux sociétés ADA et EDA à la fois la poursuite de leurs relations avec la débitrice, alors qu'elles avaient entendu résilier les contrats, et l'acceptation d'un moratoire, et ce sans s'assurer de ce que son administrée pourrait faire face aux moratoires convenus et aux dettes à échoir engendrées par la poursuite des contrats.

14. L'arrêt ajoute que la circonstance que deux des sociétés du groupe ADA aient accepté les moratoires ne peut leur être imputée à faute, d'autant moins que M. [I] leur a indiqué, le 7 septembre 2015, qu'il rendrait au juge-commissaire un avis négatif sur la demande de résiliation des contrats.

15. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'administrateur judiciaire aurait imposé aux sociétés du groupe ADA la poursuite des contrats en cause ainsi que les moratoires des 18 septembre et 12 novembre 2015, alors que le fait que l'administrateur avait opté pour la poursuite des contrats, proposé un moratoire et indiqué qu'il émettrait un avis négatif sur la demande de constat de la résiliation des contrats ne faisait obstacle ni à ce que ces sociétés maintiennent leur demande de résiliation des contrats pour non-paiement des échéances, en application de l'article L. 622-13, III, du code de commerce, le juge-commissaire n'étant pas tenu par l'avis de l'administrateur judiciaire, ni à ce que ces sociétés refusent les moratoires proposés, qu'elles avaient acceptés en toute connaissance des difficultés financières de la société débitrice, celle-ci n'honorant plus les échéances depuis le jugement d'ouverture et n'ayant pas respecté le premier moratoire précité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de la société ADA services, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.