Cass. crim., 3 octobre 2007, n° 07-81.614
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin
Rapporteur :
M. Rognon
Avocat général :
M. Mouton
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 13 de la loi du 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, 2, 3, 459, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action civile exercée par la commune de Montluçon ainsi que sa demande de dommages-intérêts et a condamné les intimés à verser à la commune de Montluçon des dommages-intérêts correspondant aux rémunérations versées aux agents affectés au groupe d'élus auquel ils appartenaient ;
"aux motifs que l'article 2 du code de procédure pénale dispose que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que cette action est expressément ouverte aux personnes morales de droit public telles que les collectivités locales ; que les juridictions pénales sont par ailleurs compétentes pour apprécier ensuite de sa condamnation pénale, la responsabilité de l'agent d'un service public à raison des fautes personnelles détachables de la fonction, lorsque l'administration exerce aux fins de réparation les droits de la partie civile prévus par les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ; que cette règle spéciale propre à la mise en cause des élus et agents publics devant les juridictions répressives, déroge à la règle générale posée par le tribunal des conflits dans sa décision du 21 janvier 1985 (Hospice de Châteauneuf-du-Pape c/ Jeune) et trouve à s'appliquer en l'espèce dès lors que la faute à l'origine du préjudice subi par la commune de Montluçon peut être identifiée comme une faute personnelle, détachable de l'exercice des fonctions de leur auteur ; que la présente juridiction de renvoi est donc compétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts de ladite commune, dans la mesure où il peut être établi que Pierre X..., Jean-Claude Y... et Denis Z... ont commis une faute de la nature de celle
sus-spécifiée ; que la faute personnelle détachable du service est celle qui tend à la satisfaction d'un intérêt particulier et contraire à l'intérêt général déterminant l'action de la collectivité publique ;
que l'absence d'enrichissement personnel est donc indifférent et la faute doit être appréciée pareillement, qu'elle soit commise par un élu, tels Pierre X..., Jean-Claude Y..., ou par un agent public, tel Denis Z... ; qu'en outre, la faute pénale n'est pas nécessairement une faute personnelle détachable des fonctions ;
qu'enfin, il convient de rappeler que si la définition des emplois communaux et la fixation de leur nombre relève de l'organisation des services communaux entrant dans la compétence du conseil municipal, l'ensemble des décisions individuelles concernant les cinq agents communaux ne relèvent que du maire, qui a toutefois la possibilité de déléguer certaines tâches à ces adjoints ; que la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique (article 27) n'a pas entendu faire exception à ces principes généraux, la responsabilité du maire dans le recrutement comme dans l'affectation des personnels destinés au secrétariat des élus des groupes politiques restant entière ; qu'en l'espèce, il est établi que Pierre X..., maire à deux reprises de la ville de Montluçon du 1er décembre 1985 au 18 avril 1998, et Jean-Claude Y..., 1er adjoint au maire de cette même ville du 1er mars 1994 au 18 avril 1998, puis maire jusqu'au 31 août 2000, ont personnellement recruté ou directement participé au recrutement des personnels affectés aux emplois fictifs visés par la poursuite ; qu'il est pareillement établi que ces personnels n'ont accompli aucun travail réel et effectif au profit de la municipalité, mais se sont uniquement livrés à des activités politiques partisanes n'ayant pas vocation à être rémunérées sur des fonds publics ; que si Pierre X... et Jean-Claude Y... n'ont retiré aucun enrichissement personnel de leurs agissements délictueux, ils ont néanmoins été guidés par la recherche d'un intérêt particulier qui s'est nécessairement confondu en l'espèce avec celui du parti politique auquel ils appartenaient, le parti communiste français, sous l'étiquette duquel ils ont obtenu leurs mandats électifs, les personnels recrutés par eux dans des conditions sus-rappelées l'ayant été uniquement dans le but de servir sur le plan local la cause et les intérêts de ce parti ; que Pierre X... et Jean-Claude Y... ayant ainsi commis chacun une faute personnelle détachable de leurs fonctions de maire, la présente juridiction de renvoi est par suite compétente pour statuer sur la constitution de partie civile de la commune de Montluçon laquelle doit être déclarée recevable ; que les agissements frauduleux de Pierre X... et Jean-Claude Y... se sont traduits par des détournements de fonds publics opérés par prélèvement sur le budget de la commune à hauteur des rémunérations versées aux agents municipaux affectés à des tâches non conformes aux emplois prévus ;
"alors que, d'une part, les rapports entre une commune et son maire sont des rapports de droit public ; que seul le juge administratif est compétent pour en connaître, en l'absence de dérogation expressément prévue par le législateur ; qu'il en va ainsi de l'action civile fondée sur le comportement du maire dans l'exercice de ses fonctions et quel que soit le caractère de la faute qui lui est imputée dès lors qu'elle ne peut trouver sa solution que dans les principes de droit public ; qu'en effet, les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ne prévoient pas expressément que le juge répressif est compétent pour se prononcer sur l'action civile d'une collectivité locale à l'encontre de son élu ou inversement, d'un élu contre la collectivité locale à laquelle il appartient ; que, dès lors que la cour d'appel admettait que l'action civile de la commune se fondait sur des fautes commises par le maire ou son premier adjoint, président du groupe des élus communistes au conseil municipal, dans l'exercice de leurs fonctions, elle aurait dû constater l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts de la commune ; que, faute de l'avoir fait, elle a méconnu le principe de la séparation des ordres de juridictions ;
"alors que, d'autre part, dès lors que la cour d'appel constatait que les intimés ne recherchaient aucun profit personnel, en faisant travailler des agents municipaux affectés aux groupes des élus communistes hors des locaux de la municipalité, et qu'ils avaient agi dans l'exercice de leurs fonctions, même si la décision d'affectation hors de ces locaux était irrégulière, il en résultait nécessairement que la faute qui leur était reprochée ne pouvait être considérée comme une faute personnelle détachable des fonctions ;
qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en se déclarant compétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de la commune de Montluçon ;
"alors que, par ailleurs, la faute personnelle résulte du fait d'avoir agi dans un intérêt personnel, exclusif de tout intérêt communal ; qu'en se contentant de constater que les agents municipaux en cause se sont uniquement livrés à des activités politiques partisanes, sans effectuer aucun travail pour la municipalité, la cour d'appel qui n'a pas recherché si leur affectation, aurait-elle été irrégulière, ne visait pas à servir l'intérêt communal, intérêt nécessairement plus large que celui de la seule municipalité, même si elle avait une coloration politique, comme cela était soutenu dans les conclusions soulevées pour les intimés, a privé sa décision de base légale ;
" alors, qu'enfin, en considérant que les intimés avaient commis des fautes personnelles détachables des fonctions en ce que les agents communaux affectés au groupe des élus communistes s'étaient livrés à une activité politique partisane, sans effectuer aucun travail pour la municipalité, sans répondre aux conclusions soulevées pour les intimés selon lesquelles les agents publics affectés à la radio locale, si leurs emplois avaient nécessairement une coloration politique, n'en avaient pas moins agi dans l'intérêt communal, dès lors que cette radio était chargée de délivrer des informations sur la municipalité et la vie communale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Pierre X... et Jean-Claude Y..., maires successifs de la commune de Montluçon, ont été définitivement condamnés des chefs d'abus de confiance et de détournement de fonds publics, pour avoir, du 15 juin 1989 au 31 août 2000, fait payer par cette collectivité territoriale les salaires, et les charges y afférentes, d'agents municipaux mis à la disposition de la fédération départementale du parti communiste français et d'une radio locale liée à ce parti politique ;
Attendu que, pour dire les juridictions pénales compétentes pour apprécier, à la suite de sa condamnation pénale, la responsabilité d'un maire à raison des fautes personnelles détachables de sa fonction, lorsque la commune exerce, aux fins de réparation, les droits de la partie civile prévus par les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement les prévenus à verser à la partie civile la somme de 808 900, 27 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que, les agissements frauduleux de Pierre X... et Jean-Claude Y... se sont traduits par des détournements de fonds publics opérés par prélèvement sur le budget de la commune à hauteur des rémunérations versées aux agents municipaux affectés à des tâches non conformes aux emplois prévus ;
"alors que, d'une part, l'action civile n'est recevable que si le préjudice invoqué résulte directement de l'infraction visée à la prévention ; que la réparation accordée doit en conséquence être limitée à l'indemnisation de ce préjudice ; que, dès lors que la cour d'appel constatait que les groupes d'élus bénéficiaient, en vertu de délibérations municipales, d'agents qui leur étaient affectés, elle ne pouvait considérer que la commune avait subi un préjudice direct consistant en la perte des salaires des agents, résultant de leur affectation à d'autres fonctions que celle prévue par ces délibérations, sans méconnaître l'article 2 et 3 du code de procédure pénale ;
"alors que, d'autre part, en se contentant de constater que les agents en cause se sont uniquement livrés à des activités politiques partisanes, sans effectuer aucun travail pour la municipalité, la cour d'appel qui n'a pas recherché si leur affectation, aurait-elle été illégale, ne visait pas à servir l'intérêt communal, même si elle avait une coloration politique, comme cela était soutenu dans les conclusions soulevées par les intimés, a privé sa décision de base légale ;
"alors que, par ailleurs, en considérant que les agents communaux affectés au groupe des élus communistes s'étaient uniquement livrés à une activité politique partisane, sans effectuer aucun travail pour la municipalité, sans répondre aux conclusions soulevées pour les intimés selon lesquelles pour les emplois affectés à la radio locale, si ces emplois avaient nécessairement une coloration politique, les agents n'en avaient pas moins agi dans l'intérêt communal, ce qui excluait que la commune ait subi un préjudice correspondant au salaire de ces agents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"alors, qu'en tout état de cause, dès lors que la cour d'appel avait constaté qu'après l'entrée en vigueur de la loi du 19 janvier 1995, la commune ne pouvait plus affecter de personnel aux groupes d'élus, la cour d'appel qui n'a pas recherché si la faute de la collectivité n'était pas la cause exclusive du préjudice subi à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la commune de Montluçon des délits d'abus de confiance et de détournement de fonds publics dont Pierre X... et Jean-Claude Y... ont été déclarés coupables, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans les limites des conclusions des parties et de la déclaration de culpabilité, l'indemnité propre à réparer le dommage né de ces infractions ;
Qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une prétendue négligence de la victime, le montant des réparations dues à une commune par son maire, auteur d'infractions intentionnelles contre les biens de cette collectivité territoriale ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.