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Décisions

Cass. com., 26 mai 1998, n° 96-11.839

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pasturel

Rapporteur :

M. Badi

Avocat général :

M. Raynaud

Avocat :

Me Copper-Royer

Rouen, 2e ch. civ., du 25 janv. 1996

25 janvier 1996

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Jacques-Louis Delamare (la société) a été mise en redressement judiciaire tandis qu'étaient en cours des relations d'affaires avec la société Meo et notamment des "contrats" portant sur des lots de café qu'à la demande de celle-ci la société avait elle-même négociés sur les marchés à terme de New-York et de Londres par l'intermédiaire de professionnels habilités à intervenir sur place;

que, l'administrateur du redressement judiciaire ayant indiqué, par lettre du 22 juin 1994, qu'il entendait opter pour la résiliation de ces contrats et la vente immédiate des lots de café, la société Meo a déclaré une créance d'un montant de 5 363 727,42 francs, partiellement contestée, et a relevé appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant prononcé l'admission de la créance pour la somme de 2 862 893,38 francs ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la société Meo fait grief à l'arrêt d'avoir dit que celle-ci, qui avait fait procéder par la société à des achats à terme de divers lots de café sur les marchés de New-York et de Londres, ne pouvait "prétendre qu'à déclaration au passif du redressement judiciaire de la société d'une créance de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la résiliation" des contrats d'achat et de la liquidation des positions "sur la base des cours à New-York et à Londres au 24 juin 1994", date à laquelle elle avait reçu de l'administrateur notification de sa décision "d'opter pour la résiliation des contrats en cours sur les marchés à terme" et de revendre les lots achetés, alors, selon le pourvoi, que le contrat par lequel un donneur d'ordres charge un intermédiaire de procéder à un achat à terme ne constitue plus, une fois cet achat effectué, "un contrat en cours";

qu'en soumettant de tels contrats à l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;

Mais attendu que le contrat par lequel une personne commet un commissionnaire en marchandises pour effectuer pour son compte une opération à terme, ne s'achève que par l'exécution, au terme prévu, de cette opération;

que l'arrêt, qui a constaté qu'étaient en cours à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société, des contrats portant sur des lots de café négociés par celle-ci sur les marchés à terme de New-York et de Londres à la demande de la société Meo, n'a pas violé le texte invoqué en soumettant ces contrats aux dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction applicable en la cause;

que le moyen est mal fondé ;

Mais sur la deuxième branche :

Vu l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994 ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge-commissaire, l'arrêt retient que l'administrateur a "exprimé sans équivoque sa décision de résilier les contrats, comme la faculté lui en était ouverte, dans sa lettre adressée à la société Meo dès le 22 juin 1994" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, lorsque l'administrateur renonce à la continuation du contrat, le cocontractant acquiert, du fait de cette renonciation, le droit de faire prononcer en justice la résilation du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur la troisième branche :

Vu l'article 1149 du Code civil ;

Attendu que, pour statuer comme il a fait l'arrêt, après avoir énoncé que conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 la société Meo ne pouvait prétendre qu'à déclaration au passif d'une créance de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a directement subi du fait de la résiliation, retient que c'est à bon droit que le juge-commissaire a évalué cette créance sur la base des cours à New-York et à Londres au 24 juin 1994 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans constater que le 24 juin 1994 était la date de la liquidation boursière prévue pour les ordres passés sur les marchés précités qui permettait seule de déterminer le gain dont la société Meo aurait été privée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 janvier 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.