CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 16 septembre 2021, n° 20/15132
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Picard
Conseillers :
Mme Rohart Messager, Mme Coricon
Avocats :
Me Maisant, Me Tessier
Par jugement du 9 octobre 2017, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la Sarl Dourdan Bricolage DB qui exerçait une activité de commerce de Z sous l'enseigne « Monsieur Z » et avait pour gérant M. X, désigné Me Y en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 11 août 2017, soit 54 jours avant la date de la déclaration de cessation des paiements déposée le 4 octobre 2017.
Au motif que M. X aurait poursuivi une activité déficitaire, le liquidateur judiciaire a assigné M. X aux fins de condamnation au paiement de tout ou partie de l'insuffisance d'actif, hors passif superprivilégié, s'élevant à 796.269,26 euros sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce. Par jugement du 2 octobre 2020, le tribunal de commerce d'Evry, a débouté Me Y, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes.
Me Y a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 23 octobre 2020.
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 16 février 2021, Me Y, ès qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Dourdan Bricolage DB demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Évry le 2 octobre 2020 (RG n° 2020L00645), en toutes ses dispositions.
- Débouter Monsieur X en toutes ses demandes, fins et conclusions
Statuant à nouveau
- Par application de l'article L.651-2 du Code de commerce, condamner Monsieur X à lui payer le montant de l'insuffisance d'actif que font apparaître les opérations de liquidation judiciaire de ladite société, soit la somme de 796.269,26 euros et ce, en totalité ou en partie.
- Condamner Monsieur X à lui payer la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 5.000 euros au titre de la procédure de première instance et la somme de 5.000 euros au titre de la procédure d'appel.
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 29 mars 2021, M. X demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Evry le 2 octobre 2020 (RG n° 2020L000645) en toutes ses dispositions,
- Condamner Maître Y ès qualités à lui payer la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans son avis notifié par RPVA le 11 décembre 2020, le ministère public demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de condamner M. X à contribuer à l'insuffisance d'actif dans une limite de 100.000 euros.
SUR CE,
I Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif
Le liquidateur judiciaire invoquait au soutien de sa demande la poursuite d'une exploitation déficitaire.
Pour rejeter la demande, le tribunal a retenu que si les exercices 2014 et 2015 présentaient des pertes, les capitaux propres étaient restés positifs et la structure du bilan au 31 décembre 2015 n'inspirait pas particulièrement d'inquiétude, la trésorerie étant assurée par des concours bancaires et aucun impayé n'étant relevé.
Dans ses conclusions d'appel, le liquidateur judiciaire précise qu'il invoque la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait que conduire à la cessation des paiements et non un retard dans la déclaration de cessation des paiements.
Il fait valoir que la société Dourdan Bricolage DB a enregistré sans discontinuer des résultats déficitaires depuis l'exercice 2014 et qu'elle ne procédait plus au versement régulier de ses charges sociales et fiscales. Il ajoute qu'elle ne disposait plus de la trésorerie nécessaire pour faire face à ses dettes dès le mois de janvier 2016 et estime que le dirigeant a ainsi, en toute connaissance de cause, poursuivi une exploitation déficitaire qui a contribué à l'insuffisance d'actif constatée. Il souligne que les résultats cumulés de l'exploitation déficitaire se montent à la somme globale de 761.760 euros.
Il précise que la société débitrice a dû signer un moratoire pour le paiement de ses dettes auprès de la centrale d'achat dès le mois de mai 2015 et que les cotisations à l'Urssaf du mois de janvier et des mois d'avril à septembre 2017 n'ont pas été payées.
Il souligne que le dirigeant est seul responsable de la bonne tenue de la comptabilité et qu'il ne peut s'exonérer au motif d'un conflit familial et qu'aucune contestation de la créance fiscale, définitivement admise, n'a été établie.
Il rappelle que M. Y reconnaît avoir été dans l'impossibilité de payer les loyers.
M. Y réplique que la simple négligence du dirigeant ne permet pas d'engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif, il rappelle qu'entre 1984 et 2014 la société a dégagé des résultats lui ayant permis de constituer des réserves, qu'il a redoublé de vigilance lors de l'apparition des difficultés liées à la conjoncture et à l'installation d'un Weldom à proximité. Il souligne que le rapport de la Cogeed ne constate qu'une très légère baisse du chiffre d’affaires de 2016 après deux ans de stabilité, que c'est la baisse de la marge qui est à l'origine des difficultés, mais qu'il n'a connu les chiffres de l'année 2016 qu'en septembre 2017 lorsque le bilan lui a été remis. Il précise que la remise en cause brutale du moratoire qui lui avait été accordé, alors même qu'il était scrupuleusement respecté, l'a placé brusquement dans une situation définitivement insurmontable.
Il rappelle qu'il a abandonné son compte courant à hauteur de 35.000 euros, qu'il a réglé directement 24.939 euros de dettes de la société, que le besoin en fonds de roulement d'exploitation était positif en 2014 et 2015, que les charges sociales et de TVA étaient réglées jusqu'en 2017, que seules les cotisations de retraite 2017 n'ont pas été payées et que tous les salaires de septembre ont été honorés.
Il précise que le décalage constaté pour le règlement de la TVA, qui lui avait été dissimulé, a été immédiatement régularisé dès qu'il en a eu connaissance et qu'il n'était pas chargé de la comptabilité.
Il expose que la dette fiscale a été contestée pour le montant de la CFE, que le litige a fait l'objet d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles de mai 2020 et que ce montant doit donc être amputé de 50% des cotisations CFE entre 2015 et 2020 ainsi que des pénalités et majorations, aucune démarche en ce sens n'ayant été entreprise par le liquidateur judiciaire.
Il souligne l'absence d'opérations au détriment de la société débitrice, fait valoir qu'il n'a pas payé ses loyers car la société MAD, bailleresse lui appartenait et insiste sur le fait qu'il a sincèrement cru au redressement de l'entreprise et n'a commis aucune faute de gestion.
Il ajoute que la date de cessation des paiements est définitivement fixée, qu'il ne peut lui être reproché d'avoir poursuivi l'activité dans un intérêt personnel et que Me Y échoue à démontrer l'impact du décalage de déclaration de TVA sur l'insuffisance d'actif.
Il conteste tout comportement frauduleux ou manquement grave de sa part et rappelle qu'il a cessé de se verser un salaire à compter de juin 2015 ce qui démontre les efforts fournis pour tenter de sauver l'entreprise.
Selon lui, les difficultés de la société débitrice sont la conséquence de trois facteurs :
'le fait que la société M. Bricolage ait décidé de ne plus lui consentir de crédit fournisseur,
'l'installation d'un concurrent, la société Weldom à proximité,
'la tenue erratique de la comptabilité par son épouse et l'absence d'information de sa part sur les difficultés financières de la société débitrice, étant précisé que depuis il a divorcé de celle-ci.
Il ajoute, à titre subsidiaire, que l'insuffisance d'actif qui pourrait être mise à sa charge doit être limitée à l'augmentation du passif entre le 25 septembre 2017 et le 4 octobre suivant et que le liquidateur judiciaire échoue à établir une aggravation de l'insuffisance d'actif durant cette période.
Il conteste tout lien de causalité entre sa prétendue faute et l'insuffisance d'actif, il estime que la situation découle directement des difficultés structurelles de l'enseigne «'Monsieur Z’ » et qu'en tout état de cause seule une négligence sur le contrôle de la comptabilité tenue par son ex-épouse, ne pouvant fonder une condamnation, pourrait lui être imputée.
Il relate qu'il a 66 ans, qu'il touche une retraite de 2.716 euros par mois, qu'il n'a pas fini de régler sa résidence principale qu'il va devoir revendre à une valeur inférieure en raison d'un litige l'opposant à l'acquéreur de l'entreprise sur le droit de passage pour y accéder.
Il résulte de l'article L651-2 du code de commerce que «'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. ».
En l'espèce, il résulte du rapport effectué par la société Cogeed, technicien désigné par le juge commissaire, que l'activité de la société débitrice était structurellement déficitaire depuis 2014 et que les déficits se sont accélérés en 2015 puis en 2016, puisque la perte d'exploitation a été de 188'000 euros en 2016, puis de 460'000 euros en 2017 pour neuf mois.
Compte tenu des difficultés ainsi rencontrées, le rapport met en évidence que la société ne réglait pas ses dettes sociales et fiscales.
Il s'ensuit que M. Y a poursuivi une activité déficitaire sur plusieurs années alors qu'il ne disposait pas de la trésorerie suffisante pour y faire face.
Cette poursuite d'une activité déficitaire constitue une faute de gestion qui excède la simple négligence et est d'une particulière gravité, puisqu'elle a abouti à une insuffisance d'actif de 796'000 euros.
Cependant, il convient de tenir compte du fait que M. Y a correctement géré cette affaire familiale depuis 1996, jusqu'en 2014, qu'il a abandonné son compte courant pour un montant de 35'000 euros en 2014, qu’il a procédé personnellement au règlement de certaines dettes de la société pour un montant de 24'939 euros, puis a effectué un virement de 10'000 euros le 11 juillet 2007.
Compte tenu de ces circonstances, il convient de limiter à la somme de 50'000 euros le montant de sa condamnation au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif.
II Sur les dépens et les frais hors dépens
M. Y sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer au liquidateur judiciaire, ès qualités, une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Condamne M. Y, au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif, à payer à Maître Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dourdan Bricolage une somme de 50 000 euros,
Condamne M. Y aux dépens ainsi qu'à payer à Maître Y , ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dourdan Bricolage une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.