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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 16 juin 2022, n° 20/01404

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Choose Paris Region (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Dusausoy

Avocats :

Me Dontot, Me Fourlon, Me Giusti

TGI Nanterre, du 22 janv. 2020

22 janvier 2020

EXPOSE DU LITIGE

Le 3 février 2010, l'association Centre francilien de l'innovation, qui a fusionné depuis avec l'association Paris région entreprises (ci-après l'association PRE, désormais CHOOSE PARIS REGION), a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec Mme [Y] [H], embauchée en qualité de cadre conseiller entreprises.

Le 3 janvier 2011, elles ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée.

En 2013, Mme [H] a participé à l'élaboration de la réponse à l'appel à projet européen 'Transition'. A cette occasion, a été développé le concept 'Booster d'innovations sociales', un programme d'accompagnement des entreprises dites innovantes dans leur changement d'échelle.

Le 18 février 2015, l'association PRE et Mme [H] ont régularisé une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Le 6 mars 2015, Mme [H] a déposé une demande d'enregistrement de la marque française verbale 'Booster d'innovations sociales' qui a été enregistrée le 13 novembre 2015 pour les services bancaires en ligne et le service de recherches scientifiques et techniques.

Le 3 avril 2015, elle a réservé le nom de domaine novimpact.org et le 1er juin 2015, a créé l'association Nov'Impact.

Par acte du 10 février 2016, Mme [H] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris en sollicitant l'annulation de la rupture conventionnelle et l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 17 janvier 2019, elle a été déboutée de ses demandes.

Mme [H] a indiqué avoir interjeté appel devant la cour d'appel de Paris.

Selon le jugement et Mme [H], l'association PRE a mis en demeure Mme [H], par lettre du 9 novembre 2017, de procéder au retrait de la marque française verbale 'Booster d'innovations sociales'.

Par acte du 5 décembre 2017, l'association PRE a assigné Mme [H] et l'association Nov'Impact devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de revendication de la marque 'Booster d'innovations sociales', sur le fondement du dépôt frauduleux.

Par jugement du 22 janvier 2020, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence matérielle opposée par Mme [H] et l'association Nov'Impact ;

- rejeté l'intégralité des demandes de l'association PRE tant au titre du dépôt frauduleux qu'à celui de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de Mme [H] et de l'association Nov'Impact au titre de la procédure abusive ;

- rejeté la demande de l'association PRE au titre des frais irrépétibles ;

- condamné l'association PRE à payer à Mme [H] et à l'association Nov'Impact la somme de 5.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné l'association PRE aux dépens.

Par déclaration du 3 mars 2020, l'association Choose Paris région, anciennement dénommée PRE, a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance d'incident du 22 juillet 2021, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre de la cour d'appel de Versailles a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par Mme [H] et l'association Nov'Impact ;

- condamné Mme [H] et l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles ;

- condamné Mme [H] et l'association Nov'Impact aux dépens de l'incident qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 31 décembre 2021, l'association Choose Paris région demande à la cour de :

A titre principal,

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence matérielle soulevée par Mme [H] et l'association Nov'Impact ainsi que leur demande indemnitaire au titre d'une prétendue procédure abusive ;

En conséquence et statuant à nouveau,

- Juger le dépôt de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' au nom de Mme [H] frauduleux ;

- Ordonner le transfert de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' à l'association Choose Paris région et l'inscription du présent transfert au registre national des marques de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) sur simple notification de l'arrêt à intervenir, aux frais de Mme [H] et de l'association Nov'Impact en raison du caractère frauduleux du dépôt de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' au nom de Mme [H] ;

- Ordonner la transmission de la présente décision, une fois définitive, à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) aux fins d'inscription au Registre National des Marques par la partie la plus diligente ;

- Ordonner la restitution de la propriété de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' à l'association Choose Paris région dès le jour du dépôt ;

- Juger que Mme [H] et l'association Nov'Impact ont commis des fautes délictuelles au préjudice de l'association Choose Paris région (i) en détournant à leurs profits les investissements réalisés par l'association Choose Paris région pour le développement du programme Booster d'innovations sociales à leur profit (ii) en se présentant comme les créateurs de ce programme ou concept notamment sur leur site internet et dans le cadre des activités développées par l'association Nov'Impact ;

A titre subsidiaire,

- Prononcer la nullité de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' déposée au nom de Mme [H] en raison de son caractère frauduleux ;

- Prononcer la déchéance de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' déposée au nom de Mme [H] à compter du 13 novembre 2020 en raison du défaut d'usage sérieux du signe ;

En tout état de cause,

- Débouter Mme [H] et l'association Nov'Impact de leur demande de condamnation au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de la procédure abusive et de toutes fins, moyens et prétentions ;

- Condamner in solidum Mme [H] et l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du dépôt frauduleux de la marque française n°4 162 733 'Booster d'innovations sociales' fait au nom de Mme [H] ;

- Condamner in solidum Mme [H] et l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région, la somme de 694.343,16 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du trouble se décomposant comme suit :

- 231.447,72 euros par application d'un coefficient multiplicateur de 1,5 pour l'atteinte résultant du détournement des investissements de l'association Choose Paris région ;

- 462.895,44 euros par application d'un coefficient multiplicateur de 3 pour l'atteinte à l'image de l'association Choose Paris région ;

- Interdire à Mme [H] et l'association Nov'Impact d'exploiter, utiliser, distribuer, commercialiser et faire la promotion de la dénomination 'Booster d'innovations sociales' et son acronyme BIS, sur le territoire français, sous quelque forme, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et ce pendant une période de 30 jours, à I'issue de laquelle il sera le cas échéant fait droit ;

- Ordonner le retrait du marché sur le territoire français aux frais de Mme [H] et l'association Nov'Impact, de l'ensemble des supports physiques ou numériques utilisant dénomination 'Booster d'innovations sociales', et son acronyme BIS, et notamment de toute page de site internet, tout document commercial, catalogue, support promotionnel portant une reproduction de la dénomination 'Booster d'innovations sociales' ou une référence à ceux-ci en France dans les 8 jours de la signification du présent arrêt sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, et ce pendant une période de 30 jours, à l'issue de laquelle il sera le cas échéant fait droit ;

- Ordonner à Mme [H] et à l'association Nov'Impact de publier le dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de tout site internet exploité par elles et notamment sur le site de l'association intimée accessible à l'adresse URL http://novimpact.org/ dans les 8 jours de la signification du présent arrêt sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, et ce pendant une période de 30 jours, à l'issue de laquelle il sera le cas échéant fait droit ;

- Ordonner la publication d'un extrait de la décision à intervenir dans 5 (cinq) journaux ou revues édités sous format papier ou numérique au choix de l'association Choose Paris région aux frais avancés de Mme [H] et de l'association Nov'Impact, sans que le coût global de cette publication n'excède la somme totale de 20.000 euros hors taxes et dans les termes suivants: « Par décision en date du XXXXXX, la Cour d'appel de Versailles a jugé que Mme [H] et l'association Nov'Impact avaient commis au préjudice de l'association Choose Paris région un acte frauduleux de dépôt de la marque 'Booster d'innovations sociales', et adopté un comportement constitutif d'actes de parasitisme commis par Mme [H] et l'association Nov'Impact, la Cour les condamnant à la présente publication à leurs frais avancés» ;

- Se déclarer compétent pour liquider les astreintes ;

- Condamner in solidum Mme [H] et de l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Oriane Dontot, JRF & associés, conformément à l'article 699 du même code, en ce compris les frais de procès-verbaux de constat d'huissier dressés le 23 juin 2017 (pièce 7) et le 29 octobre 2018 (pièce 20) à la requête de l'association Choose Paris région.

Par dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2022, Mme [H] et l'association Nov'Impact demandent à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement du 22 janvier 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre, sauf en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de Mme [H] et l'association Nov'Impact au titre de la procédure abusive ;

Et y ajoutant,

- Juger irrecevable l'action en déchéance de la marque 'Booster d'Innovations sociales' formée par l'association Choose Paris région ;

- Condamner l'association Choose Paris région à payer à Mme [H] et l'association Nov'Impact la somme de 10.000 euros chacune, pour procédure abusive ;

- La condamner à payer à Mme [H] et l'association Nov'Impact la somme de 10.000 euros chacune, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jérôme Giusti, avocat au Barreau de Paris.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 mars 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la compétence

Le jugement a déclaré l'exception d'incompétence soulevée par Mme [H] irrecevable.

Les deux parties ne le contestent pas sur ce point, étant rappelé que le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 22 juillet 2021, déclaré l'exception d'incompétence territoriale soulevée par Mme [H] et l'association Nov'Impact irrecevable.

Sur le dépôt frauduleux

L'association PRE soutient que le programme 'booster d'innovations sociales' correspond à la mise en oeuvre du projet européen TRANSITION, tendant à développer des innovations sociales à travers l'Europe ainsi qu'un réseau d'incubateurs dans ce domaine, et que le jugement a à tort considéré qu'il s'agissait d'un concept vague, en dépit des éléments apportés et alors qu'il s'agit d'un programme porté sous l'égide de la Commission européenne. Elle ajoute que le signe était nécessaire à son activité, étant attaché à la mise en oeuvre du projet TRANSITION.

Elle affirme que le dépôt de marque de Mme [H] a été effectué de mauvaise foi car réalisé afin de s'approprier le bénéfice de l'opération déjà entreprise, pour des services que Mme [H] ne pouvait exploiter. Elle souligne que Mme [H] avait connaissance de l'usage du signe par l'association, dans le cadre du projet TRANSITION, et de la nécessité de l'exploiter, et que l'historique des dépôts par Mme [H] montre qu'elle souhaitait se caler sur l'usage du signe par l'association. Elle dénonce l'intention de nuire de Mme [H], qui a voulu la priver de l'usage du signe et savait porter atteinte à ses droits, ce que révèle la chronologie des événements. Elle ajoute n'avoir appris le dépôt frauduleux qu'en novembre 2014, et conteste toute tolérance de sa part, alors que son usage antérieur du signe démontre qu'il était nécessaire à la poursuite de son activité. Elle rappelle que Mme [H] connaissait lors du dépôt l'usage antérieur du signe par l'association.

Mme [H] rappelle qu'il revient à la partie qui invoque le dépôt frauduleux d'une marque d'établir qu'elle constitue une entrave à son activité économique, et qu'en l'espèce sa marque ne vise pas l'activité d'un booster, ni du concept recherché par l'association PRE. Elle relève que l'association PRE n'exploitait plus de booster ni n'utilisait 'booster d'innovations sociales' lors du dépôt de la marque, expression remplacée par 'Social Business Hub' jusqu'à la fin du programme TRANSITION. Elle indique que l'association a utilisé 'booster d'innovations sociales' en 2013 et 2014, mais très peu en 2015, et ne démontre pas un usage sérieux du signe au jour du dépôt. Elle relève que les objectifs du 'booster d'innovations sociales' et du 'social business hub' sont différents, que le 'booster' a été arrêté à la fin de la 1ère promotion en 2015, ce qui a été poursuivi en 2016 est le projet TRANSITION sous une autre forme. Elle conteste toute mauvaise foi, n'ayant pas caché la dénomination de son association, connue des employés de l'association PRE avec qui elle conservait des relations. Elle avance que l'association PRE n'a pas inventé le concept ni les objectifs du 'booster', que l'association ne peut déduire qu'elle est de mauvaise foi du fait qu'elle n'a pas d'activité économique correspondant aux produits et services visés par la demande. Elle souligne que l'association PRE ne démontre pas son intention de ne pas exploiter la marque à la date du dépôt, ajoute que le dépôt ne peut révéler une fraude, ce alors que le signe n'est pas nécessaire à l'activité de l'association PRE.

L'article L712-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement.

Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité.

Le dépôt effectué en fraude des droits d'un tiers concerne le dépôt effectué dans la seule intention de nuire et/ou de s'approprier indûment le bénéfice d'une opération légitimement entreprise ou d'y faire obstacle, en opposant à celle-ci la propriété de la marque indûment obtenue.

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a retenu que la fraude équivalait en droit de l'Union européenne à la notion de mauvaise foi.

Le caractère frauduleux du dépôt s'apprécie au jour du dépôt, il revient à celui qui l'allègue d'établir le caractère frauduleux du dépôt.

Il convient, pour apprécier l'existence de la mauvaise foi du demandeur à l'enregistrement d'une marque, de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et existant au moment du dépôt de la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque.

En l'espèce, Mme [H], qui travaillait depuis le 3 février 2010 pour l'association Centre francilien de l'innovation (devenue l'association PRE, aujourd'hui CHOOSE PARIS REGION) et l'association ont régularisé le 18 février 2015 une rupture conventionnelle de son contrat de travail, la date retenue de la rupture étant le 25 mars 2015.

Le 6 mars 2015, Mme [H] a déposé une demande d'enregistrement de la marque française verbale 'Booster d'innovations sociales' en classes 35 (conseil en organisation et direction des affaires), 36 (services bancaires en ligne), 41 (formation) et 42 (recherches scientifiques et techniques).

Publiée le 27 mars 2015, la marque a été enregistrée avec modifications le 13 novembre 2015 pour les seuls services bancaires en ligne (36) et recherches scientifiques et techniques (42).

Il est justifié par la production de la trame d'une présentation Powerpoint portant date du 3 avril 2014 que le centre francilien de l'innovation (devenu l'association PRE, et qui a embauché Mme [H]) utilisait le terme 'booster d'innovations sociales' dans le cadre d'une réponse à un projet européen TRANSITION (TRAnsnational Network for Social Innovation incubaTION), et que cette notion 'booster d'innovations sociales' était au centre de sa réponse puisque c'était sous ce signe qu'elle présentait sa réponse à ce projet, ainsi que l'établissent aussi plusieurs communications sur différents sites internet au mois de février et mars 2014, faisant notamment état de son appel à candidatures 'Booster d'innovations sociales'.

Une autre présentation du mois de décembre 2014 de l'association PRE évoque le 'lancement en janvier 2015 de la promo 2 du Booster d'Innovations sociales développé dans le cadre du programme européen Transition' (souligné dans le document).

Il s'ensuit que le programme européen TRANSITION avait pour but d'accompagner des innovations sociales (300) jusqu'à leur développement. Le 'booster d'innovations sociales' correspond à sa mise en application par le Centre Francilien de l'Innovation.

Le 'booster d'innovations sociales' dans la présentation réalisée le 28 février 2014, tendait à accompagner vers les étapes de solvabilité et de développement, des candidatures sélectionnées par 3 appels à candidature sur 2 ans, ce document détaillant les critères de sélection du booster d'innovations sociales, précisant ses cibles, présentant son programme d'accompagnement et l'apport de regards croisés de coach-conseillers et de mentors-entrepreneurs. Sont indiqués deux axes d'innovation, soit la recherche & développement et le développement durable.

Mme [H] était parfaitement au courant de l'utilisation du signe 'booster d'innovations sociales' par l'association PRE.

En effet, les différents compte-rendus d'entretiens professionnels qu'elle a eus mentionnent le projet TRANSITION au titre des faits marquants de l'année 2012 et les observations visent 'préparer le lancement du projet Transition : fonctions d'incubateur d'innovations sociales (CRR du 18 janvier 2013) ; le 'lancement du projet européen Transition (à 0,5 ETP)' (CR du 10 septembre 2013) ; son entretien du 31 janvier 2014 vise à plusieurs reprises le projet TRANSITION et la charge de travail qu'il représente pour Mme [H].

Surtout, Mme [H] utilisait la notion de 'booster d'innovations sociales' dans ses différents courriels, cette notion étant alors utilisée en tant que concept (ainsi le 'Lancement du BOOSTER D'INNOVATIONS SOCIALES' dans son courriel du 20 février 2014) ; le jugement a du reste relevé que le signe 'booster d'innovations sociales' n'a été exploité avant le dépôt que par l'association PRE pour l'accomplissement de sa mission. De plus, sur le site linkedin.com, Mme [H] se présente comme créatrice du booster d'innovations sociales pour le centre francilien de l'Innovation.

Aussi, en déposant la marque 'booster d'innovations sociales' le 6 mars 2015, alors qu'elle était encore liée à l'association PRE par les termes de son contrat de travail, Mme [H] savait qu'elle procédait à l'enregistrement comme marque d'un signe utilisé par l'association PRE pour son activité.

Si Mme [H] met en avant le fait que la marque enregistrée vise les services bancaires en ligne et les recherches scientifiques et techniques qui ne couvrent pas l'activité d'un booster et le concept tel que défini par l'appelante, la démonstration de l'appropriation frauduleuse du signe ne requiert pas celle de l'existence d'un risque de confusion.

Au surplus, les services couverts par la notion utilisée par l'association PRE pouvaient correspondre, s'agissant des axes d'innovation retenus soit la recherche & développement et le développement durable, aux services de 'recherche scientifique et technique' visés par la marque en cause.

Comme vu précédemment, le centre francilien de l'innovation / l'association PRE utilisait la notion de 'booster d'innovations sociales', et cette notion lui était associée par plusieurs communications par différents supports sur internet, aux mois de février et mars 2014, pour désigner son appel à candidatures pour l'accompagnement d'innovations sociales, dans le cadre duquel les candidatures pouvaient être déposées jusqu'au 15 mars 2014. Cela est aussi établi par une plaquette de présentation du projet 'booster d'innovations sociales' du 3 avril 2014 et par une présentation de décembre 2014 de l'association PRE évoquant le 'lancement en janvier 2015 de la promo 2 du Booster d'Innovations sociales développé dans le cadre du programme européen Transition' (souligné dans le document).

Il sera aussi relevé un courriel de Mme [H] du 14 août 2014 par lequelle elle transmet à son interlocuteur 'une nouvelle proposition de date d'intervention en atelier du Booster d'innovations sociales...'.

Il s'en suit que l'association PRE utilisait ce signe, surtout en février et mars 2014 à l'occasion de l'appel à candidatures lancé dans le cadre de ce programme ; elle a continué à l'utiliser en août et décembre 2014, où elle annonçait alors la prochaine promotion de ce 'booster d'innovations sociales', révélant l'usage de ce signe dans les semaines précédant le dépôt de la marque par Mme [H].

L'indication le 21 juillet 2015 par M. [M], 'responsable de la mission Innovation-sociale' de l'association PRE, qu'il n'utilisait plus de booster concernant leur offre, ne saurait établir qu'au moment du dépôt ce signe n'était pas utilisé par l'association PRE, contrairement à ce qu'établissent les pièces examinées.

Outre que l'association PRE lui conteste toute fonction de représentation, le même M. [M] avait, le 9 juin 2015, adressé à plusieurs destinataires un courriel indiquant qu'il recherchait des partenaires pour la 'co-construction de certaines parties du booster#2', et joignait à son envoi un 'projet de plaquette Booster#2' visant un 'booster d'entreprises porteuses d'innovations sociales', ainsi que la présentation de l'association PRE de décembre 2014 précédemment envisagée.

Même si l'association PRE a pu utiliser 'Social Business Hub' plutôt que 'booster d'innovations sociales' au cours de l'année 2015, il ressort des propres pièces versées par Mme [H] elle-même que sur le site internet de l'association PRE avaient été diffusés :

- le 4 février 2015, une communication sur la clôture de la 1ère promotion du booster d'innovations sociales,

- le 3 mars 2015, une communication sur une fête à l'occasion de la fin de la 1ère promotion du booster d'innovations sociales.

De même le 5 mars 2015 Mme [H] a travaillé sur un communiqué de presse ayant pour titre 'Paris Région Entreprises clôt la 1ère promotion du Booster d'innovations sociales'.

A titre surabondant, l'indication par Mme [H] dans ses conclusions que l'association PRE aurait définitivement abandonné la dénomination 'Booster d'innovations sociales' en juillet 2015 est de nature à indiquer que l'association PRE a continué de l'utiliser jusqu'alors.

Il est ainsi établi qu'au moment du dépôt de la marque, l'association PRE continuait d'utiliser régulièrement le signe en cause, le fait que le programme d'accompagnement développé par Mme [H] soit différent de celui que l'association PRE proposerait désormais sous le titre 'social business hub' est indifférent, il en est de même du fait que Mme [H] n'ait pas cherché à dissimuler sa reprise du terme 'booster d'innovations sociales', ou ait continué à entretenir des relations avec ses anciens collègues.

En déposant la marque 'booster d'innovations sociales' correspondant à un concept développé et utilisé par l'association PRE avec laquelle elle était encore tenue par son contrat de travail, Mme [H] connaissait l'usage de ce signe par l'association PRE, ce qui caractérise l'intention de nuire puisqu'elle pouvait ainsi priver l'association d'un signe nécessaire à son activité et était de nature à entraver son activité économique.

Aussi, la cour infirmera le jugement, et fera droit à la demande de l'association PRE en revendication de la propriété de la marque en cause.

La fraude ainsi commise sera réparée par la condamnation de Mme [H] seule, du fait du dépôt frauduleux de la marque, à verser à l'association PRE la somme de 4.000 euros.

Sur les demandes de nullité et de déchéance de la marque

La demande en revendication de la marque étant accueillie, il ne sera pas fait droit aux demandes subsidiaires en nullité et déchéance.

Sur la réparation du préjudice moral subi par l'association PRE

L'association PRE avance que la mauvaise foi des intimées lui a causé un préjudice moral et d'image, et que leur comportement s'assimile à du parasitisme économique, ce d'autant que Mme [H] a acquis et développé son savoir-faire auprès d'elle, violant ainsi son devoir de loyauté envers son employeur. Elle ajoute que Mme [H] a pu, par ces procédés déloyaux, démarrer l'activité de son association en s'appropriant un programme qu'elle avait développé et en détournant les investissements réalisés. En se présentant comme créatrice du booster d'innovations sociales désormais porté par l'association Nov'Impact, Mme [H] a créé une confusion avec ses activités antérieures et tenté d'induire la clientèle de l'association PRE en erreur, ce d'autant qu'elle vise comme l'appelante l'accompagnement d'entreprises existantes. Elle avance que l'action en concurrence déloyale et celle en revendication de marque ne nécessitent pas de faits distincts pour être réparées. Elle fonde sa demande au titre du parasitisme, au vu des coûts importants du personnel qu'elle a supportés, relève que Nov'Impact se définit comme une entreprise et non un organisme à but non lucratif, et émet des doutes quant à la cessation d'activité de celle-ci.

Les intimées indiquent que Mme [H] n'est pas commerçante, n'a pas exercé une activité commerciale en son nom propre, de sorte qu'elle ne peut se voir reprocher un quelconque parasitisme économique, ce d'autant que les fautes qui lui sont reprochées relèvent du défaut de loyauté. Elles ne relèvent qu’aucun fait précis n'est imputé à l'association Nov'Impact qui serait son fait personnel, que les faits allégués sont les mêmes qu'en droit des marques. Elles font état du caractère commun du terme booster comme des autres termes qu'elles emploient, et de l'absence de manoeuvre déloyale. Elles ajoutent que Mme [H] était la cheville ouvrière du projet Booster d'innovations sociales, et que son implication ne peut lui être reprochée. Elles précisent que l'association Nov'Impact n'a jamais utilisé que 'booster d'innovations environnementales et sociales', et dénoncent le caractère fantaisiste des demandes indemnitaires, non justifiées.

La demande de l'association PRE repose sur les articles 1240 et 1241 du code civil et est fondée sur le détournement de ses investissements et le fait que les intimées se soient indûment présentées comme les créateurs du programme Booster d'Innovations sociales, ce qui aurait porté atteinte à son image, soit des faits relevant de la concurrence déloyale et parasitaire.

C'est à raison que le jugement a rappelé que les faits rattachés à l'exécution du contrat de travail, comme le manquement de Mme [H] au devoir de loyauté envers son ancien employeur, ne peuvent pas être invoqués au titre de sa responsabilité délictuelle.

Le dépôt de la marque étant frauduleux au vu des développements précédents, l'exploitation du signe booster d'innovations sociales par l'association Nov'Impact, et son utilisation par Mme [H] à leur profit, en s'en attribuant la paternité, sont de nature à présenter un caractère fautif.

Si Mme [H] n'est pas commerçante, les faits qui lui sont reprochés se rattachent par un lien direct avec la gestion de l'association Nov'Impact, dont elle est la présidente, qui propose des prestations alternatives ou concurrentes de celles proposées par l'association PRE aux entreprises qui sont leur coeur de cible.

Mme [H] a récupéré les contacts de personnes en lien avec le programme Booster d'Innovations sociales développé par l'association PRE, s'est présentée comme créatrice de ce concept, et a présenté avec l'association Nov'Impact les activités de celle-ci comme dans la continuité de celles développées jusqu'alors par l'association PRE, ce qui est de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public, et à profiter indûment des investissements de l'association PRE. L'association Nov'Impact a, en faisant appel à projet pour son '3ème booster d'innovations environnementales et sociales', proposé sous cette appellation -quand bien même le terme booster serait générique- un programme d'accompagnement aux entreprises afin de changer de dimension comparable à celui développé jusqu'alors par l'association PRE, s'appropriant les résultats obtenus par celle-ci. Ces faits présentent un caractère distinct de ceux reprochés au titre du dépôt de la marque, et peuvent leur être reprochés, en ce qu'ils établissent qu'elles ont tiré un profit indu des investissements engagés par l'association PRE.

Pour autant, la cour observe que l'association PRE ne justifie pas qu'un interlocuteur ou qu'une entreprise en lien avec elle ou cherchant à l'être, se serait trompé en s'adressant à l'association Nov-Impact en pensant entrer en relation avec elle. Elle ne verse aucune pièce établissant une atteinte à son image résultant de la création par Mme [H] de l'association Nov'Impact et de la poursuite de leur activité.

Par conséquent, l'association PRE sera déboutée de sa demande au titre de l'atteinte à son image.

S'agissant de sa demande de réparation financière présentée par l'association PRE au titre du parasitisme, celle-ci ne justifie ni du bien-fondé ni de la détermination du 'coefficient multiplicateur' qu'elle utilise ; les documents qu'elle produit pour justifier de ses charges de personnel sont des documents internes, non certifiés par un expert-comptable, et elle ne démontre pas -comme le jugement l'avait relevé- que l'ensemble de ses salariés ait oeuvré dans l'unique but de développer le 'booster d'innovations sociales'.

Ces demandes sont de plus particulièrement élevées au vu des résultats de l'association Nov'Impact, qui étaient de 14.572 euros pour l'exercice 2016, de 322 euros pour 2017, et négatifs pour les trois années suivantes (-3.401 en 2018, -3.736 en 2019, -5269 en 2020).

Cela étant, les pièces versées sont de nature à justifier au moins partiellement l'engagement par l'association PRE de frais pour développer le concept du 'Booster d'innovations sociales', de sorte que la cour fera une juste évaluation de son préjudice du fait du détournement de ses investissements par Mme [H] et l'association Nov'Impact en les condamnant in solidum à lui verser la somme de 6000 euros.

Sur les mesures réparatoires

Le transfert de la marque sera ordonné, et il sera fait interdiction à Mme [H] et l'association Nov'Impact toute exploitation, sans l'accord de l'appelante, du signe 'booster d'innovations sociales', dans les conditions fixées au dispositif.

Il ne sera pas fait droit aux demandes de publication.

Sur les autres demandes

Au vu de la décision, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [H] et de l'association Nov'Impact au titre de la procédure abusive.

Le jugement sera réformé en ce qu'il a condamné l'association PRE au paiement des dépens et frais irrépétibles de 1ère instance.

Mme [H] et l'association Nov'Impact seront condamnées au paiement des dépens de 1ère instance et d'appel, ainsi qu'au versement de la somme de 5.000 euros à l'association PRE, en application de l'article 700 du code de procédure civile, cette condamnation couvrant les frais de procès-verbaux.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement, sauf s'agissant de l'exception d'incompétence,

Statuant à nouveau,

Dit le dépôt de la marque française n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' par Mme [H] frauduleux,

Ordonne le transfert de la marque n° 4 162 733 'Booster d'innovations sociales' à l'association Choose Paris région et l'inscription dudit transfert au registre national des marques de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI),

Ordonne la transmission de la présente décision, une fois définitive, à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) aux fins d'inscription au Registre National des Marques par la partie la plus diligente,

Condamne Mme [H] à payer à l'association Choose Paris région la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du dépôt frauduleux de la marque française n°4 162 733 'Booster d'innovations sociales',

Condamne in solidum Mme [H] et l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région, la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale et parasitaire,

Interdit à Mme [H] et l'association Nov'Impact toute exploitation sans l'accord de l'association Choose Paris Région du signe 'Booster d'innovations sociales', passé le délai de 45 jours à compter de la signification de l'arrêt, sous astreinte provisoire de 50 euros par infraction de retard et ce pendant une période de 30 jours,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne in solidum Mme [H] et l'association Nov'Impact à payer à l'association Choose Paris région la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Oriane Dontot, JRF & associés, conformément à l'article 699 du même code.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.