Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 16 juin 2022, n° 21/15516

AIX-EN-PROVENCE

Ordonnance

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourrel

Avocats :

Me Cherfils, Me Romieu, Me Gas

T. com. Fréjus, du 26 avr. 2021

26 avril 2021

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [F] [D] et Monsieur [N] [J], tous 2 pharmaciens, ont constitué le 7 janvier 1987 la SNC [J] et [D] afin d'exploiter la pharmacie Gambetta sise à [Localité 3], appartenant antérieurement à Monsieur [F] [D].

Ils sont tous 2 cogérants statutaires.

Le 22 mars 2019, Monsieur [F] [D] a été placé en arrêt maladie et depuis, il n'a pas repris son activité professionnelle. Monsieur [N] [J] considère que l'arrêt de travail de son associé est frauduleux.

Le conseil de l'ordre des pharmaciens a été saisi tant par Monsieur [D] que par Monsieur [J].

Par courrier de son conseil du 11 novembre 2020 adressé au conseil de Monsieur [D], Monsieur [J] a fait sommation à Monsieur [D] de cesser tous prélèvements et de restituer sans délai tous les prélèvements opérés depuis l'arrêt maladie du 19 mars 2019. Monsieur [D] a refusé estimant avoir droit à sa rémunération malgré son arrêt maladie.

Monsieur [J] a convoqué une assemblée générale pour le 7 janvier 2021 à laquelle Monsieur [D] n'a pas participé. Au cours de cette AG, il a été décidé la révocation de Monsieur [D] de ses fonctions de cogérant. Monsieur [J] a transmis le procès-verbal de l'assemblée générale à la banque et Monsieur [D] n'a plus pu procéder à un quelconque prélèvement sur les comptes de la société.

Par exploit du 26 février 2021, Monsieur [D] a assigné Monsieur [J] et la SNC [J] et [D] notamment en annulation de cette assemblée générale et en paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 26 avril 2021, le tribunal de commerce de Fréjus a prononcé la nullité du procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale du 7 janvier 2021, a ordonné la convocation d'une nouvelle assemblée générale en présence des 2 associés 30 juin 2021, et a débouté les parties de leurs autres demandes.

Parallèlement, par exploit du 14 avril 2021, Monsieur [D] a assigné Monsieur [J] et la SNC [J] et [D] en dissolution anticipée de la société, en désignation d'un mandataire liquidateur avec mission habituelle en la matière, en maintien de l'activité avec mission donnée au mandataire de céder le fonds de commerce, sous le contrôle de l'ordre des pharmaciens.

Monsieur [J] a demandé qui lui soit donné acte de ce qu'il y avait accord pour la désignation d'un médiateur, de ce qu'il avait proposé le rachat des parts de son associé à hauteur de 600 000 €, sans réponse de sa part, de ce qu'il avait convoqué une nouvelle assemblée générale pour le 17 juin 2021 et au sursis à statuer jusqu'à cette assemblée générale. Subsidiairement, il a conclu au rejet de la demande en dissolution judiciaire, et à la condamnation de la SNC [J] et [D] à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à Monsieur [J], que soit écartée l'exécution provisoire de droit.

Par jugement du 11 octobre 2021, le tribunal de commerce de Fréjus a :

-rejeté la demande de dissolution judiciaire,

-débouté Monsieur [D] [F] de ses autres demandes, fins et prétentions,

-débouté Monsieur [J] [N] et la SNC [J] et [D] de leur entière demande, fins et prétentions,

-condamné Monsieur [D] [F] à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [D] [F] aux entiers dépens.

Monsieur [F] [D] et la SNC [J] et [D] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 3 novembre 2021.

Entre-temps, dans la première procédure en annulation de l'assemblée générale du 7 janvier 2021, par arrêt du 18 novembre 2021, la Cour de céans a dit que les demandes reconventionnelles présentées en première instance par Monsieur [N] [J] et la SNC [J] et [D] étaient recevables, a annulé le jugement déféré uniquement en ce qu'il a débouté Monsieur [N] [J] et la SNC [J] et [D] de leurs demandes reconventionnelles sans motivation, a infirmé le jugement déféré pour le surplus, a annulé l'ensemble des résolutions prises au cours de l'assemblée générale ordinaire annuelle de la SNC [J] et [D] le 7 janvier 2021, a débouté Monsieur [N] [J] et la SNC [J] et [D] de leurs demandes tendant à la condamnation de Monsieur [F] [D] à restituer les sommes prélevées dans les comptes de la société depuis son arrêt maladie, et à la révocation de Monsieur [F] [D] de ses fonctions de gérante, et a débouté Monsieur [N] [J] de sa demande d'indemnité provisionnelle pour gestion d'affaires.

La Cour n'a pas été informée de l'existence d'un pourvoi en cassation.

Dans la présente instance en dissolution de la SNC et en désignation d'un liquidateur, par conclusions d'incident du 16 décembre 2021, qui sont reprises dans ses dernières écritures d'incident du 29 avril 2022, auxquelles il convient de se référer, Monsieur [N] [J] demande :

« Vu les dispositions des articles 31, 789 et 907 du CPC,

Déclarer irrecevable l'appel interjeté de la SNC [J] et [D] par Monsieur [D] en date du 3 novembre 2021.

Donner acte à Monsieur [J] de son retrait de sa demande en désignation d'un mandataire ad hoc sollicité dans ses précédentes conclusions d'incident.

Condamner Monsieur [F] [D] au paiement de la somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du CPC. »

Par conclusions du 21 avril 2022, qui sont tenues pour entièrement reprises, la SNC [J] et [D] et Monsieur [F] [D] demandent :

« Constater qu'il n'existe aucun texte qui empêche Monsieur [D] de représenter la SNC [J] et [D] dans le cadre de la procédure en cours devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Rejeter dès lors l'exception d'irrecevabilité soulevée par Monsieur [J].

Débouter par ailleurs Monsieur [J] de sa demande en désignation d'un mandataire, puisque le conseiller de la mise en état n'a aucune compétence en cette matière.

Condamner Monsieur [J] à la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner Monsieur [J] aux dépens distraits au profit de la Selarl Lex avoué Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit. »

MOTIFS

Par application des dispositions des articles L. 221-4, L. 221-5 et L. 221-6 du code de commerce, sauf stipulation contraire des statuts, en cas de pluralité de gérant, tous les gérants ont capacité à représenter la société en justice, tant en demande, qu'en défense ou pour interjeter appel.

Dans les statuts de la SNC [J] et [D], les pouvoirs des gérants sont définis à l'article 16. Aucune limitation n'est stipulée en ce qui concerne les pouvoirs des gérants pour engager la SNC, tant en demande qu'en défense ou pour interjeter appel.

Dès lors, dans la mesure où l'arrêt du 18 novembre 2021 de la cour d'appel de céans a autorité de la chose jugée pour les parties, soit Monsieur [J], Monsieur [D] et la SNC [J] et [D], et où Monsieur [F] [D] est cogérant de la SNC, il pouvait faire interjeter appel de la décision déférée à ladite société.

Par ailleurs, le principe selon lequel la partie qui obtient satisfaction à ses demandes en première instance n'aurait pas intérêt à interjeter appel ne peut trouver à s'appliquer en l'espèce, puisque la SNC [J] et [D] est attraite en la cause afin que la décision de dissolution éventuellement prise lui soit opposable, qu'elle ne formule aucune demande et qu'aucune demande n'est formée contre elle.

En conséquence, l'appel de la SNC [J] et [D] représentée par Monsieur [F] [D], cogérant en exercice, est recevable.

Il n'empêche que la manouvre qui a consisté pour Monsieur [F] [D] de faire interjeter appel, en sa qualité de cogérant, à la SNC [J] et [D] alors que celle-ci était représentée en première instance par l'avocat de Monsieur [N] [J] est particulièrement discutable.

Or, il résulte de l'article 780 auquel renvoie l'article 907 du code de procédure civile, que le magistrat de la mise en état a pour mission de veiller au déroulement loyal de la procédure.

Il est donc compétent pour enjoindre aux parties, dans l'intérêt d'un débat loyal, de faire désigner un administrateur ad hoc à une société, lorsque cela s'impose.

Devant l'opposition des 2 cogérants quant à savoir lequel est le plus à même d'engager en justice la SNC [J] et [D], il convient d'ordonner à Monsieur [F] [D] de faire procéder à la désignation d'un administrateur ad hoc afin de représenter cette société en justice.

L'équité ne commande pas de faire bénéficier une quelconque partie des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de l'incident suivront les dépens du fonds.

PAR CES MOTIFS

Statuant par ordonnance contradictoire,

Déclarons recevable l'appel de la SNC [J] et [D] représentée par Monsieur [F] [D], cogérant,

Ordonnons à Monsieur [F] [D] de faire désigner un mandataire ad hoc à la SNC [J] et [D] qui aura pour mission de représenter les intérêts de cette société dans la présente instance, dans le délai de 3 mois de la présente ordonnance,

Disons qu'à défaut d'avoir satisfait à cette injonction dans le délai imparti, l'affaire pourra être radiée d'office,

Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Disons que les dépens de l'incident suivront les dépens du fond.