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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 novembre 2022, n° 22/08310

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Speed Rabbit Pizza (SA), Agora (SARL)

Défendeur :

Domino's Pizza France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Mme Lallement, Me Semoun , Me Riera Thiebault , Me Boccon Gibod , Me Saint Esteben

CA Paris n° 22/08310

22 novembre 2022

La société SPEED RABBIT PIZZA (ci-après « SRP ») intervient sur le marché de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas. Elle exerce son activité à travers des points de vente gérés en exploitation directe, ou, pour la majorité, exploités en franchise par des sociétés indépendantes.

La société AGORA exerce, depuis le 15 octobre 1999 à [Localité 10], en qualité de franchisé sous enseigne Speed Rabbit Pizza, l'activité commerciale de fabrication, vente à emporter et livraison à domicile de pizzas. Elle a quitté l'enseigne SRP en 2014.

La société DOMINO'S PIZZA FRANCE (ci-après « DPF ») est spécialisée dans la livraison de pizzas à domicile ou à emporter et exerce cette activité à travers un réseau de franchise. Elle fournit à ses franchisés de manière exclusive les matières premières nécessaires à l'élaboration des produits commercialisés sous sa marque.

Elle vient aux droits de la SARL DPFC qui a été dissoute en 2013 à la suite de la transmission universelle de son patrimoine à la société DPF. Elle exerçait à [Localité 12], du mois d'octobre 2002 au mois d'octobre 2018, en qualité de franchisé sous enseigne DPF, l'activité commerciale de fabrication, vente à emporter et livraison à domicile de pizzas.

Reprochant aux sociétés DPFC et DPF des actes de concurrence déloyale consistant notamment en l'octroi de délais de paiement excessifs, la société Agora a assigné, par acte du 30 novembre 2012, les deux sociétés en cessation de ces pratiques et en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de commerce de Paris.

La société Speed Rabbit Pizza est intervenue volontairement à l'instance au soutien des prétentions de la société Agora. La société DPF agissant en son nom propre et au nom de la société DPFC a formé une demande reconventionnelle pour procédure abusive.

Par jugement du 07 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris a :

- déclaré l'intervention volontaire accessoire de la société SRP recevable ;

- débouté la société AGORA de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné in solidum les sociétés AGORA et SRP à payer la société DPF la somme de 50.000 € pour procédure abusive ;

- débouté les parties de leur demande de publication de la présente décision ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires ;

- condamné in solidum les sociétés AGORA et SRP à payer, au titre de l'article 700 du CPC, la somme de 57.515 € à chacune des sociétés DPF et DPFC ;

- condamné in solidum les sociétés AGORA et SRP aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 140,18 € dont 23,14 de TVA €.

Par arrêt du 12 décembre 2018, la cour d'appel de Paris a :

- Rejeté la demande d'annulation du jugement ;

- Confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a écarté des pièces du dossier, en ce qu'il a condamné les sociétés Speed Rabbit Pizza et Agora in solidum au paiement des sommes de 50 000 euros à chacune des sociétés Domino's Pizza France et DPFC pour procédure abusive, ainsi que celle de 57 515 euros à chacune de ces sociétés au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Infirmé le jugement sur ces points,

Et statuant à nouveau,

- Débouté la société Domino's Pizza France, agissant en son nom propre et au nom de la société DPFC de ses demandes pour procédure abusive,

- Condamné les sociétés Speed Rabbit Pizza et Agora à payer in solidum à la société Domino's Pizza France, agissant en son nom propre et au nom de DPFC, la somme unique de 57 515 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné les sociétés Speed Rabbit Pizza et Agora in solidum à supporter les dépens de la procédure d'appel ;

- Condamné les sociétés Speed Rabbit Pizza et Agora à payer in solidum à la société Domino's Pizza France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Par arrêt rendu le 30 septembre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 12 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris et renvoyé l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt devant la cour d'appel de Paris autrement composée, notamment aux motifs que :

 Pour écarter toute faute de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale, l'arrêt retient que diverses pièces, produites par les sociétés SRP et Agora, ne permettent pas de démontrer les agissements fautifs des sociétés DPF et DPFC, tandis que certaines autres ne concernent pas la société Agora. Il ajoute que l'avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales ne permet pas d'attribuer à la société DPF certains dépassements de délais de paiement et que le seul niveau d'endettement de la société DPFC ne caractérise pas le soutien abusif dont elle aurait bénéficié.

En statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, les bilans comptables de la société DPFC, établis entre 2003 et 2008, dont se prévalait la société Agora pour établir la réalité de délais de paiements excédant le délai légal consenti par la société DPF à la société DPFC, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.'

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 21 avril 2022, les sociétés Agora et SRP ont saisi la cour de renvoi.

Vu les dernières conclusions des sociétés SRP et Agora, déposées et notifiées le 09 septembre 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles 16, 325, 455 et 564 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1382 (ancien) et suivants du Code civil,

Vu les anciens articles L. 441-6, L. 442-6 I 7°, L. 443-1 du Code de commerce,

Vu les articles L. 511-5 et suivants du Code monétaire et financier,

A titre principal,

- ANNULER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 7 juillet 2014, les premiers juges ayant écarté les pièces produites par la société AGORA sur le fondement d'un moyen non soumis préalablement aux parties, l'ensemble du jugement étant dépourvu de toute motivation à cet égard ;

A titre subsidiaire,

- INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :

Dit l'intervention volontaire accessoire de la société SPEED RABBIT PIZZA recevable ;

Pour le surplus, réformer en totalité ledit Jugement et notamment en ce qu'il a :

Écarté les pièces de la société AGORA et a jugé celles-ci « sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause » sans désigner celles-ci ;

Débouté la société AGORA de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné in solidum AGORA SARL et SPEED RABBIT PIZZA, à payer à la SAS DOMINO'S PIZZA FRANCE la somme de 50.000 euros à titre dommages et intérêts pour procédure abusive ;

 Condamné in solidum AGORA SARL et SPEED RABBIT PIZZA à payer à chacune des sociétés SAS DOMINO'S PIZZA FRANCE et DPFC la somme de 57.515 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Condamné in solidum AGORA SARL et SPEED RABBIT PIZZA aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau,

1/ Sur la recevabilité des pièces :

DIRE ET JUGER recevables l'ensemble des pièces communiquées par les sociétés AGORA et SRP et notamment les pièces E6, E7, E8, E9, E10, E11, E12 ; annexe 27 de la pièce Q3 :

D00110 - Côte n° DOMINO UN - Synthèse de la procédure menée par les services de la DIRECCTE sur l'accord des prêts de DOMINO'S à ses filiales ;

D00114 - Côte n° DOMINO TROIS - Documents complémentaires sur les prêts accordés par DOMINO'S PIZZA à ses franchisés ;

D00126 - Côte n° DOMINO SEPT - Liste de 13 franchisés ayant bénéficié de convention d'avances en compte courant ;

D127/1 et D 127/2 - Constatation BRDE ;

En vertu de l'autorisation donnée par le parquet du Tribunal judiciaire de PARIS le 25 novembre 2020.

2/ Sur la faute de concurrence déloyale et le préjudice consécutif :

- DIRE ET JUGER que les sociétés DOMINO'S PIZZA FRANCE et DPFC ont commis des fautes délictuelles au préjudice de la société AGORA en accordant et acceptant des délais de paiement qui contreviennent aux délais légaux tels que prévus par les articles L. 442-6 I 7° (ancien) à L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce ;

- DIRE ET JUGER que le financement illicite de l'activité de DPFC par la société DOMINO'S PIZZA France lui a permis de bénéficier d'un avantage indu qui cause un préjudice à la société AGORA ;

- CONDAMNER en conséquence la société DOMINO'S PIZZA FRANCE à verser à titre de dommages-intérêts à la société AGORA la somme de 1.057.947 €, avec intérêts au taux légal commençant à courir à compter du 30 novembre 2012, date de la signification de l'assignation introductive d'instance et avec capitalisation desdits intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil ;

3/ Sur les condamnations au titre de la procédure abusive :

- DIRE ET JUGER que le Tribunal de commerce de Paris a statué ultra petita en condamnant in solidum les sociétés AGORA et SPEED RABBIT PIZZA à payer la somme de 50.000 euros à DPF au titre de procédure abusive à hauteur de 50.000 €, alors que la société DOMINO'S PIZZA FRANCE n'avait présenté aucune demande de ce chef à l'encontre de la société SPEED RABBIT PIZZA.

- DEBOUTER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE de l'ensemble de ses demandes à ce titre ;

4/ Sur les demandes reconventionnelles de DPF :

- DEBOUTER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE de sa demande de condamnation de la société SPEED RABBIT PIZZA pour violation du secret des affaires à hauteur de 150.000 euros ; cette nouvelle demande présentée en cause d'appel étant irrecevable et mal fondée ;

- DEBOUTER DOMINO'S PIZZA FRANCE de sa demande de condamnation de la société Speed Rabbit Pizza à hauteur de 80.000 euros au titre de l'article 700 ;

En tout état de cause,

- DEBOUTER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- CONDAMNER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE à verser à la société SPEED RABBIT PIZZA la somme de 50.000 € (cinquante mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE à verser à la société AGORA la somme de 50.000 € (cinquante mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société DOMINO'S PIZZA FRANCE au paiement de tous les dépens dont distraction au profit de la SELARL BDL AVOCATS, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de la société DPF, déposées et notifiées le 13 septembre 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 1240 (ex-article 1382) du Code civil

Vu les articles 9, 144, 146, 564 et 700 du Code de procédure civile

Vu les articles L. 312-2 et L. 511-5 et L. 511-7 du Code monétaire et financier

Vu les articles L. 151-1, L. 151-4, L. 151-5 et L. 152-1 du Code de commerce

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2020 ;

- Confirmer le Jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté DPF de sa demande de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires ;

- Infirmer le Jugement uniquement en ce qu'il a débouté DPF de sa demande de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires ;

Statuant à nouveau,

- Condamner in solidum SRP et AGORA à verser à DPF la somme de 150 000 euros à titre de réparation des préjudices que cette dernière a subi du fait de la violation par SRP et AGORA de ses secrets d'affaires ;

Y ajoutant,

- Déclarer irrecevables les pièces suivantes produites par SRP et AGORA en violation du secret de l'instruction et du principe de licéité de la preuve :

Pièce adverses E6, E7, E8, E9, E10, E11, E12 ;

Annexe 27 à la pièce adverse Q3 :

D00110 - Cote n° DOMINO UN - Synthèse de la procédure menée par les services de la DIRECCTE sur l'accord des prêts de DOMINO'S à ses filiales ;

D114-2 à D-114-16 ;

D124 ;

D126-2 à D126-3 ;

D127-1 à D127-2.

- Rejeter intégralement les demandes indemnitaires formulées par AGORA ;

- Condamner in solidum SRP et AGORA à verser à DPF la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

MOTIVATION

Sur l'annulation du jugement,

Les sociétés Agora et SRP demandent à la Cour, au vu des articles 16 et 455 du code de procédure civile, d'annuler le jugement, les premiers juges ayant écarté les pièces produites par elles sur le fondement d'un moyen non soumis préalablement aux parties, l'ensemble du jugement étant dépourvu de toute motivation précise à cet égard.

Elles soutiennent que le jugement du 7 juillet 2014 a méconnu le principe de la contradiction car le moyen selon lequel les pièces étaient dépourvues de tout lien avec le litige, non soutenu par les sociétés DPFC et DPF, n'était pas entré dans le débat. Or, selon elles aux termes d'une jurisprudence constante, seule l'absence de respect du principe de la contradiction ou la déloyauté des éléments de preuve communiqués peuvent conduire une juridiction à les écarter des débats, et en l'espèce, les juges n'apportent pas cette précision.

Le tribunal ne pouvait donc soulever d'office ce moyen sans leur permettre préalablement d'y répondre.

Réponse de la Cour,

Il sera rappelé que lorsque la nullité alléguée concerne non pas la saisine du premier juge mais, comme en l'espèce, une défectuosité de la procédure suivie devant celui-ci, le juge d'appel, saisi de l'entier litige, est tenu de se prononcer sur le fond du droit, sans même devoir statuer préalablement sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement.

En l'espèce, il sera donc procédé directement à l'examen du fond du droit.

Sur l'infirmation du jugement en ce qu'il a écarté les pièces de la société Agora des débats pour un motif erroné soulevé d'office

Agora et SRP demandent à la cour d'appel d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté les pièces de la société Agora au motif qu'elles seraient « sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause », et ainsi pour un motif erroné, soulevé d'office.

DPF estime au contraire que le jugement doit être confirmé, faisant valoir que les pièces produites dans le cadre du présent litige correspondent pour l'essentiel aux pièces produites par SRP dans le cadre de la procédure « de référence » les opposant.

Elle dénie toute violation du principe de la contradiction au regard de l'oralité de la procédure devant le tribunal de commerce, de sorte que les parties sont libres de développer à l'audience des moyens et prétentions non repris dans leurs écritures qui sont alors débattus contradictoirement devant le juge. Elle dit que de jurisprudence constante, les prétentions et moyens formulés au cours de l'audience sont présumés avoir été débattus contradictoirement, sauf à ce que la preuve contraire soit rapportée.

Elle fait observer que lors de l'audience du 2 mai 2014, le tribunal a invité la société Agora à lui fournir des explications sur les pièces dont il était demandé l'irrecevabilité notamment en l'interrogeant pour déterminer dans quelle mesure les pièces qu'elle produisait étaient utiles et nécessaires à la solution du litige.

Réponse de la Cour,

Seules l'absence de respect du principe de la contradiction, la déloyauté dans le recueil des preuves ou l'illégalité des pièces peuvent conduire une juridiction à écarter celles-ci des débats. En conséquence, 'l'absence de lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause et les demandes soumises au tribunal' ne peut justifier d'écarter des débats des pièces spontanément communiquées par une partie, à charge pour la juridiction d'en apprécier la pertinence et la valeur probante dans le cadre de son délibéré.

En conséquence, le jugement est infirmé en ce qu'il a écarté ces pièces des débats.

Sur l'irrecevabilité de nouvelles pièces produites devant la cour de renvoi par Agora et SRP prise de la violation du secret de l'instruction et du principe de licéité de la preuve

La société DPF soulève l'irrecevabilité des pièces adverses E6, E7, E8, E9, E10, E11 et E12 reproduites également en annexe 27 de la pièce adverse Q3 (D00110, D114-2 à D114-6, D124, D126-2 à D126-3, D127-1 à D127-2) pour avoir été communiquées en violation du secret de l'instruction relatif à une autre procédure pendante. Selon elle, l'autorisation dont se prévalent la société SRP et la société AGORA aurait été obtenue de manière déloyale car reposant sur des allégations erronées et trompeuses et contreviendrait au principe de licéité et de loyauté de la preuve, ce qui est contesté par Agora et SRP.

Réponse de la Cour

La production des pièces produites par SRP E6 à E12 reproduites également en annexe 27 de la pièce Q3 (D00110, D114-2 à D114-6, D124, D126-2 à D126-3, D127-1 à D127-2) a été autorisée par le ministère public le 25 novembre 2020 (pièce 60 de DPF).

La circonstance que le courrier du conseil de SRP édulcore à son profit la portée de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2020 en affirmant que la Cour aurait constaté 'l'existence d'actes de concurrence déloyale de la société Domino's Pizza France résultant de l'octroi de délais de paiement illicites et de prêts en violation du monopole bancaire' alors qu'il appartient à la cour de renvoi de se prononcer sur ces points, ne permet pas d'en déduire que cette production contrevient au principe de loyauté et de licéité de la preuve. En outre, il ne peut être reproché à une partie de ne pas produire la totalité des pièces, objet de l'autorisation mais seulement celles qu'elle estime utiles au soutien de ses prétentions.

La demande tendant à voir écarter ces pièces des débats est rejetée.

Sur les actes de concurrence déloyale imputés à la sociétés DPF.

Sur les fautes imputées à DPF.

La responsabilité de la société DFP est recherchée pour des pratiques illicites commises par le franchiseur dans le but d'offrir à ses franchisés un avantage concurrentiel indu.

Selon les sociétés Agora et SRP, la société DPF aurait apporté à son franchisé, la société DPFC, un soutien financier illicite en lui octroyant des délais de paiement violant les délais légaux maximum dans le cadre d'une pratique systémique propre à DPF révélée par les autorités administratives.

Elles soutiennent que ces agissements résultent de l'observation des comptes de DPFC faisant apparaître que, de 2003 à 2008 (date à laquelle le fonds a été cédé à la société Mellina), cette société a bénéficié de délais de paiements anormaux, rappelant que les délais légaux de paiement sur les denrées alimentaires périssables sont simplement de 30 jours fin de décade de livraison (article L. 443-1 du code de commerce), contre 60 jours date d'émission de la facture pour les autres fournitures (article L. 441-6 du code de commerce).

Pour démontrer le dépassement des délais de paiement légaux, Agora et SRP s'appuient sur la méthode fondée sur les délais de paiement fournisseurs exprimés en jours développée par OCA (Pièce Q2) mettant en évidence un délai de paiement moyen au sein du réseau de 123 jours de 2002 à 2019.

Elles estiment que le dépassement de cette durée de 60 jours ne peut être imputable qu'à DPF, fournisseur exclusif de DPFC en matières premières et que ce dépassement s'inscrit dans une pratique généralisée au sein du réseau DPF révélée par plusieurs enquêtes de l'administration, les aveux de plusieurs anciens franchisés DPF, les révélations de commissaires aux comptes de DPF, les travaux du cabinet OCA, la résistance abusive de DPF à publier ses comptes.

Elles font valoir que :

- quatre décisions de justice ont été nécessaires pour que DPF publie ses comptes, ce qui a permis de « retrouver » près de 1.700.000 € de créances clients dans les comptes de DPF,

- au vu des différents éléments de preuve, il est établi que c'est bien DPF qui ne réclamait pas à ses franchisés le paiement des factures de matières premières et laissait volontairement leur dette s'accumuler, ne les poursuivant que lorsqu'il était certain que les franchisés ne pourraient jamais rembourser (après plusieurs années) les montants astronomiques dus (plusieurs centaines de millier d'euros),

- l'ensemble des éléments présentés rend les délais abusifs de paiement incontestables, met à jour une stratégie généralisée et volontaire de financement illicite au moyen de délais de paiement accordés par DPF à ses franchisés dans le but de conserver des parts de marché,

- de telles pratiques permettent de caractériser une violation massive et systémique de la réglementation en matière de délais de paiement, ainsi qu'une faute constitutive de concurrence déloyale, qui au plan civil constitue une faute délictuelle engageant la responsabilité de DPF à son égard au regard du préjudice qu'elle lui cause.

Elles considèrent que les preuves apportées démontrent l'ampleur du non-respect de la législation relative aux délais de paiement reprochés, à savoir :

- les contrôles et constatations de la DIRECCTE, de la DDPP et les DGCCRF,  

- les litiges opposant DPF à ses franchisés,

- les aveux de certains franchisés,

- les révélations de commissaires aux comptes de DPF,

- l'analyse des comptes de la société et de certains de ses franchisés.

Elles en déduisent que sont établies, la réalité d'un dépassement généralisé des délais de paiement accepté par DPF, l'importance des montants en jeu (plusieurs millions d'euros), et l'ampleur systémique de cette pratique.

Elles concluent que la preuve de la violation de la règlementation relative aux délais de paiement par la société DPF résulte d'une démonstration fondée sur l'analyse des comptes de DPFC et corroborée par les faits avérés de dépassement généralisé au sein du réseau DPF, ajoutant que cette violation d'une règle de droit constitue, au plan civil, un acte de concurrence déloyale entraînant un avantage indu au profit de DPFC, et un préjudice pour Agora.

La société DPF rétorque que la preuve de ces agissements n'est pas rapportée, faisant valoir notamment que le rapport OCA est fondé sur des hypothèses théoriques sans lien avec la réalité, ne permettant pas de démontrer que le point de vente DPFC dans la zone de [Localité 10] aurait bénéficié de délais anormalement longs, en ce que :

- ce rapport suppose que la dette accumulée par DPFC à la clôture de ses comptes ne corresponde qu'à des dettes vis-à-vis de DPF, ce qui impliquerait soit que DPF étant son seul et unique fournisseur, soit que tous ses autres fournisseurs étaient réglés à date,

- ce rapport ne distingue pas les denrées périssables et les autres dépenses (royalities et NAF) soumis à des délais de paiement différents,

- les délais de paiement calculés concernent la société DPFC alors qu'entre 2004 et 2008, cette société exploitait deux points de vente, l'un à [Localité 12], situé à 2,4 km du point de vente d'Agora et donc actif dans sa zone de chalandise, l'autre à [Localité 13], situé à 11,6 km du point de vente d'Agora ne relevant pas de sa zone de chalandise.

Réponse de la Cour,

Au vu des pièces comptables de la société DPFC établies entre 2003 et 2008, dont se prévaut la société Agora pour établir la réalité de délais de paiements excédant le délai légal consenti par la société DPF à la société DPFC, du rapport OCA et des critiques suivantes formulées par DPF :

- Agora postule que la dette accumulée par DPFC à la clôture de ses comptes ne correspondrait qu'à des dettes vis-à-vis de DPF alors que cette société a recours à d'autres fournisseurs,

- Agora suppose que tous les fournisseurs DPFC autres que DPF seraient réglés à date,

- Agora ne distingue pas entre les produits alimentaires périssables et les autres dépenses (royalities et NAF), soumises à des délais de paiement diffèrent,

- Agora ne prend pas en compte que la société DPFC exploitait deux points de vente entre 2004 et 2008, dont seul celui de [Localité 12] était situé dans sa zone de chalandise,

La Cour estime nécessaire de désigner, avant dire-droit sur les demandes présentées, un expert afin de :

- Rechercher si la dette accumulée par DPFC à la clôture de ses comptes ne concerne que des dettes vis-à-vis de son franchiseur ou concerne aussi d'autres fournisseurs, et faire toutes observations utiles à la bonne solution du litige à cet égard,

- Préciser en pourcentage les dettes relatives aux produits alimentaires périssables relevant du délai 30 jours fin de décade des autres dépenses, en faisant toutes observations utiles à la bonne solution du litige,

- D'une manière générale, fournir tous éléments utiles permettant à la Cour d'apprécier l'existence d'une violation de la réglementation relative aux délais de paiement par les sociétés DPF et DPFC au cours de la période de 2003 à 2008, notamment au regard de l'exploitation de deux points de vente entre 2004 et 2008 par la société DPFC.

Sur le lien de causalité,

Selon les sociétés Agora et SRP, sans les pratiques dénoncées, le point de vente DPF n'aurait pas pu prospérer, faisant valoir que les dettes de la société DPFC n'ont cessé de progresser, leur montant oscillant selon les exercices entre 65,88 % et 97,86 % du chiffre d'affaires, de sorte qu'elle a dû subir la concurrence d'un point de vente franchisé Domino's Pizza pendant plusieurs années alors que ce fonds n'aurait pas dû se maintenir.

Se fondant sur le rapport OCA, elles en déduisent la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques illégitimes reprochées à DPF et son franchisé et les préjudices subis par Agora, franchisé de SRP.

La société DPF conteste le bienfondé des éléments établis par le rapport du cabinet OCA et souligne que ce dernier ne fait aucunement référence à la situation de la sociétéAgora, ni à l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et le prétendu préjudice subi.

Elle estime que :

- n'est pas rapportée la preuve que les pratiques alléguées auraient permis à DPFC de se maintenir artificiellement active sur la période 2003-2008,

- il n'est pas démontré que l'activité de la société Agora aurait été impactée par les pratiques alléguées faisant observer qu'un préjudice sur la période 2003- 2015 est demandé, et surtout que le chiffre d'affaires d'Agora était en constante augmentation sur la période 2003-2008 et en constante baisse sur la période 2008-2015, au cours de laquelle le point de vente n'était plus exploité par la société DPFC mais par la société Mellina qui respectait la règlementation relative aux délais de paiement,

- la concurrence plus directe et plurielle subie par la société Agora sur sa zone de chalandise sont susceptibles d'expliquer ses prétendues difficultés, notamment la présence de trois autres points de vente sous enseigne SPR, outre d'autres points de vente sous enseigne notamment Pizza Hut et DPF autres que DPFC,

- l'absence d'impact de la pratique alléguée sur les deux autres points de vente DPF situés dans la zone de chalandise alors que selon le rapport OCA, ceux-ci respectaient les délais de paiement.

Réponse de la Cour

Il s'infère nécessairement l'existence d'un préjudice, fut-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale.

Aussi, convient-il de donner, avant dire droit, une mission complémentaire à l'expert désigné pour donner à la Cour tous éléments lui permettant de dire, le cas échéant, dans quelle mesure une violation de la règlementation relative aux délais de paiement par DPF a eu ou a pu avoir pour effet d'avantager son franchisé, la société DPFC au détriment du franchisé de SRP, la société Agora, en répondant aux critiques émises rappelées ci-dessus par la société DPF à cet égard.

Sur le préjudice subi par la société Agora,

La société Agora procède au chiffrage de son préjudice en se référant aux données d'un logiciel d'aide à la décision financière "Diane Bureau Van Dijk" pour établir un scenario contrefactuel de sa situation pour la période 2003 à 2015, sans "les fraudes de DPF et de son franchisé de [Localité 12]". Selon elle, le préjudice subi s'élève à 1 057 947 euros.

La société DPF critique les préjudices invoqués qu'elle estime, tant dans leur principe que leurs quantums totalement fantaisistes, faisant valoir que :

- Agora sollicite la réparation du préjudice allégué sur la période 2003-2015 pour des pratiques de 2003 à 2008 et prétend que 65 % de son préjudice serait survenu sur la période 2009-2015 alors que DPFC n'exploitait plus depuis le 6 octobre 2008 et que la société Mellina qui a repris le point de vente a toujours respecté des délais de paiement,

- l'estimation du prétendu préjudice de perte de marge qui se fonde sur un point de vente Domino's Pizza à [Localité 9], n'est pas étayée,

- le préjudice de perte de valeur du fonds n'est pas justifié (16 000 €) et est incohérent en comparaison du préjudice allégué de perte de chiffre d'affaires et de résultat (1 041 947 €).

Réponse de la Cour,

Au vu des critiques émises ci-dessus, la Cour estime nécessaire, avant dire droit, de compléter la mission de l'expert désigné à l'effet de fournir tous éléments utiles lui permettant de se prononcer le cas échéant sur les divers chefs de préjudices invoqués par la société Agora du fait de la concurrence déloyale alléguée exercée par les sociétés DPF et DPFC.

Sur la demande de DPF au titre de la violation du secret des affaires

A titre reconventionnel, la société DPF prétend que la production par les sociétés Agora et SRP de pièces provenant du réseau DPF couvertes par le secret des affaires et obtenues de façon illicite lui a causé un préjudice pour lequel elle réclame une indemnisation à hauteur de 150 000 €.

Selon elle, l'obtention par les sociétés SRP et Agora de son savoir-faire a remis en cause l'efficacité de ses efforts de différenciation, dont il résulte un manque à gagner certain ainsi qu'un préjudice moral, ajoutant que les appelantes ont pu utiliser de façon indue son savoir-faire pour améliorer le fonctionnement de leur propre réseau, parasitant ainsi les investissements consentis par DPF.

Les sociétés Agora et SRP répondent que cette demande doit être considérée comme nouvelle et déclarée irrecevable dès lors qu'elle vise la réparation d'un prétendu préjudice tiré de la violation des secrets d'affaires de DPF, dont l'indemnisation n'a pas été demandée lors de la première instance.

Réponse de la Cour,

Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.

Il résulte du jugement entrepris que DPF a effectivement formulé une demande de dommages-intérêts au titre de la violation du secret des affaires devant les premiers juges.

En outre, la demande porte sur les pièces de Agora et SRP numérotées B9, D2, D3, Q1 et Q3 qui sont des pièces nouvellement communiquées en cause d'appel. La demande est recevable.

L'article L. 151-1 du code de commerce dispose :

« Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1°Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

2°Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3°Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

Selon l'article 151-2 du code précité, « Est détenteur légitime d'un secret des affaires celui qui en a le contrôle de façon licite ».

L'article 151-4 précise : « L'obtention d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu'elle résulte :

1°D'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments ;

2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale. »

Selon l'article L. 151-5 « L'utilisation ou la divulgation d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l'article L. 151-4 ou qui agit en violation d'une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.

(...). »

L'article L. 151-6 ajoute : « L'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret des affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d'une autre personne qui l'utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l'article L. 151-5. »

L'article L. 151-7 indique : « Le secret des affaires n'est pas opposable lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l'Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l'exercice des pouvoirs d'enquête, de contrôle, d'autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives »

L'article L. 151-8 précise :

« A l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :

1° Pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d'information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2° Pour révéler, dans le but de protéger l'intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l'exercice du droit d'alerte défini à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dans les conditions définies aux articles 6 et 8 de la même loi ;

3° Pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national. »

Enfin, l'article L. 152-1 du code de commerce dispose :

« Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-4 à L. 151-6 engage la responsabilité civile de son auteur. »

En l'espèce, la pièce B9 est un bon de commande "FOOD DOMINO'S PIZZA" vierge mis à jour le 19 avril 2021 constitué d'une liste d'ingrédients, de l'unité de commande (ex : sachet de 500 G ou carton de 6 kg) et du code du produit, sans indication de prix.

Il n'est pas justifié en quoi ce document aurait pour DPF une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret, alors qu'il ne résulte pas de cette pièce qu'elle expose, ainsi qu'il est soutenu, de manière détaillée les éléments du savoir-faire secret permettant à DPF de se différencier des autres opérateurs et de rester compétitif et permettrait à SRP et à ses franchisés de bénéficier d'un avantage concurrentiel indu.

La pièce D2 est un courriel de DPF du 18 mai 2018 adressé par l'équipe marketing de DPF aux membres du réseau.

Il n'est pas justifié en quoi ce document aurait pour DPF une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret, alors que ce courriel fait état d'une nouvelle fonctionnalité disponible sur le site internet de DPF et que les informations qu'il relate concernent des éléments factuels publics accessibles à tous sur le site DPF et ainsi dépourvues de caractère secret.

La pièce Q I est un rapport d'expertise de la société OCA du 14 décembre 2020. La circonstance que figure à ce rapport une liste des annexes parmi lesquelles une annexe 7 intitulée « Document de support de la conférence donnée par Grant Bourke aux franchisés DOMINO'S PIZZA en novembre 2005 » et une annexe 8 intitulée « Document de support de la présentation ayant eu lieu lors de la réunion des franchisés DOMINO'S PIZZA du 5 mai 2004 » ne saurait permettre d'établir l'existence d'une violation du secret des affaires. En effet, au regard de leur ancienneté, s'agissant de documents présentés aux franchisés DPF en 2004 et en 2005, leur valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de leur caractère secret au jour où la Cour statue n'est pas démontré.

Parmi les annexes du rapport d'expertise OCA du 31 août 2021 (pièce Q3 intitulée "Les Annexes OCA") figure à l'annexe 9, un programme "Emerging leader" pour les cycles 2019-2020 et 2020-2021, cycle de formation pour former des salariés du réseau DPF au métier de chef d'entreprise et de leur permettre d'ouvrir leur propre point de vente.

Cependant cette annexe qui ne fait que détailler le programme de la formation, ne contient aucun document spécifique relatif au savoir-faire. En outre, il ne mentionne pas son caractère confidentiel.

En revanche, la pièce D3 est un guide d'évaluation des points de vente de 2018 de 23 pages communiqués par DPF à ses franchisés, qui contient de nombreux conseils à destination de ces derniers pour leur permettre d'améliorer la qualité de leur gestion et ainsi la rentabilité de leur point de vente. Tel est notamment le cas de la "Préparation pour le Rush". Il y a lieu d'admettre que ce document constitue un vecteur de transmission du savoir-faire distinctif et secret de DPF.

Cette pièce n'est pas généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité, en l'espèce, la fabrication, la vente à emporter et la livraison à domicile de pizzas.

En ce qu'elle participe au savoir-faire secret de DPF et à la gestion d'un point de vente, cette pièce qui a une valeur commerciale effective ou potentielle du fait de son caractère secret, n'avait pas vocation à être partagée.

En outre, DPF avait pris des mesures pour empêcher la diffusion de ces informations hors de réseau, notamment en mentionnant en bas de chacune de ses pages : « Ce guide est strictement confidentiel et à destination exclusive des membres du réseau Domino's Pizza. Toute communication partielle ou totale est strictement interdite ».

Il n'est pas démontré que la production de cette pièce constituerait une exception à la protection du secret des affaires prévues par les articles L. 151-7 et L. 151-8 du code de commerce, notamment qu'elle serait justifiée par la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national.

Cette pièce est donc protégée au titre du secret des affaires.

Faute d'élément contraire, il convient de retenir que ce document a été obtenu ou divulgué sans le consentement de DPF et ainsi de façon illicite au sens des articles L. 151-4 et L. 151-5 du code de commerce par SRP et Agora. Par conséquent, ces dernières ont engagé leur responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article L. 152-1 du code de commerce.

Selon l'article 152-6 du code de commerce :

« Pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :

1°Les conséquences économiques négatives de l'atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;

2°Le préjudice moral causé à la partie lésée ;

 

3°Les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte au secret des affaires, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte.

La juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Si DPF soutient que la connaissance des informations que cette pièce contient par le concurrent SRP et ses franchisés a permis à ceux-ci, d'ajuster leur comportement sur le marché et de bénéficier ainsi d'un avantage concurrentiel indu en parasitant ses investissements pour acquérir, perfectionner et synthétiser son savoir-faire, qu'elle a remis en cause l'efficacité de ses efforts de différenciation, dont il résulte un manque à gagner certain ainsi qu'un préjudice moral, outre l'utilisation de façon indue son savoir-faire pour améliorer le fonctionnement de leur propre réseau, parasitant ainsi ses investissements, force est de constater qu'elle ne produit aucun élément permettant de chiffrer son préjudice relativement aux conséquences économiques négatives de l'atteinte au secret des affaires et les bénéfices réalisés par SRP et ses franchisés.

En revanche, s'agissant du préjudice moral, la Cour dispose d'éléments suffisants lui permettant d'évaluer à 30 000 euros, le montant des dommages-intérêts qui sera alloué à DPF à ce titre sur le fondement de l'article L. 152-6 du code de commerce.

Le surplus des demandes présentées à ce titre est rejeté.

Sur les autres demandes,

Il convient de surseoir à statuer sur les autres demandes présentées dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Vu l'arrêt de Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique du 30 septembre 2020,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Dit sans objet la demande d'annulation du jugement ;

Infirme le jugement en ce qu'il a écarté certaines pièces des débats produites par la société Agora ;

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Rejette la demande de la société Domino's Pizza France (DPF) tendant à voir déclarer irrecevables les pièces adverses E6 à E12 reproduites également en annexe 27 de la pièce adverse Q3 (D00110, D114-2 à D114-6, D124, D126-2 à D126-3, D127-1 à D127-2) ;

Sur les demandes relatives à la concurrence déloyale,

Avant-dire droit sur les demandes présentées prise du dépassement allégué des délais légaux,

Ordonne une mesure d'expertise,

Désigne pour y procéder, Mme [U] [Y], en qualité d'expert, Eight Advisory & Associés - [Adresse 6] - Téléphone : [XXXXXXXX01] - courriel : [Courriel 11].

Avec mission de, après avoir convoqué et entendu les parties et tous sachants, et s'être fait remettre tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission :

- Rechercher si la dette accumulée par la société DPFC à la clôture de ses comptes ne concerne que des dettes vis-à-vis de son franchiseur ou concerne aussi d'autres fournisseurs, et faire toutes observations utiles à la bonne solution du litige à cet égard,

- Préciser en pourcentage les dettes relatives aux produits alimentaires périssables relevant du délai 30 jours fin de décade des autres dépenses, en faisant toutes observations utiles à la bonne solution du litige,

- D'une manière générale, fournir tous éléments utiles permettant à la Cour d'apprécier l'existence d'une violation de la règlementation relative aux délais de paiement par les sociétés DPF et DPFC au cours de la période de 2003 à 2008, notamment au regard de l'incidence de l'exploitation de deux points de vente entre 2004 et 2008 par la société DPFC,

- Fournir à la Cour tous éléments utiles lui permettant de dire, le cas échéant, dans quelle mesure une violation de la réglementation relative aux délais de paiement par DPF a eu ou a pu avoir pour effet d'avantager son franchisé, la société DPFC au détriment du franchisé de SRP, la société Agora, notamment en répondant aux critiques émises par la société DPF à cet égard.

- Fournir à la Cour tous éléments utiles lui permettant de se prononcer, le cas échéant, sur les divers chefs de préjudices invoqués par la société Agora du fait de la concurrence déloyale alléguée exercée par les sociétés DPF et DPFC en raison de la violation alléguée de la règlementation relative aux délais de paiement, en particulier sur le scénario contrefactuel,

- Faire toutes observations utiles à une bonne solution du litige.

- Dit que l'expert aura accès aux dossiers des parties et à leur comptabilité ainsi qu'à tout élément de facturation de celles-ci,

- Dit que l'expert devra préalablement communiquer aux parties un pré-rapport et recueillir contradictoirement leurs observations ou réclamations écrites dans le délai qu'il fixera, puis joindra ces observations ou réclamations à son rapport définitif en indiquant quelles suites il leur aura données,

- Rappelle qu'en application de l'article 276 du Code de procédure civile, les parties devront dans leurs dernières observations ou réclamations reprendre sommairement le contenu de celles qu'elles avaient précédemment présentées, à défaut de quoi, elles seront réputées abandonnées,

- Fixe à 30 000 Euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que versera la société Speed Rabbit Pizza et/ou la société Agora entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Paris et ce, avant le 20 février 2023,

- Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque, toute conséquence étant tirée du refus ou de l'abstention de consigner,

- Dit que l'expert déposera le rapport de ses opérations au greffe de la cour dans les six mois de sa saisine par signification qui lui sera faite de la consignation,

- Dit que l'affaire sera examinée à l'audience de mise en état du mardi 28 février 2023 à 10 heures pour vérification du versement de la consignation ;

Sur la demande relative à la violation du secret des affaires,

Infirme le jugement de ce chef et statuant à nouveau,

Condamne in solidum les société SRP et Agora à verser à la société DPF la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi par cette dernière du fait de la violation de ses secrets d'affaires ;

Rejette le surplus des demandes présentées de ce chef ;

Surseoit à statuer sur les autres demandes présentées ;

Réserve les dépens.